Voler haut. [Jude]

Sujet: Voler haut. [Jude] Mar 4 Nov 2014 - 11:04

Voles et cours.
Sens-toi léger.
Ouvres, écartes grands tes bras.
Fais attention à ton chapeau.
Le vent est fort quand tu voles haut.
Cours et voles.
Vite.
Vite…
Mon bouffon n’attend pas.
Et ton souvenir non plus.
Notre souvenir.
Nous dans cette pièce, toi qui entre et moi qui te parle.
Alors volons loin, volons haut.
Et voyons loin, car le toit est haut.
Et nos jambes pendent, au bord du toit.
Et nos talons tapent le mur sous nous.
Et le vent soulève mes cheveux.
J’ai mon chapeau de mime, et je vais faire des ombres chinoises.
Et toi, tu vas te souvenir ?

Sujet: Re: Voler haut. [Jude] Mar 4 Nov 2014 - 14:39

Je me laisse voler.
On vole !
Je l’imite, j’ouvre grand les bras grands très grands comme ça ! Mais qui tendra mon chapeau ?
Je sais !
Je l’enfonce jusqu’aux oreilles.
J’ai l’air d’un vieux film en noir et blanc.

On a volé par tous les temps, à la dérive et parfois par hasard. Et jusqu’à l’Opéra.
En vol, j’ai rêvé d’un air qui me trottait dans la cervelle comme un petit vélo en marche qui tourne en rond. L’air de rien, il a chanté tout du long sans que je m’en lasse. Un air de famille. Il avait l’air d’un clown, celui d’un fou, celui des rois.
C’est fou ce qu’elle est belle, la petite ballerine.
J’ai dit ballerine ?
Je penche la tête.

Nous y sommes. Dans l’Opéra. Devant une porte et derrière une grande pièce.
« Pleine de trésors pour les femmes ».

Qui a dit ça ?

J’entre et je toque à la porte…

Toc-toc…

Je ne savais pas que l'on frappait aux portes après les avoir passé. Il me semblait que c'était plutôt le contraire.

Qui a dit ça ?

Peut-être attendez-vous qu'une personne de l'autre côté vous permette d'entrer dans le couloir ?

Qui a dit ça ?

Entre, entre pas. Pile ou face, face et pile, pile et face… non. Ça sonnerait faux.
Pile pile pile…
J’entre à cloche pied.

J’ai déjà vécu cette scène…
Et je me souviens d’autre chose. Tout à l’heure. Juste avant. Avant de voler. Elle a parlé pour de vrai. Avec de vrais mots. C’est pas ma tête qui est malade. J’en suis sûr.

Vous avez dit « allons voler »
Alors ça y est, vous savez parler. Vous apprenez vite. Ça fait longtemps que j’avais envie de connaitre votre voix. Et sa couleur. Aucune voix n’est pareille. Mais la vôtre, c’est encore mieux.
Ne me demandez pas pourquoi, je l’ignore.

Vous êtes déjà dedans n’est-ce pas ? Dans la pièce. Je suis entré, vous m’avez vu ? J’ai toqué trop tard. Pile pile pile.

Ce sont vos chaussures ?
Je les ai reconnus.
Vous les avez oubliés la dernière fois.
Ça me revient.
Je trouve que les quatre iraient bien ensembles.

Je regarde ses pieds, et les chaussures près du mur. Personne n’a songé à les enlever.

Sujet: Re: Voler haut. [Jude] Jeu 6 Nov 2014 - 11:26

Mon cœur bat vite. Ou très lentement. Non. Ce n’est pas ça. Mon cœur bat vite. Très vite. Ou alors il me fait mal. Il est serré. Je ne sais pas trop. Parce que je respire lentement en fait, très lentement. Pas fort du tout. Je n’entends presque pas le souffle qui sort de mon corps et qui me dit que je respire. Pourtant, mon cœur lui me fait mal comme s’il battait vite, très vite. Je crois que c’est l’endroit qui me fait ça. Qui me perd et me perturbe. J’ai l’impression que je vais tomber à tout moment. Que les souvenirs vont être trop forts pour mon petit corps qui se remet à peine de ce que je lui ai fait subir.

Je respire donc comme je peux et je m’accroche au mur. Je te vois entrer, je te vois toquer. Pirouette. Je rentre et je suis dans un autre monde. J’ai envie de rire. Ma gorge est coincée. Et puis, non, en fait, je ris. Et ça sonne à mes oreilles. Aux tiennes. Dans toutes la pièce. Les murs se gorgent de mon rire, comme s’il leur avait manqué. Je sautille, je suis légère.

Légère comme une plume.

J’ouvre les bras et je tournoie. Pirouette.

J’ouvre les bras, je tends mon visage vers le plafond, yeux fermés.

Je souris. Béat.

Je t’ai parlé oui. J’ai même ri, tu as entendu ? Et je me souviens de cette pièce. Elle aussi, se souvient. Tu le sens ? Tu le perçois ? Je m’approche d’un côté de la pièce. Le miroir est encore là, les produits aussi. Je me baisse un peu, aperçois mon visage bien pâle.

Je pose une main sur ma joue, la touche tout doucement. C’est la mort ça. Quoi qu’on en dise, c’est la mort… Mais je ne prononcerais pas ce mot. Je n’en dirais rien. Ils ne devinent pas de toute façon, ou préfère, comme Casey, regarder ailleurs. Voir toutes mes autres blessures, essayer de les panser, mais ignorer celle-ci. Car se donner la mort est un acte si fort. Trop fort pour bien des gens.

J’ignore les pots de peinture du visage, me tourne vers mes chaussures. Pas celles à mes pieds, celles au mur. Je m’en approche et m’en saisis. « Elles sont pleines de poussières. » Et de souvenirs aussi. Et ça en fait trembler ma main. Parce que c’est lourd, les souvenirs.

Si lourd…

Sujet: Re: Voler haut. [Jude] Mer 12 Nov 2014 - 10:44

Je la regarde émerveillé. Pas vous ? Vous devriez. Parce qu’on oublie toutes les laideurs du monde quand on la regarde papillonner.
Regardez !
Ouvres les yeux sous vos paupières !
Et regardez…
Vous ne voyez rien ?
Vous êtes sots alors ?
Ou bien sourds d‘esprit ?
C’est pour ça que le monde boite et perd son sens ?

Je me demande… Mentaliste, est-ce bien fait pour moi… j’y suis né. Mais il s’agit de laboratoire et de cellules empêtrées dans une bouillie artificielle.
Est-ce que ça fait de moi un Homme ?
Petite fille qui danse, suis-je un Homme ?
J’ai un doute soudain…
S’il vous plait… éclairez ma lanterne. J’ai peur d’avoir froid sans lumière.
Vous voulez bien ?
M’aider…
A savoir
Si
Je
Suis
Humain.
Signé : Jude Tiré Z.

Mais je souris !
Je souris toujours et tout le temps ! Parce que la vie est belle !
Elle ne peut être autrement.
Vous comprenez ?
Elle doit être belle et joyeuse et tout le monde devrait danser et sauter et lancer ses bras au plafond
Comme vous.
Comme toi.
On se dit « tu » ? Je n’ose pas encore… je me souviens de vous, mais pas encore de tu.

Et si je n’étais pas un humain… si j’étais une chose. Un assemblage de petites choses qui ont fait une chose grande. Je n’ai pas dit une grande chose ! Je suis encore si petit. Et je ne suis pas prétentieux.
Vous avez vu ? Je porte des culottes courtes. J’ai des bretelles pour tenir mon pantalon court. Des chaussettes à carreaux beiges et blanches, et noires un peu. Elles grimpent jusqu’à mes genoux. J’ai dix ans vous savez ! Peut-être un peu plus. Mais pas beaucoup plus. Regardez ! J’ai un cartable sur les épaules. Rempli de livres et de cahiers. Cherchez ! Il doit y avoir un encrier, des plumes et du papier à dessin.
Vous croyez que je sais dessiner ? J’ai oublié…
Encore un tiroir vide.

J’ai froid soudain. J’ai si peur de ne pas être humain.

Mais… votre teint n’a pas de couleur. Pourquoi ?
La dernière fois qu’on s’est vu… oh… je me souviens… c’était vous alors ? Déjà… c’était après. Au bord de l’eau, les pieds dans l’eau. Plouf.
Mais, ce n’est pas assez important. Il y a plus urgent. Votre visage sans couleur. Il faut le peindre !
De toutes les couleurs ! Comme un arc-en-ciel ! Je veux du bleu ! J’aime le bleu ! Même si je crois que j’avais oublié ça aussi. J’ai tant de tiroirs vides à remplir.

Vous savez, nous avons beaucoup de choses à faire.
Mais d’abord. La plus urgente. Vous et moi et moi et vous, on doit savoir ce que nous sommes. Si nous sommes de ce monde. Et si nous sommes comme les autres, mais plus. Parce que je n’ai pas envie d’être juste vivant. Ce serait ennuyeux. Alors plus, c’est mieux.

Vous nous aidez ?
Comme ça, on sera deux.
C’est mieux que seul.
C’est même beaucoup, deux. Deux fois plus que un. C’est énorme. C’est le sens de la vie.

Je regarde les chaussures qu’elle a saisies. Elles ont l’air trop lourd pour elle. D’habitude, les chaussures c’est trop grands. Mais pas cette fois.

Laissez-moi vous aider. Vous verrez qu’elles ne sont pas si lourdes. Une fois qu’on les porte.

Vous voyez ? Elles sont faites pour vous. Il suffisait de les porter. Maintenant, c’est à elle de vous porter.

Maintenant, on peut y aller. Nous chercher.

Sujet: Re: Voler haut. [Jude] Lun 17 Nov 2014 - 12:08

Je pense donc je suis.
Qui a dit ça ?
C’est dans les livres interdits, ceux que nous autres automates devons faire brûler.
Tu les connais ces livres ?
Je pense donc je suis.
Tu penses non ?
Tu penses beaucoup, tu ressens aussi.

Je pose ma main sur ton cœur, te fixe dans les yeux, baisse ensuite mon regard sur ma main sur ton cœur.
Avec insistance.
Comme pour te dire là, ton cœur, sens le comme je le sens battre sous ma paume.
Un cœur, c’est fort, et le tien bat vite et bien.
Et il n’est pas qu’un morceau de toi, un muscle qui pompe ton sang.
Il est plus que ça.
Il n’est pas un organe, ou pas que.

C’est tellement plus que ça, un cœur.
Et le tien, il est beau, il est doux.
Et on fait pas ça dans les labos.
On fait pas de belles choses, pas des qui sont aimables, qui pensent aux autres.
Dans les labos, ici, on fait des choses désagréables, qui finissent pas faire du mal.
Alors peut-être que tu viens d’un labo, mais toi, tu es beau.

Je te laisse mettre mes chaussures, un peu étonnée d’y entrer encore.
Pourtant, ça me parait logique, les pieds ne grandissent pas passé un temps.
Mais c’est rentrer dans les chaussures de celle que je fus qui m’est étrange.

Comme si je pouvais être moi actuellement, et moi passée.
Un mélange de ça.
Un tout en quelque sorte.
C’est possible d’être un tout ?
Ce n’est pas trop dur, trop lourd ?
Je pourrais me perdre entre les différents temps de mon moi.
Mais il faut essayer.
Il faut apprendre.

Tu as raison pour ça.
Il nous faut comprendre.
Nous comprendre et nous apprendre.
Alors je prends ta main.
Comment on fait pour se chercher ?
Est-ce que ça veut dire qu’on s’est perdu ?
Je n’aime pas me perdre.
Je préfère m’égarer.
Oui, voilà, nous sommes égarés.

Et où allons-nous nous chercher ?
Tu le sais toi ?

Sujet: Re: Voler haut. [Jude] Dim 23 Nov 2014 - 10:58

Pour commencer il faut apprendre à parler. Que les mots s’échappent de votre bouche !
C’est important les mots, surtout les mots dits.
Et puis… il faut vous redonner des couleurs. La pâleur n’est pas faite pour vous ! Mais pour le gens fades. Fades comme des fleurs fanées. Vous n’êtes pas fanée ! Mais vous êtes une fleur. La plus jolie surement qui pousse encore dans les petits ruisseaux. Si on regarde bien. Parce que tout le monde oublie de regarder. Tout le temps tout le monde, oublie. C’est triste les gens qui oublient. Il ne faut jamais oublier.

Je me ferme soudain comme un coquillage sans air. J’ai oublié tant de chose…
Ma mémoire est pleine de trous. Je suis un bateau qui coule.
Il faut écoper ! Et remonter le cours du temps avec des rames de fortunes, celle qu’on a dans le cœur. Avec les yeux des enfants. Ceux qui refusent de devenir grands. Parce que ce monde veut des adultes. Et il les rend moches et méchants.

Vous m’avez entendu est-ce pas ? J’ai parlé si bas.

Nous avons beaucoup de chose à faire ! Le temps nous presse ! Je veux dégrandir !
Et devenir tout petit. Dans un corps tout petit. Je veux entendre mes cris d’enfants et mes hurlements de bébé !
Vous croyez que c’est possible ?
J’ai pas connu ça vous savez… Je suis né grand, bien trop grand.

Regardez-moi !
Je suis bien trop grand !

Et Jude tourne sur lui-même. Il tourne et tourne comme une ballerine, comme un petit rat d’opéra.
Il s’arrête soudain en faisant face à Gwenaël. Il lui sourit. Un sourire généreux, sans faille, sans hypocrisie, sans rien qui mente. Un sourire d’enfant.
Et puis, il glisse sur ses jambes et s’agenouille presque, il marche de droite à gauche, surtout gauche comme un canard boiteux. Le petit canard noir de la fable, l’histoire du petit dernier, celui qui ressemble pas aux autres.

Vous voyez ?
Je suis petit maintenant !
Mais ça ne me dit pas qui je suis. Ça ne me dit pas si je suis comme vous, humain.
Ça ne me dit rien au fond.
C’est ridicule n’est-ce pas ?

Venez, il faut apprendre à parler. Je grandirai petit plus tard. Vous avez une jolie voix, je le sais, je me souviens d’elle. J’ai rempli un tiroir vide avec elle. C’était quand vous cherchiez un chapeau de mime.

Et Jude s’en va en marchant vite, trop vite, toujours trop vite comme un enfant pressé de tout faire, tout vivre, tout et jusqu’au cœur de l’opéra. Là, il abandonne sa main qu’il avait volée en partant, la main de Gwenaël, et il saute sur la scène d’un bon, leste et grand. Il s’immobilise et resserre les jambes et les genoux et les pieds, puis croise les bras le cou raide et la tête droite relevée vers le public. Un public imaginaire qui existe bel et bien dans son esprit. Il sait si bien imaginer la vie et les belles choses.
Il écarte les bras en se courbant pour saluer le public, son public, en désignant Gwenaël.
C’est elle la vedette, elle qu’il a choisi pour illuminer l’opéra ce soir. Il l’invite est l’accueil comme une muse, la reine ce soir de l’opéra.

Venez ! C’est à vous !
Le public vous attend ! Ecoutez ! Il vous acclame ! Il faut leur montrer, leur faire entendre cette voix qui leur manque !

La suite, par ici et là

**Contenu sponsorisé**

Voler haut. [Jude]

Sujets similaires

Sujets similaires