Douleur aveuglante

Je suis comme un fruit qui ne veut pas mûrir, contre nature.



Je ne vois rien. Pourtant je le sens, je cligne des yeux. C'est comme si l'arrière plan de mon sommeil empiétait sur mes nuits. Je crois que mon crâne va imploser, et répandre des notes sur le sol immaculé. Je panique, je sens mes membres se raidir et la sueur couler le long de mon front. Une main dégage une longue mèche de cheveu de mon visage, la délicatesse de ses mouvements me rassure.

- Où suis je ? (il est impossible de paraître intelligent dans ce genre de situation)
- Ne t'en fais pas, tout va bien, quelqu'un va venir

Contre toute attente, une sensation d'ivresse s'empare de moi. Je suis surprise de ressentir une sensation d'une telle ampleur. Pourtant, une question me démange.

- Où est Calliope? ... Euh, c'est mon... ajoutais je, avant que la voix ne m'interrompe dans mon élan.
- Ta soeur nous l'a confié

L'être posa mon violon sur moi.


[b]Ils m'avaient prévenus. Que plus rien ne serait pareil, que je grandirais et oublierai mes sôtises d'enfant. En une fraction de seconde, la peur de ne rien ressentir m'avait sclérosé l'esprit. Mais paradoxalement, Calliope dans les bras, je pleurai. J'avais seize ans, l'âge limite, un mal de crâne sans précédent, le End Vice caché quelque part dans ma frêle carcasse, mais allez savoir comment, pourquoi, l'amour de la musique avait survécu par delà les frontières de l'adolescence, par delà les technologies. Remplie d'un sentiment d'euphorie, je me sentais toute puissante. Je savais au fond que j'étais hors norme, que le rythme me maintiendrait en vie.

- Je n'ai pas beaucoup de temps, alors je vais être concise : Ils t'ont implanté comme prévu, mais ta soeur nous a sollicités. Depuis peu, on arrive à désactiver les puces les plus récentes avec moins de séquelles... Au moins, tu n'as pas de membres en trop.

- Vous considérez qu'être aveugle est une bonne pioche ? Combien de temps ça va durer ? Où sont mes parents et ma soeur ?

- On espère que cela ne sera que provisoire, mais je crains que tu ne retrouves pas la vue sous peu. Essaye de les fermer le plus possible.

J'étais, dans ma candeur, quelque peu vexée. Non, aucun caractère surhumain ne m'avait permis d'outrepasser les lois de la science. L'implant inhibateur, ce corps étranger avait été ôté de mon esprit, d'où les bouffées d'émotion que je ressentais, si fortes. J'étais dépassée par l'attitude de Maëva, ma soeur aînée, elle même implantée depuis deux ans, devenue une tombe à mes yeux quand enfants nous étions si proches. Pourquoi préserver mon plaisir ou du moins ne pas m'avoir mis au parfum ? Comment a t-elle déjoué les règles qui la contrôle presque littéralement, comme la majorité des orthodoxes de cette ville ?

J'ai essayé de me lever. Jusque là pas de problème. Au bout de trois pas, j'ai buté contre une pierre (?) et me voilà qui me casse la binette en toute beauté. Je suis dans la merde.

La personne au timbre digne d'une nymphe me redresse.

- Prend ma main, je t'emmène en lieu sûr.

Je suis devenue insurgée un peu contre ma volonté, du moins contre toute raison. Je ne sais pas si la situation est mieux ainsi, mais je n'ai d'autres choix pour l'instant, dépendante des autres le temps de retouver la vue ou du moins quelque repères, et ne pouvant me fondre aux autres.