Venant de là

Kim déboule sur le palier du sixième, à peine essoufflée. Eldon suit, pas loin derrière, un bon point pour lui. Bon, par contre, il va falloir attendre Chochotte, qui atteint péniblement le troisième.

Histoire de patienter, elle sort son arme, vérifie le chargeur, la sécurité et le canon avant de la ranger à nouveau dans sa veste.

D'une poche arrière de son jean, elle tire un crackeur de serrure à code, de la taille d'une carte de crédit. Pas besoin d'être une pro du crochetage, avec ça.

On sonne avant, ou on entre direct ? Et au fait, t'es armé ? demande-t-elle au bicoloré des tifs.

Sonner ? Pour quoi faire ? Il suffis de bien insister sur l'importance de ce qui se passe et bla bla bla... C'est encore plus impressionnant si les gens rentrent sans demander l'avis non ?

Petit sourire en coin.

Quand à mon arme, elle est dans ma veste, bien au chaud. Je l'ai démonté, puis remonté ce matin. Elle fonctionne à merveille.
Les seules armes qui s'enraillent ici sont celles des autres.

Et je suis armé. Tu permet ?...

J'ai ouvert la porte.

Aprés toi.

Papa sort de la salle de bains, en pyjama gris. Il baille : c'est l'heure d'aller se coucher, demain il prend tôt au service comptabilité des entreprises Mason. Un bruit inhabituel lui fait dresser l'oreille et se diriger vers l'entrée , où il se fige.
Pourquoi y a t'il une grande noire aux cheveux rasés et un jeune homme aux cheveux colorés devant la porte ouverte ? Et comment ont ils ouvert la porte, du reste ?

- Maman ! Il y a des punks dans l'entrée !

Mitch était bien tranquille, en train de regarder la télé, comme d'hab, tranquillou. Il demande rien à personne, même quand y'a des bombes.

Bon, il entends des trucs dans le couloir, mais y'a toujours un livreur ou un réparateur, et ils parlent souvent de trucs incompréhensibles pour lui qui en plus regarde la télé avec son chat en fumant des cigarettes et en ne pensant à rien d'autre si ce n'est le lendemain, quand il ira porter le courrier dans les méandres du bâtiment de Pyrrhus Network avant de squatter la cafétéria, puis de recommencer.

Mais là, il entends la voix des voisins qui dit des trucs étranges. Ils sont aimables les voisins. Un peu vieux jeu mais aimables.

- Maman ! Il y a des punks dans l'entrée !

Alors forcément, il se demande bien ce que ça peut être un punk ... Alors par simple curiosité, il se dirige vers la porte ...

- Ça va m'sieur Cortes ?

Et là, grossière erreur, il marche dans le couleur pour constater. Y'a deux bonhommes. Deux bonhommes pas très nets. Un black de dos et un bonhomme aux cheveux de toutes les couleurs ...

- Oh putain ... Oh putain ... Oh putain ...

Et il s'enfuit en courant, en hurlant :

- DES TERRORISTES ! FUYEZ ! APPELEZ L’ARMÉE ! ON EST ENVAHIS !

Et il s'en va se réfugier dans son appart ...

Bordel de merde...

Eldon, tu gères l'autre excité, s'te plaît ?

Kim se tourne vers le vieux... ouais, monsieur Cortes, pour ce qu'on en a à foutre... et essaie de se remémorer le petit discours répété au Murphy's. Parce que mademoiselle Sainte-Nitouche a toujours pas ramené son cul au sixième.

Heu... Nous ne vous voulons pas de mal. Nous faisons juste une campagne d'information. 'Tain c'était quoi après ? Ah ouais. Ce soir, vous n'avez rien remarqué de spécial ? Genre heu, des sensations quoi ?

Mais quelle conne, elle aurait dû aller buter l'autre connard du palier d'en face et laisser Eldon se dépatouiller avec les beaux discours...

Allez, fais risette, Kim.

- DES TERRORISTES ! FUYEZ ! APPELEZ L’ARMÉE ! ON EST ENVAHIS !

Oh, et merde.
Yeux au ciel de dépits, et soupir bien sonore s'échappant de ma bouche. Mais je conserve mon petit sourire en coin, parce que, qui dis résistance pouvant tout faire échouer dit... SPORT !
Avant de faire quoi que ce soit, j'ai tapoté l'épaule de kim, un geste qui signifie quelque chose du genre « bonne chance pour discuter avec la famille bidochon ». Parler avec ces crétins, c'est toujours difficile...

J'ai glissé d'un bond dans l'appartement du gars, avant de me coulisser dans ses couloirs.
Main sur mon arme. Toujours au contact de mes doigts, l'acier froid.

Il se planque l'enfoiré.

Bonjours monsieur.

Bon, dilemme : Un gars aussi réactif peut il être raisonné ?...
Je ne pense pas.

Ca vous dirai de discuter ? Nous ne sommes pas là pour blesser personne en fait...

Pfiou, enfin le dernier étage... Pourquoi ils pouvaient pas équiper l'immeuble d'ascenseur?!

- Désolée, je suis en retard... Ah, vous avez déjà commencé?

Zut zut, euh... Je vais... Aider Eldon? Oui, aider Eldon...

- Monsieur? On est pas des punks vous savez... Et on vous veut aucun mal... Ouvrez s'il vous plait, c'est très désagréable de parler à une porte, et c'est pas très poli de votre part...

Pourquoi il me regarde comme ça Eldon? Fallait aider Kim en fait?

Hé mais qu'est-ce qu'elle fait, l'autre ahurie ? Elle filoche dans l'apparte de l'excité ! Elle laisse Kim toute seule en mode diplomatique ! Celle-là, elle va pas garder sa jolie rangée de dents blanches longtemps...

Kim se retourne vers le vieux, que sa vieille a rejoint. Ils ont les yeux agrandis par la peur, ça ferait presque pitié. Elle en a un peu marre de faire peur aux gens. Si ça continue, elle va se laisser pousser les cheveux et porter des robes. Heu, non, faut quand même pas déconner.

Hum... Ouais donc je disais : vous avez rien remarqué de spécial, genre la vie est plus belle, tout ça ?

Papa regarde la grande femme noire avec un air ahuri. Des... sensations ? "La vie plus belle" ?

- Heu... Vous avez conscience que c'est... interdit ?

Maman s'avance, lui pose sa main sur le bras, parle sur un ton effrayé mais qui se veut apaisant.

- Enfin, Papa, tu vois bien que cette demoiselle est du genre un peu... rebelle. Donc, elle ne saisit pas ce que sa question a de...

Le regard qu'elle lance à Kim est plein d'excuses. Papa tapote sa main en lorgnant la Noire avec un peu d'angoisse.

Bon, alors la situation devenait grave. Des terroristes s'infiltraient dans son appartement, y'en avait au moins un ... Avec une main dans le manteau, genre " Je cache un flingue désintégrateur mais je veux faire semblant de discuter pour vous faire sortir de votre cachette et repeindre votre appart pour ensuite boire votre sang et faire la fête dans vos tripes avec mes copines en forniquant comme des gros dégueulasses, et ce tout nus ".

Sauf qu'on la fait pas à Mitch, non non non.

Surtout que le Mitch, il est planqué derrière son canapé avec son trophée de meilleur employé du service poste du mois, près à l'abattre au moindre geste louche. Si toutefois le bonhomme s'approche à moins de 30 centimètres ...

" L-Lâchez vos armes ! ... J'vous ... J'vous préviens, j'suis armé et j'suis prêt à vous dessouder d'sang froid ! JE DISCUTERAIS PAS TANT QUE J'AURAIS UN FLINGUE CONTRE MOI ! "

Alors là, Kim passe à un cheveu d'éclater de rire au nez des deux vieux. "Interdit" ! Ouaaah, ça fait trop peur !

Elle espère que sa soudaine hilarité s'est transformée en sourire aimable et explique :

'Fectivement, j'fais partie des insurgés. Bon, y s'trouve qu'on a fait griller vos implants, et on a besoin d'savoir c'que vous allez faire de vot' nouvelle liberté. En gros, y a trois options : un, vous nous rejoignez, et c'est la belle vie. Deux, vous préférez continuer vot' petite vie merdique, mais là, vous la bouclez et on vous fout la paix. Trois, vous avez envie d'courir nous dénoncer à la police de la pensée, et heu, en fait, on va pas vous laisser faire. Du tout.

Elle élargit encore son sourire.

J'vous laisse réfléchir, mais pas trois plombes, hein ? On a encore plein de gens à voir.

La main de Maman se crispe sur le bras de son mari.

- Griller nos... implants ? Comment est-ce... ?

Elle pose sa main sur sa bouche, effarée. Papa lui tapote le bras, rassurant, puis se tourne vers Kim.

- Vous nous laisseriez quelques minutes, mademoiselle ?

Sans attendre vraiment de réponse, il attire son épouse dans un coin de la pièce. Ils chuchotent, papotent, soupirent. Se prennent dans les bras, pleurent un peu. L'émotion ?

Ils reviennent vers l'insurgée en se tenant par la main. Papa prend la parole.

- ... Comme vous pouvez le constater, nous ne sommes plus tous jeunes, Maman et moi. Le côté "courons parce que nous sommes poursuivis", ma foi... On ne peut plus faire, c'est sur. ... Je suppose que votre "on va pas vous laisser faire" recouvrait une élimination... physique ?

Kim pousse un soupir théâtral.

Ah, les gars, les gars... Pourquoi vous m'demandez d'dire des choses qui fâchent ? Bien sûr, qu'on vous flingue si vous essayez d'nous dénoncer. Y s'trouve qu'on n'est pas aussi méchants qu'la télé le dit, mais on n'est pas des anges non plus. C't'une guerre, vous savez. Nos vies sont en jeu, alors elles ont priorité sur celles de... heu... civils comme vous. C'est con, j'suis d'accord, mais on a pas tellement le choix.

J'sais pas si vous comprenez bien l'but des insurgés. Genre on veut tout casser, mais non, en fait. On veut juste être libres, et pis s'tailler une plus grande part de liberté. Sérieux, si on n'est pas obligés de tuer des gens, on le fait pas. Enfin, moi, pas. Et pis, on court pas tout le temps chez les insurgés, sérieux. Z'avez vu c'qu'y racontent à la télé, comme quoi ils ont arrêté plein de terroristes ? Ils ont arrêté personne. Personne ! On s'en est tous sortis. Et pis, on n'est pas tous des heu, combattants comme moi. Y a des vieux aussi parmi nous, vous savez. On laisse tomber personne.

Kim se lèche les lèvres. Si ça se trouve, elle n'a jamais parlé aussi longtemps de sa vie...

Bon, allez, ca suffis. La piéce est terminée, rideau.
J'ai ouvert la porte à coup de pied, aussi délicatement qu'un grand coup de botte le puisse, et j'ai brandis le flingue.

Tu n'es pas armé. Tu ne paniquerais pas comme ca, sinon.

En fait, tu n'a plus aucune chance, vu ta réaction on ne peut pas te faire confiance. Héhéhéhéhahahaha !
Ah, le voilà. Derriére un canapé. Avec un machin en main.
Totalement inoffensif. Je suis entrainé, et j'aime tuer.

Je dois être un des seuls insurgé à aimer ca, mais pour tout avouer, je m'en balance totalement.

Ah, vous voilà. Vous savez quoi, j'ai changé d'avis. Ca arrive.

Impossible qu'il fasse un mouvement contre moi. Je tirerais bien avant.... Mais il peut toujours tenter la discutions, à condition qu'il ne bouge pas.

J'ai levé mon flingue, et...

Certes, Mitch est mal barré, avec un flingue pointé sur la truffe. Le truc, c'est qu'en face de lui, le bonhomme a certes un flingue, sait peut-être s'en servir, mais reste un gringalet.

Mine de rien, le fait d'être plus grand et baraqué que son adversaire sembla lui faire pousser des p'tites ailes ... Chose qu'il regretterait peut-être plus tard, mais bon.

" Bon ... Ok, j'ai peut-être pas de flingue ... Mais de toutes façons ... Si tu me shootes, t'as tout les voisins qui vont entendre et appeler le NOD ! "

Il réfléchit une seconde. Bon, ça, c'était vrai. Le problème, c'est qu'à la télé, ils disaient que les terroristes étaient assez fous pour tirer, même en se sachant foutus ...

" Et puis bon ... Euh ... Vous allez pas tirer sur un civil innocent quand même ? "

Et puis bon, y'a le chat de Mitch qui vient se frotter contre la jambe du terroriste. Il est con ce chat des fois.

Mitch le savait, il était foutu.

Le chat hein, pas lui ... Quoique.

Du bruit qui alerterais quelqu'un ?...

Hein ? Maiiiiis non...

... T'a arrêté d'être un civil innocent quand t'es parti en braillant, mon gars.

Y'a un silencieux dessus !


La balle fusa dans un léger bruit d'air comprimé. Tfiiit !

(ne pas tenir compte de ce message)

Les deux personnes âgées se regardent quelques instants, et c'est là qu'on s'aperçoit que vivre ensemble pendant des lustres, même sans amour, ça permet de développer la télépathie unipersonnelle, parce qu'au bout de quelques secondes, Papa hoche la tête et articule un déterminé :

- D'accord. On vous suit.

- Par contre... Il nous faut du coup vous signaler que... dans notre communauté de voisins.. Il y a de vraies... concierges -bien que je n'aie rien contre ce corps de métier- qui ont du vous voir entrer... Du coup... Peut être que vous êtes en danger.

Eh bien oui. Quand on choisit un camp, on fait les choses bien, c'est ainsi que Papa et Maman ont été élevés, là.

Kim les serrerait bien dans ses bras, les deux vieux, mais y a des chances que ça les effarouche un peu. Après tout, ils ne la connaissent que depuis deux minutes. Elle se contente de son sourire plein de grandes dents blanches.

Vous l'regretterez pas.

Bon, si tout se passe bien, et si personne cafte, vous allez avoir quelques changements de voisinage. Z'inquiétez pas : comme je vous ai dit, les insurgés, c'est des gens qui laissent tomber personne. Y aura peut-être un peu plus de bruit dans les couloirs... Un peu plus de vie, en fait... Mais hésitez pas à gueuler un bon coup si ça vous dérange.

J'oublie quèqu'chose ? Heu, on vous demandera rien de spécial, à part couvrir les autres et pas cafter. Votre vie changera que si vous avez envie. Genre, un p'tit resto de vraie bouffe de temps en temps, tout ça.

Elle se passe la main dans la nuque, sourit derechef.

Ah ouais au fait, moi, j'm'appelle Kim Deale. J'vous laisse, je vais voir c'que deviennent les deux autres avec vot' voisin. J'espère que vous l'aimiez pas, il a déconné, j'sais pas s'il va passer la nuit.

J'reviens vous voir après pour vous t'nir au courant, et si vous dormez, bin, un aut' jour. Ciao !

Et elle se coule dans l'appartement d'en face.

Choch... Heu... Caroline ? Eldon ? Z'en êtes où ?

Ca nous a pris un peu de temps pour nettoyer le... Enfin, le machin qui... Qu'est sorti de sa boite crânienne.
C'était vraiment pas propre.

Au final, le corps n'est plus. Enfin, pour le retrouver, c'est de l'ordre de l'impossible. C'est fou ce qu'on fait avec un disperseur moléculaire de nos jours ! C'est juste un peu long et il faut découper le corps avant. C'est une sorte de petit broyeur made in ze-futur, et c'est pratique.

Une fois fini, j'ai pris Caro par la main, et je l'ai forcé à sortir avec moi de l'appart : Je crois que le processus l'a un peu choqué. Bah....

Voila, on a fini ! S'en est où, pour vous ?

On peut y aller ? Il reste des trucs à faire ?

Kim désigne du pouce l'apparte des deux vieux.

C'est réglé avec eux, ils nous rejoignent.

Et toc, prends ça dans les dents, Chochotte, la vilaine Kim peut convaincre !

Bin, go, appart' suivant !

Pendant toute la nuit, les six rebelles font donc consciencieusement le tour des appartements de l'immeuble.

Paroles diplomatiques, coups de poing et coups de feu alternent. Quand l'aube paraît, April peut recueillir les statistiques suivantes :

- 39% des habitants de l'immeuble ont choisi de rejoindre la cause ;
- 44% ont dû être éliminés ;
- 17% ont opté pour un "vivre et laisser vivre" réciproque.

Ce qui donne, pour un bâtiment de 60 appartements, 26 logements disponibles (et parfaitement nettoyés).

Les nuits suivantes, l'opération se répète avec tous les autres immeubles de l'impasse.

Bordel! Comment je suis arrivé ici moi??? Je refais rapidos le trajet dans ma tête et... Le trou noir. Le vide absolu. Pourtant, je suis capable de faire un plan de mes fuites du mois dernier. Et là, rien? Pourquoi?

Parce qu'elle est là. Parce que j'ai passé mon temps à vérifier si elle ne se perdait pas, si elle suivait le rythme. D'ailleurs, elle a une sacrée foulée la princesse, avec ses gambettes de gazelle...

Quoi qu'il en soit, on est dans la panade. On fait quoi maintenant? Y'a pas trente six solutions. Je frappe à la porte. Puis à l'autre. Puis à toutes les autres.

Hey m'sieur dame! Je vends des caramels pour mon école! Z'en prendriez pas un ou deux siouplé?

Y'a bien quelqu'un qui va ouvrir. Et là, on s'enfourne, on se planque, et on repart par la fenêtre.