Sur les traces de la tomate impétueuse

Lester s'était donc rendu avec son nouveau collègue à Wall Street après avoir mangé au Cozumel. En ce dimanche plutôt agréable à Novlangue (pollution minimale, trafic presque fluide, bruit presque pas assourdissant sous la cloche à fromage qui servait de plafond à la ville tentaculaire) les deux hommes avaient fort à faire, puisqu'ils enquêtaient sur un des nombreux scélérats qui pourrissaient la vie de Mason. En l’occurrence, Lester et Henry se devaient de mettre un terme à la vie de ce maudit cafard, qu'importe le moyen.

Les semelles des rangers de Lester couinaient sur le bitume synthétique. Par mesure de sécurité, ils s'étaient garés plus loin que l'immense immeuble des entreprises Mason, du moins leurs bureaux.
- Et dire que Phil habite tout en haut. Vous les automates vous ne pouvez vraiment pas vous décrocher de votre travail !
Il l'avait dit en riant, bien évidemment. Il aurait été plutôt stupide de manquer de politesse à l'encontre de ses employeurs, car il ne doutait pas qu'Henry se ferait une joie de transmettre à son patron le moindre de ses faits et gestes.

Finalement, Lester se demandait si avoir changé de travail sur un coup de tête était une bonne idée. Pas qu'il regrettait encore, juste qu'il avait peur tout à coup. Serait-il à la hauteur ? Franchement, s'il y a avait bien un mentaliste à ne pas engager, cela aurait été lui, et pourtant... De plus, sa petite routine lui manquait déjà. Il était vieux, 127 ans au compteur, il ne fallait pas l'oublier. Et à cet âge, ce n'était pas sain de changer de vie...

Évidemment, Henry avait les clefs des locaux, du moins les locaux qui employaient des orthodoxes. Les grands bureaux de ces Mônsieurs et Mêsdames du conseil étaient verrouillés informatiquement, et pas avec du matos de petit insurgé de chez Winston Smith Station ! Il allait falloir rusé.
- On doit entrer ? Moi je suis d'accord ma foi, mais est-ce que tu as un plan, un mot de passe, ou que sais-je ! Je t'ai dit que je n'étais plus capable de rien avec ce genre de machine...
Lester penche un peu la tête et fait une moue étrange. Il a l'air niais ainsi, ou alors drogué. Mais il n'a pas pris de dose depuis un certain temps. Deux jours peut-être.

Une éternité.

Spoiler:

Henry sourit à la remarque de Lester. Il marquait un demi point, les automates étaient tous très attachés à leur bien, la propriété, était peut être le dernier droit inaliénable de l'Europe Nouvelle, et encore, à condition que vous fassiez partit du haut de la pyramide.

- Phil tient énormément à son empire, répondit-il en riant tandis qu'ils entraient par l'entrée de service. Mais ça ne l'obsède pas à ce point non plus. C'est surtout par commodité qu'il vit là haut, il est d'ailleurs entrain de se faire construire un appartement, aussi pharaonique que son égo.

Ils prirent un ascenseur réservé au personnel et montèrent jusqu'aux bureaux du conseil d'administration. Lester commençait apparemment à être tendu, il s'inquiétait sur la manière de procéder, se justifiant encore de n'avoir presque aucune compétence.

- Un plan ? répéta-t-il. Pas encore, mais on va bien trouver quelque chose là haut, pour le moment on fouille ce qu'on peut fouiller. Et pour passer les portes sécurisées, ne t'en fais, le boss a acheté un petit bijou de piratage au marché noir.

Il sortit un pad pas plus grand qu'un téléphone portable du dernier siècle de sa veste et le tendit au mentaliste.

- Entre tes connaissances en informatique, certes un peu dépassées, et mon savoir sur ce monde on devrait s'en sortir. Sinon, s'il n'est pas content, Phil n'a qu'à payer quelqu'un.

Il sourit à cette dernière remarque, il ne fallait pas que Lester aille s'imaginer qu'il dépréciait ou critiquait son patron.

- Mon boulot c'est la gestion et le management, conclut-il avec un clin d'oeil. Et je suis sacrément bon.

Les portes s'ouvrirent et ils se dirigèrent vers l'aile ouest, là où les bureaux du conseil se trouvaient. Henry adorait visiter les immeubles vides. Il avait l'impression d'en être le seul maitre et de pouvoir faire ce qu'il voulait, du café à volonté, cigarette au bec et musique à un volume indécent, aux photocopies scabreuses qui tentent tout le monde un jour où l'autre.

Mais pas de cigarettes aujourd'hui, on sentirait peut être l'odeur le lendemain, et quant à la musique, hors de question, ils se feraient repérés. Il ne restait plus qu'à se faire le plus silencieux possible, même si normalement ils ne risquaient rien, de plus, Henry étant le bras droit du président, on ne s'interrogerait pas sur sa présence.