La fumerie itinérante (ou pas)

Sujet: Re: La fumerie itinérante (ou pas) Mar 4 Nov 2014 - 11:11

Elle veut pas que je meurs ?
Pourquoi ? Je lui manquerai ? Oui « la, de suite ». Mais demain, elle s’en fout.
Y a que ça qu’elle cherche ? Un peu de chaleur ? Du sexe ? Je suis rouillé comme un vieux pont de fer, même pas sûr que j’arrive au bout du va et vient. Je pourrais m’écrouler en chemin et vomir ma dope sur sa poitrine.
C’est ça qu’elle veut ? Jolie perspective…

Et demain je peux crever, ça te dérange pas ?

Elle répond pas, elle se contente de serrer plus fort. C’est une réponse ? Je me demande ce qu’elle veut dire. Au fond, je la connais la réponse. J’ai rien, personne, et ça changera pas plus après, elle ou pas elle. Elle est rien pour moi. Rien.
Alors, pourquoi elle parle d’Alice ? Et pourquoi ce ton dans ses questions. Je décèle un truc, mais quoi, j’en sais rien. Et merde je m’en fous de tout ça, c’est des conneries… sauf quand elle embrasse mon poignet abimé… personne n’a fait ça, jamais, embrasser mes blessures…
Je ferme les yeux, ma tête bascule en arrière… c’est mieux qu’un orgasme vite fait au fond d’un bouge pourri. C’est autre chose, meilleur, indescriptible.
Pire, quand elle remonte vers son visage…
Pire oui, parce que c’est mille sensations qui explosent dans ma tête, des sensations qui n’existaient plus, enterrées sous la dalle en béton de ma chambre, au Centre.

Et je fais ce qu’elle veut, je la serre dans mes bras, comme j’ai jamais serré quelqu’un sauf pour… sauf pour ça.
Je la serre oui, mais trop fort, sauvage et brutal, je la serre et l’écrase contre moi.
C’est pas que je suis mauvais, pas cette fois, mais je contrôle rien, je suis une bombe qui retarde et elle a trouvé le détonateur. Alors, j’explose, je serre, je serre trop fort, je vais lui faire mal, je vais la casser en deux mais j’y pense pas, pas tout de suite, je réaliserai quand elle ne respirera plus, quand son souffle restera dans ses poumons, quand son cou se tordra et que sa tête glissera sur le côté, inerte et sans vie.

Et puis, quelqu’un la sauve…
Et c’est pas moi.
Quelque chose que j’ai pas vu arriver, ni senti, quelque chose d’inconnue qui est entrée, qui aurait pu nous massacrer, mais au contraire, cette chose lui sauve la vie… De moi. Le meurtrier.

Elle s’en va, la fumerie est foutue, la soirée aussi, je respire à plein nez les effluves d’opium qui saturent l’atmosphère, je m’en gave.
Je regarde son corps allongée sur le dos, les jambes un peu repliées, sa poitrine qui monte et descend, qui se gonfle et la vie qui coule à l’intérieur.

Je respire à genoux, les bras ballants, le regard absent, l’iris absinthe, une larme folle qui glisse et coule sur ma joue de monstre.
Je suis le fou…

Sujet: Re: La fumerie itinérante (ou pas) Mar 4 Nov 2014 - 14:50

Et demain je peux crever, ça te dérange pas ?

- Ce n'est pas ce que...

Elle n'a pas même le temps de finir sa phrase qu'il la serre contre lui.
Elle sent qu'il y a quelque chose qui vient de se casser, elle peut presque en entendre le bruit.
Les dernières bribes de raison du Fou autoproclamé?

Elle... elle sait qu'elle a trouvé quelque chose d'important et l'a révélé au grand jour.
Il est humain.
Quelque part tout au fond, sous la dureté et la douleur et la haine, il reste de l'humain, qui peut ressurgir. Qui ressurgit.

Dont la ferveur à la serrer contre lui lui coupe le souffle à demi. Ou plus qu'à demi même.
Ça n'a rien de sexuel.
Ça n'a rien d'amical.
C'est plus... Comme on serre très fort son doudou dans le silence d'une nuit froide, quand il y a un bruit qui vient du placard et que des yeux jaunes y apparaissent.
Est-ce que les doudous respirent ? Sans doute pas.

Elle a des mouches noires devant les yeux, elle sent son souffle s'étioler.
Mais si elle le repousse...
Elle sait pas ce qui se passera si elle le repousse.

Alors elle ferme les yeux, se disant qu'à un moment il va bien s'apercevoir qu'elle est inerte et molle ?

Quelque chose la tire vers l'arrière, sans à-coups, mais avec une force immense.
Quelque chose de répugnant et de vaguement visqueux, avec une odeur de cendres, quelque chose qui crie.

K-Cendre voudrait crier, mais elle a un bâillon sur la bouche, un truc caoutchouteux dans lequel elle mord.

Et puis tout disparait.
Tout glisse sur elle comme de l'eau, lui donnant envie d'enlever ses vêtements, de se doucher à la javel et de descendre une bouteille de whisky.
Elle reste quelques instants allongée sur le dos, les jambes un peu repliées, sa poitrine se soulevant de façon irrégulière, vivante.

Mouvement hagard.

- Mais il s'est passé quoi bordel ?

Comme de juste, aucune réaction. Les clients sont assommés, morts peut être, ou complètement abrutis.
Et le Fou est aux abonnés absents.

Elle retient un gémissement de frustration. Se déplie avec précaution et se rapproche de lui.

Vu leurs positions, elle le domine de la tête et des épaules. Ce n'est pas si souvent que ça arrive.
Elle prend son visages entre ses mains, essuie la larme esseulée qui y coule, cherche son regard.
Pas celui des tous ses ersatz, le Sien.

Elle soupire.
Il est rentré en lui-même.
Machinalement, elle peigne les mèches emmêlées, puis prend une grande inspiration.

- Viens. On s'en va. J'ai une idée.