Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été une merde. Jamais le moindre écart de conduite, jamais un mot plus haut que l’autre.
Petit, j’étais assis au milieu de la classe, au milieu de tout le monde noyé dans la masse.
Jamais une bagarre, jamais une insulte, sauf quand les autres me prenais à partie pour me rouer des coups. Je disais rien. Déjà formaté.
Alors, le jour de mon implantation, ça n’a rien changé. J’étais devenu celui que j’étais avant. Rien. Juste rien au milieu des autres riens.
Je n’étais rien, je suis rien, je mourrai rien.
C’est le résumé de ma vie de rien.
Je suis célibataire, ou plutôt je suis pas marié. Mais je vois pas l’intérêt de trouver une épouse. Les enfants, ça n’a aucun intérêt, je crois. Je saurai même pas quoi en faire, ni comment les élever, encore moins les occuper.
J’ai mon petit appartement tout gris. Peu de lumière et le jour filtre à peine à l’intérieur. Certains pourraient dire qu’il est sinistre, moi je le trouve… rien. Je le trouve parfait pour mes besoins. J’ai pas de besoin, aucune envie. On peut appeler ça une vie de merde. Mais je crois que j’en ai aucune conscience. Je me rends pas compte. Je le sais parce que c’est ce que j’entends dire parfois quand je me promène dans la rue, seul.
Le matin, je me lève, je prends ma douche, je m’habille, je bois mon bol de Nesquik et je pars à l’usine. Chaque jour à la même heure. Tous les jours de l’année. Depuis des années.
Je suis employé au contrôle qualité. Je n’ai pas un poste hiérarchique et aucune responsabilité. Mon travail consiste à lire des modes opératoires et à les tamponner. Sur mon bureau il y a deux bannettes, l’une pour les modes opératoires tamponnés, l’autre pour les modes opératoires non-tamponnés. Je lis, je tamponne, je classe. Ça veut dire que j’ai lu.
Ça n’a aucun intérêt pourtant ça ne m’ennuie pas et j’y prends aucun plaisir. C’est mon travail.
Le soir après le travail, je marche seul et je rentre à mon appartement gris. Je mange une soupe comme tous les soirs, proprement. Je regarde la TV, j’écoute les informations, j’éteins, je vais dormir.
Je n’ai aucun vice, seulement des habitudes.
Je fais aucun rêve. Et j’ai même pas envie de me pendre.
[orthodoxe]