Les mains dans les deux poches de son treillis qui ne sont pas bourrées de trucs et de machins, le nez en l'air et l'esprit à une rousse, Leith erre.

Lui seulement, et encore heureux : l'une de ses deux nounous du jour, j'ai nommé l'intrépide Yoishi, le rappelle à l'ordre :

- Hé, c'est là, le Bad Gag.

- Hm ? Ah.

Leith contemple la chose et fronce un tantinet la narine. C'est qu'à fréquenter le quartier des Valkyries, on devient délicat.

- C'est obligé ?

- T'as dit que tu le ferais. Mais après, tu peux te défiler, t'auras juste une réputation de planche pourrie.

- Ah. J'imagine que c'est pas bien, planche pourrie. On y va, alors.

Une Noire assez excédée, mains dans les poches, elle aussi, emboîte le pas aux deux insurgés. Sûrement la deuxième nounou du jour.

...

L'ambiance est quand même assez spéciale, dans le rade. Leith manque buter sur une poupée grandeur nature, que ses acolytes, par instinct, encadrent. Vu la faune qui est en train de refermer le cercle autour d'elle, ça semble une bonne idée, sur le moment.

Pardon, mademoiselle. Hum... C'est ici, pour la commande de fresque ? demande Leith innocemment.

[Hummm ...]

« Bon ok ça roule Sio mais alors tu m'fais les chiottes aussi, j'sais pas ce qu'ils ont glandé hier mais après la soirée raclette du gang de motards là, tu sais les... comment déjà... ah oui les "Hells' Blood Angels of the Fatal Death"... et bien ils m'ont pourri les chiottes, mêmes les rats ils se tirent. Décide-toi vite, je vais pas pouvoir les retenir longtemps ! »

Le mardi soir c'est le soir des ex-taulards, certains à peine sortis de prison et directement arrivés ici sans passer par la case "goulou-goulou", la case rose quoi. Ils s'échangeait leurs histoires de cellules, leurs histoires de cul sous la douche ou dans le parloir, diverses légendes impliquant des femmes consentantes. Et pis c'était pas n'importe qui la petite, un ange rose, tout frais, qui respire l'innocence, avec des courbes à damner un curé. C'était trop pour ces clients là... ils sont pas habitués, ils savent pas qu'ça existe des filles comme ça, à côté ils se tapent des boudins même dans leurs pires fantasmes. J'avais même peur qu'y en ait un qui claque. Fallait que je fasse un truc, même pas intelligent de toutes façons j'étais plus à ça près.

La meute était braquée sur le petit oiseau rose, elle suait, haletait, les naseaux sifflaient, l'air était empli de testostérone, on aurait presque pu le palper. Ils se rapprochaient de plus en plus, s'épiant, se menaçant entre eux, se disputant le privilège de passer en premier sur cette proie si facile et appétissante.

« Oh les mecs, c'est ma nièce, alors on se calme ! » Voyant le peu d'effet sur son audience, il ajouta. « Et pis elle est mineure... et elle... elle a un herpès génital, c'est la fille du préfet... les cheveux roses c'est un cancer vachement contagieux, elle pue des pieds, sa religion lui interdit de se laver... elle pète au lit... et... et (à cours d'arguments)... et c'est un TRAVLO ! »

La meute s'arrêta enfin, excepté 2-3 blaireaux qui se ravisèrent immédiatement face à la réprobation générale. Sio et Dolly se regardaient, bouche bée. Le barman était plutôt fier de son effet. « J'espère que j'en ai pas trop fait !? »

Pardon, mademoiselle. Hum... C'est ici, pour la commande de fresque ?

-euh... je sais pas.
je cherche mon sac à main. Vous l'avez pas vu ? Il est rose.

avec la bouche en cœur sur le mot "rose", parce que c'est trop jouli, le rose.


« Oh les mecs, c'est ma nièce, alors on se calme ! » « Et pis elle est mineure... et elle... elle a un herpès génital, c'est la fille du préfet... les cheveux roses c'est un cancer vachement contagieux, elle pue des pieds, sa religion lui interdit de se laver... elle pète au lit... et... et (à cours d'arguments)... et c'est un TRAVLO ! »

un moment de silence
et puis...

-oh le menteur !
les pieds dans le plat

Dolly voit la madame rire, alors elle rit aussi, bêtement, sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce que c'est drôle de la voir rire comme ça.

-hahahahahaha !!
non mais c'est vrai il ment.

Et puis elle enlève sa chaussure, avance vers le bar l'ève la jambe (qu'elle souplesse) et pose son peton sur le zinc, devant le barman.
La robe est remontée sur la cuisse. Elle balance les cheveux en arrière, sensuellement outrée

-la preuve !
mes pieds son propres
alors, hein !

Ah meeerde. On peut plus mettre les pieds quelque part avec Leith sans tomber sur un rassemblement de barges. Et en plus, Sio -- qu'est-ce qu'elle fout là, au fait ? -- vient de faire le noir sur la scène de futur crime.

Kim ne fait ni une ni deux, empoigne Leith par son tee-shirt "L'action ne doit pas être une réaction mais une création ", et le jette dehors. Elle en profite pour laisser la porte ouverte, ça fait toujours un peu de lumière.

- Yoishi ?

- Ouep.

Ca suffit largement, comme conversation. Kim embrasse ses poings et se prépare à une bonne tranche de rigolade.

-mais on voit rien

ouais un peu longue à la détente

pfff ! c'est de la triche
qui a éteint la lumière ?

Son embonpoint aidant, le barman transpirait à grosses gouttes et ne contrôlait plus du tout la situation (ne l'avait-il jamais contrôlée ?). La situation qui partait en couille, la meute déchaînée, la jeune femme en danger et sa jambe délicieuse, les flageolets à l'ail de midi... C'en était trop ! Rassemblant tout le courage dont il était capable, il profita de l'obscurité pour s'enfuir vers la porte arrière, avec sa démarche typique d'un bonhomme de 115kg, offrant son bar comme théâtre des prochains affrontements. Tout juste il eut le temps de crier :

« On est quitte sur ce coup-là Sio !! »

Encore aurait-il fallut qu'il sorte par la bonne porte... En panique, il s'était retrouvé dans les anciennes toilettes (devenu récemment un lieu d'expression libre pour les motards du lundi), n'osant en ressortir.

-Mais... doucement hein... hey ! ma chaussure. J'ai perdu ma chaussure !
aïeu !
berk

C'est malin, avec mon pied nu, j'ai marché sur un truc dur et sur un truc mou et collant.
Dehors on y voit plus clair, mais elle va m'emmener loin comme ça ? J'ai mal au pied.

-où est-ce qu'on va ?

Les deux filles retrouvent dehors un Leith encore plus ahuri que d'habitude.

Sio ? Qu'est-ce qui se passe ? Et pourquoi la demoiselle n'a plus sa chaussure ? Et qu'est-ce qu'ils font, Yoishi et Kim ?

Puis il se rappelle ses bonnes manières et s'incline devant Dolly.

Bonjour, enchanté, je m'appelle Leith. Et je n'ai pas vu votre sac. Et votre chaussure non plus. Vos cheveux sont jolis, mais j'aime mieux le roux.

Impec. Plus un seul civil qui pourrait se prendre une mandale perdue. Kim s'adosse à Yoishi et rigole à la face des quelque quinze abrutis avinés qui les entourent, et qui commencent à réaliser qu'ils ne vont pas se taper la poupée rose, finalement.

Une crevette jap et une butch métisse, ça fera l'affaire en remplacement, qu'ils se disent. Vont tomber sur un os.

Paf ! Le poing droit de Kim lance le signal des réjouissances en s'écrasant contre une mâchoire déjà passablement édentée. Ourrrf ! répond en écho la première victime de Yoishi, qui vient de se prendre un coup de talon dans l'estomac.

Qu'est-ce qu'on rigole !

Pour le roux, j'ai une collègue qui devrait vous plaire. Je la connais pas encore très bien, mais elle a l'air sympa.

Ah mais pas besoin, j'ai tout ce qu'il me faut. Il se trouve que...

- Leith, elle peut pas courir pieds nus. Faudrait que tu la portes. On dégage vite fait, on avisera ensuite.

Le peintre regarde l'électricienne d'un air bovin.

Mais... Bon. N'oublie pas de m'expliquer ce qui se passe, quand tu auras deux secondes.

Si vous permettez, mademoiselle... Dolly...

Leith soulève la rose blonde, tel un jeune marié au seuil de la chambre nuptiale, et se met à courir derrière Sio. Y a pas à dire, ces artistes, ils ont la santé.

Dolly, comme une petite princesse dans les bras d'un preux chevalier, est ravie. C'est rigolo comme façon de voyager.
Mais Leith semble un tout ptit peu moins ravi. Il se demande où on va comme ça. Dolly aussi se l'ai demandé mais finalement, elle y va très bien aussi sans savoir, alors pourquoi s'en inquiéter ?
Au bout d'un moment elle se met même à chantonner une vieille chanson au rythme du pas de de course :

-il court il court, le furet
le furet du bois mesdames
il court il court, le furet
le furet du bois joli
il est passé par ici
il repassera pas là...

et elle glousse
elle s'amuse comme une petite folle

Leith, qui commence à fatiguer un tantinet -- encore heureux qu'il fume pas -- sourit à sa passagère.

Vous connaissez des jolies chansons, dites donc !

Et voilà qu'il croise le regard bleu porcelaine. Et d'un coup, il se sent mieux. Mais alors, beaucoup beaucoup mieux. Même plus très fatigué.

Alors, il se met à brailler d'une voix de casserole -- hé oui, on peut pas être bon en tout :

Aqui se queda la clara
La entranable transparencia
De tu querida presencia
Comandante Che Guevaraaaaaa !

-Vous aussi vous connaissez de jolies chansons, Furet... euh pardon, Leith.
Je peux vous appelez Furet ? C'est mignon je trouve. Ça vous va bien.

Est-ce qu'elle entend par là qu'il a une bonne tête de furet ?
Cherchez pas, c'est du Dolly.

Plein plein ! Mais... Ah, c'est embêtant, je peux pas peindre avec une fille dans les bras. Vu que j'ai que deux bras.

Il se marre comme s'il avait éclusé huit packs de bière, mais son rire finit par s'éteindre devant le regard sévère de Sio.

Rhooo ça vaaa, si on peut plus rigoleeer... Ils nous retrouveront au Murphy's, non ? Ou alors, on va à la Paillade, acheter des chaussures à Dolly. Parce que, je commence à... C'est pas que vous êtes lourde, Dolly, hein, au contraire, mais...

Oh regardez ! La voiture qui passe ! Sympa ce rouge. Faudra que je trouve le même.