La journée avait si bien commencé. Cette petite balade au bord de l'eau, au clair de lune, au gré du beau.
La phrase ne m'était pas adressée, le mot ne m'était pas destiné, l'avis m'était égal, mais la réplique, elle, me fut fatale.
Il me fait pitié !
L'esprit ne fait qu'un tour, les pas en font un demi, de tour. Le malotru n'en est même pas ému. Il m'exaspère déjà d'être juste comme ça.
Parle, parle donc imbécile ! Crie la cette triste hérésie. Hurle lui à cet homme à terre, qu'il n'est pas ton égal, tout juste un chien, à qui tu pourrais donner pitance. Viens, viens donc un peu plus près et dis-le. Dis lui, qu'il n'est rien à tes cotés, même pas un ami, même pas un ennemi. Un animal blessé que tu devrais achever... C'est vrai, il fait pitié. Tue le alors, tiens, viens, prends donc cette arme et vise. Tire, il sera soulagé sans doute. Et toi, tu y crois ? Ou sont-ce juste des mots. Des lettres accolées les unes aux autres, sans autre arrière pensée que d’émettre un son inutile, qui aurait sans doute du rester inaudible. La voix fut elle plus forte que la pensée, ou juste la retransmission d'un sentiment exacerbé.
Laisse-moi, laisse-nous, éloigne toi, ne te retourne pas. Efface toi, rentre chez toi. Embrasse ta femme, serre tes enfants, et prie. Prie pour que demain ce ne soit pas toi. Demande donc à ton seigneur, qu'on ait pas pitié de toi demain. Et surtout n'oublie pas de lui dire que toi tu l'as eu cette foutue pitié. Faute avouée à demi-pardonnée.
Et maintenant tire toi, car moi je ne pardonne pas. Je n'exige même pas que tu comprennes cela. J'hésite tout au plus, à t'avouer pourquoi. Pourquoi, pourquoi je m'emporte comme ça ? Sans doute parce qu'ils sont tous comme toi.
Ils ne s'arrêtent pas, ils marchent et ignorent. Ils passent leur chemin et détourne le regard. Et puis quelqu'un leur dit "Hé t'as vu ?" Et là ils font comme toi, ils s'arrêtent, ils regardent. Mais de toute façon ils n'ont pas le temps. Pas l'envie non plus. Pas la tête, pas le cœur, pas les sentiments pour ça. Ils n'ont rien pour celui-là.
Et puis de toute façon il est déjà à terre. Peut-être même qu'il est mort. Quelqu'un veut aller voir ? Non, inutile, il disparaitra. Laissez le là. Il s'en ira, avec le temps. On oubliera, ou on s'habituera à le voir là. On s'habituera, jusqu'à ne plus le voir.
Et quelqu'un d'autre s'arrêtera, et prononcera encore cette question. Hé tu l'as vu ? Ce n'est pas une bête de foire, ouvrez la cage, couper ces putains de barreaux. Ce n'est pas un animal. Même s'il a l’œil hagard, la bouche sèche, le regard rêche. Même s'il est mourant, même s'il est blessé. Même s'il n'a plus que son corps, même plus la force de l'esprit.
Regardez le c'est encore un homme. Détestez le c'est votre déchéance. Évitez le, c'est votre peur profonde. Abandonnez le c'est votre médisance. Éloignez le, c'est votre dernière chance...
Votre dernière chance, d'être comme lui, d'être humain, d'être aimant, d'être vivant. D'être, ce que les autres ne sont pas. D'être juste là... Là pour lui ou pour un autre. Vous risqueriez peut-être de sauver une vie...