Battle Maiden is ironic.

Les mécaniques, c'est bien huilé. Les pistons ont leur chuintement mouillé caractéristique, absolument imperceptible, les microchip transvasent des milliards de données à la seconde dans les grandes lignes minces de ce corps trop précis, jamais fatigué, jamais malade, jamais clément, jamais mauvais. Les yeux sont de vrais yeux. Ils ont la couleur très légèrement terne des choses que l'on a volé, emprunté contre le gré de leur possesseur. Ils voient mille désastres, ils n'oublient jamais.
Ils n'oublient jamais.
C'est une soirée feutrée à l'Opéra, et parmi les Automate, Isma est la seule qui ne se trouve pas dans les loges, à regarder le spectacle, à apprécier les Valkyries qui évoluent entre les rangées piquetées de velours. Elle, elle est adossée quelque part entre la loge et la scène, une cigarette électronique coincée entre ses lèvres. Elle est la reine inconnue de la soirée, sa fondatrice, la mère de toutes les danseuses-lianes qui évoluent à quelques pas d'elle. Elle connait le nom de chaque point de couture de chaque costume, le numéro de série de chaque fille, de chaque garçon aussi bien, elle sait qui est là, qui devait venir, qui n'a pas voulu, qui fait semblant de s'intéresser. Le rideau se relève, la musique retentit, pour la dernière fois : la pièce est finie.
Personne n'applaudit. C'est le lot des Automates. Certains apprécient, certains imaginent apprécier, d'autres s'en empêchent. Une soirée ordinaire dans le grand ventre pourri de Nolvlangue, la ville des Interdits. Isma était une de celles qui contournent les interdits, qui les monnaient, qui les équarrissent aux plus offrants. Toujours du bon côté de la loi, plus ou moins. On lui ordonne certains commerces, elle obéit, délicieusement insensible, avec, toujours, le sourire. Un sourire de jeune mariée, de ceux qui présagent mille ans d'un enfer blanc et familial. Isma est une maîtresse de maison à échelle continentale. Cela la contente, d'un certain côté. Autant qu'elle peut bénéficier d'un tel sentiment.
Voila, le rideau s'abaisse dans un froufroutement de velours. Chacun repart, lentement, en discutant, avec une Fille, avec un homme, avec les deux pour les plus riches. Isma abaisse ses yeux sur l'écran de sa cigarette. Son taux de nicotine par jour est en hausse. Cela n'augure jamais rien de bon. L'Automate, tant de construction que de Fonction au sein de la ville, se détache lentement de son observatoire, plonge dans les entrailles de l'Opéra. Féliciter les danseurs, au moins un peu, juste histoire qu'ils sentent sa présence, son approbation. Elle se mélange à la foule, saisit quelques mains, en souriant, toujours en souriant. Fait passer de ces très brefs éclats de plaisir qu'elle sait encore suggérer chez les gens, après avoir upgradé de Valkyrie à Maman Directrice de Chez les Automates. On lui répond par des œillades contentes, par de petites courbettes, parfois. Elle trace son chemin entre les Vierges de Bataille du Plaisir, ressort par une autre porte, accueille des coursives plus sombres, plus vides. Chemins détournés, exils de pacotille. Elle a encore des choses à faire avant de trouver un repos illusoire, ce soir. Peut-être discuter de loin en loin avec un Automate au dessus d'Elle, peut-être gourmander une Valkyrie trop laxiste. Peut-être commander de nouvelles lampes, plus jolies, plus feutrées, pour le Palace.
Il faut bien que quelqu'un le fasse.