Intrusion

Les nuages laissent filtrer de minces rayons de lumières qui s'écrasent et se réfléchissent contre les parois épurées des grattes ciels qui sillonnent la ville. Mais nous, nous ne sommes pas parmi les nuages. Il vous faut plonger parmi les bâtiments pour nous apercevoir.

Quelques pas sur les pavés. La rue est déserte. Depuis un petit moment, tout semble mort. La cité entière est silencieuse...
Mais plus pour longtemps. Si le bruit de mes chaussures résonne, ce n'est pas le seul.

« C'est encore loin ? »

La loque humaine enveloppée dans une odeur d'alcool qui se traîne derrière moi est un médecin. Le plus mauvais de la ville. Ou le meilleur. Difficile à dire ?

« Et maintenant? Et maintenant ? C'est quand qu'on arrive ? »

Insupportable.

« J'en sais rien. » Je soupire et je regarde de nouveau la carte. Dois-t-on aller ici ou là ? « J'arrive pas trop à savoir... Où est le... Truc médical ?...
- Ici ! Crie-t-il en frappant d'un doigt un endroit de la carte. Tu ne connais pas cette ville ? Quel minable ! »
Le médecin lève les deux mains en haussant les yeux au ciel, en signe de désespoir.
« Heh. J'ai peut être pas le sens de l'orientation qu'il faut, mais moi au moins... » J'ai baissé les yeux sur le grand morceau de papier. «  Je... Euh... Enfin je sais ce qu'on doit faire et je crois qu'on peut y arriver. Et puis on est chez les NOD. Personne n'est sensé venir ici à part les gens autorisés.... D'ailleurs, comment vous êtes vous procuré cette carte ?! »

Il ne répond pas. Docteur Fritzerman a continué à déambuler dans la rue vide pendant que je continuais d'examiner la carte, de son pas des plus particuliers en regardant à travers chaque fenêtres, chaque ouvertures.

Certaines portes sont ouvertes, d'autres non, mais en tout cas, tous les appartements sont vides. La ville, les entrailles ouvertes face au ciel, montre son agonie au grand jour.

« Il n'y a personne. » Il semble déçu. «  Je me demande si d'autres sont dans la même situation, quelque part en ville. »
J'ai haussé un sourcil, et : « Hm. C'est probable. Je comprend pas, je ne me rappelle de rien qui aurait pu mener à une situation comme celle-ci.... »

Le vent continue à siffler doucement entres les immenses immeubles qui crèvent le ciel. Peut être qu'avec une voiture, nous pourrions trouver d'autres personnes, en haut ?

« Dites, docteur ?... » Il se retourne, et me regarde de ses yeux injectés de sang. « Est-il possible que rien de ce que nous voyons est réel ? Je veux dire.... Le gouvernement possède le matériel nécessaire à nous plonger dans une illusion telle que celle là.
- Pourquoi feraient-ils une chose pareil ? »

Il ne me crois pas. Ça s'entend.

« Parce que.... Euh... Et s'ils voulaient des informations, hein ? »

Il rejette l’hypothèse d'un mouvement de la main et reprend le mouvement.

« Ridicule. Je ne servirais à rien, dans ce cas. Je suis un médecin. Je n'ai rien à me reprocher ! »

J'ai haussé les épaules, et nous avons continués à avancer parmi les voitures, silencieux. Toujours au même point.....

Il est ridicule. La situation est ridicule. Et ma derniére bouteille, VIDE !
Vide. Vide. Vide. Vide. Vide.
Comme toutes ces voitures. Commes ces immeubles. Comme cette ville. Comme le crane de cet abruti qui pense tout savoir.
Erreur de jeunesse. Erreur tout court. Il me tape sur les nerfs, le pseudo-rebelle-chevelu-hippie-punk à deux balles.

J'ai fouillé son sac hier, pendant qu'il dormait. Pas d'alcool. Rien. C'est pour ca qu'il est idiot. Jamais aucun stimulant, son cerveau reste inutilisé. Quelle tristesse.
Oooooh, monde cruel, que t-ai-je fait pour rester ainsi sobre ! Ooohhh, punition insupportable !

J'ai frappé ma tête contre la fenêtre d'une voiture vide, de dépis. Encore. Et encore.
Et encore une fois, parce que jamais deux sans trois, et jamais trois sans quatre. Et ad lib.

Il se tait. C'est ca le plus insupportable chez lui. L'ambiance est lourde, ce qui m'intime au silence. Quand il parle, c'est uniquement pour poser des QUESTIONS !

Tant pis, s'il se tait, c'est moi qui comblerait ce vide. Avec autant de blanc, j'ai de quoi remplir avec ce qui me passe par la tête.

« Je me demande si nous sommes seuls. Et je me demande ce qui a bien pu se passer pour que la ville soit vide. Peut être que c'est vrai, peut être que tout est fini ? Ou peut être que c'est juste une impression ? Peut être que les habitants sont justes ailleurs ? Mais ailleurs où ? Ca me rappelle une histoire que m'a raconté un client. Sa tante, Emeline qu'elle s'appelle, discutait justement avec son estheticienne de l'immigration controlée, et lui disait que..... »

Je parle. Je parle et je comble le vide.
C'était ca ou me frapper encore le visage contre quelque chose.

« … Et c'est là qu'il lui a dit qu'il avait les cheveux gras. Il n'y a aucun traitement efficace contre des cheveux gras comme ceux ci. Je veux dire, à part de l'acide, je vois pas ce qu'on pourrait faire. Et elle m'a dit... »

Trois bons quart d'heure de conversation qui ne mène à rien. ¨Ma voix est douce. Douce comme un matin d'été. J'aimerais m'épouser ! Et je me fournirai en alcool parce que dans un mariage il est important de supporter le mode de vie de son conjoins.

« … Tout ca pour ca. Il était pas vraiment heureux de l'apprendre, ni très fier. Mais bon, ca fait parti de l'apprentissage de la vie. Et maintenant il a une niéce. Dis-moi, qu'est ce que tu en penses, Krebs ? »

Je n'aurais peut être pas dû finir mon interminable monologue sur l'avis de Krebs. Il s'est retourné. Et il...

Quel petit con. Qu'est ce qu'il sait faire à part détruire ce que d'autres ont créés ?!
Moi je répare, lui, casse.

Qu'il aille se faire foutre.

Je suis passé entres deux poubelles, et j'ai glissé dans une ruelle un peu minable. Je me demande si il y a de l'alcool dans le coin. Et peut être essayer de trouver quelqu'un qui soit moins con que l'autre ?