Les Coursives sont vides, désertées par les croisiéristes qui doivent visiter leurs cabines, siroter des cocktails, faire connaissance...

Et moi je suis là à marcher seule... Alors je m'arrête et me penche sur le bastingage. Je regarde l'eau... Mon chapeau résiste tant bien que mal à l'air du large qui fouette mon visage... L'air frais me fait du bien... Les claques d'air iodé me raffraichissent les idées.

Déjà je respire mieux... Je me sens mieux... Alors j'enlève mon chapeau et le laisse tomber par dessus bord. Je le regarde rebondir sur les remous fait par le paquebot et s'éloigner de plus en plus de moi...

Fini ma vie... Fini mon monde... J'ai deux semaine à vivre dans une autre vie... Le vrai monde à ce qu'on dit... On verra bien...

Le vent se fait plus violent... L'air plus frais... Les vagues plus hautes... Les nuages s'amoncellent au larges... Moins floconeux... Plus menaçants... Le Capitaine le dit dans son annonce, ça se gâte pour la soirée. Fini la bronzette pour les bimbos là-haut. Et celles qui sont pas dans l'eau vont se faire rincer quand même.

Moi, je vais eviter. Pas trop envie d'être mouillée. Je vais plutôt suivre les conseils du capitaine et aller me mettre en tenue pour la soirée. Costumée il a dit... Avec loup et déguisement ou juste les hommes en costumes et femmes en robes de soirées? C'était pas bien clair dans son annonce... On va donc faire un mélange des deux? Robe du soir avec un loup? Oui, ça devrait aller...

Ils ont mis un dressing à disposition mais... Pas trop envie de porter des vêtements que d'autres ont déjà pu porter, alors là sûrement pas. Du coup, direction ma cabine histoire de me changer et ensuite on verra ce que donne leur salon "Orchestra".

(Arrivant de l'Orchestra)

Hé, je travaille proprement, si j’avais buté quelqu’un, même toi, tu le saurais pas !
J’ai pas fait de descente non plus, qu’est-ce que tu vas imaginer. On est dans le même bain non ?

Je reprends les choses en mains parce que là, j’ai l’air d’une petite fiote à me faire trainer comme ça. Je suis Italien non ? Alors, je suis macho, mais un peu. En même temps, j’ai plus grand-chose à faire, Vicky a plus de courage que je le pensais. On est pas loin de la porte, il y a plus qu’à suivre le mouvement et les lumières de la nuit dehors.

Je prends sa main, et cette fois, c’est moi qui conduis. Arme en main, parce que je sais pas ce qui se passe ici, et le premier qui approche, je le bute !!

Comme ça, on est arrivés presque sur le pont, la porte s'est ouverte. Et là, on a croisé un type et une femme qui le suit. Elle, je l’ai reconnu. C’est celle qui avait un grand chapeau. Je sais même pas son prénom.
Ils nous ont presque bousculés. Attention, je suis pas de bonne humeur. Faut pas bousculer un homme armé putain.
C’est là que la lumière est revenue.
Là que j’ai vu le regard de Vicky, et les deux là, au milieu de la porte.

Alors, je leur ai dit :

Hé, qu'est-ce qui se passe ici ?
Et vous allez où comme ça ?
Et puis, j'y comprends rien, et ça m'enerve !

Et... Pourquoi vous avez pas de sang sur vous ??? C'est qui le mort, c'est qui qui a foutu tout ce bordel ? C'est vous ?

Alors, j'ai plaqué le canon de mon flingue sur le front du type.

Si tu bouges, je te fais un trou, d'accord ?

Et sans regarder le parasol qui lui tient la main, j'ajoute :

Et si elle fait un geste, le tarif, c'est le même.

Ensuite, je l'ai fait reculer à travers la porte jusqu'à la rambarde. Avec le canon d'un flingue sur le front, c'est pas difficile.

Maintenant, tu me racontes tout, ok ?

Vicky, tu surveilles les arrieres, d'accord ? J'ai pas de mur là, ça me rassure pas.

La porte se ré-ouvre, le raie lumineux du portable l'accompagne et je vois la silhouette du salut se découper dans l’entrebâillement de la porte pour venir à mon secours.

Sauvée... Je suis sauvée... L'autre fou est loin derrière et avec ce noir et ce sang il aura du mal à nous suivre...

On peut prendre de l'avance... Un canot... Et partir... Fuir... Loin d'ici... Et vivre... Oh oui, vivre... J'en ai des larmes de joie et de soulagement qui coulent tellement la vue de cette porte ouverte et de cette main tendue annonce un réel avenir... Alors je prend sa main et nous sortons... Mais ça se bouscule un peu au portillon quand même... Je ne sais pas qui c'est, mais je m'en fiche, je veux juste sortir d'ici et vite, et si pour ça il faut jouer des coudes, je le ferais...

Soudain la lumière revient... Le temps d'un coup d'oeil en arrière pour voir l'horreur de la pièce que nous venons de quitter... Un aperçu de l'enfer avant de s'en éloigner le plus vite possible... Rien... Plus rien... Ou alors c'est un impression... La porte s'est refermée si vite... Une illusion d'optique...

Et Vicky et Lucky... Enfin surtout l'arme que Lucky a dans sa main et qu'il pointe sur le front de mon sauveur... Il s'énerve mais pourquoi... Il pose des questions qui n'ont ni queue ni tête...

Où on va? Mais on se casse d'ici comme vous... Si vous voulez rester allez y mais nous le cinglé à l'intérieur qui veut buter tout le monde c'est sans nous...

Et tout d'un coup une de ses questions fait tilt... Le sang... Tout ce sang... Il n'y a plus rien... Mes vêtements sont déchirés mais secs... Plus personne n'a de sang sur lui... Sauf mon sauveur qui semble méchamment blessé à la cuisse... Mais plus rien de cette pluie de sang qui s'est abattue sur nous... Et pourtant j'en ai encore le goût dans la bouche, l'odeur dans la gorge et la sensation sur la peau... Ça aussi c'était un illusion... Non... On ne peut pas s'imaginer ce genre de truc... Surtout si... Si les autres aussi l'ont vu... Et puis ça a bien éteint l'incendie... On l'a pas inventé ça aussi...

P... Plus... Plus personne n'a de sang sur lui... Il n'y a plus de sang nulle part...

Alors là je flippe... Et pas que à cause de Lucky qui nous menace de mort... Y'a un truc pas net sur ce bateau... Pas que le fou qui est encore à l'intérieur... Non... Quelque chose de plus mauvais... Quelque chose de plus insidieux...

Il faut partir d'ici... Quitter le bateau... Il est maudit...

Cretino, si y en a un qui doit avoir mal, c’est rarement celui qui se tient derrière le flingue.
Hé, chacun voit midi à sa porte, non ?

Je regarde sa jambe, et je me dis que je pourrais lui enlever ce petit morceau de rien du tout, comme ça d’un coup sec. Gino, il ferait ça mieux que moi. Guiseppe, lui, il lui aurait foutu une baffe, rien que pour m’avoir parlé comme a une merda.

Can ringhioso e non forzoso, guai alla sua pelle.

Je retire le flingue et je le remballe sous la veste. Mais lui, je l’aime pas. Je le laisse s’en aller parce qu’il ferait pas peur à ma sœur. Mais, je l’aime pas.

Va…

Je lui tiens la porte. Hé, je suis bien élevé. Faut pas se fier aux origines.

J’ai pouffé de rire, quand l’autre là, elle lui a dit « Nath, votre jambe » et gnagnagna. Oh, ça va bien, depuis quand on meurt d’une écharde ?
C’est quoi ce bateau de fiotes ? C’est des spécimens pour une exposition non ?

Alors, comme ça, je l’ai un peu accompagné en faisant celui à qui on va lui amputer la jambe. En boitant quoi.
Faut savoir garder le sens de l’humour non ?

Mais quand même, j’ai salué du coin de l’œil celle qui avait un grand chapeau.

Ensuite, je me suis retourné pour m’occuper de Vicky. Je l’ai emmené jusqu’à un banc, et je les faire s’asseoir un moment. Le temps de réfléchir à ce qui s’est passé.


La suite ici

Mon sauveur, Nath?, c'est comme ça que l'autre fille l'appelle... Il demande de se calmer... Et je suis sûre que ça s'adresse pas que à Lucky... Pourtant je suis sûre que vu les circonstances je pourrais pas être beaucoup plus calme... Le flingue de Lucky ne me fait pas peur... En fait je suis même sûre qu'on ne craint rien... Ça se voit dans ses yeux... Il a l'étincelle qui dit qu'il est capable de tuer quelqu'un de sang froid, mais y'a aussi cette lueur de bonté qui dit qu'il nous fera pas de mal, qu'on est pas son genre de cible et qu'il a juste peur... Comme tout le monde en fait...

D'ailleurs il range son arme pour nous laisser et rentrer au sec... Mais... Même si c'est la chose à faire, je le sais, le capitaine l'a dit, l'équipage soignera ceux qui en ont besoin... J'ai un légère réticence à retourner à l’intérieur... Je m'arrête une demi seconde sur le palier de la porte... Il faut passer par ce qui fût notre enfer avant de rejoindre le petit salon... Et j'avoue que je flippe... Peur que tout s'éteigne encore... Peur que le fou revienne... Peur d'être de nouveau secouée comme un ballon de baudruche... Peur d'une nouvelle pluie de sang... Peur de l'entendre à nouveau... Ce petit rire et ces bruits de pas...

Tandis que je marque mon hésitation, je sers un peu plus fort la main de Nath... Le temps de trouver le courage... Lucky en profite pour passer devant avec Vicky... Elle n'a pas l'air en forme la pauvre... Lucky me salue d'un regard en passant... Il prendra bien soin de Vicky, je le sais... Elle en a besoin... Alors, sans relâcher mon étreinte sur la main de Nath, je recommence à avancer normalement... On traverse l'enfer assez rapidement, mais pas encore assez pour que je ne vois pas le cadavre d'un homme battu à mort au fond... La victime du cinglé... Et... Le cinglé... Ça ne peut être que lui... Il est couvert de sang mais n'a pas l'air blessé... C'est lui le monstre ! Et il est avec des enfants... Oh mon dieu, les pauvres... Non, pas eux, pas des enfants...

Mais pourtant je ne fais rien... Je ne réagis pas... Je continue de suivre Nath et son amie... Je ne fais même pas un geste... Pas un mouvement pour leur porter secours... Trop peur de ce cinglé... Trop peur de la bête qui est en lui... Trop lâche pour réagir...

Seigneur j'ai honte...

Direction Le Petit Salon