à la pêche aux bombeubombeubombes ! [Lewis]

Aujourd'hui était un jour de merde, parce qu'aujourd'hui, les insurgés avaient arrêté de se tourner un doigt dans le cul. Incroyable ! Lester avait presque envie de se bouger pour aller voir ça, sauf qu'en fait, Lester n'avait pas le choix : il y était très fortement invité, tellement qu'il avait cédé. Finir comme cobaye à la clinique de la spiritualité ne l'enchantait guère. Ainsi, ils s'amassèrent tous dans le Hall du temple, devant un prédicateur habillé en violet.
Et on leur avait remis une sacoche en leur disant :
« Frères, l'ennemi a posé des bombes, donc vous désamorcerez des bombes. » Puis on avait fait les groupes, ou plutôt, on les avait imposés.
« Toi avec toi. Hé, toi là, oui, toi, le grand dadais, avec l'autre là-bas ! »
Et voilà comment, Lester s'était retrouvé à désamorcer des bombes dans novlangue avec Lewis. Ça aurait pu être pire...

Youpie! On va désamorcer des bombe! C'est trop classe! Un peu d'action. Si on en trouve une, on va passer pour des super héros super fort et... Et ça suffit. Par contre si y'en a une qui nous explose à la gueule, on passera juste pour deux cons qui savent rien faire.

Je me tourne vers mon coéquipier:

- Eh, Lester, c'est trop classe qu'il nous ont foutus ensemble pour cette mission. J'pensais justement à toi l'autre jour. J'me demandais ce que tu étais devenu.

A coup sûr, ensemble, on va cartonner.

Lewis, c'est sûr que Lester aurait pu mal tomber. En fait, il était plutôt content d'avoir retrouvé ce mentaliste. Le destin les avait fait se rencontrer deux fois, ce qui était déjà énorme dans une ville telle que novlangue, et même le Temple. En y réfléchissant bien, ils n'étaient pas plus que des connaissances, et pourtant, apparemment, l'homme semblait apprécier sa compagnie. Lester l'aimait bien également.
- Moi aussi. Y'avait une rumeur de couloir qui disait que t'avais été kidnappé. Je sais pas qui a eu l'idée d'une blague aussi stupide !
Et il rit un bon coup, tellement il trouvait ça drôle. D'ailleurs, il ne riait pas souvent.

Ils zonèrent dans les quartiers, puis Lester lui demanda franchement quel était le lieu où une bombe pouvait être posée. Ils en vinrent à faire une petite liste, les endroits gouvernementaux en premier, évidemment.
- Ouais, j'espère que tu t'y connais en bombe, parce que bon, moi ils ont pas jugé utile de me faire passer un stage avant . Je suis de toute manière pas assez rentable !

Voilà que Lester rit de mon enlèvement. S'il savait à quel point c'était pas drôle! Perso, ça m'a pas fait marré... J'en ai souffert pendant assez longtemps je pense.

- C'était pas vraiment une blague. Je doute que les insurgés rigolaient ce jour là...

Après de longue minute à faire semblant de bosser en vadrouillant dans les rue de la ville, nous avons lister les endroit susceptible d'être la cible des insurgés. Je voyais djà mon appart' comme cible potentielle mais si je le dis, Lester va me prendre pour un parano.

Si je m'y connais en bombe? Euh... Je m'y connais en bombe ou pas? Pfff... J'sais pas trop...

- Pas vraiment... Je pensais qu'ils me mettaient avec toi parce que tu t'y connaissais. J'ai p'tetre fait un stage un jour, mais... J'ai jamais vraiment écouté ce qu'on me disais parce que j'en ai rien à foutre.

Je me tourne vers Lester.

- Je sens qu'on est un peu dans la merde...

Hé merde, voilà qu'ils étaient pas aidés ! D'ailleurs, Lester l'a pensé tellement fort qu'il n'a pu s'empêcher de le dire, un peu amer.
- Hé merde...
Aussitôt, il se reprend, mais ne rougit pas.
- Je pensais pas que c'était vrai. C'est dingue que tu sois en vie. Ils t'ont fait quelque chose ?
Par simple réflexe, Lester le dévisagea de la tête aux pieds, sans omettre la très légère protubérance du jean. Tout avait l'air en pleine forme, et surtout à sa place. Pas de troisième bras ou de bouts en moins. Il aurait bien aimé vérifier par lui-même.

Ah oui, la bombe, revenons à nos moutons.
- On est vraiment aidé...
Désormais, ils se trouvaient dans le centre commercial, le long des allées peu fréquentées du parking, là où des remugles de pisses froides vous chatouillent la narine et que de sombres alcôves cachent plus que de vieux sdf usés.
- Au fait, tu sais à quoi ça ressemble une bombe ? demanda innocemment Lester tout en ouvrant son sac.

Little flashback: Lester m'a demandé si les insurgés ne m'avaient rien fait de mal. Je lui ai alors répondu:

- Nan, il m'ont enlevé - assez sauvagement, cela dit - pour me troque contre du matos. Il ont pas vraiment eu le temps de me faire mal. Hyena est venue me chercher durant l'échange...

...

Puré! Il était obligé de m'emmener dans la partie la plus obscure du parking du centre commerciale? Je hais les parkings souterrains... Y'a des trucs louches qui s'y passent. On sait jamais sur quoi on peut tomber dans un endroit pareil. Une bombe peut être. Qui sait.

Je regarde un peu partout autour de moi dans l'espoir de trouver ce qu'on est venu chercher, en priant très fort que ce ne soit pas la marchandise qui nous trouve en premier.

- Au fait, tu sais à quoi ça ressemble une bombe ? me sort Lester le plus naturellement possible.

Je hosse les épaule.

- J'sais pas trop. A un genre de boite avec un détonateur... Mais je ne sais pas à quoi ressemble un détonateur... Y'a peut être aussi un minuteur... En fait, on verra bien quand on en trouvera une.

Nous voilà très avancés.

- J'sais pas trop. A un genre de boite avec un détonateur... Mais je ne sais pas à quoi ressemble un détonateur... Y'a peut être aussi un minuteur... En fait, on verra bien quand on en trouvera une.
Tout en disant cela, Lester s'est raidi. Ses paupières s'ouvrent et se fermes, ses cils s'arquent, et une de ses mains vient fermement cramponner l'épaule droite de Lewis.
- Tu crois que c'est possible que les tubes soient chromés, qu'il y ait un liquide bizarre qui suinte, et que ça ait le diamètre d'un œuf d'autruche ?
Lester s'est désormais, par réflexe, collé contre Lewis tout en regardant l’objet sus-dit à sa droite.
Et comme si l'autre était assez con, Lester brandit son index vers la chose en geulant :
- C'est quoi CA à ton avis ? C'est pas une bombe dis, c'est pas une bombe ? Elle va pas nous péter au visage quand même ?!!

Aouch! Mais qu'est-ce qu'il s'accroche comme ça, lui? Ca fait mal!

- Tu crois que c'est possible que les tubes soient chromés, qu'il y ait un liquide bizarre qui suinte, et que ça ait le diamètre d'un œuf d'autruche ?

Je hausse les épaules.

- Mais, toi! D'où tu sort qu'une bombe ressemble à un machin avec des tubes partout? Ca serait trop voyant. A mon avis c'est tout petit et...

Lester se colle tout contre moi et me pointe un espèce de gros machin qui ressemble à rien - mais qui fait peur quand même - et me gueule dans l'oreille:

- C'est quoi CA à ton avis ? C'est pas une bombe dis, c'est pas une bombe ? Elle va pas nous péter au visage quand même ?!!

Je fixe le machin sans rien dire pendant quelques secondes, et d'un coup je me tourne vers Lester, le saisit aux épaules et le secoue à moitié.

-PUTAIN C'EST UNE BOMBE!!! je lui gueule. C'est une bombe! Merde! C'est une putain de bombe!!! On va crever! Faut qu'on se barre d'ici et vite! Je veut pas finir en steak haché! Je...

D'un coup, un large sourire éclaire mon visage.

- Mec, on en a trouvé une! On a trouvé une bombe! on est trop des bosses! ... Par contre, on l'arrête comment?

Lester se fait perplexe.
- Quoi, mais on s'en fous de la bombe. On va pas essayer de la désamorcer, parce que : Primo, t'as pas écouté au stage, et secondo : elle va NOUS PETER A LA GEULE ! Et si elle faisait tictac ?
Tout à coup, des profondeurs abyssales du parking, on entendit un bruit étrange de métronome.
Tictactictactictac
Lester a l'impression qu'il va mourir de trouille. Heureusement, sa vessie semble si contractée qu'il ne lâchera pas une seule goutte d'urine.
Au moins, il s'agira d'une mort digne !
- ELLE FAIT TICTAAAAAC
Et il se presse désormais tout contre Lewis, soudé à son dos et cramponnant de ses deux mains ses épaules, la tête contre les omoplates.

Tictac? Est-ce qu'elle fait tictac? J'ai rien entendu moi... Je tend l'oreille. tictactictac... Oh putain, elle fait tictac! On va crever! On va creveeeeer!

Lester s'est réfugié derrière moi comme une pauvre demoiselle en détresse. Là, une nouvelle force s'empare de mon corps, tout tremblant une seconde avant et désormais plein de vitalité. Je sens tout au fond de moi - bon, vraiment très très au fond,cela dit - qu'il faut que je fasse quelque chose. Euh... Mais quoi?

Alors j'agis comme il me semble bon de le faire. Je me tourne vers Lester, prend son visage entre mes mains et plonge mes yeux dans les siens.

- Ne t'en fais pas, mon ami. Je vais nous sauver tous les deux, ainsi que la population Novlanguaise. Fuis! Fuis tant qu'il est encore temps. Sauve ta peau. Moi, je reste ici et je vais tenter d'utiliser le peu de chose que j'ai apprise durant mon stage pour arrêter cette foutue bombe!

Alors je me retourne vers la bombe, j'arrache littéralement ma chemise - ben oui, ça donne chaud des situations comme celle-là - et baisse un peu mon pantalon pour me donner des allures de plombier - je les ai toujours trouvés très classe. Résultat, je m'agenouille devant la bombe torse nu avec mon caleçon vert fluo qui dépasse de dix centimètre et me met à regarder l'engin de tous les côté.

- Euh... Et maintenant?

Lester, compulsivement, tangue de gauche à droite, oscille dans un mouvement de va-et-vient virtuels. Soudain, devant lui, la métamorphose opère sur Lewis, et il se retrouve avec, devant son visage, deux fesses bien moulées dans un étui collant et vert. Fluo. Vert fluo.
Le bas sentiment qui l'étreignait tout entier se relâche, et il sent que sa mollesse le quitte peu à peu. Alors il retrouve un semblant de virilité, et, tandis qu'il s'avance fièrement, il annonce :
- Non, je ne te laisserais pas, Lewis. Big Brother savait ce qu'il faisait ! Ton héroïque, pupille larmoyante humectée, torse fièrement bombé. Lester devient, une seconde durant, la parodie novlanguienne (et ridicule) d'une compagne de Chuck Norris.
Aussitôt, il décroche de sa ceinture sa sacoche et se poste aux côtés de son plombier, suffisamment prêt pour pouvoir garder un oeil sur ses deux protubérances.

- Maintenant ? Hé bien...
Flou artistique ou gaussien.
- Pioche !
Il a ouvert sa sacoche truffée d'outils du parfait petit démineur et la lui tend. Autant s'en remettre au destin. Plus d'adrénaline qu'au loto.

Finalement Lester, collègue et ami fidèle, choisit de rester à mes côtés durant cette dure épreuve, alors qu'il pourrait partir maintenant et vivre encore de longue année. Un vrai héros ce type. Je le vois du coin de l'œil se poster à mes côté aussi fièrement qu'un étalon noir. Il à l'air aussi fort qu'un lion, aussi courageux qu'un serpent, aussi... Euh... Bref! Je l'admire ce type.

En plus il me temps sa sacoche à outils... Comme c'est touchant! Il reste à mes côté et en plus il tient à m'aider dans mon travail fastidieux. Bon, il est vrai que je ne risque pas de foutre grand chose...

- Merci Lester. Tu peux pas savoir à quel point je suis heureux que tu sois rester. Seul, il m'aurait été plus difficile d'affronter cette épreuve!

Je m'empare d'une grosse clé anglaise, regarde le machin d'où sort le liquide bizarre.

- Tu crois que si je fracasse le conteneur pour laisser fuir le liquide ça marchera? ... Ou bien je cherche un fil rouge et un fil noir et coupe l'un des deux au pif, comme dans les films...

Lester rougirait comme une donzelle, mais il n'a pas le temps de passer par toutes les étapes de la préciosité. Et puis il s'en fout, en fait. Il a un cul bien dans l'axe, manquerait plus que la savonnette. Mais à défaut, pas grave, il aura qu'à dire qu'il a glissé dans la cambouis.
Ca lui pend au nez, mais il reste fier et droit. C'est vrai qu'il se sent grand. Il faut bien : il vit ses dernières secondes.
- C'est toujours mieux à plusieurs que seul !
Ton mystique, présent de vérité générale. Et merde. Lester grince, serre la mâchoire. C'est assez tendancieux ce qu'il dit, il devrait arrêter de mater le cul du plombier Polonais.
- Ouais bref, je sais pas trop, ça risque de péter. J'ose même pas le toucher. Dis, tu sais, on pourrait encore s'enfuir.
Ah non, il se sent comme une lopette là. Quel con ! La honte. Vite, sortir quelque chose, n'importe quoi, pour réparer cette bourde monumentale :
- Sinon, on peut toujours brûler un cierge ?

Je me mets à tâter tout ce qu'il y a à tâter - sur la bombe, pas qu'il y ai des mal-entendus. Putain, je sais vraiment pas quoi faire! En plus on a perdu trop de temps, on peut plus fuir. On est condamnés. Je suis trop jeune pour mouriiiiir! Je me laisse tomber sur les fesses et regarde intensément la bombe. Saloperie...

- C'est toujours mieux à plusieurs que seul !

Je me tourne vivement vers Lester. C'est une impression ou il me reluque comme un chien le fait avec un biscuit savoureux et croustillant qu'on s'apprête à lui donner? Il compte me faire quoi là? On est peut être condamné mais j'en suis pas encore à vouloir virer de bord pour ça. Du moins je crois pas... Je suis plus sûr du tout. Qui sais ce que je vais être capable de faire dans mes derniers instants...

Il veut qu'on fuit, mais il est trop tard pour fuir!

- Un capitaine ne quitte jamais le navire, mon ami...

Mais qu'est-ce que j'ai répondu là? Ca veut rien dire! C'est de la merde! Mais faut que j'arrête, je deviens con!

Un cierge? Il veut maintenant qu'on brûle un cierge? Pour quoi faire? Griller des saucisses? ... Ouais, nan, quand même pas... De toute façon c'est pas assez grand - je parle du cierge bien sûr.

- Tu veux te confesser?

Blague à la con. J'arrive pas à rester sérieux. Résultat: me voilà mort de rire devant une bombe qui menace d'exploser.

Lester s'est laissé tomber, le cul en arrière, aux côtés de Lewis. Sans vraiment chercher à se cacher, il colle sa cuisse à la sienne. Devant eux, la bombe crachote son jus tout en bégayant ses tictacs infâmes. Lester a du mal à la regarder. Il a envie de la traiter de salope, de déchirer sa mère (voire ses créateurs) de faire bouffer ses tuyaux au premier venu, mais toute cette émotion ne sert à rien.
Peut-être est-ce juste parce qu'il a besoin de se sentir encore vivant ? Il ne veut pas céder à la panique, ou au désespoir. Quelle horreur doit-ce être de se savoir condamné incessamment sous peu ?
Même Lewis abandonne. Pas vrai. Bon, ils sont foutus, mais il doit pas le dire, au moins pour épargner le petit pois de mister géant Vert. S'il est crispé, ça risque de pas être facile, surtout sans lubrifiant. Soudain, son compagnon ose défier les tictacs de sa voix :
- Tu veux te confesser ?
Mais c'est qu'il pense aux mêmes conneries le salaud ! Et après vas-y qu'jte fasse ma sainte-nitouche. Lester le dévisage, les yeux brillants et la lèvre inférieure légèrement décollée, montrant des gencives saines.

- Oui, une bonne fessée dans les règles, une où l'on sent la brûlure s'étendre à tout le corps ! Je me sentirais encore tellement vivant, et après, je n'aurais plus mal quand...
Il voulait dire « quand mon corps implosera et que des milliers de minuscules bouts larmoyants et spongieux se colleront au trottoir comme les résidus intestinaux du sdf de ce matin qu'on a trouvé la tête au fond des chiottes de la discothèque miteuse de la cinquième ». Il se ravise. Devinez pourquoi.
- Tu crois qu'il nous reste combien ? Là, elle brame depuis longtemps déjà. Deux minutes, c'est long.

Pendant que je rit à en vomir mes poumons, Lester m'observe avec un air de bête affamée. Et sa réponse est des plus louches qu'il soient. J'ai pas très bien compris comment il en est arrivé à vouloir que je le fouette jusqu'au sang, et en fait j'ai pas trop envie de le savoir.

- Euh...

J'arrête de rire et le regarde d'un air assez - voir énormément - inquiet. Et lentement, très lentement, et légèrement, très légèrement, sur le côté, de façon à décoller ma cuisse de la sienne. Voilà, là c'est mieux.

- Tu crois qu'il nous reste combien ? Là, elle brame depuis longtemps déjà. Deux minutes, c'est long.

Pourquoi il veut savoir ça? Merde je deviens parano - mais à juste titre, je tiens à dire. Deuxième mouvement de recule.

- En tout cas, pas assez de temps pour faire des choses louches!

Merde c'est sortie tout seul! Je passe pour un beau salop. Mais je veux pas faire des choses louches avec lui! Faut que je me rattrape...

- Je... euh... Je voulais dire que... Euh... Ouais, bon, bref! Je crois que je vais me remettre au boulot.

Et direct je me remet en position pour désamorcer la bombe.

Ô rage, Ô désespoir ! Pourquoi fallait-il qu'il meure en compagnie d'un égoïste bandant mais fermement résolu à se garder son cul pour lui tout seul ? La vie est vraiment cruelle, le laisser se frustrer ainsi !

Lester renifle bruyamment face au recul de son dernier compagnon. Mais il se ressaisit. Lester est un homme, un vrai. D'ailleurs, il a les couilles pleines. Ça devrait le conforter non ? Du coup, à défaut de pouvoir tenir le tournevis de son ami, il lui passe un sécateur, puis il lui dit.
- Puisque tu veux que je meure en martyr, alors je t'assisterais jusqu'au bout ! (et sans te tâter le bout) S'ensuit un nouveau reniflement tandis que Lester relève la tête et rebombe son torse frêle.

Il examine la bombe, si loin, si proche en même temps. Est-ce que la toucher signerait leur arrêt de mort ? Pourtant, pour pouvoir couper un fil, il faudrait déjà en trouver au moins un, et pour se faire, il faudrait la retourner. Mais est-ce là le bon moyen ?
- Je vais la retourner tout doucement, d'accord ?
Lester, résolument, remonte ses manches jusqu'aux avant bras. Dans sa sacoche, il se saisit de gants en latex, et met sur son pif des lunettes. Il a l'impression de ressembler à un aviateur. Il se requinque tout à coup.
- Quand les insurgés attaquent, les mentalistes contre-attaquent !
Un sens, pas vraiment ? Mais c'est pas pire que le coup du cierge.

Pourquoi il renifle comme ça? Il pleure? C'est pas en jouant le pauvre petit gamin malheureux que je vais céder! J'ai aucune envie de me faire tripoter par ce type!

- Puisque tu veux que je meure en martyr, alors je t'assisterais jusqu'au bout ! (et sans te tâter le bout)

- Hein?!

Mais il est barge ce type! J'ai bien entendu là? Il à bien dit qu'il voulait me tâter le bout? Mais... Mais nan! Pas touche à mon bout!

- Attends! Qu'est-c'tu fous?

Woh, l'aut'! Il veut tourner la bombe! Et si c'est une de ces trucs qui explose dès qu'on le met en mouvement. Et c'est pas des gants et des lunettes lui donnant une gueule de con qui vont le protéger!

- Nan. Nan! NAN! Fais pas ç...

Il l'a prise! Et rien ne se passe... Attends, si! Le tictac... Il accélère! Et puis c'est quoi cette lumière rouge qui s'est mise à clignoter?!

- Putain, Lester, qu'est-ce que t'as fait?!

Alors, sentant l'heure fatidique arriver, je veux me conduire en héros. Je me jette sur Lester, nous projetant ainsi tous les deux de côté. J'avoue que ça sert à rien si la bombe explose, mais ça part d'une bonne intention, non?

Lester n'a pas eu le temps de comprendre que l'autre s'était affalé sur lui, ne lui laissant le loisir que d'échapper une plainte de chiot blessé. D'ailleurs, il lâche la bombe des mains qui roule dans la cambouis. Celle-ci colle au métal qui chauffe. Il s'élève une chaleur puante tandis que la pâte se solidifie et colle dans un bruit de succion indécent.

Le gémissement prend de l'ampleur, s'élève au milieu du béton et des tics-tacs de plus en plus tonitruants. Lester est couché au sol, avec, contre son corps, un corps chaud à l'odeur musqué, un corps masculin tout à fait désirable.

Sauf qu'il ne désire plus ce corps, pour la simple et bonne raison que ce corps même vient de lui enfoncer momentanément, et de tout son poids, un genoux mal placé juste entre les cuisses.
- pUtAIN !
Ouais, parce que putain toi-même !
Le cri venait du plus profond de ses entrailles; et c'était le cas de le dire.

Il aurait voulu nuancer, insinuer sa parenté avec un caribou néo-zélandais, ou autre chose de plus subtil, mais en fait non, trop mal. Promis, pas sa faute !

Merde! Il a balancé la bombe! AAAAH! Mais ça fait pcccchhhht et blop blop! Mais... Mais ça va péter! On va mourir! On va mourir!!!! Et en plus on va mourir dans une position obscène! J'veux pas mourir dans ces conditions!

- pUtAIN !

- Quoi?! Quoi?! Qu'est-ce qu'il se passe?!

Je bondit sur pieds, me mets à courir dans tout les sens tout en gueulant, les mains lever vers le ciel!

- AAAAAAAAH!!!! J'veux pas mourir! J'veux pas mourir! C'est la fin! On est morts! On est morts! NAAAAAaaaaaaaaaan....... ?!? Euh... Mais ça n'a pas explosé... Qu'est-ce qui t'a pris de me faire peur comme ça?

La réponse ne se fait pas attendre, à croire que Lester a perdu sa nonchalance, que le coup vigoureux à l'encontre de l'intégrité de sa virilité vient de le réveiller, et sévère, vu le choc. Un choc pré-traumatique.
- Parce que tu viens d'écraser mes couilles connard !
Bon, ne pas chercher la poésie et la métaphore subtile dedans. C'était des émotions, des ressentis bruts, tout aussi beaux dans la force qui se dégageait d'une telle gueule béante humectée de salive.

En fait, Lester a temporairement oublié la bombe, jusqu'à ce qu'il voit Lewis, et qu'il comprenne qu'ils n'étaient pas encore tout à fait mort. Puis il se recentra vers la sculpture de chrome. A présent, la lumière clignotait avec vitesse, de plus en plus vite. L'angoisse serra le cœur de Lester. Non, pas tout de suite. Cinq, dix secondes, vingt. Mais du rab, s'il vous plaît, comme à la cantine du Temple.

Du coup, le mentaliste se prend à faire le tapis au sol. D'ailleurs, il se fait asperger par la cambouis. On dirait un cachalot échoué sur la plage et qui s'étouffe dans une flaque de pétrole. En fait, il pourrait aussi ressembler à une mouette dans la même posture, vu que ses bras brassent l'air. Peut-être aimerait-il s'envoler.
- Non, pas déjà ! C'est pas mon heure ! couine-t-il à tout va.

Je lui ai écrasé les couilles? Et je suis un connard? Le deuxième question est rhétorique. Bien évidement je suis pas un connard - du moins c'est ce que j'essaye de me faire croire.

- Oups... Pardon... De toute façon t'en aura plus besoin si tu crèves.

Hein? Mais il me fait quoi là? Il joue le grand désespéré? Je l'ai tué en même temps que ses couilles? Maintenant je vais devoir crever seul s'il est djà mort!

- Non, pas déjà ! C'est pas mon heure !

Première réaction: il est vivant! Je vais pas crever seul!
Deuxième réaction: On va crever! Pourquoi? Pourquoi maintenant?

Je m'agenouille à côté de Lester et le secoue.

- Mais merde, mec! Arrête! Arrête ça! Désespère pas! On va pas crever! On va trouver une solution! On va...

Putain, voilà que je me mets à chialer comme un gosse. Des larmes s'évadent de mes yeux et coulent le long de mes joues. J'ai l'air vraiment trop con, mais je veux pas crever! Je masque mon visage sous mes mains et me mets en boule comme un gosse qui fait une colère.

- J'veux pas mouriiiiiiiiiir!!!!!

Qu'ils sont beaux, ces mentalistes. Finalement, rien dans le froc, les deux. C'était que de la gonflette !
Plus rien n'a d'importance. Sous les yeux exorbités de Lester, la bombe clignote de plus en plus vite, jusqu'à ce que l’intervalle se ralentisse.

Deux secondes d'intervalle.

Une seconde d'intervalle.

Lester ne peut plus supporter toute cette tension. Ne pas mourir seul, se souder à un autre corps. Le besoin est si impérieux. Détourner les yeux, les poser sur quelqu'un. Alors il empoigne le crâne de Lewis de ses mains, fermement, tout en collant sa bouche à la sienne, et tout son être vibre à l'unisson pour sa dernière seconde. Il a fermé les yeux.

Et il lui roule la plus belle pelle de l'histoire.

Derrière, l'intervalle se résorbe. La lumière est continue.

Lester a arrêté de respirer, la bouche pressée contre celle de son collègue. Les secondes se sont-elles figées ? Est-il mort ? Est-ce le bruit de la mort ? Où est-il ? Est-ce paradis autour de lui, son corps reconstitué comme au moment de son décès ?

…

Ça n'a pas de sens.

Tout ça pour

Non, la mort ne peut pas être

…

- LA MACARENA ?!!
Lester ne veut pas bouger, mais il veut protester.
- TOUT CA POUR CA BANDE DE BRANLEUR. JE VEUX QU'ON ME REMBOURSE. JE SUIS PAS MORT POUR ENTENDRE LA MACARENA !
Du coup, il s'est violemment relevé et toise la scène. Il retrouve le parking et la cambouis qui colle à ses ranger. Devant lui, incrédule, la bombe clignote joyeusement, projetant sur le mur des points colorés tandis que la musique s'élève à tue-tête.

Putain, une putain de boule-disco-mécanique-de-merde-qui-était-foutue-et-qu'un-connard-de-consommateur-a-jeté-dans-le-parking !

- Naoooooon ! Son cri déchire sa poitrine.

Putain ça met du temps à exploser là! On en est djà à au moins 2 secondes et demi! Hein, mais... Je sens qu'on me prends la tête et... Me voilà en train de me faire voler un langoureux baiser par mon collègue! Mais berk! C'est dégueu! Bon, en même temps, si on va crever, c'est pas une catastrophe non plus mais bon.

Tiens, on dirait... de la musique. De la putain de musique de merde!!! Lester s'est figé. Je me retourne vers ce qu'on à pris pour un maudite bombe. C'est ce machin qui fait du bruit?! Mais c'est même pas une bombe! Tout ça pour ça?!

Lester se lève violemment et se met à hurler comme un dingue. Il est pas content d'être en vie? Je me lève est me plante à ses côtés, les yeux toujours fixé sur la petite machine qui crache cette musique insupportable. On s'est bien foutu de notre gueule.

- Ne répète à personne ce qui s'est passé là.

Sinon ça va me tailler une drôle de réputation.

- Cela dit tu embrasses bien.

Ma maman m'a appris à toujours dire la vérité.

- Puré, on s'est bien tapé la honte aujourd'hui. Heureusement que y'a personne pour vooouuuar...

C'est là que j'aperçois une vingtaine de mètres devant nous un vieux clodo dansant cette foutue macarena la langue bien pendue. Je me tourne vers Lester.

- J'ai parlé trop vite...

Et le soulagement, sensation divine. Tellement prenante, qu'elle s'empare du corps entier de Lester qui frissonne de la tête au pied. La musique éclate en lui, donnant à ses jambes tremblante la légèreté d'un danseur de balais suédois.

Il a envie de frapper le clochard, mais finalement il choisit de rire. Il rit de tout. De la beauté de la vie, du ridicule du clochard, et surtout de leur propre ridicule.
- Ne t'inquiète pas, il risque pas de s'en souvenir. Complètement gaga le cinglé.
Enfin, il pouvait parler de lui...
D'ailleurs, il rougirait presque au compliment.

- Merci.
Tout d'un coup, il prend conscience d'un drame terrible : ses couilles sont encore pleines, et il ne va pas mourir, pas tout de suite du moins.
Forcément, ses idées lubriques lui reviennent, en puissance mille.

Il plaque violemment Lewis contre le mur le plus proche, encouragé par le cri du chanteur qui secoue ses maracas. Ouais, ça va secouer grave le cocotier !

Et il lui roule une nouvelle pelle. Il hésitait entre ça et rouler au sol de rire, mais il préfère garder le plus de dignité possible. Pas facile après avoir fait la mouette!

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