Le seul coin où j'avais une forte probabilité de rencontrer des Insurgés était sous-terre. Mais pas question de m'y aventurer sans rien dans les bottes. J'avais du perdre mon couteau fétiche quand l'autre m'avait électrocuté.
Je fis un détour chez Melfis dans le Val Fourré. La porte de son squat était fermée. Un petit bout de carton était coincé entre la porte et le mur. Ça signifiait qu'il était sorti.

- Bon ben... plus qu'à grimper.

C'était l'épreuve à passer pour récupérer la clé des visiteurs, planquée sur le toit. Si tu savais pas grimper, c'est que t'étais pas un des leurs.
J'ouvris la porte et entrai à l'intérieur. Personne. Et le foutoir, comme d'habitude. Il faudrait franchement qu'il se trouve une fille. Quoi que, les filles qui aiment ranger et repasser ne sont pas son genre.
Dans un vieux tiroir, je récupérai une dague à double-tranchant (botte droite), un couteau du genre KM2000 (botte gauche) et un canif (très utile) que je fourrai dans ma poche. Melfis adorait collectionner un tas de trucs, en particulier les armes blanches du siècle dernier. Presque personne n'en possède mais moi je les aime bien. Faut avouer qu'ils faisaient du bon matériel, les Ancêtres, mine de rien...
Je repassai la petite pièce du regard pour vérifier que tout était en ordre. Enfin que le désordre habituel était en ordre, plutôt. Un truc rose dans un coin attira mon regard. Ça ressemblait à... un sous-vêtement ?

- J'ai peut-être parlé trop vite, finalement.

Je sortis puis m'arrêtai soudain. J'avais oublié de faire une dernière chose. Je vins déposer sur la table le dé que j'avais toujours dans ma poche. Il comprendrait que j'étais passée par là. Et aussi que l'heure de nos petits jeux était terminée.

- Adieu vieux ! lançai-je en fermant la porte. Je repositionnai le petit carton entre le mur et la porte. Et quelques minutes plus tard, j'étais dans les égouts.

- Y'a pas intérêt d'être chochotte ici... me dis-je. Ça puait la mort en fait.

- Vous savez où je peux trouver du monde ? demandai-je à deux types qui discutaient à voix basse.

Ils arrêtèrent leur conversation et me dévisagèrent de leurs yeux pervers. Le plus moche me répondit le premier :

- Salut poulette... Tu cherches quelqu'un ?

Le deuxième, plutôt maigre, enchaîna d'un ton blasé :

- T'as qu'à aller au Murphy's pub... C'est par là, m'indiqua-t-il d'un signe de tête.

- OK, merci.

Je pris la direction indiquée et ne tardai pas à trouver le lieu en question. On entendait des bruits de rire, de verres et de musique. A l'intérieur, on étouffait dans la chaleur humaine, la fumée et la vapeur. Je réussis quand même à me faufiler dans un coin pas trop sale où j'avais un minimum d'espace vital. Si je rencontrai pas un Insurgé ici, fallait que je sois vraiment conne.

Je me mis à observer les gens autour de moi en attendant que quelqu'un me remarque.

Une autre journée ordinaire dans la ville la moins ordinaire.
Journée calme. Sereine, même. A l'abri du monde extérieur, enterré dans la musique, la fumée de cigarette et les discutions à n'en plus finir sur les chiens qui nous mordent les mollets. Je ne saisis que des bribes de mots, ici et là, véritable puzzle de phrases, imbibés jusqu'à la voyelle de lieux communs et de sottises.
Si la résistance réelle s'est affaiblie, il n'en est rien de l'esprit. Ici, tout le monde s'improvise Jean Valjean et déclare la guerre ouvertement contre les puissants. Jusqu'à ce qu'ils passent la porte, évidemment. Ou n'est-ce qu'une impression ? La fumée joue des tours.

Une journée ordinaire, en somme.
Toujours les mêmes sourires crispés, toujours les mêmes visages rendus gris par ce nuage noir de pollution, de déprime et de frustration qui flotte dehors, dans les rues. Toujours les mêmes personnes qui pâtissent d'un système qui n'est pas fait pour eux.

J'ai tapoté mon verre, et l'ai poussé de l'index vers le barman qui s'empresse de le remplir de nouveau. C'est dégueulasse, mais c'est sans alcool.

Combien de personnes sont mortes ? Combien de compagnon j'ai vu disparaître ? Est-ce du cynisme si j'ai perdu le compte ?
S'en est pour moi, mais qui s'en soucie ?

« Un autre. »
Le barman se penche vers moi, plisse l’œil et lisse sa moustache ( ou l'inverse ).
« Rassure moi, t'as du liquide ? Mes stocks ne se remplissent pas tout seuls.
- Pas plus que mon compte en banque. J'ai du liquide. »
C'est vrai, j'ai de l'argent. Mais pour la forme, j'ajoute « Dis le tout de suite que j'ai l'air d'un clochard, connard ! ». Ton blasé. J'aurai probablement pu lui donner l'heure avec le même timbre.
« T'as pas l'air d'un clochard. T'as l'air d'un insurgé. Ou d'un NOD. Enfin, pas d'un orthodoxe en tout cas. Et j'ai eu pas mal de clients ayant des ardoises qui ne sont jamais réapparus. Je me méfie. »

Ah ? Je me demande si quelques personnes mortes que j'ai fréquenté avaient des ardoises ici. April aurait-il pu se faire des dettes avant de se faire sauter la cervelle ?

« J'ai de l'argent. »

Il acquiesce silencieusement et s'éloigne. Connard.


…


Je m’ennuie. Comme un rat en cage. Les deux coudes sur le bar, j’attends et je rumine.
Petit tour d'horizon de la salle. Je pourrai probablement aller jouer aux cartes sur la table d'à coté, ou discuter révolution avec les hippies de droite. Ou...


Tout au fond de la salle, tassée sur une chaise, elle attends également. Quoi ? Je n'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est que c'est la première fois que je la vois ici, et c'est une excuse largement suffisante pour une interaction sociale.

Une botte après l'autre, je me suis dirigé vers elle, et j'ai tiré une chaise pour prendre place à sa table. Ceux qui prétendent que la plupart des femmes de Novlangues sont belles ont raison. Elle également.
« Bonjour. »
Allez, soyons curieux.
« Vous savez, j'aime les histoires. J'aimerai entendre la vôtre. »

Bingo ! En voilà un qui s'invite. Je l'ai regardé approcher depuis l'autre bout de la salle. Imaginez un peu la scène au ralenti. Il s'assoit sur la chaise en face de moi. Tout vient à point à qui sait attendre... Reste à savoir si c'est un petit ou un gros poisson. Ou une boîte de conserve.

« Vous savez, j'aime les histoires. J'aimerai entendre la vôtre. » me dit-il.

J'essaie de ne pas écarquiller les yeux. Serait-ce encore un de ces gros lourds qui se la jouent Don Juan des temps modernes ? Ou peut-être un sale NOD en quête d'informations ? J'aime pas qu'on veuille savoir des trucs sur moi. Méfiance... Il veut une histoire ? Ça tombe bien, j'aime beaucoup en raconter.

- Je m'appelle Aline. C'est la première fois que je viens ici. Vous êtes un habitué du coin ? Je fais un rapport sur les lieux les plus atypiques de la ville et les gens qui les fréquentent. C'est quoi votre nom ? Vous faites quoi dans la vie ? Hmmm ?

Je sors un bloc note et un crayon de ma poche pour plus de crédibilité. Allez, dis-moi tout.

« Je n'y crois pas une seconde. Vous savez que vous êtes la deuxième personne que je croise dans ma vie qui utilise cette excuse ? La première était une NOD. Hyena, qu'elle s'appelait. On s'est échangé quelques coups de poing, mais jamais nos numéros de téléphones. Non, mais rangez votre carnet, je vous en prie. » me dit-il.

Bon ok, ce n'est pas un débile. Alors il est contre les NOD comme ça ?

« Je suis un insurgé. » avoue-t-il. « Et vous ? »

Oh. Cela devient vraiment intéressant... Mais qu'est-ce que tu fais Ethel ? Tu te mets à ressentir des choses maintenant. Comment on appelle ça ? Joie ? Espoir ?

Reprends-toi. Règle n°1 : ne jamais faire confiance à personne. Tu as bien retenu la leçon.

Est-ce qu'il est réellement un Insurgé ? Si oui, je suis vraiment bien tombée. Ou bien est-ce un mensonge pour endormir ma méfiance ? Mais comment saurait-il que je suis pour les Insurgés ? Je pourrais très bien être une NOD comme il l'a suggéré. Alors s'il est un Insurgé, pourquoi se dévoile-t-il ? Il a envie de se faire arrêter ou quoi ? Et si oui, je ne veux pas qu'il se fasse prendre sinon je suis dans la merde.

« Ah ah ! Vous êtes un Insurgé ! Vous devez vraiment être bourré ou complètement désespéré pour dire une connerie pareille ! »

Je jette rapidement un regard autour de la table. J'espère que personne ne l'a entendu. Il y a peut-être des NOD dans la salle...

Je m'approche de lui pour chuchoter :
« Tu veux savoir quelque chose sur moi ? Je ne suis pas une fille normale... Si tu es vraiment un Insurgé, prouve-le moi. »

Bon. Il a l'air sincère... Si je continue à me montrer trop méfiante, il va finir par laisser tomber. De toute façon, s'il se fout de ma gueule, je finirai par le découvrir. On dirait qu'il va falloir que je cède. Peut-être que ça ne me ferait pas de mal, pour une fois...

« Désolée d'être si soupçonneuse mais je ne fais pas facilement confiance aux étrangers. C'est une simple règle de survie qu'on finit par apprendre avec le temps. Mais si tu es un Insurgé, tu n'es pas mon ennemi. »

« Je cherche de l'aide. J'ai été désimplantée récemment. Je veux faire partie des vôtres. S'il y a des épreuves d'entrée à passer, ce n'est pas un problème. Je suis prête à les faire. »

Ça, ça s'appelait vraiment lâcher le steak. Mon dieu, Melfis me tuerait s'il était là.

Il se craqua une cigarette. Stressé ? En tout cas dépressif, frustré et accro, ça c'est sûr. Je ne pensais pas qu'on avait la vie aussi dure chez les Insurgés.

« Désolé d'avoir été si franc. C'est nouveau pour vous tout ça. Vous êtes sûre de vouloir tout ceci ? Si vous saviez le nombre de gens insurgé pour lesquels on ne retrouve même pas le corps. Ils sont plus que nous, ils sont armés massivement et ils ont la loi de leurs cotés. Vous voulez vraiment vous dresser contre eux ? »

J'étais sûre qu'on me servirait un discours de ce genre. Attention fillette, ce que tu demandes est très dangereux. T'es sûr que tu veux continuer ? Mais on sait tous les deux que la réponse est oui.

«De quoi qui est nouveau pour moi ? Je suis parfaitement consciente de la situation des Insurgés. Mais je n'ai peur de rien. Là où j'ai grandi, il n'y avait pas intérêt à avoir peur. »

Et puis de toute façon, si t'avais peur, t'étais mort.

« Écoutez, pas besoin de tests, pas besoin de rites ou de conneries du genre. De toute façon, pour ce qu'il reste d'insurgé... Disons que si vous le souhaitez vraiment, vous êtes désormais une insurgée. Pouf, vous êtes baptisée. » me dit-il.

«Merci, mon Père ! Trêve de plaisanterie. Je ne pensais pas que c'était aussi simple que ça. Je croyais que les Insurgés étaient plus regardants sur la question du recrutement. Enfin... On pourrait peut-être se tutoyer non ? Comme vous voulez. Si on est aussi peu que cela, j'ai bien peur que vous soyez mon seul allié dans cette ville. »

« Je ne sais pas encore combien de jours ou de mois je vais vivre à partir d'aujourd'hui, étant donné qu'ils connaissent mon visage, mais je sais que je peut encore les emmerder avec le temps qu'il me reste. Et la première chose à faire, c'est de monter un nouveau réseau d'insurgé, vu qu'il n'en reste que très peu, et vous en serez la première recrue. Je ne promet ni liberté, ni survie, cependant. Juste des tentatives pour aller dans ce sens. »

Moi qui croyais que les Insurgés étaient des rebelles dans l'âme, des insoumis inconditionnels, bref des super-héros, je me rends compte qu'en fait ce sont tous des rats crevés. NON ! Je refuse. Je vais pas laisser mon espoir se briser comme ça. Ils vont voir ce qu'ils vont voir, je vais les secouer moi !

« Cigarette ? » me proposa-t-il.

« Désolée je ne fume pas. Je ne supporte pas d'être accro à quoi que ce soit. La dépendance n'est pas compatible avec la liberté. La cigarette, la drogue, l'alcool, l'amour... ce sont juste d'autres formes d'esclavage.»

Je pris quand même le paquet de cigarettes.

« Je vous confisque ça. Vous êtes un vrai Insurgé ou pas ? Arrêtez de vous morfondre parce que c'est exactement ce qu'ILS veulent. Il n'est pas question de tentatives mais de réussite. Si on agit pour seul but d'essayer, alors on ne fera qu'essayer toute sa vie. Moi mon objectif, ce n'est pas de les emmerder mais de les détruire.»

« Désolée je ne fume pas. Je ne supporte pas d'être accro à quoi que ce soit. La dépendance n'est pas compatible avec la liberté. La cigarette, la drogue, l'alcool, l'amour... ce sont juste d'autres formes d'esclavage. Je vous confisque ça. Vous êtes un vrai Insurgé ou pas ? Arrêtez de vous morfondre parce que c'est exactement ce qu'ILS veulent. Il n'est pas question de tentatives mais de réussite. Si on agit pour seul but d'essayer, alors on ne fera qu'essayer toute sa vie. Moi mon objectif, ce n'est pas de les emmerder mais de les détruire.»

Uh ? Euh, hein ?

«  Si. Justement. Pouvoir choisir d'être dépendant, c'est justement être libre. Et je me sens d'humeur à être l'esclave du tabac, merci. »

J'ai repris le paquet d'un geste sec.

« Et l'amour comme vous dites, c'est une des valeurs que l'on prône. Si vous voyez cela comme un frein pour votre liberté et que vous le laissez sur le bord de la route, une fois votre liberté acquise que ferez vous si vous ne pouvez aimer ? Quand à votre tirade sur la destruction, désolé de vous décevoir comtesse, mais c'est pas toute seule avec votre lance-pierre que vous détruirez le système. Ce n'est pas de la dépression mais de la lucidité : J'ai suffisamment mené d'action contre eux que je peut prétendre à les connaître maintenant. De plus, le savoir affûte la prudence et c'est cette prudence qui a sauvée bien des nôtres durant la plupart de nos opérations. A contrario, à chaque fois que l'on s'est pris pour des cakes, on est passé à deux doigts de la mort ou de l'emprisonnement à vie. »

J'ai rangé le foutu paquet dans la poche de mon imper.

« Prudence et efficacité. On peut faire vaciller le système. Je ne vous dit pas qu'on ne peut pas réussir à le faire tomber, je dis juste qu'on ne peut pas le faire tomber de suite. Mais on peut l'y aider. »

«  Si. Justement. Pouvoir choisir d'être dépendant, c'est justement être libre. Et je me sens d'humeur à être l'esclave du tabac, merci. »

Et il me reprit le paquet de mains.

« Aïe !  Mais vous m'avez foutu une décharge ! » criai-je.

Ma main était encore toute engourdie.

« Non désolée, vous ne devez y être pour rien. » me ravisai-je. « Ça me fait ça de temps en temps depuis que je me suis fait électrocuter la cervelle. Il y a sûrement trop d'électricité dans l'air. Peut-être que je devrais aller voir un docteur, un de ces quatre...»

Bref, je repris la conversation.

« Vous faites ce que vous voulez avec vos clopes ! Je voulais juste vous tester. Mais je pense quand même que vous vous leurrez sur un point. On choisit rarement de devenir dépendant, on finit juste par le devenir. Un jour on constate qu'on est accro parce que ce n'est plus notre volonté mais notre corps qui nous contrôle. Ça devient une habitude et après on se persuade qu'on l'a choisi. C'est juste de l'esclavage consenti. »

« Je vous fais pas la morale, hein. Je ne connais rien de votre vie... Mais je sais que ma mère fumait comme un pompier pour oublier ses soucis. Elle était serveuse dans un resto miteux. Elle travaillait à des horaires pas possibles pour un salaire de misère. Je crois qu'on aurait pas pu survivre si elle faisait pas un autre boulot à côté... Quand elle rentrait le soir, il y avait cette odeur de tabac qui embaumait l'atmosphère... On ne sentait que ça. Même mon oreiller en était imprégné. J'étais gamine, mais je m'en souviens. Et maintenant, à chaque fois que je sens cette odeur, il ne me vient que des idées négatives. »

Je m'appuyai sur le dossier de mon siège, prenant un peu de distance. Se remémorer son passé n'est jamais quelque chose d'agréable. D'ailleurs, je m'arrangeais pour ne jamais le faire. Et puis en fait, personne ne s'était jamais préoccupé de mon histoire...d'où ma surprise au début, lorsqu'il vint me brancher sur ça. Mais maintenant, je me rendais compte que j'avais bien besoin de la raconter à quelqu'un, depuis tout ce temps... Fallait que ça sorte, un jour ou l'autre. Je décidai de remonter le temps et mes yeux se perdirent dans le vide.

« Quant à l'amour... je ne le connais que dans les livres. Vous savez, je suis un bébé-éprouvette, comme tout le monde. Je crois qu'il fut un temps où j'avais une famille et où on était heureux... mais j'étais trop petite pour m'en souvenir. Mon père s'est barré quand j'avais 2 ans. Je n'ai jamais su pourquoi. Et ma mère s'en est toujours foutue de ma gueule. Quand j'étais petite, je me consolais en me persuadant que j'étais une enfant adoptée. Et puis un jour, j'ai fini par ne plus supporter de voir tous ces hommes qui défilaient dans la maison comme dans un moulin, alors j'ai fugué. Je suis jamais revenue. »

«  Imaginez une fillette de 12 ans toute seule dans une rue qui craint à 22h... J'aurai pas duré longtemps si j'avais pas rencontré Melfis et sa bande. C'est pas des gars fréquentables, mais ils m'ont recueillie. Au début ce fut difficile parce que Glaive et Kreg voulaient pas s'encombrer d' une gamine. Mais je ne sais pas, Melfis m'a protégée. Il devait avoir 40 ans à l'époque, un truc comme ça. C'était lui qui décidait. Et il s'est occupé de mon éducation. Faut savoir que ce sont des désimplantés mais ils s'en foutent de la politique. Eux, ils essaient juste de survivre dans leur trou à rat. Trafic d'armes, substances illicites... c'est leur business. Et moi, je m'occupais souvent des livraisons. « L'Ecureuil », qu'ils m'appelaient. Je peux vous dire que j'en ai semé des NOD ! »

Je raillai, sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce que j'avais peur de faire du mélodrama.

«Melfis et moi, on avait un pacte. Un jeu, si vous préférez. C'est comme ça qu'il m'a fabriquée, avec un petit jeu tout simple, un jeu que pourrait comprendre un gosse. Ce jeu, c'était ça. »

Je sortis un petit dé de ma poche et le posai sur la table. J'en avais encore un autre dans ma veste. C'était un dé en bois que j'avais taillé il y a un mois. J'en avais plein parce que je les perdais souvent.

« Tous les jours, je devais lancer ce dé. Chaque face était un degré d'épreuve. Mais celle que je redoutais le plus, c'était... »

Je tournai le dé sur la face 6.

« La 6. Tu dois affronter une de tes peurs ».

J'inspirai profondément.

« Voilà comment j'ai grandi. Maintenant, je me rends compte que moi-même, je ne ferais pas subir ça à un enfant. Je me souviens qu'une fois, je devais retrouver le chemin toute seule et que j'avais passé une nuit entière dans un local désaffecté... Mais avec Melfis, j'ai appris la survie. Les règles étaient simples. Règle n°1 : ne jamais faire confiance à personne. Règle n°2 : ne jamais faire confiance à personne. Et règle n'°3 : ne jamais sortir sans arme. Voilà tout ce que je connais.»

« Je croyais que Melfis m'aimait comme un père et que Glaive et Kreg aussi m'aimaient comme des frères. Mais maintenant, je n'en suis plus si sûre. Melfis a toujours refusé de me désimplanter. Peut-être qu'il voulait que je reste bien sage. Je travaillais pour eux comme j'aurais pu travailler pour l'Etat. J'étais juste une Orthodoxe détournée... J'ai fini progressivement par m'éloigner d'eux. Enfin, je crois que Glaive, lui, m'appréciait un peu. C'est lui qui m'a parlé des Insurgés pour la première fois. »

« Bref, c'est de l'histoire ancienne maintenant. Je me suis fait désimplantée il y a quelque jours, un vrai travail de boucher mais au moins c'est fait. Je ne suis peut-être pas très sentimentale mais vous pouvez être sûr que je suis loyale. Je voudrais juste faire un truc bien, pour une fois dans ma vie, vous comprenez ? Je crois qu'on s'est mal entendus. Je ne suis pas cinglée et je sais que ce n'est pas aussi facile que ça d'agir. Je connais la prudence et je vous suivrai car vous avez l'expérience. Mais vous aviez l'air déprimé, je voulais juste vous rebooster un peu ! »

J'avais la gorge sèche à force d'avoir trop parlé. Doucement, je fis rouler mon dé d'un geste las. Il s'arrêta sur le 1.

« Retour à la case départ... ou le début d'une nouvelle partie. Je ne sais pas où ça va me mener mais je veux tout recommencer à zéro.»marmonnai-je.

Puis je fis rouler le petit dé dans la direction de mon mystérieux interlocuteur.

« Bref, voilà mon histoire. A vous de raconter la vôtre maintenant .»

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