Une nuit blanche, comme on disait autrefois ; insomnie et nervosité, un cocktail ne vous laissant pas fermer l’œil. Vous ne pouvez même pas vous installer en attendant le réconfort. Il vous faut agir, satisfaire votre soif, pour peu que vous en ayez connaissance. Paulus la connaissait, lui, sa soif ; il avait soif de savoir. Il avait dernièrement lu que la meilleure façon de vaincre un ennemi était de le comprendre ; mais pas trop, sinon quoi on pouvait bien assez aisément se laisser vaincre par l'imprévu, et l'imprévu était omniprésent dans la réalité.
Depuis, cela l'avait travaillé. Il se souvenait du nombre de fois où il s'était interrogé sur la raison qui avait poussé tel ou tel insurgé à agir de la façon qu'il avait choisi. On lui avait toujours rétorqué qu'il ne valait mieux pas savoir. Et s'ils avaient tous tort ?

Il savait où il pouvait trouver ce dont il avait besoin.

Il avait enfilé une vieille tenue de ville avant de filer, direction : les bas-fonds de Novlangue. En temps normal, aucun mentaliste ne s'y aventurais en dehors des opérations spéciales, mais ceci n'était pas un soir normal, et il n'était pas qu'un mentaliste. Il était obnubilé par son hérésie.
Il avait pris la direction du quartier connu sous le nom de Val Fourrée, où il commença à arpenter squats et bordels sans un mot, ni un regard. Il se contenta de sentir l'ambiance, mais il ne sentait ici rien de ce qu'il cherchait. Il décidait de s'embourber plus profond. Il entra dans un squat, au hasard.
Les lieux étaient aussi bordéliques et sales qu'il les avait toujours vus. Il était surpris, il pensait que les combats expliquaient l'état des lieux lorsqu'il était amené à appréhender un squat pacifié, mais ça ne semblait pas toujours être le cas. Il ouvrit son esprit et sentit les alentours, jusqu'à trouver ce qu'il cherchait. Il croisa un homme qui sonnait différemment des autres. Il semblait nouveau, ici, et une courte filature, une observation minutieuse, lui assura qu'il avait raison. Peut-être avait-il emménagé tout récemment ? Il manquait de repères, c'était sûr, mais autre chose transparaissait, quelque chose qui semblait le prédisposer à changer de lieux : il n'avait pas l'air d'aimer les gens qui l'entouraient.

C'était le client idéal. Mais il n'allait pas être un client facile.

Il s'introduisit derrière Whig lorsqu'il rentra dans son chez-lui autoproclamé, et l'empêcha de répliquer, lorsqu'il repéra l'intrus derrière lui, en lui écrasant la gorge d'un coup de la paume. Tandis que le mentaliste verrouillait la porte et sortait son arme, l'insurgé, sous le choc, dut reprendre son souffle, ce qui lui laissa un peu de répit et fit passer un message : celui qui venait de pénétrer ici ne plaisantait pas.
Lorsque Whig eut récupéré assez de ses esprits, Paulus pointa vers lui son petit pistolet à silencieux et lui fit signe de ne pas faire un bruit.

« Je ne te ferai pas de mal, si tu ne fais rien de stupide. C'est compris ? Es-tu bien un de ceux qu'on appelle Insurgés ? »

Le mentaliste se trouvait armé et déterminé face à ce fou, et pourtant il répondait, trouvait la force et l'énergie de s'enquérir de son identité. Pendant une fraction de seconde, il cilla et douta de son choix. Il avait bien senti les émotions de cet homme, mais était-il vraiment un insurgé ? S'agissait-il d'une sorte de citoyen altéré ? Non, ça ne se pouvait pas, personne d'autre qu'un insurgé ne venait s'enfouir si profondément dans la nasse ; à part les mentalistes et les NOD, les jours de chasse. Qu'est-ce qu'une personne normale viendrait faire dans un lieu si dangereux ? Non, vraiment, il devait s'agir d'un insurgé. Paulus raffermit sa prise sur son arme.

« Je pose les questions, insurgé. Décline-moi ton identité, maintenant, ou je ne saurais me montrer patient bien longtemps encore. »

Comme pour confirmer ses dires, il passa son index sur la détente de l'arme. Le captif semblait jeter des coups d'oeil alentour. N'avait-il pas vérifié cette pièce avant de s'installer ? Il avait un courage fascinant, mais il n'avait visiblement rien d'un combattant. Un combattant saurait par où il pourrait fuir s'il en avait l'occasion ; et il ne provoquerait sûrement pas l'agresseur, qui se retrouverait plus encore sur ses gardes.
Une fois encore, Paulus s'interrogeait sur sa cible. Il semblait très bien contrôler ses émotions ; mais ses décisions semblaient guidées par le hasard le plus pur. Était-ce cela, ressentir librement : être hasardeux, faillible ?