Le sourcil de Lunargent se souleva en voyant le bond habile de cette étrange jeune femme. Pourtant, cette expression de surprise se mua en un sourire. Au moins, il n'aurait pas a ralentir. Par contre, si il devait s'enfuir et qu'elle était aussi agile...
Il déglutit à cette idée.

*Pute d'Asthme de mes couilles. Merde. Faut que je trouve une échappatoire sure...*

Son nom. On lui demandait son nom.
Il aurait pu répondre simplement, bien sûr, sans faire de chichis, "je suis lunargent je sais pas si vous avez entendu parlé de moi je suis un terroriste en activité recherché par toutes les polices". Il aurait pu. Seulement le simple fait d'être qui il était et en compagnie d'inconnus nécessitait qu'il ne se serve des deux neurones qui lui restait. Le nom Lunargent ne méritait pas d'être balancé à la légère.

"M'appelle Léo Borderouge. Mais ça fait longtemps que plus personne m'appelle comme ça. Ces jours-ci, c'est Hood. Juste Hood."

FAUX!!

Bien sûr. Il y avait une différence substantielle entre le fait de se mettre en danger et le fait de se condamner. Et la première règle de ce jeu dangereux était toujours la même: toujours paraitre relativement inoffensif et un peu cinglé.
Et ça, Lunargent y parvenait très bien (enfin, il espérait).
Quelque part, cette situation lui plaisait étrangement, mais il espérait juste ne pas avoir pris la mauvaise décision en les emmenant sur les toits. Il allait leur montrer quelque chose d'important, et si l'un des deux se révélait être un Nod...
Son cœur battait la Chamade, a la fois d'excitation et de peur, mais l'adrénaline lui fit oublier un instant se soucis.

"Je vais vous montrer un truc magique, tiens! C'est à cause de ce mec que j'ai commençé à faire ça! Et p'tet que pour l'instant mon influx artistique sur les murs de la ville se limite a des bites et des slogans bancals, mais y'a des gens bien meilleurs que moi dans cette ville."

FAUX!!

Il allait leur montrer ses plus belles œuvres, ses pièces maitresses, en évitant bien sur soigneusement de leur montrer les différents glyphes stratégiquement placés dans la ville. Il avait un plan. Un plan pourri, sur le papier, et peut-être pas nécessaire, mais les gens comme Lunargent, et les druides en particulier, aiment bien les plans. Et c'était là qu'il fallait la jouer fine. Très, très fine.

Et puis nous y voila... Robin nous fait un coup de "Je vais vous révéler Gotham City"....
Attend, je sors mon masque, parait que les soirées costumées sont à la mode (petites dédicace aux joueurs de poker de ce week end).

"Hé Merde !"
Ouai, ok, ce soir j'étais un peu d'humeur à râler... Enfin, un peu plus que d'habitude...
Encore, les dettes à n'en plus finir.... il me restait quelques membres à marchander pour rattraper le coup, mais si il y avait une chose que je détestais plus que tout, c'était l'effort physique non nécessaire : sous entendu, quand ce n'est pas pour fracasser une tête ou sauver son cul. Là en l’occurrence je risquais juste de me fracasser le cul.
Enfin, fallait voir les avantages : je pourrais toujours rajouter à mon cv "Garde malade/chaperon pour attardés mentaux"...

Depuis le début, si j'avais pris bien garde à rester derrière, c'était pas pour mater l'arrière train à la donzelle, enfin, pas que... "Zip zip", scan premier niveau : joli corps, plutôt athlétique, fossettes dans le bas du dos... armement ? néant.... " Zip zip", scan niveau deux : ossature puissante, léger déséquilibre du pied droit du à quelques millimètres de différence entre la jambe droite et la jambe gauche... personne n'est parfait "Zip zip", scan niveau trois : ... PUTAIN ! V'la ty pas qu'elle fait des sauts de cabris la starlette ! Pas quand je scanne.... ça fou le bordel !

Allez, on va devoir relancer tranquillement...Sauf que là, c'est à moi de sauter. Après son truc à la Catwoman je risquait de faire pâle figure... M'enfin, parait qu'le Dark Night à ses débuts il a fini dans les poubelles... Peu pas faire pire...
(Oui Benny a lu beaucoup de comics dans son enfance... même si c'est interdit).

Allez, un... deux... trrrrrrrrr......
Et PLOUF, SCRATCH , BOUAAM !
Réception lourde sur ses grands pieds. Tremblement du sol. "Hé... Merde (c'est récurrent chez lui comme expression)... mon costard"... Fallait bien réglé le problème : j'avais toujours dit que ça taillait un peu serré au niveau des épaules....

Comme les deux rigolos étaient occuper à taper la belote en discutant tupperware, l'honneur était sauf.
Ne pas perdre les objectifs.
Pendant que le chapelier fou attaquait le speech du GO pierre & vacances ("Youpi je vous emmène là ou vous avez toujours rêvé d'aller voir des trucs que vous avez toujours rêvés de voir, allons-y, par ici la monnaie") je me remis à scanner mémère.... "Zip zip", scan niveau trois : .... oulà... soit c'est parce qu'ils se sont remis à bondir, soit c'est vraiment étrange... un implant...! deux implants...! deux implants ?!?
Non.. Je tape un coup sur ma tempe histoire rebooter le bignou... C'était pourtant du bon matos, rare qu'il déconne...
Non, rien à faire, la mirette en plastoque voulait pas...
Là... J'ai commencé à flipper....Soit il fallait être très prudent, soit le chin'toc qui m'avait refourgué l'oeil, en deuxième main, ("humour" ! ) allait bouffer ses nouilles par la racine !
En attendant, n'ayant pas le mec concerné "sous le coude" (c'est souvent là que je met les mecs concernés, surtout avant de leur refaire le nez), j'optais pour la première solution.

Je suivais, sur mes gardes, l'air de rien, et fallait avouer que la visite touristique valait le coup : on avait traversé tout Novlangue sans même s'en rendre compte. La dictature des belles pierres s'était noyée dans une jungle de verre vertigineuse avant de s'éteindre dans un enfer urbain nauséabond, où il fallait dire, je me sentais plus à mon aise. J'avais viré ma cravate et déboutonné un peu ma chemise. "Décontract style", au moins en apparence. Silencieux comme un loup qui attend son heure pour frapper, j'avais appris qu'on pouvait maitriser les recoins de ce monde, et y voler avec la grâce d'un "fils du vent" (wahou les références), mais je n'oubliais pas que je n'avais rien à foutre ici, à part m'attirer de nouveaux emmerd'...

La ville avait enfilée sa belle tenue de soirée. Celle faite de poubelles, du lumières chancellantes et de coins d'ombres traitres avec de vagues traces de sang a moitiée effacées par le temps. Les yeux de lunargent luisaient dans la pénombre d'une lueur joyeuse. C'était ici qu'on faisait les meilleures choses. Pas les plus audacieuses, certes, mais les plus abouties. Ils étaient passés devant plusieurs endroits, bien sûr, ou il avait pu peindre au fil des ans, mais rien ne subsistait. Plus d'oeil-oméga. Plus de Chevalier-Décomposé. Et comme il fallait éviter les glyphes magiques comme la peste de peur que quelqu'un ne les découvre et les efface, ils n'avaient pas vu grand chose jusque là.

Lunargent comptait bien leur faire voir quelque chose. Au moins pour le lookin'style, sans scrupule de voir son oeuvre effacée par leur bouche a oreille. Soit il se taisaient, et c'était une victoire en soi d'avoir trouvé deux personnes sachant apprécier l'art nouveau, soit ils parlaient. Et c'était la plus puissante des victoires. Les druides fonctionnaient souvent comme ça, et ça marchait. Enfin, il espérait. Peut-être. Pour peu qu'il soit tombé sur deux couillons ou deux flics, il l'aurait bonne. Ou il n'en aurait pas le temps. Un coup malheureux sur l'arrière de la nuque est si vite arrivé.

Tout le long du trajet, comme d'habitude, il dut se concentrer sur sa respiration pour ne pas étouffer, maudissant son putain d'asthme a tous les sauts un peu rudes ou a chaque fois qu'un élan trop violent était de mise. Ce n'était pas en soi sévère, mais c'était un tout. Il calculait chaque mouvement, prenait de grandes bouffées d'air régulières, et deux ou trois fois, malgré son habileté a voyager sur les toits sans trop avoir à faire d'effort, il dut arrêter ses compagnons et prendre une bouffée d'air-en-conserve(tm). Ils le suivaient bien. Très bien, même.
Surtout la nana bizarre, à vrai dire, l'autre étant plus du style gros baroudeur balourd qui fait du bruit et qui grogne sans vergogne. Cela l'inquiétait. A vrai dire, il était à la limite de la panique a certains moments ou elle s'approchait trop près de lui. Alors certes, il était de nature peureuse et paranoïaque malgré ses efforts pour ne pas le montrer, mais ce n'était pas une raison pour oublier qu'elle pourrait le tuer si elle avait envie. Sans doute.
Toujours partir du pire, comme ça on est jamais surpris. Les optimistes vivent heureux, ça oui, mais certainement pas longtemps. Dans le temps, Lunargent avaient eu un ami optimiste. Sans doute l'un des trois a se balader en ville. Et bien il n'y en avait plus que deux ces temps ci. Une balle dans le coeur a tendance à faire cet effet. Ou deux. Ou trois.
A moins qu'il n'ait été incineré à l'essence, pas moyen de se rappeler.
Lunargent avait connu beaucoup de monde, dans le passé. Presque aucun ne figurait encore dans le présent.

Finalement, au détour d'un carrefour, il s'accrocha a une gouttière pour sauter sur une fenêtre en contrebas. Se rattrapant difficilement, les doigts endoloris, il se laissa glisser le long du mur sur le sol, a peine deux mètres plus bas. Il roula maladroitement, s'écrasant contre une poubelle dans un grand bruit.

"Putain. L'est rude celui là. Aïe! Ouais bah si c'est trop galère, passez par le toit, en face, doit y avoir moyen de passer par une échelle de secours. Ah ouais c'est bien ce que je pensais. Faites gaffe, le terrain est miné!
Merde, bah au moins c'est la gauche, parait que ça porte bonheur..."

Il se retourna.
Un immense sourire se dessina sur son visage. Il était toujours là. Sa fierté.

Spoiler:

Il n'était pas fier de grand chose en ce bas monde. A part de sa capacité à croire qu'il était modeste, bien sûr. Mais ça, vraiment... C'était sa mona-lisa. Un de ses favoris, sans aucun doute. Et il était toujours là. Vierge de tout contact avec les forces du nettoyage du côté obscur de la dictature du capitalisme laborieux et enuyeux. Un grand pied de nez a tout ce qui était interdit. Et dire qu'il avait fait ça en pleine transe druidique, et sans aucun souvenir de cet épisode... Un brin d'herbe de trop lui avait couté sa mémoire, mais quel résultat...

"Putain à chaque fois que je le vois j'ai des frissons. C'est a cause de ce type là que j'ai commencé a dessiner. Un dératé de la bombe et du pinceau, ce type là. Et personne sait vraiment qui il est." D'un geste, il montra le petit L encadré qui trônait, suffisament à l'écart de la murale pour y appartenir toujours mais sans la gâcher. Son sigle.
Il gloussa, mais pas pour les raisons qu'on pourrait croire.
"Lunargent, qu'y s'appelle. Personne a jamais vu son visage." il mima de la main la forme d'un masque en cherchant ses mots "porte un truc a gaz quand il peint. Parle jamais. Disparait aussi vite qu'il est arrivé. Tout le monde le recherche, les rebelles comme les flics. Mais il continue. On raconte que ça fait trois ans qu'il est là. Qu'il peint des trucs comme ça."

Avec douceur, il passa la main sur le mur doucement, comme pour sentir la peinture sèche. A l'intérieur de lui-même, il jubilait. Il n'était pas question de se faire mousser... il n'aimait pas vraiment ça, mais les doctrines étaient claires. C'était comme ça qu'il changerait les choses. En faisant de ce Lunargent qu'il avait construit de toute pièce un symbole. Et de rester un fidèle Nègre a ce personnage. Pourtant, cela le gênait de dire de lui-même ce qu'il disait. Mais si ca pouvait faire bouger des choses...
"Putain la première fois que j'ai vu ce truc, c'était y'a pas si longtemps, j'ai commençé à faire pareil. Mais c'est pas encore ça... Je crois que c'est le genre de mec qu'a peint toute sa vie. Mais comment il a pu faire ça sans jamais avoir de problème, ca, ben j'imagine que c'est une bonne question..."

Une bonne, en effet. Mais avoir passé son enfance chez les Ressacs avait ses bons côtés, au final. Même si on avait pas spécialement beaucoup a manger et que le chauffage au feu risque d'enflammer des barbes spontanément tous les deux mois. Et qu'on vivait avec une bande de lunatiques hippies qui pensent que la lune a des phases influant sur le Cosmos et l'énergie propre de l'homme et qui utilisent des grands mots pour parler de la ville sale, impropre qui corromp le coeur. Le Druidisme, ça, au moins, ca avait de la gueule, ca résonnait dans l'esprit comme dans le corps. La première fois qu'il avait vu la ville, il l'avait compris. C'était là qu'il devait être.
Et ses yeux, posés sur le mur, ne firent que l'en conforter. C'était ça qu'il devait faire.
Il zieuta a gauche
Il regarda a droite.
Et il commença a réfléchir a comment s'enfuir efficacement, plantant les deux pieds dans le sol comme pour entamer un sprint au premier pêt de travers.