Herta, mefiez-vous des choses simples !

J'étais là, assis dans le froid, dehors comme un con dans mon gros pull marine, devant une vieille usine où y avait même pas d'piscine.
J'avais décidé de me faire griller des knacky sur un baton au dessus d'un feu, pour profiter du ciel du Dôme en pleine nuit.
L'esprit d'aventure, faut croire, ou encore une erreur de parcours...
J'étais rentré dans l'amas de pierres abandonnées par une taule bien défoncée. J'avais allumé au chalumeau (j'avais prévu le coup et le sac qu'i' faut) des vieux journaux dans un vieux squat.
J'entendais hurler "au loup, ahou ahou" les SDF torchés aux environs. Mais j'étais là, entouré par la cloison de bois pourrie, en sécurité. Ma Knack en main, mi moisie, mi carbonisé. Un moment de nostalgie sous le soleil de minuit !

Et soudain... Un bruit !
Puis un grand "CRAACC BOUM... (huuu?)". Faut croire qu'encore un débile avait fait s’effondrer l'un des planchers.
Le rustique, y pas a dire, ça a son charme, tant qu'on l'épargne des termites...
Ou alors c'était un truc plus louche, mais j'avais pas envie d'flipper .... et puis j'étais armé...
Comme j'avais la flemme je mordis dans ma barbac' défaite et j'attendis de voir...

J'errais aux environs de Novlangue sans vraiment savoir où aller. A vrai dire, j'essayais d'organiser mes pensées. De faire table rase, ou plutôt, table propre, et de restructurer mon affaire qui dure depuis trop longtemps. Des années d'absence, et l'assassin revenu. Ici. C'était forcément pour ess-

Le plancher céda sous mon poids et je fis une chute qui m'envoya dans des monticules de poussière. Des morceaux de bois tombaient encore d'en haut, en même temps que quelques petits gravats pas vraiment dangereux. Je relevai la tête, et je remarquai une présence. Un homme, ou plutôt un demi-homme. Non, un homme tout compte fait. Un homme à oeil cybernétique peut-il être considéré comme un être humain ? Oui, c'était un homme. Ou un homme-cyborg. Non, il avait encore ses facultés d'être humain, après tout. Enfin, non, pas si sûr, je ne l'ai pas encore entendu parler. Un homme ou pas ? Un humain ? Ah, Zach, je ne sais pas ! Et si je contrôlais son identité ? Non, pas ici, ça pourrait vite tourner au vinaigre. Non, n'allons pas chercher compliqué. Pourquoi pas commencer par un simple...

"Bonsoir...!"

Je me tenais debout devant l'inconnu qui ingurgitait sa nourriture encore plus rapidement qu'un prisonnier. Mes nerfs étaient en coton ces temps-ci, j'étais donc prêt à faire usage de mes armes de service en cas de pépin. Mais, malgré son apparence, il a pas l'air bien méchant. Enfin, je crois. T'en dis quoi, Zach ?

Ça y est...
Après le bruit titanesque qui avait retenti, le soulèvement de poussière, voilà qu'était sorti du nuage gris un espèce de pingouin en costard-cravate.
Il avait traversé le monceau de bordel soulevé par sa chute sans ciller. Une démarche droite et tendue sur les talons, genre cul-serré.
Il s'était approché de moi pour me lancer un :
"Bonsoir... !" un peu à côté de la plaque.
Je l'aurais vu débarquer avec une serviette sur le bras : "La maison vous recommande son homard sur sauté de petits oignons aux lentilles accompagné d'un chablis 2121.". ça m'aurait presque fait le même effet.

Seulement voilà, à la mine du coco, je sentais bien qu'il aurait mal pris que je lui file ma commande. Ça avait pas l'air d'être un roi d'la déconn'. Preuve que j'allais bientôt avoir des emmerdes n°1. Le truc, c'est qu'en ce moment, je devais pas mal de blés à des gens pas drôles, qui eu même payaient parfois des fortunes des gens encore moins drôles pour avoir la tête de mecs drôles dans leur salon à défaut de récupérer leur blé.... J'avoue : c'était pas que pour camper sous la lune que ce soir j'avais décidé de ne pas passer la nuit chez moi.

Voyant que j'étais lent à répondre, il a épousseté son épaule, un geste ferme et maitrisé, preuve qu'il était moins à côté de la plaque que j'aurais cru. Preuve que j'allais bientôt avoir des emmerdes n°2.

Il restait toujours l'option free fight : balancer mes grosses groles de docker dans le chauffoir à barbac, lui soulever un peu du kérogène en combustion dans la gueule et tailler la route. Mais ça m'obligeait à braquer une roue de mob et un canif pour me refaire la semelle. J'essayais donc en priorité la solution" diplomatique".

"Shalom'alikoum, bro' , t'approche pas trop, j'ai des puces !
Si tu cherches le gîte hésite pas, passe à la réception, je crois qu'il leur reste des piaules. Pour le couvert, désolé, chuis en rade de knacky, mais je crois qu'y a des chats qui trainent ! "
J'avais tenté parfois le coup du sdf quand je voulais pas trop être emmerdé. La plupart du temps ça marchait bien... sauf contre les mecs en costard qui étaient payés quelques sacs pour te décapiter...

Zach, ce type me rappelle étrangement quelque chose. Tout d'abord, il s'exprime comme un ivrogne. De plus, il lui manque trois doigts. Et surtout, il a un œil cybernétique. Serait-il un genre de... Chasseur de primes ? Non, je ne crois pas. Je ne sais pas vraiment. Peut-être trempe-t-il avec le marché illégal asiatique, d'où ces doigts coupés. Quoique... En tout les cas, on ne croise pas un personnage aussi atypique tous les jours. Je passerai bien mon chemin, mais ce type est suspect. Trop suspect. De plus, il n'a pas l'air d'avoir d'habitats fixes. Ni de famille. C'est peut-être notre homme, Zach. J'en doute fort, mais tant que le doute zéro n'est pas établi, je ne peux pas me permettre de passer mon chemin. Une chose est sûre, en tout cas, c'est un insurgé. Jamais un puçé ne vivrait aussi, encore moins avec une telle apparence. Par conséquent, cet homme était déjà un ennemi.

Je passai la main sur mon costume pour essayer d'enlever la poussière qui s'était confortablement installée sur mes vêtements. Puis je m'assis à ses côtés, jambes croisées. J'avais tout à gagner à être conciliant, pour l'instant du moins.

"Pas de problème pour le confort, j'ai vu pire. Ici, ça fera très bien l'affaire. "

Je le regardais dévorer sa nourriture puis continuais de dialoguer.

" Permettez mon indiscrétion, mais votre œil cybernétique, à quoi est-dû ? Et vos doigts manquants ? Mon nom est Dale Cooper, en passant. Ça n'est pas tous les jours qu'on voit quelqu'un ayant un look aussi décalé que le votre. "

Je le vouvoyais, car, à vrai dire, je n'avais pas vraiment l'habitude de tutoyer les gens. Une valeur, en somme. Je lui avais dévoilé mon vrai nom, mais qu'importe. On ne doit pas constamment masquer son identité, Zach.

Il se contentera du confort du lieu, tu parles, elle est bien bonne, j'me marre ! Même moi si j'avais plus de doigts à me faire couper ou un morlingue moins sec, j'irais pioncer chez moi ou dans hôtel borgne à tenancière charnue et à porte close !
V'la qu'il tente une approche tient... Pouf, il pose son cul tout à côté du mien.

Tant que tu bectes pas mon halouf, tu peux pioncer où tu veux, mais franchement, me colle pas, tu gaspilles mon oxygène !

Pendant que je finissais ma pitance faisandée qui me donnait plus envie de gerber que de me gaver, il commence à devenir trop curieux. D'où c'est qu't'as eu tes blessures du guerre ?... J't'en pose des questions ?

" Permettez mon indiscrétion, mais votre œil cybernétique, à quoi est-dû ? Et vos doigts manquants ? Mon nom est Dale Cooper, en passant. Ça n'est pas tous les jours qu'on voit quelqu'un ayant un look aussi décalé que le votre. "

"un look aussi décalé que le votre"....Sans déconner... L'ahuri il débarque de nulle part dans l'un des quartiers les plus craignos de la ville, avec son costard en alpaga et sa dégaine de playboy au dentier émail diamant, qu'il pourrait plus chopper ailleurs que dans un paquet de lessive, et il critique mon look.
Une chose est sur, il était pas là pour toucher la prime sur ma gueule, parce que comme dirait ma bonne amie Kimy (et aussi un gros avec un chapeau dans une baignoire posé sur quelques bornes de celluloïd) "quand on tire on raconte pas sa vie...." et lui visiblement il me la jouait façon Grand Larousse illustré.
C'était pas pour autant que ça m'le rendait sympathique. Il avait un je ne sais quoi dans le regard. Un truc étrange, pas comme les gens d'ici.

Salut Dale Coupeur-en-Passant ! Ben voilà tu m'as l'air tout fait de bonnes manières.
Je lui tends ma main entière pour serrer la sienne.
Conor-Sarah Mc Leod.
Tout en conservant mon air septique, je recouvre notre poignée de main de l'autre, enfin des deux doigts qu'il me reste, en tapotant de l'index.
Mais tu sais fiston, chez moi on met pas les gens à poil pour les mater avant de se présenter ! Moi, je te demanderais pas pourquoi tu parle à ta main, où d'où vient ton aftershave... question de savoir-vivre. Enfin...., t'as pas l'air du coin, on va pas s’énerver pour si peu, tu peux pas savoir...D'ailleurs, il est un peu étrange ton accent non?

J'appuyais ma tête contre la paume de ma main, accoudé sur ma jambe, et j'écoutais l’énergumène grommeler ses mots. Zach, en plus de parler un patois qui m'est étranger, je crois qu'il vient de te comparer à ma main.

Néanmoins, le type ne manquait pas de jugeote. Il avait inversé le rôle de l'interrogatoire. C'était moi qui était questionné, maintenant. Je ne savais pas vraiment s'il faisait exprès de jouer les bourrus ou si c'était vraiment le drôle de personnage qu'il prétendait être. Quoi qu'il en soit, de toutes les sortes de personnes étranges que j'avais pu rencontrer, celui-là semblait être en pôle position. Une apparence hors du commun et un savoir vivre venu d'ailleurs. Et je pouvais en dire autant de son patronyme.

"Et bien enchanté, Conor. Pardon si je m'exprime avec trop de rigueur, mais mes parents y sont pour beaucoup là-dedans. "

La main meurtrie de Conor entra en contact avec la mienne. Mes instincts me poussaient presque à la repousser, mais je saisis ses doigts le plus franchement possible.

"Pardon, j'ai sûrement manqué de tact avec mes questions, mais bon, vous savez, je préfère appeler un chat un chat et savoir directement à qui j'ai à faire. "

Sa remarque sur mon accent me fit presque sourire. Zach, parlait-il de ma manière de parler le langage d'usage alors qu'il utilisait un dialecte, ou de mon éventuel accent naturel ?

" Mon accent ? On ne m'avait jamais fait la remarque avant, à vrai dire. Et bien, c'est probablement car je ne suis pas un natif de cette ville. Je suis arrivé récemment. "

Puis, pour décider d'en savoir plus sur lui, je lui retournai la question. Je n'ai pas de temps à perdre ici, Zach. De plus, l'odeur était assez infâme. Je dois identifier ce type maintenant.

" Et vous, alors ? Comment avez-vous atterri ici ? "

"Et bien enchanté, Conor. Pardon si je m'exprime avec trop de rigueur, mais mes parents y sont pour beaucoup là-dedans. "
Tes parents? T'as pas été fait en conserve toi ?
Pourtant il a bien une tête à ce qui y ait marqué "cornichons" sur l'eau des pattes, à l'agité du bocal.
Il n'est pas d'ici ? Tu m'étonnes...Bon, ben...
Au moins ça explique son look décalé, en excluant l'hypothèse NOD....
Alors, pourquoi ne pas lui révéler toute la vérité :

"Qu'est ce que je fous la?" Ben ouvre tes choux fleurs mon lardon, y a de quoi en tomber ni queue ni tête à la renverse !
Tu vois... j'ai emprunté de la tune à un gars qui aime pas trop qu'on la lui rende pas.
Maintenant il veut me découper en Kébab-salade-tomate-oignon, alors je me dis que la bouffe, c'est toujours plus kasher quand on l'élève bio, quand ça vit, ici, au grand air, loin des bergers et des gros loups... Puis on dit que ça leur prolonge la vie aux bestiaux.... Et moi, je suis plutôt le modèle "poils à tondre pour faire des pulls" que steak-frites, tu comprends, j'ai la peau sèche...Alors j'aimerais la conserver.

...Tu te demandes pourquoi j'ai fait ça ? Emprunter l'argent? C'était pour payer l'opération.... J'ai perdu mon oeil à la guerre, pour défendre notre état !
"Mouhaha", la blague !
J'reprend une lampée de fioul que j'avais emmené pur allumer le barbeuc...
Et crache un grand cou...sur le feu. Ça fait un joli nuage de flamme. On va voir si il cille. Ce soir c'est son et lumière, pépère, accroche toi au siège !
Pouhaaa! Comme si on m'lavait rendu mon" bonzéloyo-serre-vis" !
La vérité, c'est toujours mieux quand c'est enrobé.... Et puis là, NOD, SDF ou Insurgé, y avait des chances pour que l'blanc bec sache plus trop quoi penser ! Service : Benny J !

"Et alors, et toi? Me dit pas que t'es là pour profiter de la vue..."

Un sacré personnage celui là. Un peu maladroit dans ses dires. Il a de la chance, au NOD, on l'aurait déjà fait croupir au fond d'une cellule pour moins que ça. Mais, allons bon, tant qu'il ne joue pas avec mes nerfs, ça devrait aller. D'ailleurs, il est plutôt amusant, tu ne trouves pas, Zach ? Et il n'était pas dénué d'humour non plus. Je ne répondis pas à sa pique et écoutai son récit avec attention.

C'était un simple fugitif, alors ? Mince, je m'attendais à une histoire un peu plus rocambolesque. Le voir cracher sur le feu me fit sourciller. J'avais presque oublié qui j'avais en face de moi. De la vermine, selon le NOD. Moi, j'appelle ça une erreur. Heureusement, on peut presque toujours les corriger.
Néanmoins, Zach, quelque chose me dit que ce type se fiche un peu de moi. Il joue les idiots. Sa façon d'agir n'est pas très naturelle. Et ses justifications s'accumulent trop les unes après les autres. Tu te souviens de ces vieux films que j'avais l'habitude de voir avec ma femme ? C'est exact, rempli de coquilles, Zach. Une histoire remplie de coquilles.

Je m'étais risqué à renifler la nourriture qu'il mangeait. Infecte. J'imagine que dans sa position, on ne pouvait pas espérer mieux. Quand il me questionna, je lui répondis, avec une énorme part de vérité. Non, avec l'unique vérité, en n'abordant pas les sujets fâcheux.

"Moi, et bien, je suis à la recherche d'un homme. Un tueur en série qui a assassiné ma famille et des tas d'autres gens. J'ai mené ma petite enquête, et ça m'a mené dans ce trou. Et, depuis, je le traque. C'est devenu ma raison de vivre. Une sale histoire, comme on la vit tous une fois arrivé ici. Mais bon, tu sais ce qu'on dit, tous innocents à Novlangue."

Je le fixai dans les yeux ( du moins ce qu'il en restait ) et le tutoyai. Evidemment, je n'allais pas rester ici à faire ami-ami très longtemps. J'hésitais à appeler une patrouille pour maîtriser Conor. Mais je ne savais pas encore tout. Il me cachait quelque chose. Je devais d'abord en apprendre plus sur lui.

Cette histoire sentait mauvais.
Le mec était bien trop sur de lui et mon petit coup de chaud à la David Copperfield l'avait tout juste fait bouger d'un poil, un poil trop fin même, faut avouer, pas de ceux qu'on a sur la tête...

Ok, mec... Je vais jouer carte sur table avec toi !
Tout ce que je viens de te dire, oublie. Mes doigts, je les ai perdu parce que je joue... un peu trop. Comme mon oeil....C'est comme ça que je me suis payé son petit frère... Seulement voila, en ce moment, je suis plutôt du genre à perdre.
Alors tu vois, je crois que tu as sévèrement besoin d'aide, parce que t'as pas vraiment le look pour retrouver des gars louches, t'es visible à 500 mètres, et moi j'ai besoin de tunes, je me faufile et au final, si je trouve pas cet argent... je suis déjà mort...puis je connais des gens... Si ton mec est ici, y a des chances que je le retrouve (là...je dis... tu bluffes Martoni....)

Inversion des rôles, Zach. Il est amusant. Mais il s'y prend mal. Terriblement mal.

"Triste histoire qu'est la tienne. Par contre, je n'ai aucunement besoin de ton aide, que je sois sapé en costume ne fait pas de moi un type naïf ne sachant pas où il met les pieds. L'habit ne fait pas le moine. Et, crois-moi, tu as beau avoir toutes les relations que tu veux, je sais que tu ne retrouveras jamais le type que je cherche, tout simplement parce que t'as pas le mental pour. Enfin, et, pour terminer, puisque tu veux jouer cartes sur table, vas-tu enfin te décider à me dire la vérité ? Tu stresses, tu accumules d'autres mensonges, par conséquent tu te sens obligé de prendre un ton conciliant et tu essayes de m'amadouer. Mais, TIIING, ça ne prend pas avec moi, désolé. "

Zach, j'y suis allé franco là. J'espère qu'il va enfin se dévoiler à moi. Après tout, c'est drôle de révéler au grand jour la vraie face des gens.

"Oh, et, question payement, puisque tu sembles avoir des problèmes, on pourra peut-être avoir un compromis. Tu vois, Conor, moi aussi je connais des gens. "

Je levai la tête en pointant mon doigt vers le haut pour lui faire comprendre. La haute sphère, Zach.

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