au dessus des lois de la réalité

Aujourd'hui, j'ai pas de bras. On me les a confisqué. C'est méchant. C'est très méchant. J'ai bavé en dormant, je ne peux même pas m'essuyer le visage ou me recoiffer. J'ai des cheveux dans la figure.
Et la voisine, dans la chambre à côté, ils lui ont pris ses bras aussi ? Je l'entend qui grogne. Il y a des fois comme ça où elle n'articule plus. De toute façon, elle dit n'importe quoi. Elle fait n'importe quoi aussi, c'est surement pour ça qu'elle est enfermée. Moi je suis là parce que j’entends trop bien. Ça doit être pour ça. J'entends même à travers l'isolation de ces chambres. Je le dis pas aux infirmiers, ils vont pas me croire. Si je suis là ça doit être parce qu'on pense que je suis malade mental. c'est peut-être vrai... Mais c'est pas ma faute. Ça ne peut pas être la mienne, je ne sais même pas ce qu'on me reproche. Je ne sais pas pourquoi on me garde ici en me privant de mes bras et de meubles. Je n'ai rien fais. Je ne fais rien. Je ne suis rien.

J'entends la folle d'à côté qui hurle.
J'ai comme un blanc tout à coup. Ça me le fait des fois. Je crois qu'on me drogue. Ça me fait ça des fois, avec l'impression de me réveiller, alors que je ne dormais pas. J'ai déjà dormi moi ? Je ne crois pas. Je ne dort pas, je suis rien. Je ne devrais même pas être là, mais pourquoi pas. Je m'en fout, je suis rien, je veux rien.

Je m’appuie contre le mur et j'écoute. J'entends sa respiration étrange. Elle s'est calmé on dirait. C'était un cri de rage et de détresse. Mais personne ne lui a répondu. Peut-être qu'ils ne l'entendent pas. Elle est seule.

Quelqu'un s'annonce à ma porte. Mais pourquoi il me parle ? Ça sert à rien. Il ne voit pas que je suis rien ? Qu'il aille s'adresser à quelque chose au lieu de perdre son temps. Une blouse blanche et floue avec une espèce de truc dans la main, continu de parler en s'approchant de mon mur. Je crois que c'est une seringue ce truc, mais je m'en fout. Il peut bien piquer si ça l'amuse, il n'y a rien ici. Il devrait le proposer à la voisine son truc. Mais il a peut-être peur de se faire mordre. C'est plus facile de piquer rien, ça fait moins peur.

Je me réveille encore, mais je ne dormais pas (ça sert à rien quand on est rien). Je l'entend qui crie des mots cette fois.

-TA GUEEEEEEULE !!!
je ne sais pas de quoi tu parles ! Tu vas me foutre la paix, oui ?! Va-t-en... laisse moi.... laisse moi oublier...

Elle parle, mais il n'y a personne près d'elle. Elle est seule encore. Peut-être qu'ils ne devraient pas la laisser seule tout le temps comme ça. C'est pas normal. C'est parce qu'elle mord qu'il ne s'en occupe pas ? C'est pour ça qu'ils l'abandonnent ? Bon.... bah voilà.

Ici, il n'y a rien. Juste une boite vide avec une porte close. Pas de meubles, parfois une image flou qui s'anime. Mais même le temps semble absent. Pas d'hier, pas de demain.... pas de maintenant. Juste une souffrance constante pour elle quand elle ne dort pas. Elle dort peu. Elle fait du bruit, dit plein de grossièretés. Des fois, ça me fait marrer.

Il s'écoule encore une éternité avant que quelqu'un vienne franchir sa porte.

-Bonjour Hyena.

Hyena... c'est comme ça qu'elle s'appelle.

-Vous êtes calme aujourd'hui, c'est bien.

Elle grogne un peu quand même mais pas fort. Il ne doit même pas l'entendre. Moi j'entend même son coeur qui bat fort. Il devrait partir cet infirmier, il la stresse.

-ça fait 4 jours maintenant. On va enlever la camisole ? D'accord ?

Elle acquiesse mais sans un mot. Finalement elle est plus élocante quand elle est seule. Avant elle lui aurait sauté à la gorge en le traitant de tous les noms ou en le suppliant de l'aider. Mais elle a du finir par comprendre que ça ne sert à rien. Ou bien elle est trop shootée pour réagir. Pourtant ils ont dit qu'ils avait diminué la dose de drogue. Mais c'est peut-être une erreur, ou peut-être qu'ils ont menti. Ils font ce qu'ils veulent. On est rien pour eux.

-voilà. On est mieux comme ça, hein ?
-...
-un collègue passera demain matin pour s'occuper de vous. Au revoir Hyena.

Quelqu'un viendra demain, mais il n'y a pas de demain, c'est tout pareil. Tout est si long... ça ne fini jamais.

Ah, ils lui ont rendu ses bras. La voilà qui gratte le mur avec ses ongles. Elle gratte encore et encore. Ça l'occupe, ça l’apaise.
Elle fait ça pendant des heures, toujours dans le même sens, de haut en bas, toujours au même rythme scindant le temps qui ne s'écoule pas.

-Hyena....

L'infirmier (tient il est revenu, lui ? Ça fait pourtant à peine une éternité) se baisse près de la voisine et pose prudemment sa main sur la sienne pour lui faire remarquer l'état piteux de ses ongles. A force de gratter, elle s'est usé les doigts.

-vous vous faites du mal. Vous avez-vu ce que vous faites ?

-ils sont où les barreaux ?

-quels barreaux ?

-les barreaux.... ils sont où ?

Ah les imbéciles ! Ils ont oublié de mettre des barreaux dans la boite capitonnée qui lui sert de cage. Non mais je vous jure, pas de barreaux.... c'est n'importe quoi, ça. C'est pour ça qu'elle gratte le mur comme ça de haut en bas ? Elle cherche les barreaux ou cherche à en dessiner d'autres avec ses doigts. Et non ma pauvre Hyena, pas de meubles, pas de barreaux et même pas un bout de craie pour faire soit-même la déco. Alors elle se remet à gratter.

-Hyena, arrêtez ça. On va être obligé de remettre la camisole....

Mais Hyena n'arrête pas ça. Elle écoute pas. Elle gratte plus fort même, comme un animal qui veut creuser son terrier. La Hyena élevée en captivité ne connait pas les terriers, mais peut-être subsiste-il quelques instincts qui la pousse à creuser des barreaux. Ce n'est pas si saugrenu quand on a grandi dans une cage, une petite enfance canalisée, contrainte entre le fer et le béton. Il y avait des barreaux à sa fenêtre. Des barreaux pour l'empêcher de s'échapper, mais aussi une des rares choses qu'elle pouvait serrer dans ses petites mains d'enfant pour tenir bon jusqu'à ce qu'elle puisse aller là-bas, au delà de sa fenêtre, plus loin que la cours et plus loin que les murs de l'enceinte et leurs barbelés. Ces barreaux de fenêtre, elle les serrait fort, accrochée à un rêve d'évasion. Elle souhaitant devenir très forte pour pouvoir les arracher et s'envoler loin de sa prison et des bottes de ceux qui la dressaient.
Ici, il n'y a pas de barreaux, pas de rêve et aucun moyen d'utiliser sa force de façon utile.
Et paf, un ongle se retourne à force de creuser comme une bête. L'infirmier lui attrape aussitôt le poignet et elle le lui envoie dans les dents, comme ça, sans prévenir. Elle lève alors les yeux et le regarde se tenir la mâchoire. Est-ce que la peste se serait enfin réveillée ?
Ahahaha ! Bien fait pour sa tronche à celui-là. Il avait qu'à faire plus attention et lui filer une craie au lieu de vouloir l'empêcher de faire des barreaux.
Il demande pas sont reste, là, et il se magne de sortir la queue entre les jambes. La porte claque. Ça me réveille en sursaut mais je dormais pas.

-Et ça vous fait rire...

Qu'est-ce qu'il fait le nez à la trappe de ma porte ? Pourquoi il parle là ? C'est à côté que ça se passe. Ya rien à voir ici. Je ne lui répond pas, je n'existe pas. Mais je me marre bien quand même.

Il n'y a de nouveau plus personne.
plus de barreaux
et si ça continue, plus de doigts à force de gratter
et plus de Hyena

plus de Hyena...

où est-elle ? Je ne l'entend plus. Il n'y a qu'un léger sifflement dans mes tempes lourdes. L'air aussi me semble trop lourd. J'étouffe comme dans un sauna.

Hyena, où es-tu ?
Je ne t'entend plus gratter
je ne t'entend pas hurler ni grogner
Tu n'appelles plus
Tu ne crie plus
Tu n'espères plus
Et ta haine ? Elle est encore là ? D'accord, elle ne servait à rien ici. Ta colère ne t'a pas apporté grand chose. Mais alors quoi ? Tu vas rester silencieuse encore longtemps comme ça ?!
Tu ne fais rien ? Mais qu'est-ce que tu vas devenir ? Rien ?

Hyena, ne sera plus rien...
non, pas elle... que restera-t-il sans elle ? Qu'est-ce je vais devenir ? Moins que rien !

Hyenaaa !

Ça y est ! Ça y est, j'entends son cœur qui bat ! Oh ça pour battre, il bat. Si fort et si vite qu'il fait raisonner chaque cellule de son être. S'en est affolant.
Elle est bien là.

Elle tremble.
Vas-y Hyena, tremble. Sent ton angoisse bien réelle. Sent la douleur au bout de tes doigts. Sans la panique qui t'étouffe mais tu ne meurt pas. Souffre Hyena. Souffre mais vis.

Ça y est, elle crie. Elle hurle à s'en crever les poumons. Elle sait que ça ne la tuera pas.
A croire qu'elle m'a entendu, alors que je n'ai rien demandé, rien dis. Je n'existe même pas. Ça fait bien longtemps que plus personne ne se soucis vraiment de ce que je deviens là dedans. Il y a même personne pour me rappeler ce que je fais ici, qui je suis, d'où je viens, comment j'en suis arrivé là...
Mais quand j'ai besoin d'entendre quelque chose, elle est là pour se faire entendre.
L'air redevient plus léger et quelques gouttes tombent à mes pieds. C'est étrange ça. Il n'y a pourtant pas de trou dans le plafond pour faire entrer la pluie. J'ai du me tromper. Il n'y a encore rien ici. Mais à côté, il y a elle.

Elle est affreuse. Une vrai teigne, un animal, complètement siphonnée, violente et vulgaire, incapable de se sortir de sa propre merde. Mais qu'est-ce que ce serait sans elle ?

Des fois, à force de l'écouter à travers le mur, j'ai l'impression qu'elle m'entend.

Elle vit toujours. Elle a repris un putain de langage de charretier comme j'aime. Que c'est bon de l'entendre aboyer. Elle râle toute seule, mais au moins elle s'exprime.

-Ah ouais ?! Ah ouais ?!!
Tu croyais que j'allais disparaitre comme ça sale petite raclure de trou d'chiotte, pelure de rat crevé, rognure d'ongle, charogne dégueulasse, jus de caniveau, morceau de.... MUUUUUR !!
AAAAAAAH !!! les murs...

Elle se jette sur le mur et le frappe avec ses petits poings en poussant des cris de bête. Ça me fait marrer.
Vas-y frappe ma belle. Frappe et vie. Soit quelqu'un. Existe.
Ils finiront par l'entendre eux aussi, que tu existes.
D'ailleurs quelqu'un arrive.

-Tu bouges pas toi ! qu'elle dit au mur d'un ton menaçant.

Et quand l'infirmier est là, elle ne dit plus rien. Elle lui répond pas quand il lui demande ce qu'il lui arrive. Elle ne bouge plus, ne le regarde pas. Figée. Tu n'as rien à lui dire ?
Mais qu'est-ce qu'il fait dans ma piaule, ce monsieur là ? Depuis le temps il devrait le savoir qu'il n'y a personne ici. Va voir à côté monsieur. Ou repasse plus tard, quand elle arrêtera de jouer à 1 2 3 soleil avec ton collègue... ou ton jumeaux. Vous vous ressemblez tellement... surtout la blouse. C'est quoi cette manie de tous vous fringuer pareil ? C'est nul. C'est chiant. On vous reconnait même pas. En même temps on s'en fout. Mais déjà que vous faites tous le même bouleau, si en plus vous êtes habillez pareil... C'est le principe de l'uniforme il me semble. J'aime pas les principes, yen a trop et ça nous réduira tous à rien. On pourrait les décorer ces uniformes. Ce serait bien avec des points ou des rayures. Personne n'a eu l'idée ? Personne n'a même osé avoir l'idée ? Dommage que la seule personne a y penser ici ne soit pas là.

Bon il s'en va maintenant, lui et sa copie conforme d'à côté ? Il doit être un peu fou. Il se rend compte qu'il parle dans le vide ? Ah si j'étais le vide, je crois qu'il me saoulerait à toujours poser les même question, toujours chercher la même chose ici qui n'existe pas. Mais ça me saoule pas tant que ça puisque je ne suis même pas le vide.
Bon allez, va-t-en monsieur que Hyena se remette à faire des trucs.

Ayé, il est parti et l'autre aussi je crois.
Bon Hyena, t'es chiante à plus rien faire quand ils sont là.

-Ta GUEULE ! TU FAIS CHIER !!! T'es rien. RIEN ! Alors tu fermes ta putain de gueule de rien !

Merde alors, des fois on croirait vraiment qu'elle m'entend. Enfin qu'elle m'entend... elle peut pas m'entendre, je fais pas de bruit. J'ai rien dit moi. Je sais pas à qui elle parle... surtout si elle le prend sur ce ton.

Ça fait un moment que Hyena ne parle plus beaucoup.
C'est dommage elle venait d'avoir une période très productive.
Le temps met plus longtemps à passer quand elle ne dit rien.
Même devant les infirmiers elle ne dit rien.
Elle marmonne juste de temps en temps en tournant en rond comme un lion en cage.

Là, ça fait quelques heures ou quelques jours qu'elle est adossée au mur en me tournant le dos et qu'elle fait la statue, les sourcils froncés.
Elle réfléchis ou elle fait la gueule ? Mais la gueule à qui ?
Hyena, qu'est-ce qui ya ? Pourquoi tu dis pu rien ? Ok, ya personne de réel à qui parler, mais quand même... Tu vas devenir folle à force de te taire ! Ah mince, tu l'es déjà. Ben alors ça s'arrange pas.

Qu'est-ce que tu attends ?
Qu'est-ce qu'il y a à attendre... rien... le néant lui-même va finir par être absent. Je l'ai tellement regardé que j'ai parfois l'impression que nous ne formant qu'un lui et moi. Mais moi, je ne suis rien.

Est-ce que c'est la fin ?
j'ai oublié le début. C'était bien ?
Personne pour le dire.
C'est peut-être mieux comme ça...

Et elle, après tout, pourquoi elle ferait quelque chose ? Qui a besoin de ça ?

Je vois flou
Non, je ne vois pas
Il n'y a rien à voir
Je ne suis rien
et si j'ai été autre chose un jour, c'est fini
c'est fini...

-Tu n'es pas rien

J'ai entendu ? Je ne suis pas sûr.
Elle a dit ça... Elle l'a dit comme si c'était vrai. Sans cri, sans colère, sans injure. Juste "tu n'es pas rien".
Est-ce que c'est possible ?
J'entends son cœur qui bat si fort alors qu'elle semble si calme. Je l'entend trembler aussi.

Elle se retourne face au mur qui nous sépare. Elle y pose sa main doucement, sans frapper. Elle semble si fragile cette main qui voulait tout casser. Elle est toute abimée. Je l'entend, sa main sur la mienne, doigts écartés, en face, à plat sur le mur. C'est étrange... si je met mon autre main pareil, à plat sur le mur, je l'entend qui met la sienne aussi à plat sur le mur, juste là, au même endroit.

Est-ce qu'elle penserait vraiment que... non, ce doit être un hasard, une autre de ses hallucinations.
Mais et si... et si j'étais une hallucination ? C'est peut-être ça qu'elle croit.
Mais c'est pareil, c'est faux. Elle perçoit des choses qui n'existe pas, qu'elle a inventé sans faire exprès, mais en fait c'est rien. Je suis toujours rien.
Ça y est, elle enlève ses mains. C'est fini, j'avais raison, il n'y a rien ici... Juste un poids dans cette pièce vide. Un poids lourd et humide qui brouille le néant.
Il n'y a rien

-tu n'es pas rien
tu souffres.

Quoi ?
...
Je souffre...

Elle a dit ça...
Elle m'a dit ça...
Elle a dit un truc là, et je ne me marre pas. Mais alors pas du tout !
Et elle, elle crie pas, elle frappe pas. Elle est juste là. Elle a juste dit ça, là, contre le mur.

Là contre le mur... je me sent tout bizarre.
Je touche le mur. Je m'assoit en boule, je m'y colle et je ne bouge plus de là.
Le poids flotte. Il y a de l'eau sur mon bras.

Je ne suis pas rien, je souffre.
Je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle...

D'un côté, je souffre.
De l'autre, je ne suis pas rien et elle le sait.
Et il y a ce mur entre nous. Ça non plus, je ne sais pas si c'est une bonne chose.

Si j'étais avec elle, de l'autre côté de ce mur, elle pourrait me massacrer, violente comme elle est. Mais si je survie, je pourrais être sûr qu'elle n'oubliera pas que j'existe.

Ces murs... quel fléau ces murs ! C'est eux qui m'ont réduit à rien ? C'est tellement plus facile de contrôlé quelqu'un d'enfermé. Mais je les ai bien eu en n'étant plus là ! ... non... non je les ai pas eu, ils ont continué à venir sans jamais me donner ce que je voulais si bien que j'ai fini par ne plus rien attendre d'eux, ne plus rien vouloir. Et ils m'ont fait du mal... si mal... je n'ai pas pu les empêcher. Comment ils ont fait ? Je... je ne sais plus. J'ai peur... Je crois que j'ai oublié ce qui s'est passé, mais je veux pas savoir.
J'ai peur putain ! C'était mieux quand j'étais rien !

Hyena, pourquoi tu m'as dis ça ? Je souffre !
Pourquoi tu t'es mêlé de ça ?! Pourquoi tu veux que j'existe ? Qu'est-ce que ça peux te faire ?!

Tu n'es que haine, Hyena ! Tu t'en fiche de ce que ton voisin peut devenir. T'as dit ça comme ça, hein ? Pour voir ce que ça fait ? Tu t'en fiche de me faire mal ! Peut-être même que tu fais exprès.
Tu souffre toi aussi, hein ? C'est pour ça que t'es méchante ? Pour pas être la seule à souffrir ? Ou pour te distraire de ta propre douleur ?
Tout comme je t'écoutais tout ce temps, pour oublier mon propre néant... J'ai besoin de toi Hyena. Parle moi.
Hyena, parle moi.
... Parle moi !
Pourquoi tu ne dis plus rien ? Tu m'ignores ? Mais je souffre, tu sais. Je te déteste !
J'te déteste !!

Je frappe le mur comme un sourd, mais j'entends toujours pas de réponse.
Pourquoi elle répond pas quand je le veux ? Elle le fait exprès ou quoi ?! Pour que je souffre encore ? Pour que le néant me rattrape et me fasse disparaitre pour de bon ? Elle veut me détruire...

Très bien... très bien... elle veut jouer à ça...
Je vais te détruire Hyena.

Je creuse le mur avec mes ongles, pour faire un trou. Ça va prendre du temps, mais je finirais bien par l'atteindre. Je lui ferais mal et elle ne pourra plus m'ignorer. Sale garce ! peste ! chienne ! je vais t'apprendre à faire ta connasse !
Il n'y a pas d'autres moyens, mais j'ai tout mon temps. Je t'aurais.

J'ai gratté ce mur pendant des heures, des jours peut-être.
Le problème quand on n'est pas rien et qu'on s'obstine à l'être... à ne pas l'être.... enfin à ne pas être rien. A être quoi ! j'me comprend. Le problème c'est que j'ai des bras et ils s'en sont rendu compte. Alors ils me les ont attaché dans des grandes manches blanches.
Alors forcément, j'ai arrêté de gratter pour la rejoindre.

Tu t'en tire bien, hein.

J'ai mal aux doigts.
Mais au moins j'en ai des doigts, tout le monde ne peut pas l'ignorer.
Enfin maintenant, on s'en fout, ils sont coincés.
Je crois qu'ils sont encore plus méchants que toi. J'ai rien le droit de faire. A croire que ça les emmerde que j'existe.

Mais toi, tu fais des trucs, tu dis choses... tu peux me rappeler que je souffre au lieu de chercher à m'empêcher d'exister. Tu me laisses pas me réduire à rien.
Alors je reste là, la joue contre le mur qui sent un peu la croute, avec ses petites marques rouges sorties de mes doigts. C'est pas mal, non ? Ça change des murs tout blanc. Ils devraient essayer ça, les infirmiers avec leurs blouses toutes blanches pareilles, moches. Mais eux, ils n'ont pas de hyena dans la blouse pour leur donner l'idée de gratter. La prochaine fois qu'ils te rendent visite, tu veux pas aller dans leurs blouses ? Je suis sûr qu'ils auront envie de t'atteindre eux aussi, quitte à y laisser du sang. C'est obligé, tu es détestable.

Dire que tu pourrais me répondre, me parler. Ce serait sympa d'avoir une vraie conversation. On se ferait moins chier et j'aurais moins peur de n'être plus rien. Tu pourrais m'aider à exister. Tu pourrais même le dire aux infirmiers. Eux ils ne m'écoutent pas.

-tu leur parles pas

Quoi ?
Ah bon tu crois... tu as peut-être raison...
Peut-être qu'ils n'arrivent pas à m'écouter si je ne leur parle pas. Pourtant, c'est des mentalistes tu sais. Yen a qui ont pas besoin qu'on leur parle pour nous fouiller la cervelle. Mais peut-être que je n'ai pas de cervelle.
J'ai des bras.
Tu crois que j'ai aussi une cervelle ? Ou ils me l'ont prise ? C'est difficile de savoir ce qu'il reste là dedans après tout ce qu'ils m'ont fait.

-qu'est-ce qu'ils t'ont fait ?

euh...

-j'ai oublié... dis moi, qu'est-ce qu'ils t'ont fait ?
Qu'est-ce que j'ai oublié ?

euh... non... non
Je veux pas savoir. N'insiste pas !
J'ai peur.
Dis, j'ai une cervelle ?

-qu'est-ce que j'ai oublié ?

Parlons d'autre chose, d'accord ?
J'ai une cervelle ? Dis le moi. Parle moi encore, mais d'autre chose.

-...

Allez, parle moi !

-un petit cochon pendu au pla-fond
tirez lui la queue, il pondra des œufs
tirez lui plus fort, il pondra de l'or
combien en voulez-vous ?
3
1 2 3

Pourquoi Hyena... pourquoi
Ça n'a aucun sens.
Pourquoi cette chanson ?

-un petit cochon pendu au pla-fond
tirez lui la queue il pondra des oeufs
tirez lui plus fort il pondra de l'or
combien en voulez-vous ?
3
1 2 3

T'es vraiment atteinte

C'est pas facile d'avoir une vraie conversation avec Hyena. Je crois qu'elle y met de la mauvaise volonté.
J'ai essayé de la faire parler, de la ramener sur le chemin de la conversation, mais elle dévie, elle divague et elle en fait qu'à sa tête. C'est fatigant d'essayer de la maintenir dans une direction. Alors j'ai fini par laisser tomber.

Maintenant que je sais que j'existe, je n'ai plus besoin d'elle pour remplir le vide. Je peux le remplir moi-même... enfin peut-être.

Est-ce que je parviendrais à échapper à l'ennui ?

Cette pièce, elle si grande... et petite à la fois.
Trop étroit pour vraiment y vivre. Je suis enfermé. Je ne peux aller nulle part. Il n'y a même pas une fenêtre pour voir ce qui se passe dehors. Ici il ne se passe rien, à part la lumière artificielle qui baisse à certains moment, sans doute pour simuler un semblant de nuit. Les jours sont sans fin.

C'est grand aussi, ça contient beaucoup d'espace vide. J'essaie d'occuper cette espace, mais là-bas et là-bas et par-là aussi, je ne peux pas y occuper l'espace, partout en même temps. J'essaie d'occuper une partie déjà avec moi. Moi qui ne fait rien.
Il faut faire quelque chose. Mais quoi ?

Je vois mes mains. Je ne sais plus quand est-ce qu'on me les a rendu. Je les bouge devant mes yeux. Je les déplace dans cet espace vide entre moi et les murs de ma prison. J'ouvre et ferme les doigts. J'imite une araignée. En tendant bien le bras vers le haut, j'arriverais peut-être à en faire une araignée au plafond.
Trop haut le plafond. Même en sautant, je ne l'atteint pas. Je vais escalader le mur avec mes mains et mes pieds nus. Non, je ne vais pas escalader. j'y arrive pas et j'ai encore mal aux doigts.
Alors je longe le mur à ma hauteur avec mon araignée. Je vais voir jusqu'où je peux aller.
Je passe un angle, continu tout droit, trouve un autre angle, puis un autre, puis le relief de la porte, encore un angle et une ligne droite. Je tourne en rond. Non, en carré. Ça tourne pas rond ici.
A force de tourner en pas rond, mon araignée connait par cœur le chemin. Je fini par la ranger, elle s'ennuie et elle a des crampes aux pattes. Je continue sans elle. Mais je connais déjà ici, alors j'accélère. Je cours. Je cours en rond. J'ai le tournis. Je ralenti. Et si j'essayais dans l'autre sens ? Dans l'autre sens, patatra, je me vautre contre le mur capitonné. C'était pas la bonne direction, je vais vomir.

J'ai essayer d'occuper l'espace en marchant, en courant, en sautant, à quatre patte, en rampant, à plat dos, en étoile, sans plus bouger. Les yeux rivés au plafond, je le vois qui tourne qui ondule, qui gonffle... on dirait presque... un visage... ça fait peur... beurk... C'est moi qu'elle regarde, cette tronche de cauchemar ? Elle va me manger ? AAAAAAAAAAAAAAAH !!! Hyenaaaaaaa !! Elle va me manger !!

Hyena ? T'es où ? T'es là ?

-mais QUOI ?!

ouf, t'es toujours là.
Je me tourne timidement sur le ventre et rampe jusqu'au coin du mur en priant pour que la chose au dessus de moi ne prête pas attention à moi.

-toi t'as gueule ! je te vois venir !

Moi ?

-attend !... attend... qui me parle ?

Elle a l'air bizarre. Enfin c'est Hyena, elle a toujours l'air bizarre. Mais là...

-arrête !
arrête de commenter ce que je fais.

Bon d'accord, mais et la chose au plafond ? Qu'est-ce que ça fout là ? Tu sais ce que c'est ?

-je... j'ai oublié...

Qu'est-ce que tu as oublié ?

-non... non ça suffit ! C'était fini ça !
Elle est où l'araignée ?

L'araignée ? Celle que je fais avec ma main ?
Bon, si elle veut l'araignée, je fais l'araignée, sur le mur entre nous deux.
Et pendant ce temps, je n'ose plus regarder le plafond.

Hyena aussi fait l'araignée, je crois. Par moment j'ai l'impression de sentir le bout de ses doigts sur le bout de mes doigts. J'en oublie presque l'horreur au plafond. Je me hasarde quand même à y jeter un œil au bout d'un moment. Je crois qu'il n'y a plus rien. Je ne la vois plus, la sale tronche.

Hyena, tu crois que cette chose fuit les araignées ? Alors à nous deux on la peut-être fait partir. Heureusement que tu étais là.
avec le bout de tes doigts...
Hyena.... merci Hyena. Merci d'être là.

T'es une vraie saloperie, dérangée, détraquée, folle à liée, violente, méchante.
Mais encore une fois, qu'est-ce que j'aurais fais sans toi ?
Hyena ? Tu ne dis rien ? Tu parles seulement du bout des doigts. Je les entends contre le mur, contre ma main, tout doucement sur ma peau.
Et je rêve à si tu étais là, de côté du mur, avec moi. Est-ce que tu toucherais aussi tout doucement ? Peut-être que tu essaierais de me faire du mal. Petite raclure. Garce.

Pourquoi tu es si méchante ? Pourquoi toute cette haine ? Pourquoi Hyena ?
Je crois que je me sentirais mal à ta place. Sans doute que je me haïrais aussi d'être ce que tu es. Complètement rongée, détruite, aliénée par une telle douleur qu'elle ne trouve plus comment s'exprime de façon raisonnable et compréhensible. Tu ne sais même plus communiquer ? C'était qui la dernière personne que tu as pu toucher sans la blesser ? Pourtant regarde, c'est pas si compliqué. Juste comme ça, du bout des doigts, sans griffer.
Qu'est-ce qu'on t'a fait pour te mettre dans cet état ? Quelque chose de si terrible qu'il a mieux valu oublier, sans doute. A quoi bon se rappeler les atrocités ? On n'est pas si mal comme ça, maintenant, sans retourner le passé. Ça peut quand même s'arranger, non ? Et sinon, tant pis.
Tu es un monstre, Hyena, mais je suis là...

La porte s'ouvre, des infirmiers entrent. Ils sont quatre ou cinq. Pourquoi autant de monde en même temps ? On va me faire quoi ?

-Allez, debout ! C'est un grand jour pour toi. Tu sort de ce trou.

Vraiment ? Maintenant ? Mais je ne l'espérais plus ! J'ai un peu de mal à réaliser que ça arrive enfin. Je sort de cette chambre sans fenêtre où j'ai été rien, où j'ai tourné en rond, où j'ai été terrifié... C'est fini tout ça ?

Hyena ? Tu entends ? Je vais sortir.
Je vais partir...
Mais toi, tu vas rester là. Ta folie est dangereuse. Ils ne peuvent pas te relâcher. J'en suis désolé, mais c'est comme ça.
Je vais sortir d'ici, passer devant la porte de ta cellule et te faire un dernier signe, un au revoir. Je crois que... tu vas me manquer.

C'est l'heure. Je sort. Et je passe devant... ta porte... où est ta porte ? On est déjà à l'ascenseur ?
Je me retourne. La porte de ma chambre est encore ouverte, puis il y a le mur et... l'ascenseur. Par d'autre porte. Pourtant, elle devrait être là, celle de Hyena !
Il n'y avait pas de chambre entre la mienne et l'ascenseur ? J'étais au bout du couloir ? C'était pourtant bien de ce côté là que je l'entendais.
Je ne comprend pas... qu'est-ce que ça veux dire ? Qu'est-ce qui c'est passé ?
Est-ce que je me suis trompé ? C'était moi dans la chambre de Hyena ? Et elle dans la mienne ? Non, elle était bien de l'autre côté !
Mais alors... où est-elle ? Où sommes nous ? Qui je suis ?

Je ne peux pas partir sans savoir !
Alors je m'évanouis.

Ce voisin effacé avait raison en fait. Il n'était rien. Il n'existait pas.
Et la seule personne pour qui j'étais importante n'était rien... si quelque chose : le fruit de mon imagination et une part de moi-même qui en a eu ça claque d'être ce que je suis. J'ai préféré être ailleurs, à côté, à l'abri du monde de la matière et de ce qu'elle inflige. Être rien pour être intouchable, même coincée dans un clapier.

J'ai fait ça ?
Je ne pensais pas que c'était possible. Faire ça, moi, toute seule. Jusqu'où suis-je capable de dérailler ?
C'est peut-être à cause d'eux, les blouses blanches. Qu'est-ce qu'ils m'ont fait pendant que j'étais à leur merci ?
Le voisin avait raison, elles sont chiantes ces blouses. Il faudrait les arranger.

Mais ce voisin, c'était moi ? Ou il était moi ? Je suis elle, la saloperie... heureusement que j'étais là...
Heureusement aussi qu'on ne savait pas qu'on était dans la même pièce.
J'aurais pu lui faire du mal.
J'aurais pu me faire du mal.
Je vois l'état de mes mains tremblantes. Je me suis fais mal.

Oh oui, elles sont chiantes, ces blouses blanches.
J'ai cette image qui me trotte dans la tête : un coup dans la gueule, la tête propulsée sur le côté et le rouge qui s'écoule en postillons de sa bouche édentée. Des petites taches rondes sur le tissu blanc.... encore... je veux voir ça encore.
Mais j'ai été punie. La camisole, les drogues... tout pour s'assurer que je reste docile. Au final, que ce soit au NOD ou chez les mentalistes, c'est pareil. Il n'y a que les méthodes qui changent.

Très bien... je n'arrangerais pas ces blouses tout de suite. Je vais être très sage et ils me laisseront sortir d'ici.
Je ne leur parlerais pas du voisin. De toute façon, ce sont des mentalistes, ils savent peut-être déjà. Va savoir si c'est pas eux qui ont provoqué ça. Mais pourquoi ?
J'en sais rien et j'ai mal à la tronche.

Tout ce que je sais, c'est que je suis cette saloperie, sans quoi je suis rien. Et je suis cette personne capable d'apprécier cette saloperie.
Alors tout va bien, je suis là.
chhhut, Hyena, calme. Je suis là, tout près de toi... de moi
On va sortir d'ici, mais plus tard on les arrangera ces maudites blouses blanches. Tu fais ça si bien...

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