Clip clop clip clop dans la zone de sommeil !
Le lapin a perdu sa blanche neige. Quel dommage ! Plus personne pour me reprocher mon retard !
Moi qui avait pourtant de bien jolis objets à lui montrer.

Un foie, par exemple. Et quel foie, mes aïeuls !

Le trafic d'organe se porte bien mal en ce moment, c'est une pitié.
Comme tous les commerces d'ailleurs.
Novlangue s’endort, à croire que les marchands de sommeil ont enfin gagnés, eux et leurs poudre de sable aux yeux.
Ça ne m’empêchera pas de faire de l'argent. Il faut juste varier sa clientèle et tout se passera bien.
Les insurgés font silences, une rumeur voudrait que nombre d’entre eux aient été... Comment dire ?
Évaporé ?

Qui sait. Peut être est-ce un morceau de l'un d'eux qui se trouve dans ma valise : Un morceau de choix très bien conservé.
Pas comme moi.
Je ne suis pas au maximum de ma forme, l'alcool dessèche ma plume et mon scalpel, mais ma main est encore assez sûre pour ne pas briser ni l'une ni l'autre. C'est suffisant pour ouvrir quelqu'un en deux.

Pourtant, je me fait vieux et je le sens... L'époque n'est pas la bonne pour les vieillards alcoolique...




A travers les ruelles, je finis par dénicher le vieux banc, sur lequel je m’assois en attendant.

Viendra, viendra pas ?

Silence dans les rues. J'imagine que personne ne viendra, finalement.
Je suis seul. Désespérément seul. Seul avec ma valise dans une ruelle bien trop grande pour un vieillard bien trop desséché.

Seul.


Je me demande ce qu'est devenu April. Je pense qu'il est mort. Se serait-il fait péter la gueule avec une de ses bombes artisanale ? Ou bien se serait-il fait attraper par un N.O.D ?
Ou abattu froidement derrière une poubelle. Ou tué par un membre de sa propre équipe ?
Se pourrait-il que l'univers lui même soit mort et que je n'en soit même pas au courant ?

Non. C'est une impression idiote dans le cervelet d'un alcoolique dont même la moelle est corrompue. Les rues sont encore pleines. Pas ce soir, mais demain matin.



J'ai composé le numéro d'April sur mon portable. Six. Sept. Huit. Neuf sonneries. Personne. Répondeur.
J'ai composé le numéro de quelques insurgés. Huit. Neuf sonneries. Répondeur.

Ah. Il va également falloir me refaire ma clientèle pour le cabinet alors. Cela promet d'être du travail.

Je n'aime pas ce quartier. Il me rappelle mes années de galère, avant mon installation au Palace. Cette zone de sommeil, où le calme est de rigueur me rend sourde. Et surtout, cette partie de la ville est purement Orthodoxe. Le NOD y circule sans cesse, pour vérifier les écarts de conduite de nos chers petits moutons. Ici, même penser plaisir est interdit. Toute distraction est prohibée. On vient, on rentre dans sa boite à sommeil, et on la quitte pour aller gonfler le PIB.

Pourquoi suis je là? Je n'aime pas être là. Les orthodoxes, eux, s'en moquent, puisqu'ils n'aiment rien. Et aiment rien. Mais moi, j'aime, et je déteste. Et je déteste être ici. Pourtant, il va bien falloir que je descende de cette voiture. Mon chauffeur reste silencieux. Il ne fera aucune remarque sur mon retard. Il est sous mes ordres, et il sait qu'il doit rester à sa place. Le moindre écart de sa part serait immédiatement sanctionnée, et très lourdement. Mes trois précédent larbins pourraient en témoigner. En fait non, ils ne pourraient pas. L'un d'entre eux ne se souvient de rien, l'amnésie totale a été l'effet secondaire à son re-puçage. Le second ne peut plus parler. Il s'est vu la langue et les bras arrachés, en représailles à ses avances trop poussées. Le troisième, lui, à disparu des radars. Mort et enterré, ou bien quelque part dans les bois...

Mais il faut que je descende. Avant qu'il ne parte. D'ailleurs, quand il tapote sur son téléphone, je sens bien qu'il est temps. Il ne m'entendra certainement pas arriver. J'ai l'habitude des approches discrètes.

Vous avez ma commande?

Il devra se tourner pour me voir. J'aimerai autant qu'il ne le fasse pas. Il n'aurait qu'à tendre le colis, en échange de cette enveloppe bien garnie. Je sais comment le contacter maintenant, il n'a pas besoin de savoir qui je suis.

A deux doigts de l'arrêt cardiaque. Un battement de cœur manqué, entre deux passablements réussis.
A mon âge, on se ménage ou on sert d'engrais.
Je ne connais pas cette voix. Jamais entendu. Jamais. Qui m'assure que ce n'est pas juste une histoire à finir dans le fleuve, les deux pieds dans le béton ?

Je me suis retourné. Non pas d'un geste brusque, mais lentement et sûrement. Il est dans mes habitudes de gesticuler comme un cocaïnomane désoeuvré, mais cette fois, cette mise en scéne ne s'applique pas : La fatigue et la méfiance écrasent mon assurance.

J'ai repris mon souffle, et d'une voix sifflotante aprés avoir oté mon masque ( encore une entorse au habitudes ) j'ai lancé quelques mots hésitants :

J'ai une commande, effectivement. Qui me dit que cette commande est la vôtre ?

Mon masque est tombé sur le macadam encore sale des centaines de pietinements quotidiens des esclaves vivant ici, glissant entre mes vieux doigts aux mouvements erratiques. Je n'ai fait aucun effort pour le ramasser. Pas moyen de détacher mes yeux des siens, pour être exact.

Tout le monde est mort.

Une affirmation ou une simple pensée ?.... Peut être juste un souhait de ne pas m'ajouter à la liste.

Avez-vous une preuve, quelque chose ?

Nous avons ce point en commun, la dissimulation du visage. Il porte un masque, comme je l'ai fait pendant des années. Aujourd'hui, c'est un simple foulard qui vient le voiler. Un petit morceau de tissu qui protège ma peau du vent glacial et des regards indiscrets. Pourtant, son regard à lui s'est braqué sur moi. Sans discretion.

Ce devait être un échange discret, sans question. Il n'avait même pas besoin de me regarder. Il est en train de tout gâcher...
Ces petites gens et leur paranoïa, ça me fatigue. Je suis là, devant lui, une enveloppe contenant le paiement prévu. Ceci n'est il pas une preuve suffisante?

Vous avez la réputation de vendre au plus offrant Dr Fritzerman. Et je ne vois ici personne ayant une meilleure offre que la mienne.

Je lui tends l'enveloppe. D'un mouvement de tête, je découvre mon visage. Sans dire mon nom, il devrait reconnaitre mes cicatrices, s'il a déjà entendu parler de moi. Il l'a sa preuve maintenant. Si elle ne lui suffit pas, il devra pourtant s'en contenter.

Je n'ai pas besoin de m'identifier auprès du NOD, je ne le ferai pas envers vous mon cher. Et si vous ne me donnez pas rapidement ce que je suis venue chercher, tout le monde sera mort, effectivement. Mon client, moi, vous...

Pauvre petite chose. Tu n'es pas dans ton laboratoire minable là, à recoudre des insurgés. Tu es entré dans le monde des grands. Il me faut cet organe, pour mon client, et vite. Pour la peine, c'est réellement une question de vie ou de mort. De morts même.

Vous entendez? Non? Normal. Il n'y a aucun NOD dans le coin. Il n'y a que vous et moi. Et mon chauffeur qui m'attend. Par contre, plus on attend, plus on s'expose. Vous allez me donner la marchandise ou je dois recourir à la force?

La dernière phrase, je la prononce avec insistance. Le ton est autoritaire. Je ne suis peut être qu'un petit brin de fille, mais je ne suis pas une fille facile. Ni une faible femme.

Ah. D'accord. Je me suis balancé d'un pied sur l'autre, mal à l'aise, la valise toujours sous le bras.

Effectivement. Je découpe pour du liquide, peu importe d'où il vienne. Mais... Ces derniers temps...

J'ai secoué la tête, confus. Ou est-ce l'alcool ?
Non, je suis presque certain d'être sobre. Aussi sobre que je puisse l'être.

Dans tous les cas, cessez de me menacer ! Sinon je serai dans l'obligation de vous détester. Et vous n'oseriez pas recourir à la force contre un vieillard comme moi, tout de même ?! Si ? Mon dieu, mon dieu, quel manque de cœur pour un joli cœur comme vous. Et moi qui pensait que la pitié était un trait indissociable de la gente féminine. Je me vois obligé de revenir sur mes à priori.

J'ai secoué ma main d'un air désinvolte.

Bref. Permettez.

J'ai ouvert les deux scellés de la valise, et j'ai ôté le système la pompe à liquide nutritif que j'ai fourré directement pelle-melle dans mon sac à dos. Cette petite invention de mon crû permettant la régénération cellulaire d'un greffon vaut probablement plus que la vente d'organe, mais j'y tient trop pour la vendre. Maintenant que l'organe n'est plus alimenté, le reste du liquide va être absorbé par le foie, et dans quelques minutes il ne restera plus aucun résidu de ce produit. Ma petite cuisine personnelle n'est pas reproduisible de toute manière, la concurrence n'a aucune chance.

Ne reste plus que l'organe parfait, prêt à être vendu.

Le liquide nutritif va être entièrement absorbé par le foie, maintenant. Cela vous donne une bonne dizaine d'heure pour que l'organe soit encore viable en parfait état, et une vingtaine d'heure pour qu'il soit dans un état "correct". Au delà des vingts-quatre heure, le greffon sera définitivement mort, par contre. Je préfère vous prévenir.

J'ai vérifié du bout des doigts la solidité des quatres tubes d'azotes, et l'isolation du caisson.

Le produit est parfait. Avez-vous de quoi emporter le greffon, ou dois-je directement vous donner ma valise frigorifique ?

Il me parle de pitié... Cet homme ne me connait donc pas. Ou alors il est trop saoul pour me reconnaitre. S'il savait... S'il savait les horreurs que cachent ce physique avantageux, et cette allure sophistiquée. Je pourrais m'en prendre à lui, qu'il soit vieux ou non, qu'il soit fort ou non. Juste pour le plaisir. Le plaisir de sentir la chaleur du sang, le sien ou le mien, peu importe.

Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire quand il dévoile l'organe. Il a l'air parfait, bien rouge. J'espère juste que ses manipulations de docteur maboule ne l'auront pas endommagé.

Je me fiche qu'il reste viable. Par contre, votre liquide nutritif là, pouvez vous me certifier qu'il n'est pas nocif s'il est ingéré?

Il le comprendra s'il le souhaite, je ne lui dirai pas que ce foie ne sera pas greffé, mais qu'il sera mangé. De toute façon, il n'a pas besoin de savoir.
Avant d'avoir sa réponse, je fais signe à mon chauffeur. Il sort du véhicule, attrape un objet dans le coffre, et se rapproche de nous.

J'ai ce qu'il faut pour le transport, vous pouvez garder votre mallette.

Pendant que l'organe est installé dans son nouvelle emballage, je m'adresse une dernière fois à Friterman.

Si mon client survit, il m'en faudra un par mois. Êtes vous capable d'assurer une telle cadence? Sachant qu'il faut obligatoirement un foie humain de bonne qualité.

Certaines mœurs sont étranges à Novlangue City. Et les nouvelles maladies ne le sont pas moins. La porphyrie est devenue l'une des plus répandue. Mais seuls les malades les plus riches, et les plus tordus, s'offrent ce traitement moyenâgeux.

Aucun risque.

Et un foie par mois ? C'est faisable, mais... La prochaine fois, je ne me ferais pas chier avec mon liquide et mes technique tout ca pour que l'organe finisse bouffé.
Et puis c'est quoi ces méthodes de barbares ? On en revient aux archaismes tribaux où le voisin n'est tolérable que dans une assiette ?
Bon, ce n'est pas mon problème. Ni le sien, visiblement.

Un par mois. C'est tout à fais dans mes cordes.

Je ne me demande pas ce qui se cache derriére tout cela. Un greffon de l'argent. La transaction est simple et ne dois pas dépasser cette ligne. Tant que du liquide arrive, je suis satisfait.

J'ai refermé la valise soigneusement, et j'ai levé les yeux vers elle.

Ce sera tout ?