Fringues flambant neuves. Ou plus précisément trois vieux vêtements récupérés à l'arrache lors d'un passage éclair dans mon ancien chez moi, endroit où il n'est pas prudent que je m'attarde.

D'ailleurs j'me paie une de ces touche... pas très assorti au niveau des couleurs, un peu en mode arc-en-ciel (finalement j'aurais peut-être dû faire gaffe et pas me contenter d'attraper ce qui venait en premier dans le placard.)
Les lunettes de soleil et les gants ça arrange rien.
Je vire les lunettes. J'ai l'air moins con... j'espère.

Assise sur un escalier, je regarde passer les gens d'un oeil morne. Mon job du jour ? Dégotter de nouveaux postulants qui n'ont pas froid aux y...

Ah ben merde. C'est quoi cette agression visuelle ?

On dirait un type.

Avec des yeux fluos.

...

Ouah, on est assortis.

- Salut.

En fait j'aurais carrément dû me faire une pancarte lumineuse avec écrit "fugitif" en lettres clignotantes, ça aurait été plus discret.

Un escalier. Je monte quelques marches, distrait.

On m'interpelle, je sursaute.

*Heeeeein? Quoi ?* Je pense


- Heeeeein ? Quoi ? Je rétorque à la demoiselle qui vient de me saluer... très éloquant et pas l'air abruti du tout.

Regard passant de haut... en bas.

- Un petit souci avant le café ce matin ? Ou bien... T'es daltonien, peut être ? Ca expliquerait la couleur inusitée de tes yeux...

Ouais. Tout ça pour ça.

Un "t'as de beaux yeux tu sais" aurait aussi bien suffi, je sais...

J'apprécie moyennement la remarque.

Puis au final je me dis que la p'tite dame a pas tort; c'est que j'ai une sacré dégaine de clown.

Je répond tout de même sur le ton du sarcasme, pour la forme, et aussi un peu pour contourner le sujet.

- Pas daltonien, juste pressé. Les yeux c'était inclus avec l'option lampe de poche. Pratique pour voir dans la nuit, tout ça.


Elle a pas besoin de savoir le pourquoi du comment, d'ailleurs ...

- ... je la trouve un brin curieuse la demoiselle qui cause aux inconnus mal fringués.

Merde ! ça m'a échappé ! J'étais censé le penser ça, pas le dire !
J'ai vraiment le cerveau qui tourne pas rond ces temps-ci...

Demi sourire. Il a du répondant. Bien. Il parait qu'on cherche pas des lopettes.

- Magnifique. Tu as pensé à en faire un spectacle de cabaret ? Par contre... Fais ça à poil, hein, parce que tu es au bord de l'agression visuelle, là.

Je me lève, souris avec calme.

- Ouais, je suis curieuse. Il est des signes qu'on apprend à reconnaitre.

Je la fixe, plus insistant que je l'aurais voulu.

Elle a pas l'air antipathique. Je me méfie quand même un peu. J'ai mes raisons; plus que valables il me semble.

Je ne peux pas me résoudre à laisser passer la provocation, j'y vais de ma petite réplique :

- Son, lumière, effets spéciaux, le spectacle qui fini en nu intégral... J'aime bien l'idée. J'te le joue en avant première ? Tu serais pas déçue.

Dernière phrase ponctuée d'un petit sourire en coin et de ma main droite qui défait le bouton de mon pantalon.

Mais j'arrête avec les conneries. Ces fameux "signes" dont elle parle. C'est louche.

- Signes ? Un goût prononcé pour l'art conceptuel vestimentaire c'est un crime ?

Remarque... théoriquement on peut pas dire que l'originalité soit encouragée dans le coin.

Je me sens rougir. Merde. ... Elle ferait quoi, Kim, dans une situation pareille ?
...

De la provoc'.

Je le chope donc par la ceinture et le tire vers moi de ma main droite, tandis que la gauche se plaque sur sa joue, cachée à la rue par son corps.

- Pas parlé de crime. Juste de signe. Et pas l'oiseau blanc bête mythique : ça s'écrit pas pareil.

Je suis amusée. Ma main clignote jaune soleil, doucement, contre sa joue, juste sous son oeil.

Houla ! Instant de stupeur. Elle aurait pris mon trait d'humour douteux au sérieux ?!

*note pour plus tard : le bouton du pantalon on touche plus, ça peut être mal interprété.*

Mais il m'apparait vite qu'elle n'en a pas après ma vertu. Et en fait, bizarrement ça me rassure pas...

Je ferme un œil, ébloui par l'éclat de mon inconnue du jour. Sans métaphore foireuse.

Là je suis dans la merde. Bordel.... c'est que ça a l'air dangereux... et si ça explose ?!!!

Panique. Puis j'ai soudain une illumination (sans mauvais jeu de mot).

De ma main gauche j'agrippe le bras luisant de la jeune femme, assez fort pour qu'elle puisse repérer les trois doigts métalliques que dissimule mon gant.

- Moi aussi j'ai deux ou trois joujoux dont j'hésiterai pas à me servir...


Je prends un air un peu menaçant, sûr de moi. Du bluff. En réalité je suis VRAIMENT pas rassuré.
Même en cas de nécessité je ne maîtrise pas encore suffisamment le "joujou" en question pour pouvoir m'en servir efficacement.

Je grimace, lui parle à l'oreille. Pas désagréable, comme truc, sauf si on considère que j'aurai des bleus tout à l'heure.

- Relax, chéri, je suis purement décorative. Toi, par contre, tu peux peut être être utile à quelque chose... Tenté ?

Regard par en-dessous. Bon, heureusement que, vu le quartier, voir deux personnes collées-serrées choquera pas, dans un endroit plus normal, on aurait déjà été dénoncés cent fois.

Elle murmure au creux de mon oreille.
Je me calme un peu, relâche ma prise, remet une distance d'un pas entre nous.

- Mais évidemment chérie, et en quoi puis-je t'aider exactement ?
Je balance, ironique.

Un léger froncement de sourcils.

Sans doute pas prudent mais je suis curieux de savoir de quoi il retourne.

Sourire impudent. Celui là, j'me suis entrainée des heures devant ma glace, pour le réussir.

- Je me disais que ton look bizarre risquait d'attirer l'attention, tu vois. En échange de quelques notions élémentaires de stylisme passe-murailles, tu serais prêt à faire quoi ?

Des lentilles de contact et des gants, et il fait normal, hein.

...

Ouais, pis d'autres sapes, quand même.

Attirer l'attention ? Si peu... merci pour la révélation...

- Ce que je suis prêt à faire pour que tu me prêtes trois fringues ? ... Attends, laisse moi réfléchir...

Pause. Petite moue dédaigneuse qui me donne un air parfaitement exécrable.

Arguant en moi même que là je joue un peu au con pour rien, je reprends une mine qui donne moins envie de me coller une droite.

Une légère absence. Une fraction de seconde, pas plus. Je me ressaisis.

- Non, désolé, c'est pas contre toi mais faudra me proposer mieux que ça.
... et un peu moins louche.

C'est la méfiance qui parle, mes mésaventures de ces derniers jours. Les accents ironiques ou suffisants ont quitté ma voix, laissant place à un ton plus sérieux.

Demi sourire ironique. J'étais aussi nerveuse, il y a... mille ans ? ... A peu près un mois, en fait. Ça suffit pour gérer le stress plus efficacement... ou se faire choper. Sélection naturelle.

- De toutes façons, je peux pas te proposer grand chose, je suis juste des yeux, moi.

Je lui jette plusieurs noms : une rue, un bar, quelqu'un à contacter. Il viendra... S'il arrive jusque là sans bobo.

Demi-tour réglementaire. Regard par dessus l'épaule.

- Peut être à bientôt, chéri.

Main qui s'agite, et je me fonds dans la masse, gris dans gris.

Apparemment elle y tient à son affaire... Voilà que je me retrouve avec une tripotée de noms.

La situation m'échappe. Trop de trucs étranges d'un coup.

Des noms, des noms... elles me les a tous donnés sauf le sien. Et au moment où j'ouvre la bouche pour poser la question qu'elle aurait sans doute contourné, elle a déjà disparu.

Je reste planté là quelques instants, comme un con.

Puis je me dis que ça vaudrait peut-être le coup de repasser par chez moi, trouver des fringues mettables. C'est ça où me faire flécher à vue, donc...