Bip...Bip...Bip... fait l'implant, enraciné sous le crâne de Mathilde, concentré en une minuscule capsule et régissant seconde par seconde chaque neurone, chaque cellule, chaque vaisseau de son cerveau mécanisé. Bip, bip... débite silencieusement l'ingénieuse trouvaille, répandant ses ondes transformant son esprit en légume, contraignant, effaçant, bridant, compressant, forçant, tordant, violant. Elle ne l'entend pas, ce son, bien évidemment. Pourtant, elle sait que vit en elle quelque chose créé par la main de l'homme, quelque chose qui ne lui appartient pas mais qui est le nid même de tous ses agissements.
Seulement, même consciente de cela, Mathilde s'en moque. Elle est une implantée, et, née en 2015, a subi cette manipulation cérébrale, comme tous les nourrissons venus au monde depuis les deux années précédentes. Dans son quotidien d'ouvrière, qui aurait fait tourner en bourrique ou pousser au suicide n'importe quel être pensant doté de toutes ses capacités cérébrales, Mathilde ni ne se plaît ni se lamente. Elle vit, ou plutôt, elle existe, c'est tout. Car on ne vit pas quand on se ressent rien. On n'est qu'une machine, qu'une coquille vide, qui doit simplement remplir ses journées en satisfaisant ses besoins vitaux : se nourrir, dormir, avoir une hygiène suffisante pour que les maladies ne s'installent pas sur soi. Et pour pouvoir subsister à ces besoins primaires, ils faut néanmoins travailler.
Ainsi, Mathilde traîne son grand corps loqueteux, fourré dans des vêtements bien souvent trop grands ou complètement disparates, car la seule raison qu'elle a de s'habiller est de couvrir sa nudité et de ne pas attraper froid, ignorant le plaisir de se sentir bien dans sa peau. Son regard terne, sans couleur, ni ne s'apitoie, ni se s'illumine, jamais, pas une fois depuis sa naissance, la machine infernale qui paralyse sa capacité au plaisir annihilant toute émotion. Oui, Mathilde existe, c'est tout, cet implant dévidant, seconde par seconde, un temps sans mesure pour elle, sans repères, ayant aplati son encéphalogramme depuis toujours. Mathilde n'est pas une femme, mais un robot. Elle pourrait tout aussi bien être un chien, le voisin d'à côté, ou une mouche qui finira écrasée sur le pare-brise d'une voiture, cela ne changerait rien ni pour elle, ni pour les autres, à cause d'une technologie qui fait d'elle un être en plastique, sans volonté, qui fait d'elle en quelque sorte, un objet parfait, sans risque de casse.
Sauf que ...
Il arrive que l'implant déraille, et cela Mathilde l'ignore. Car en plus de celui-ci, s'est greffée en elle une erreur... Parfois, le End-Vice relâche une infime seconde sa surveillance, le guetteur s'assoupit, ferme les yeux un instant...Et il suffit de cette microseconde pour que tout le désir emmagasiné et anéanti au fil du temps, déferle comme l'eau contenue derrière un barrage, qui pousse de toutes ses forces et profite de la moindre fissure pour se ruer de l'autre côté. Cela se produit lorsque Mathilde s'endort... Pendant que ses nuits se déroulent sans rêves, aussi mornes que ses journées, sans chaleur humaine diffusée le long de son corps, ni émotions, contenues durant l'éveil, exacerbées dans un songe délirant, alors que son esprit est encore moins apte à la rébellion et que l'implant s'adapte à ce relâchement, se laissant lui-même aller au repos... Alors le plaisir s'exprime sous une forme dénaturée, atroce. Et, pendant ces uniques instants où Mathilde vit, elle puise son bonheur, sa rage jouissive, dans la barbarie et le meurtre, retirant délices et joies intenses de la vue de l'agonie et de l'odeur du sang.
Jamais, jamais à son réveil, elle ne s'en souvient. Lorsqu'elle revient à elle, perdue en un lieu différent de son lit où chaque nuit elle s'endort, vêtue uniquement des entrailles de la malheureuse victime de sa joie furibarde et cinglante, l'implant ne lui laisse qu'un instant de terreur et d'hébétude, avant de reprendre possession d'elle, et de lui nier à nouveau le droit d'exister.
Sujet: Error in Mathilde 
Sam 24 Avr 2010 - 21:37