La vie avec Caïn est pour elle comme un baume sur une cicatrice. 
Tellement de souffrance et enfin, une bulle de vie. 
Combien peuvent dire qu'ils ont connu un espace où le temps et les échos du monde sont absent. Quelque soit la réalité elle n'existe plus, seule existe le souffle de l'autre, la chaleur de son corps. La douceur de sa voix. 
Les heures s'écoulaient lentement et chacune comptaient. 
Ce lieu est pour Filgjia un havre de paix. Il est imprégné de Caïn, même en son absence. 
Ses activités obscures l’amènent à s'absenter régulièrement. 
Au début il refusait de la laisser seule. Mais il n'avait pas eu trop le choix. Les crédits avaient fondus et ils s'étaient organisés peu à peu pour que le lieu rende son absence possible. 
Il lui avait appris à être autonome. 
A chaque départ il faisait en sorte qu'elle ne soit pas obligée de sortir. 
La porte comportait un système d'alerte sophistiqué et il lui avait construit une cache sur les toits, accessible depuis le logement. Si jamais les services de Keiko la retrouvaient. Même si depuis des mois aucunes menaces ne planaient sur eux, ils restaient vigilant.

Mais il y a bien des jours qu'elle se débrouille seule.
Heureusement les lieux n'ont rien d'inconnus.
Elle connait chaque emplacement , chaque recoin de la pièce.
Elle peut se vêtir, se laver, se nourrir.
Mais le garde manger se vide.
Caïn a disparu. L'inquiétude lui vrille les entrailles. Elle n'a plus aucunes nouvelles.
Sa capacité à voir étant dépendante de l'entrée en contact avec un être vivant , elle expérimente l’obscurité totale depuis.

Pour le moment elle n'ose pas sortir.
Premièrement elle reste une hors la loi. 
Même si la puce a été retiré, le tatouage sur son avant bras en dit long.
A la moindre patrouille elle sera ramenée et probablement enfermée, elle risque la mort.

Chaque jour elle se met à la fenêtre pour ressentir la chaleur sur son visage. Quelque fois elle pousse le courage jusqu'à sortir sur le toit terrasse.
La nuit...
Juste pour sentir l'air plus frais.
Elle aimerait tant sortir du dôme.
Comme autrefois, retrouver la faille et respirer à l'air libre, sentir l'herbe sous ses pieds nus. Sentir le vent sur sa peau.

Voilà un rêve qu'elle ne pourra plus jamais réaliser, un rêve qu'elle voulait vivre avec Caïn.

Il  est mort, elle en est certaine à présent.

Alors en silence, ses grands yeux vides de lumière se remplissent de larmes.
Roulent et coulent sur ses jouent de porcelaine les émotions interdites.

Il n'y avait rien pour décrire le vide qu'elle pouvait ressentir en cet instant. 
Elle l'avait déjà expérimentée, quelques mois auparavant, lorsqu'elle avait fait le grand saut du haut d'un entrepôt sur les docks. 

Elle en gardait des cicatrices physiques importantes. 
Et son poignet gardait un angle étrange tout en restant fonctionnel. 

Elle restait fragile, la dépression revenait par vague, rendant la vision de la vie peu claire. Un peu comme les vapeurs sortant des évacuations dans les rues, qui donnait l'impression étrange d'effacer les détails du décor. 

Dans un premier temps cela avait l'avantage d'anesthésier, ne pas voir, essayer d'ignorer le Mal. 
Et puis peu à peu cela détruisait tout, et la douleur devenait si vive qu'on ne voulait plus qu'une seule chose : que cela cesse, quel que soit le moyen. 

Ses pleurs silencieuses jusque là, enflèrent, et un gémissement rauque se mit à vibrer dans sa gorge. Elle essaya tant bien que mal de le faire taire. Mais sa raison n'arrivait pas à calmer le sentiment de panique, de perte de sens... les pensées s'écrasaient sur sa psyché, lui donnant l'impression d'exploser. 

Alors elle commença à s'auto suggérer, afin d'apaiser la crise de panique. 

" tu vois la faille, elle est toujours là. Toujours Accessible par le passage souterrain. 
Tu sors, va. Regarde devant toi. Et tu cours loin et vite. 
tu sens l'herbe douce sous tes pieds, les rayons du soleil encore. Mais surtout regardes, tu peux voir. toutes ces couleurs qui éclatent dans la prairie. Cours jusqu'à ce que tes poumons ne puissent plus tenir et laisse toi tomber sur le sol moelleux. 
Regarde..."

Elle a dit ça d'une voix presque calme , que trouble de moins en moins de sanglot, jusqu'à ce que les images se fassent précisent dans ses pensées. 
Et c'est comme si elle y était. Elle contemple, ressent, s'ébloui de tant de liberté retrouvée. 
La respiration enfin apaisée. 
Soudain elle entend comme un froissement tout proche, le mouvement de feuillage. 
Dans sa vision elle tourne la tête.
Dans sa vision elle aperçoit...
Taille haute, carrure impressionnante.
L'ombre....

Elle étouffe un cri dans ses mains et s'éveille en sursaut, elle ne voit rien dans ce monde-ci. 
Elle ressent une présence qu'aucun bruit ne trahi. 
Alors elle se lève prestement, et amorce sa course vers l'ouverture qui la ramènera dans la sécurité relative de son studio.

Elle s'arrête brusquement, imprudemment. 
Un miaulement d'un être aussi grand et bipède?
Elle sent son odeur, une odeur d'animal. 
Elle entend distinctement battre son cœur. 
Et c'est le son de celui-ci, le rythme de la respiration aussi qui l'a fait se redresser. 
Il n'y a rien d'agressif. Son instinct lui dis de courir, de fuir vite. Mais sa raison et les éléments factuels renvoyés par ses sens aiguisés lui disent de ne rien en faire. 

Elle se redresse. Et gratte son pantalon de ses ongles, produisant un petit son à peine perceptible. C'est ainsi qu'elle appelait son traître de chat avant qu'il ne l'abandonne pour une maison sans doute plus généreuse sur la nourriture.

Immobile, le souffle lent, elle attend une réaction de ce qui semble être un chat... un très très gros chat. 
L'accès au toit et tout proche, elle sent le rebord de la fenêtre sous son pied gauche. Elle pourrait sauter là, avant qu'il ne s'approche. Il pourrait bondir. 

Quoi qu'il arrive elle est seule, et cette solitude finira par la tuer, au sens propre du terme. Car elle ne sait même pas où trouver de la nourriture. 
Alors si c'est la mort qui l'attend, qu'elle soit rapide!
Et si au contraire un allier se cache derrière ce félin, autant en avoir le cœur net. 

Quitte ou double!