Je passe la porte d'entrée, jette un petit regard timide, et m'installe sur un des sièges inconfortables de la salle d'attente. Un seul mot s'impose à moi : glauque, l'endroit. Je crois que "austère" correspond bien aussi. Mais bon je suis pas là pour refaire la déco hein...

Ce qui m'amène ici? Un rhume. Oui je sais, c'est bête un rhume, on consulte pas pour ça, surtout quand on est un peu en cavale et tout ça, mais bon ça commence à faire plusieurs semaines que je le traine, j'ai le nez rouge et en charpie à force de me moucher, j'ai hyper mal à la gorge, et pire que tout : j'ai la voix rauque qui déraille... On dirait un ado pré-pubère, c'est horrible... Je pensais avoir passer ce stade, et je ne tolèrerai pas d'y revenir! En plus on a vraiment l'air con quand passé 20 ans on parle comme ça. Et puis ça fait pas sérieux. Ni classe. Mais je me répète là.

Assis donc, j'attends, je ne peux même pas lire un journal de propagande histoire de rire un peu (rire jaune hélas), il n'y a rien... C'est pas si grave, j'ai tout mon temps après tout...

La sonnette retentit, m'arrachant à ma torpeur quotidien : Ca fait bien une heure que je suis affalé dans mon siège, derrière mon bureau, à jouer avec mes crayons et ma gomme, apathique.
Un client ?!
J'enfile mes gants, je met ma blouse, mon masque ( Ils servent davantage à me conforter dans mon image de médecin qu'à un usage médical d'ailleurs ) et je file vers la porte... Que je n'ouvre pas... Ma main se suspend en plein vol, à mis chemin entre la clenche et moi.
Un médecin qui ne fait pas attendre un minimum son client n'est pas un vrai médecin ( client que l'on appelle patient... Le hasard n'existe pas, dites le vous ! ).

Statue vivante, je reste immobile pendant une minute, puis deux... A la troisième, mon bras tremble, à la quatrième, je craque et conclus mon mouvement en ouvrant la porte. Assez d'attente pour aujourd'hui.

Le patient est un jeune homme aux cheveux longs et... Et...
Je reste les yeux ronds, la bouche ouverte, puis le pointe de mon doigt ganté et m'écris :
« Toi ! T'es mort ! Non, je veux dire... Tu devrais !... »
Instant de surprise, puis de soulagement. Je plonge sur lui, ne lui laissant aucun temps de réflexion, et le serre vigoureusement en ponctuant mes enlacements d'un rire dément : Le rire de quelqu'un qui vois un proche ressuscité.
Ah, zut, j'ai oublié. Avec mon masque et tout mon attirail, il est peu probable qu'il me reconnaisse. Je tire mon masque avec difficulté et découvre la totalités de mes dents par un sourire qui me sectionne le visage en deux.
« Tu me remet pas ? Oncle ! Oncle Fritz ! »

La porte s'ouvre, enfin le toubib se pointe! Pas trop tôt.

"Toi! T'es mort!"

Quoi?!

"Enfin, tu devrais!"

Ah parce que c'est mieux?!

Ce type est taré, je ne vois que ça. Et voilà qu'il me saute dessus! Son rire me fout les boules. Surtout, ne pas bouger, ne pas le perturber, on sait pas comment il pourrait réagir...
Et là, soudain, il enlève son masque, et c'est la révélation du jour.

"Ah, tonton Fritz! ... Salut!"

Mince, ma voix est rauque et a déraillé sur le "salut". Je toussote, tente d'aligner d'autres mots.

"Longtemps qu'on est pas vus hein?"

Bon sang, on dirait un gros fumeur qui aurait avalé ses cigarettes... Je me racle la gorge, bien, c'est classe...
Et puis je me rappelle que mon adorable tonton, s'il est médecin, est surtout dangereux dans l'exercice de sa fonction. Mon père se demandait tout le temps comment il avait pu obtenir son diplôme. Et il expédiait à coups de chasse d'eau tous les médicaments qu'il nous filait quand il nous voyait avoir les yeux rouges. Un voyant lumineux s'allume au fond de moi, il éclaire une pancarte, cette pancarte me dit "danger!".

Je tente un sourire qui part un peu de travers et doit plutôt ressembler à une grimace. Je me lève, le sert dans mes bras à mon tour pour donner le change, et lui sort :

"Ca m'a fait plaisir de te voir... Mais bon, je devrais peut être y aller maintenant, il y a surement d'autres patients qui t'attendent..."

On est seuls dans la salle, mais bon, peut être y en aura t'il d'autre dans la journée...

Ah, le p'tit con ! Il grimace en me voyant, et trouve une excuse minable pour déguerpir !
Connaissant son père, très bon ami malgré son manque de confiance flagrante envers ma médecine, il a bourré le crâne de son fils de baliverne sur mes compétences. Il ne prenait jamais ses pilules, d'ailleurs, son état de santé le montrait... Je n'ai jamais sût ce qu'il en faisait, ce vieux bouc.
Mais il n'est pas dit que la science se laissera berner !

« Pop pop pop... Heh, là ! Tu compte t'en aller comme ca ? »

Je referme la porte et lui jette le regard le plus sévère que je trouve dans mon stock de mimique. J'ai pas le regard sévère en stock... Bah, je vais me contenter du regard contrarié et un poil vexé teinté d'une once de grimace et de reproche, ca devrait suffire.

« Tu t'assois tranquillement et tu me laisse voir ce que tu as... Installe toi et enlève ton haut, je vais regarder ta tension, voir ton souffle, les trucs basiques....  »

Je lui tourne le dos pour le laisser s'installer, et me lave les mains dans le lavabo du cabinet, dans lequel trempe encore mes outils dont je me suis servi pour l'ablation de la rate de la veille. J'ai plus de désinfectant, il faut faire avec !
Mais ou ai-je mis mon stéthoscope.... Ah, voilà. Coincé sous la chaudière ( Je m'en servais pour essayer de trouver son dysfonctionnement, mais sans succès.... Les machines... C'est si compliqué d'examiner quelque chose qui ne respire pas... ).

Je reviens vers lui, armé de mon appareil acoustique : Il tire une de ces têtes.

« Je vois pas ce que tu crains, je n'opère pas pour une extinction de voix... Ce serait stupide, hahaha... haha... ha... Au fait... je m'en excuse, mais je n'arrive pas à mettre la main sur ton nom... Richard ? David ? Nicolas ? Pierre ? Ah, mais aide moi ! »

Résigné, j'enlève mon haut et le laisse m'examiner. C'est vrai qu'il ne va pas m'opérer sur place pour un rhume, et je pourrais toujours refourguer ses médicaments à quelques clochards ou NOD enrhumés (surtout aux NOD en fait...).

"C'est quoi ton nom déjà?"

Un instant, je suis tenté de lui dire que j'ai changé de nom depuis la mort de mes parents, mais bon, si de toute façon il a oublié, inutile de l'encombrer avec des détails...

" C'est April, tonton..."

J'espère qu'il ne va pas trop tiquer. Je n'ose même pas lui demander pourquoi son stéthoscope était par terre... Je regarde un peu autour de moi, pas très rassuré par cette salle blafarde, encombrée d'objets bizarres dont on ne se douterait même pas qu'ils puissent voir une utilité. Pendant qu'il m'osculte, je laisse mes doigts vagabonder et tripoter un objet étrange, assemblage de tiges métalliques en tout genre et de bouts de verre, qui aurait gagné un concours d'art abstrait haut la main. A peine je pose le bout du doigt dessus, que j'entend un bruit de verre cassé. J'écarquille les yeux. Je sais même pas ce que j'ai cassé... Tout raide, je ramène ma main le long de mon corps, et tente d'engager la conversation pour faire diversion.

"Qu'est-ce que t'as fait depuis tout ce temps au fait? Ah, et t'as des sucettes pour enfants sages dans ton cabinet perso?" je lui demande avec un sourire plein de dents.

Crash fait mon "coucher de soleil sur antarctique par temps dégagé au sud du pays", œuvre d'art qui vaux une fortune, achetée au noir.

« Des sucettes ? Euh, non... Mais j'ai des neuroleptiques, si tu veux ! Et pour ce que tu viens de casser, ca vaux l'équivalent d'un bras. Un demi bras, si la personne est corpulente.... »

Je soupire, et passe la ventouse du stétho sur son ventre.

« Inspire ? Expire... Plus fort ?  Je vois... »

J'enlève l'outil médical de mon coup et le pose sur le bureau à mes cotés. Le rythme cardiaque est bon, la respiration aussi... Il est juste un peu encombré. Même pas drôle.

« Tu n'as rien, juste une petite extinction de gorge. C'est navrant de banalité, ...... Par contre, je vais te filer quelques médicaments pour éviter que cela s'empire. Des pastilles pour la gorge devraient suffire.  Je vais tout de même vérifier ce qu'il faut donner dans ce genre de cas, je ne suis.. Hum... Pas trop sûr...  Tu peux te rhabiller en attendant. »

J'ouvre un des tiroirs et en sors un traité de médecine, dans lequel les illustrations et les termes savants se bousculent sur les pages et entreprend de faire défiler les pages à toute allure. J'écrase mon doigt sur la page correspondante en murmurant un « là ! » ravi.
Juste une pastille pour la gorge, et des antibiotiques sous forme de sirop si cela ne se guérit pas au bout de la première semaine. C'est simple.
J'ouvre mon armoire à médicament et farfouille à la recherche des fameuses pastilles.
Une des boites est découvertes derrière un vieux magasine de programme télé. Je secoue le tube et l'ouvre. Les pilules dedans ne ressemblent pas à leurs images sur la boite. J'ai probablement mal rangé les médicaments.
La boite de pilule rouge contient des gélules roses. La boite de gélule rose contient des ampoules de liquide transparent. La boite d'ampoule de liquide transparent contient des pilules à croquer blanches. Zut. Je ne vais pas lui donner une boite au hasard en espérant que cela le soigne, si ?
Puis, apparition inespérée : Sous la boite de doliprane contenant des smarties, je découvre une boite de pastille contre le mal de gorge encore sous plastique.
J'ouvre et victoire, c'est la bonne boite !

« J'ai trouvé. Une par jour devrait suffire à te rendre ta voix de stentor en une petite semaine. »

Il est septique, ca se voit dans ses yeux.... J'ouvre la boite et mange la première pastille orange devant ses yeux.

« Hmm. Goût orange agrume. Voilà qui devrait pallier à la sucette. Et te prouver que ces médicaments ne vont pas te faire tomber raide mort par la même occasion. »

Je lance la boite dans sa direction, qu'il rattrape.

« Et ne t'avise pas de la jeter. Tu pourrais perdre la voix définitivement si cela s'empirait.... »

Ce n'est pas vrai, mais un petit mensonge n'a jamais tué personne, et si cela pouvait le motiver à prendre le traitement......

A l'annonce du prix de son engin crépusculaire, je déglutis péniblement. Je regarde mon bras d'un air angoissé. Il est tellement maigre qu'il faudrait sans doute l'amputer jusqu'au cou et emporter une partie de la clavicule avec pour lui rembourser cette mer... œuvre d'art.

Une extinction de gorge? Depuis plusieurs semaines? Ca aurait pas du empirer depuis? Bon, c'est pas grave, après tout il a fait plus d'étude que moi, même si dans la pratique ça ne se ressent pas beaucoup... Il doit quand même savoir un peu ce qu'il fait, ça serait irresponsable sinon...
Irresponsable...
Tandis que je me rhabille, mon oncle et ses 10 années d'études semble perdu entre des boites de médicaments... Enfin ça c'était après avoir vérifié dans son bouquin s'il ne s'était pas planté pour le choix du-dit médicament...

Mais quel idiot, comment ai-je pu penser un seul instant qu'il savait ce qu'il faisait?

Ah, il a du voir que je le regardais bizarrement, il vient d'avaler l'un des médicaments douteux.

"Hmm. Goût orange agrume. Voilà qui devrait pallier à la sucette. Et te prouver que ces médicaments ne vont pas te faire tomber raide mort par la même occasion."

Il me lance la boite de médicaments, je la rattrape par réflexe. Même si je suis de plus en plus sur qu'elle ne restera pas longtemps dans ma poche, et qu'elle va plutot se faire une joie d'aller soigner/achever les rats des égouts. Certes, une seule ne me tuera pas, mais plusieurs?

"Et ne t'avise pas de la jeter. Tu pourrais perdre la voix définitivement si cela s'empirait...."

Là, je panique.

"Quoi? Je pourrais... Attend, c'est si grave que ça?! C'est pour ça que je traine ça depuis tant de temps? C'est parce que j'ai attendu trop longtemps avant de consulter, c'est ça?! Aaah, je le savais, j'aurais du écouter ma mère, elle me disait toujours de ne pas attendre pour ces choses là..."

Maintenant, je me retrouve coincé. Perdre la voix car je n'ai pas pris les pilules, ou perdre la voix car j'ai pris les pilules? Enfin, rien ne me dis qu'elles me feront perdre la voix... Peut être me soigneront-elles, moyennant un effet indésirable autre... Rien ne peut être pire que perdre la voix je suppose.

Aaaah, je n'aurai pas du dire ça, j'ai plein d'idées de choses encore pires qui pourraient m'arriver maintenant!

Je vais devoir vite trouver un moyen de prendre le traitement sans le prendre, ça promet. J'envisage déjà de filer la moitié des cachetons à un clochard ramassé au hasard pour étudier les effets. Ou alors...

"T'as pas une notice avec la boite?" Je lui demande avec un air qui se veut détaché. Il a l'air un peu susceptible après tout...

"Ah, et je te dois combien au fait? Oh, et comment on dit déjà... ah oui. Merci beaucoup!"

« Une notice ? C'est pas un putain de grille-pain ! C'est des pastilles pour la gorge ! Tu pourrais avaler le paquet d'une traite si tu veux... Ça ne te fera aucun mal !...  C'est qui le docteur ici, c'est toi ou c'est moi ?! Mais puisque tu insiste, au dos du paquet ils conseillent une pastille par jour et, ô miracle, c'est précisément ma prescription ! Pour ton rhume, je ne te donne rien, tu ira acheter de la menthe en infusion et ca suffira largement... »

Je grogne ces paroles, remet mon masque et clopine jusqu'au meuble à médicament que, soudain, je vide à grand moulinet des deux bras. Les boites de médicaments tombent, certaines s'éventrent... Les pilules roulent sur le sol et glissent sous les meubles, les ampoules se brisent dans un tonnerre de verre laissant leurs liquides s'échapper pour rejoindre les bouteilles de sirop ayant subis le même sort, les gélules se fendent... L'apocalypse selon Hippocrate.


« Ces putains de médicaments sont mal rangé, et ca me putain de scie les nerfs !  T'as pas confiance, comme ton putain de père ! »

Je pousse le meuble qui se couche sur les débris, et je soupire longuement laissant le taux d'adrénaline dans mon sang retomber lentement....
Les bris de verre cassent sous mes pas tandis que je traverse la pièce d'un air songeur.

« Va falloir que je rachète un stock de médicaments et que je le laisse sous plastique... Et que je nettoie cette pièce aussi..... »

Une pause, un nouveau soupir.

« Pour le tarif de la consultation, te fais pas de bille... C'est gratuit pour toi... A condition que tu prenne régulièrement ces médicaments.... »
….
« … De toute manière, tu n'aurais pas eu de quoi payer... Tu es un insurgé, pas vrai ? »

Les yeux écarquillés, je contemple abasourdi le spectacle qui s'étale sous mes yeux. Si les morceaux de verre et les jolies pilules colorées ne jonchaient pas le sol, j'aurai juré que rien n'était arrivé. Le doc' a grillé un fusible. Et son calme apparent au milieu des décombres médicamenteux n'en était que plus effrayant.

Je me sens mal, j'ai l'impression d'avoir été trop loin dans ma suspiscion et de l'avoir blessé. Certes, il est un peu félé, mais il reste humain... Enfin, autant qu'on peut l'être quand on est félé... Bref, la question n'est pas là.

Tout penaud, j'ouvre la petite boite de pilules et en gobe une, comme pour lui montrer que je lui fais confiance. Je reste ainsi sans rien dire, tentant les yeux honteusement baissés sur le sol. Je crois qu'un mot comme "pardon" n'aurait aucun sens dans cette situation.

Et soudain, la bombe est larguée.

"Tu es un insurgé, pas vrai?"

Aussitot, mon regard se fige, mon visage également, et je dois faire un effort pour que mes yeux ne sortent pas trop de mes orbites. Je lève le regard vers lui, cherchant la meilleure réaction à adopter. J'aimerai lui dire la vérité, mais même s'il est mon oncle, rien ne me dit qu'il ne me balancera pas aux NODs. OK, il a pas l'air d'être le genre à s'intéresser à ces trucs politiques, mais on ne peut jamais être sur. En même temps, je pense qu'avec la tentative d'évasion de mes yeux (toujours d'actualité d'ailleurs, ces petits saligauds ne comprennent pas qu'en cherchant à s'enfuir de leur cavité ils me trahissent), je ne vais vraiment pas être convaincant si j'éclatais de rire en disant "Haha, quelle bonne blague! Décidément tonton, t'es vraiment le meilleur quand il s'agit de se poiler!".

Alors je plante mes yeux dans les siens, et lui dit d'une voix très calme :

"Qu'est- ce qui te fait penser ça?"

certes, l'effet que je voulais faire est cassé par ma voix rauque qui a déraillé sur le "ça", mais bon, le résultat est là : j'ai pas dit oui, pas dit non. Pas menti, pas avoué.

Il reste stoïque. C'est bien, c'est parfaitement le genre d'attitude qu'il faut avoir pour survivre. Parfait, il n'a donc pas besoin de mon aide dehors...
Les choses sérieuses commencent, et je ne peux plus me permettre de faire l'idiot.
Je retire mon masque, mes gants, ma blouse... Tout ce simulacre médical qui m'offre une image.

« Oh, mais pour rien voyons. Disons juste que quelques indices me l'ont soufflés... J'imagine que tu ne dois pas dormir dans un palace et que les histoires de facture concernant chauffage ou loyer ne doivent pas trop te concerner. Surtout le chauffage, d'ailleurs , à la vue de ta gorge et de ta santé. Sinon, j'ai vu plus d'expression faciale en quelques minutes passer sur ton visage que sur celui de mes patients de d'habitudes... Je n'arrive pas à déterminer si tu possède la puce, mais peu m'importe : Si puce il y a, je doute qu'elle soit assez efficace pour inhiber complétement tes sentiments. à moins que je ne me trompe.... Et sinon, si tu possédais de l'argent, tu ne viendrais pas ici. C'est une évidence. Je possède la clinique ayant la pire réputation du coin, malgré le fait que je soigne efficacement et que je sois un peu polyvalent, ca ne vaudra jamais les cliniques et les hôpitaux davantage confortables et sécurisés, là où les erreurs médicales sont moindres. Quant au fait de ta survie et du destin de tes parents ( dont je pensais que tu avais partagé le sort ), je ne doute pas que cela puisse te mettre quelques idées de révolution dans ton jeune cervelet... La somme de tous ces indices additionnés, ca me donne un 95% de chance que tu sois résistant. Enfin, résistant.... Disons plutôt "non consentant au système en place"»

J'ai perdu mon rictus que j'ai remplacé par une expression sérieuse qu'il voit pour la première fois depuis le début de l'entretient avec lui. "N'oublie pas mes propos car ils sont sincère" clignote en rouge au fond de mes yeux et je suis sûr qu'il peux le lire.
Je joins mes deux mains, et reprend la parole.

« N'oublie pas cependant que je ne serais jamais un insurgés comme vous et tes complices l'êtes, malgré que je sois complétement d'accord avec vos motifs et vos combats : Je ne m'occupe pas de politique, je me contente de soigner, de rafistoler et de sauver des vies au maximum de mes possibilités. Ne compte pas sur moi pour courir sur les barricades cocktail molotov à la main... Ça n'arrivera pas, liens familiaux ou non... »

Comprendra ? Comprendra pas ? Il m'a l'air d'un gamin intelligent, mais on est jamais trop prudent.
Je me lève et me balade à travers la pièce, mes pieds craquants sur le verre éparpillé, jusqu'à la fenêtre mal nettoyé de mon cabinet. D'ici, on voit l'extérieur et la poussière. La poussière que les gens avalent à longueur de temps qui les rends gris.

« En d'autre terme, je suis de ton coté mais je ne t'aiderais que d'un point de vue médical et n'attend jamais rien de plus de ma pars.  Rappelle toi de moi comme ton oncle chéri qui peut prêter une oreille, une épaule ou un scalpel, selon le besoin du moment, mais jamais... Jamais ne me mêle à quoi que ce soit de dangereux ou je lâcherais le dernier lien familial sans hésiter.»

Je soupire, et remet mon masque, mes gants, mon attirail.... Le moment de lucidité éclate comme une bulle de savon. Je le suis toujours, mais... Pile ou face ? Face visible ou enfouie sous le masque ? Pile la de folie qui m'agite, moi et ma science....
Un vrai jeu de hasard médical.

«  Bref, tu as tes médicaments, tu n'as rien à payer... Toi qui voulais partir au plus vite, tu peux t'en aller....  Au revoir April... »

Je lui tourne le dos, attrape un balais et commence à nettoyer les cadavres de médicaments.... Une invitation à s'en aller pour lui, un ticket vers la sortie.

« Survis et... Surtout, n'oublie pas de passer de temps à autre dire bonjour à ton tonton.... »

Son discours achevé, je reste immobile, le scrutant des yeux. Je crois qu'il est sincère, je le sens même, j'ai l'impression que cette scène est un moment précieux, qui ne se renouvellera pas de si tôt, et que je dois garder bien à l'abri dans un tiroir de ma mémoire. Comment réagir? Une telle démonstration exige bien une réponse.

Sans un mot, je me lève, me met face à mon oncle, les yeux toujours plantés dans les siens. J'hésite. Puis le prend brièvement dans mes bras. Après quoi, je recule d'un pas.

"Merci. Je ne t'en demandais pas tant."

Avec tout ce que ces mots contiennent de plus que je n'ai pas dit.

Je sors du cabinet.

Il est sorti. J'ai comme l'impression que dans quelques temps, mes avertissements prendront tout leurs sens.
Je suis fatigué.... Non, j'ai dépassé le stade de la fatigue pour atterrir sur celui de la lassitude. Une brique de lassitude sur les sinus et dix autre sur chaque neurone.

Il va falloir que je remplisse une foule de bon de commande pour remplacer mon armoire à médicament, et que je n'y touche pas. Je suis définitivement trop bordélique... Je devrais peut erre engager une secrétaire........
Une secrétaire qui soit aussi femme de ménage aussi, ca m'arrangerait.

Je n'arrive plus à former des phrases complètes ou correctes, trop fatigué.... Mes idées se bousculent et forment des tas incohérents.

Il n'est pas encore l'heure de fermer mon cabinet, mais je crois que je n'aurais pas d'autre client aujourd'hui, autant fermer....
Et surtout, aller dormir.

Oui, dormir...... Demain est un autre jour il paraît, mais j'ai jamais pu vérifier. En tout cas, celle ci est terminée pour moi.


RIDEAU