Le trafic était fluide ce soir là, les véhicules glissaient dans le ciel, sous les lumière des centaines de tours luxueuses que constituaient le quartier des Automates. La nuit venait de tomber et les gens affluaient sur les passerelles des bâtiments, chacun voulant sa part de la soirée.

Mais dans cette partie du quartier, le calme régnait, en contraste avec le reste. Ici aucune personne en recherche d'état d'ébriété avancé, de taux record de cocaine, ou encore d'une passe vite fait dans les toilettes d'un club branché, la poudre au nez et le verre à la main. Ici que des gens ayant sortis leur plus beau costume et leur plus belle robe, des personnes avec encore des bonnes manières, de la culture et le sens de l'esprit.
Mason les regardait aller et venir, ces messieurs prêtant aimablement leur bras à leur dame et les couples d'amis qui sortaient ensemble et riaient à coeur joie, sans oublier les groupes aléatoires qui faisaient parti de l'ensemble de toute bonne soirée.

Phil se sentait bien dans cette zone, elle lui donnait l'impression d'une bulle intemporelle qu'il retrouverait où qu'il aille. Après tout, il avait bien parcouru cent ans, pourquoi pas plus un de ces jours ?
Lui même collait parfaitement au paysage, fraîchement rasé dans son smoking neuf et dégustant tranquillement un scotch hors de prix au bar de l'opéra.
Quelques personnes l'avaient salués au passage, mais assez peu pour le laisser tranquille. Lui qui était tout nouveau dans cette société, il savourait chaque minute d'anonymat pendant qu'il en était encore temps.
Il allait bientôt redevenir le maître incontesté des nuits de cette ville, et cela commençait ce soir.

Depuis son arrivée, Phil n'avait de cesse de se renseigner et de préparer le terrain afin de reprendre les rennes des Entreprises Mason. Chaque rencontre qu'il faisait, chaque main qu'il serrait donnait suite à une investigation afin de savoir qui pourrait l'aider.
Il avait créé un empire glorieux, rayonnant à chaque heure du jour et de la nuit, et voila que des parasites avaient décidés de s'en accaparer les bénéfices et d'en faire ce qu'ils voulaient ? Jamais de son vivant il ne le permettrait. Il en était l'unique créateur et en serait l'unique dirigeant.

Il regarda sa montre, la voiture qui était passé prendre son invité n'allait pas tarder.

Quand j’ai répondu à son invitation, je lui ai dit que je ne voulais pas d’un de ces véhicules volants. Je me sens plus en confiance les pieds sur terre. Surement cette angoisse de mon débarquement de la faille qui est encore présente.

Je n’ai pas eu à attendre. A l’heure prévue, la limousine est arrivée. J’ai abandonné le contrôle du chantier de ViruaLife, pour me rendre à cette soirée où Phil Mason m’a conviée. Je n’aurai pas à lui dire que je ne suis pas à son service, même s’il finance mon projet. Il le sait, il commence à me connaître maintenant. Et de toute façon, un peu vie sociale ne me fera pas de mal. Car depuis plusieurs semaines, hormis les ouvriers et maitres d’œuvre, fournisseurs de matériel et matériaux, je ne vois pas grand monde. C’est donc avec plaisir que je suis montée dans la limousine.

Un premier arrêt à mes appartements. Je dois remplacer la poussière par du maquillage, les odeurs de chantiers par des effluves plus enivrantes. Cette étape n’est qu’un détail pour moi. Lorsque j’étais une Valkyrie de terrain, je savais me transformer au gré du client en quelques minutes, entre chaque séance. De plus, ce soir, la question de la tenue ne se pose pas. Car sur le siège de la voiture, une boite enrubannée contenait robe et chaussures. Et je dois reconnaître qu’il n’a pas mauvais gout. Une robe noire, longue et sobre, pour attaquer nos proies de face. Et un large dos nu découvrant ma chute de reins pour porter l’estocade lorsque je tournerai les talons. Il ne me reste plus qu’à le rejoindre.

Ce chauffeur est parfait. Il a rattrapé la plupart du retard que j’ai pris lors de ma préparation. Et tout ceci sans que je me sente trimballée comme de la marchandise à l’arrière d’un camion de livraison. Il faudra que je me renseigne sur lui, je pourrais avoir besoin de ses services à l’avenir, lors VirtuaLife aura ouvert ses portes.

La voiture s’arrête, la porte s’ouvre. Je ne connaissais pas notre destination. Même si ce n’était pas un secret, ce genre de détail m’était égal. Il faut le reconnaître, la vue de l’Opéra, malgré le pincement au cœur, me ravit.

C’est donc ici qu’il m’attend. Bon choix.

J’esquisse un sourire, et après avoir remercié mon chauffeur et salué le portier, j’entre dans l’arène. Je sais où me diriger. Je sais où le trouver. Nous sommes si différents, et pourtant si semblables. Je ne me suis pas trompée. Sans avoir à le chercher, je me dirige droit vers lui. Occupé à scruter la clientèle de la zone de détente de l’Opéra. Je suis déjà près de lui. Mes réflexes de Valkyrie étant encrés en moi, je ne peux empêcher mon épaule de l’effleurer, même si nous nous tournons le dos, comme je l’aurais fait pour appâter un client. Quand il se tournera, il aura vue sur ce que la majorité des hommes de la salle convoitent, et la totalité des femmes jalousent.

Un verre de vin je vous prie.

Fin de l’hameçonnage. Après l’effleurement de l’épaule, c’est ma voie sensuelle qui finit le travail. Je n’ai décidemment pas perdu la main. Même si cette fois, la manœuvre était inutile, cela reste un jeu grisant, surtout lorsqu’on ne cherche pas de client.

Phil, cher ami, vous êtes superbe. Très élégant.

Un peu de flatterie, certes. Mais sincère. Son smoking est parfaitement taillé. Si mes mains sont allées instinctivement vers son col, pour le remettre en place, tous les détails s’accordent parfaitement. Et si la soirée finie dans la débauche, s’il dégrafe quelques boutons de sa chemise, la tenue restera parfaite.

J’ai fini par l'admettre. Malgré nos débuts difficiles et nos différences, il commence à devenir un ami.

Le verre à la main, le regard perdu dans le vague, Phil senti comme un courant d'air derrière lui. Une sensation étrange, une vision fantôme dans le coin de l'oeil, puis un frisson qui remonte rapidement le long de la colonne vertébrale afin de venir électriser le bas de la nuque. Il posa son verre et roula des épaules pour faire partir cette sensation impromptue. Puis une voix, douce et ferme à la fois, une requête que l'on ne peut refuser, la manière de faire des Valkyries.

Il esquissa un sourire tandis qu'elle apparaissait enfin devant lui.

- Phil, cher ami, vous êtes superbe. Très élégant, déclara-t-elle en arrangeant son col.
- Bonsoir Santy, comment allez-vous ? demanda-t-il alors que le serveur apportait le verre de son invitée. Je vois que la robe vous va, j'ai eu un doute à un moment.

Il sorti son paquet de cigarette, en attrapa une et pencha la tête afin de mieux admirer la tenue. Santy était resplendissante, une parfaite créature ensorceleuse, sirène urbaine de Novlangue City.
Phil était toutefois ravi de la culture et de l'amour pour les arts anciens dont elle faisait preuve. Il se faisait de plus en plus rare de pouvoir partager une soirée à philosopher correctement ou à tout simplement savourer la douce mélodie d'un orchestre philharmonique. Elle faisait partie de ces gens là et avait apparemment fait de ce domaine sa spécialité lorsqu'elle était encore sur le terrain. Mason se demandait sans cesse à quoi pouvait ressembler ses séances, comment abordait-elle ces sujets ?

Il leva son verre et trinqua.

- Alors dites moi, les travaux avancent correctement ou est-ce qu'il va falloir les secouer un bon coup? Je n'ai pas eu le temps de m'y rendre récemment mais comme tout est entre de bonnes mains.

Il bu une gorgée, grimaça légèrement lorsqu'elle passa en brulant tout sur son passage et se bascula en arrière.

- Oh et puis non ! s'exclama-t-il. Ne parlons boulot pas ce soir ! Est-ce que l'endroit vous plait d'ailleurs ? Il me semble que vous aimez ça mais je me suis peut être trompé.