Contemplation

Assise au bord de l'eau, Lena observe.

Ce n'est pas vraiment de l'eau, c'est un gros charrier de couleur incertaine, mélange de boue et de produits chimiques qui se déversent depuis le port. Mais tout ça, elle ne le sait pas. Tout ce qu'elle voit, c'est qu'ici même l'eau est sale.

Elle se sent bien. Il fait un peu moite, mais ça ne la dérange pas. Elle a pu manger, elle est satisfaite. Elle ne sait pas que quelque part en ville, Sara est présente et la cherche. Lena a presque oublié qu'elle vient de la forêt, et qu'elle devrait y retourner bientot. Calmement assise au bord de l'eau, elle attend.

Derrière elle, les gens s'activent, la vie se déroule. Derrière elle, il y a tous ces stands, ces boutiques crasseuses, ces misérables troquets qui tentent tant bien que mal d'attirer de la clientèle en proposant des choses plus ou moins interdites. Derrière elle, il y a tous ces gens gris, qui passent et ne la remarquent pas. Pourquoi ils la remarqueraient? Ils ont bien assez à faire de leurs propres problèmes. Survivre avec une paye de misère. Pourquoi ils devraient remarquer ceux qui les entourent? Tous seuls dans leur monde de merde, c'est aussi bien.

Mais Lena ne pense pas à ça.

A quoi elle pense?

Et si on lui demandait?

Elle ne l'a pas vu tout de suite. Plongée dans ses pensées, elle regardait au loin, ses yeux le traversant sans le voir. Elle ne réagit que quand il s'assit près d'elle.
Clignement surpris.
Qui était-ce?
Elle ne l'avait pas vu venir.

D'habitude, les parents préviennent leurs enfants qu'ils ne doivent pas se laisser aborder par des inconnus, ni leur parler. Mais Lena, on ne lui a pas appris ça. Sinon, nul doute qu'elle serait partie, doucement, sans faire de bruit avec ses petites chaussures offertes par un membre de sa famille. Elle serait partie, sans dire un mot, sans qu'il s'en aperçoive. Mais ça, ce qu'on dit sur les inconnus, elle ne le sait pas.

Alors au lieu de se lever en silence, elle pose son regard grave sur lui, et l'observe.
Un homme. Adulte. Cheveux longs. A cause de ça, elle ne voit pas ses yeux. Mais ses épaules sont basses, très basses. Il respire la fatigue, le dépit.

Lena se sent triste pour lui. Cette ville est un monstre qui corrompt et pourri le coeur des hommes. Même si elle n'a pas les mots pour le décrire, elle le comprend.

Mais que peut elle faire pour lui? Rien, il est adulte, les adultes ça sait s'occuper d'eux tout seuls non? D'une certaine façon, c'est même pour ça qu'elle ne veut pas être adulte. Etre adulte, c'est être seul.

Monsieur, tu es triste? Pourquoi tu pars pas d'ici?

Encore un qui lui demande où sont ses parents.

C'est si important des parents? J'en ai pas. Mais j'ai une famille, c'est aussi bien.

Pour l'heure, cette question l'ennuyait. Tous ceux qu'elle avait rencontré ici lui en parlaient, de ces parents. Bien sur, elle savait ce que c'était. Mais elle ne savait pas que c'était si important ici. A la réflexion, c'est Sara qui lui en avait parlé, des parents. Qui lui avait expliqué qu'elle n'était pas sa mère, mais que ceux qu'elle aimait pouvaient devenir sa famille malgré tout. Ni Sara ni Lena n'étaient nées dans la forêt. C'est pour ça qu'elles devaient avoir des parents? Seuls ceux de la ville en ont? Dans ce cas, Lena n'est pas mécontente de ne pas avoir de parents.

Sara... Ce n'est que maintenant que le nom refit surface en elle. En effet, elle devait s'inquiéter à présent. Lena ne l'avait pas prévenue quand elle était partie, elle ne pensait pas rester si longtemps ici.

Sara...

En fait, je me suis perdue.

Pourquoi le dire à voix haute? Comme si cet homme de la ville pouvait l'aider. La dame précédente l'avait bien fait, elle. Mais parce que c'était son terrain, la ville. Comment cet homme pourrait lui indiquer le chemin pour repartir? Et pourquoi pas? S'il ne savait pas, tant pis, elle n'aurait qu'à repartir.