Les bas-fonds de Novlangue. Ian n'y était pas revenu depuis un an, trop occupé à ses affaire au Mirail 31 et comme à chacune des ses remontées à la surface, il éprouvait un sentiment de retour au foyer. Le quartier qui l'avait vu grandir l'accueillait à chaque fois à bras ouverts, il connaissait la majorité des raccourcis et en particulier ici, aux Minguettes, là où il avait commencé dans le trafic d'alcool. Il avait à de nombreuses reprises courut dans ces rues et emprunté des raccourcis afin d'échapper aux négociations musclées. Tout comme il les avaient arpentés de long et large, afin d'étancher sa soif avec ses amis, se laissant guider par la nuit frénétique des bas-fonds, ses bruits, ses néons clignotants qui à l'aide de l'alcool vous vrille les neurones, ses prostituées et gigolos qui vous hèlent aux détours des rues ou devant les bordels bon marchés. Et le bruit des rires imbibés qui fusaient de toutes parts, créant une symphonie reflétant la misère populaire, d'ailleurs, où était les rires ? Les conversations bruyantes ? Les putes et gigolos ? Et les surtout les lumières ? Loin derrière. Ian courait désormais les rues dans l'obscurité, entièrement martelé par une pluie diluvienne. Qu'est-ce qui avait bien pu se passer ? Aussitôt les nouvelles de coupure générale arrivées en bas et les débuts d'inondations, Ian avait foncé jusqu'à la surface pour essayer de comprendre et surtout, trouver de l'aide et des informations auprès de son plus vieux client.

Chacun de ses pas faisaient éclater des gerbes d'eau contre le pavé, la pluie était démentielle et quelque chose lui disait que cela n'allait pas s'arrêter de sitôt, de plus, les trombes d'eau n'arrangeaient en rien la visibilité déjà catastrophique en sous-sol. Il couru alors de plus belle, effectuant son trajet de mémoire à cause de la pluie et du noir qui lui empêchaient de reconnaître quoique ce soit à cette vitesse. Il se perdit une fois, tournant trop tôt à droite et mit dix minutes à retrouver son chemin. C'était incroyable, lui qui avait passé toute sa vie dans ce quartier, il était rendu à l'état de touriste paumé.

Au bout d'un quart d'heure de course, il finit enfin par arriver à la porte du bar qu'il cherchait. Bien entendu, il était fermé, ils avaient dû mettre tout le monde dehors ou bien ils s'étaient tous réfugiés chez eux au plus vite. Reaver martela la porte.

- Ouvre, c'est moi ! hurla-t-il, Ian !

La porte s'ouvrit au bout d'une minute, il faisait un peu moins sombre à l'intérieur grâce aux bougies qu'ils avaient allumés, mais il eut tout de même du mal à distinguer nettement les choses. En passant l'embrasure de la porte, il reconnu la serveuse dont il oubliait toujours le nom et la salua avec un clin malicieux :

- Merci beauté ! lui dit-til.

Il secoua ses bras et sa tête, espérant évacuer un minimum d'eau de ses vêtements et cheveux, et s'adressa à son client, à moitié-irrité et consterné.

- Nom de dieu ! Mais c'est quoi ce bordel ? s'exclama-t-il. Dis-moi que tu as plus d'infos je t'en prie, c'est carrément flippant comme scénario là dehors. On dirait un remake du déluge !

L'éclairage à la bougie, c'est joli.
Mais c'est aussi très pratique pour ne pas être vu.
Surtout quand on est tout petit, tout noir, avec des poils et des petits yeux vicieux qui vous mate en dessous du comptoir.

Qu'est-ce qu'elle fout là, la bestiole ?
Elle renifle les pieds du monsieur.

Mais qu'est-ce qu'elle fout ici et là bas ?
Alors ça je ne sais pas. Ou bien je le sais mais je ne dirais rien. Si on vous dit tout tout de suite, c'est pas marrant.
Peut-être que ce n'est pas la même mais sa cousine. Vous pensez qu'il y en a beaucoup de ces saloperies qui trainent dans la ville ?

En attendant, la sale bête semble intéressée par ce pied. Et par l'odeur alléchée, elle saisi un lacé et commence à le mâcher.

Alors qu'Ian écoutait attentivement le patron du bar lui expliquant que la coupure avait été soudaine et que personne ne pouvait dire d'où elle venait, ni combien de temps elle allait durer ; il essayait d'accoutumer ses yeux à la lumière restreinte régnant dans la pièce. Il arrivait à peine à voir les affiches de publicité pour les diverses boissons servies, quant à lire ce qu'il y avait écrit dessus, c'était tout simplement impossible sans en approcher. Sa préférée était celle avec un bâtonnet glacé fait de bière, sur fond vert, cette affiche était vieille et jaunie par le temps, reliquat d'une marque éteinte dont l'emblème était apparemment une étoile rouge.

Peut-être un jour verrait-il pareil publicité à son nom, une fois le gouvernement mis à terre et la liberté retrouvée.

Mais l'heure n'était pas aux chimères, la mégalopole toute entière était privée de courant et le ciel avait apparemment décidé de les noyer. Il essaya de trouver quoi faire pendant que son interlocuteur finissait son discours sur la situation.

- ... et il y a un truc noir qui bouffe ton lacet ! cria soudainement le patron du bar, coupant net sa phrase.

Ian sursauta à ce cri et regarda à ses pieds. Il distinguait mal la forme qui était au sol, mais effectivement, on essayait de mâcher son lacet.

- Hop ! Hop ! Hop ! L'ami !!!! tonna-t-il calmement pour ne pas agiter la créature. Qu'est-ce que tu fous ??? Ce lacet ne t'a rien fait !

Spoiler:

Pris en flagrant délit de sabotage de chaussure, la bestiole sursaute.
Ces yeux rouges brillant fixe un instant l'homme qui lui parle.
Puis elle recule en tirant sur le lacet qu'elle n'a pas l'intention de laisser malgré qu'on la gronde.

Elle rentre sous le comptoir, grognant et tirant aussi fort qu'elle le peut.
Elle secoue violemment la tête pour étourdir sa proie.
Ah là, il fait pas le fière, le lacet ! J'aimerais pas être à sa place.

Elle remue tellement qu'elle entraine le pied sous le comptoir.
Heureusement pour la personne à qui appartient la chaussure, ce petit animal n'a pas assez de force pour emmener la personne en entier, sinon ce serait déjà fait. Mais c'est pas une espèce de gros rat, aussi affamée qu'elle soit, qui va terrasser un homme et le trainer dans son garde manger.
Par contre, on ne voit pas bien ce qu'elle fait là dessus. Espérons que l'enragée n'en ait qu'après le lacet.

Bien qu'il eut élevé le ton et que la créature se soit réfugié sous le comptoir, elle refusait de lâcher le lacet, entraînant le pied d'Ian par la même occasion.

- Saloperie de bestiole, mais tu vas me lâcher oui ! Tonna-t-il.

La créature grognait, tapis dans l'ombre, menaçant quiconque essayerait de lui ôter son trophée. Ian allait devoir l'aborder d'une autre manière, il chercha tant bien que mal quelque chose pour occuper son assaillant tout en essayant de garder l'équilibre, le pied toujours bloqué par les crocs de l'invité surprise.
Il réussit toutefois à attraper un bol de crouton de pain qui traînait prés d'un cendrier, seul luxe que l'on pouvait se contenter de grignoter en sirotant son verre dans les bas-fonds.

S'agenouillant docilement, il posa sans geste brusque le bol en face de l'animal belliqueux et attendit de voir si cela allait le faire changer d'avis quant à son repas.

- Regarde, ça c'est déjà plus comestible, lui dit-il.

Ça coupe bien des petites dents comme ça.
A force de tirer et de ronger, la bestiole fini par sectionner le lacet au raz de la chaussure.

Mais voyant qu'on apporte autre chose à boulotter, cet abrutit se grouille d'avaler la lacet comme un spaghetti avant de se jeter sur les croutons.

Le pied du monsieur est libre et la bête est occupée. Mais pour combien de temps ?

On l'entends qui mâche et qui baffre bruyamment. Comme une si petite chose arrive à faire autant de bruit en mangeant ?
Et encore, elle n'a mastiqué que les premiers. Les derniers, elle les gobe tout entiers.

Une fois qu'elle a fini, elle attaque le bol, un peu dure à mâcher. Ses dents glissent et grincent sur la surface lisse. Le récipient lui résiste. Elle s'obstine et sévis, un vrai supplice pour oreilles sensibles, à croire que la sale bestiole aux dents de scie est sourde.