Foi-natique.

« L'État est roi. L'État peut tout. L'État vous protège. »

Une voix nazi-llarde égrène ces mots un par un, en boucle. Le haut parleur est de mauvaise qualité, et l'on peut entendre un grésillement important. Cela fait le bruit de milles moustiques voletant dans une pièce. Un bruit infernal, auquel se mêle le bruit des gens, dans une bouillie cacophonique inaudible. Près de neuf cent personnes sont rassemblés là, dans ce temple immense, qui ressemble plus à une carcasse pourrissante d'un gigantesque coléoptère qu'à un lieu de culte et de recueillement. Cela sent la sueur, la graisse, et la puanteur des gens mal lavés.

Cela sent la mort. Tous ces gens qui s'affairent à de vaines occupations. Seul Dieu peut les sauver. Les prêtres sont Ses envoyés. Jonnhy admire ces individus. Il leur voue un véritable culte. Ce sont ses héros. Ces hommes emplis de pitié et d'empathie qui ont la dure tâche d'aider les pauvres pêcheurs perdus sur le chemin de l'Anéantissement.

Jonnhy s'arrête brutalement. Une idée vient de traverser son cerveau. Plus qu'une idée. Une révélation. Le temple est immense. Gigantesque. Titanesque. Il l'écrase. Il l'oppresse. Il lève les yeux vers la voûte immense. Noire comme une charogne pourrie. Elle ressemble d'ailleurs étonnamment à un cadavre pourrissant, avec ces côtes saillantes, qui s'enfoncent profondément dans le sol en d'énormes piliers. Il peut en compter quatre-vingt. Quel monstre possède quatre-vingt côtes ? Cette pensée l'occupe pendant quelques temps. Il reste là, la bouche ouverte, et le cou renversé, à chercher quelle créature infernale pourrait posséder un tel nombre de côtes. Il pense au Léviathan. Cela lui plairait, de marcher dans la carcasse de ce monstre. Cela lui rappelle une vieille histoire que son père lui racontait. Pinocchio.

Pantin de bois dans le ventre de la monstrueuse baleine.

Le peu de lumière engendre une atmosphère étrange, mystérieuse et étouffante. Les gens ne cessent de se bousculer. On n'y voit pas à trois pas. La foule est compacte, et on ne sait pas trop ce qu'elle fait là. Elle se meut comme un fantôme, sans but, sans volonté. Il arrive à voir quelques uns des prêtres, qui surveillent toute cette populace d'un œil inquisiteur. Pourquoi est-il là ? Pourquoi sont-ils là, tous ? Jonnhy n'en a aucune idée. Il marmonne :

« Mmm .. me foutre la paix ... pas être tranquille … Saloperie de crétins … 'llez voir des putes … fichez moi la paix … bordel »

Il donne des coups de coudes. Il vient de se rappeler pourquoi il est ici. Non, il ne sait plus. Il fait demi tour. Il a envie de sortir. Un trou de lumière dans la profondeur des ténèbres du temple. La sortie. Mais aussi l'entrée. Cela lui semble étrange, que le endroit soit nommé entré ou sortie en fonction de ce qu'on l'aperçoit de dehors ou de dedans. Il fait quatre pas en avant, vers la sortie. S'arrête, encore.

Les prêtres exercent sur lui un attrait inouï. Il aimerait tant les approcher, les toucher, leur parler. Il s'en souvient maintenant. C'est pour eux qu'il est venu. Il leur expliquerait combien il leur était reconnaissant. Il leur expliquerait combien il les admirait. Pourquoi ? Jonnhy n'en avait pas la moindre idée. Tout ce qu'il voulait, c'était diffuser la paix divine.

Suzy, j'crois qu'on est paumé...

Tant que j'ai pas perdu Suzy, j'm'en fous de là où que j'suis. Et ça risque pas d'arriver ça. Un ouragan ne pourrait pas m'en détacher, tellement je m'aggripe fort à ses frusques. Fort mais pas trop en fait, parce que le tissu pourrait se déchirer.

On est où Suzy?

Je sais très bien qu'elle n'en sait pas plus que moi. On n'est jamais parti aussi loin dans la ville. On avait nos habitudes, les trois patés de maison autour de chez nous, et pas plus loin. Trop de risque qu'elle disait Mamy. Et pisqu'on n'avait pas le droit de parler aux inconnus, inutile d'aller à leur rencontre aux "autres". "Tu sais pas sur qui tu vas tomber, alors motus!". Oui Mamy, promis. Mais faut il encore tenir les promesses quand quelqu'un est parti, mort décédé?

Hey Suzy! Au fait, ça veut dire quoi mort décédé? C'est quand on est mort mais qu'on va revenir? Ou alors qu'on est encore plus que mort déjà tout moisi de dedans?

Je n'attends pas la réponse. Un homme m'intrigue. Alors je m'approche, et tire un peu sur sa manche.

Dis m'sieur. Y'a marqué temple là... C'est ici qu'on fait des prières pour envoyer des messages à ceux qui sont morts?

Je ne l'ai pas choisi à bistodénas' (l'est bizarre de mot, mais j'l'aime bien, même si je n'ai jamais réussi à le dire comme il faut). Il a l'air vachement intelligent. Pis vachement concentré dans sa prière.

P'tain c'était une idée à la con... Qu'est-ce qu'on est allé s'éloigner autant du QG ?! Sacré Choufi, il a l'air d'aimer ça, l'aventure, moi c'est pas trop mon délire, là, tout d'suite, le fait est qu'on est complètement paumés, je ne sais foutre pas comment rejoindre notre quartier là...
Ma parole on est chez les calotins là, entourés de connards implantés, le meilleur moyen de se faire repérer, super !
Le pauvre môme il a du mal à intégrer que Félicia c'est terminé, basta, elle a cané putain, on la reverra plus et j'ai bien peur ma feuille de chou chérie que ta nouvelle maman ce soit moi, ah ah ! Ouais Féfé avait beau avoir un foutu penchant pour la bouteille elle était quand même plus calée pour ce qui est garderie et bons conseils.
Quelques heures qu'elle est morte et voilà que je conduit le p'tit tout droit à l'opération implant...

ça veut dire que féfé est partie dans un endroit meilleur, un endroit sympa où elle est heureuse avec des putains de litres de gnôle mon Choufi, elle a du bol pas vrai ? Faut pas être triste mais elle reviendra pas.

Ben il est où ce c...
Who putain qu'est-ce qu'il me fait là ?!
Il nous a ferré la piré enflure de ce bâtiments d'enfoirés et voilà qu'il ne trouve rien d'mieux à faire que de copiner.. Putain écrit sur ton front "gosse des rues sans implant" tant qu't'y es....
Bon. Intervention. Discrète. autant que faire ce peux.

Ah ah ! N'embête pas le monsieur Barnabé !

Whao je suis presqu'aussi quiche que Félicia pour les petits noms...

Bonjour Monsieur, on ne fait que passer on trouve ça beau ici et on adore les gens et aussi les temples avec Choufi, d'ailleurs quand il sera grand Choufi il sera cureton.. C'est un peu comme un stage Monsieur vous voyez, non ? Bon beeeeen, on va pas moisir là hein, hein Choufi qu'on va retourner chez nos parents dans la grande maison du bonheur qu'on a des voisins sympa et on ne peut plus normaux hein petit frère, dis ?

J'peux pas l'embarquer de force le type flairerait l'embrouille, par contre j'ai été convaincante là.. Bon Choufi fait pas l'con rentre dans le jeu et on se casse d'ici bordel !

Suzy, regarde!!!

*Temps de concentration du mollusque à grandes oreilles: nul.*

Qu'est qu'elle fout la Suzy à bavarder avec ce type? C'est un vieux en plus, ça se voit. On n'a pas que ça à foutre non plus. Le tour de la ville en 24h, c'est le défi que je nous ai secrètement lancé. Mais chut, Suzy doit pas le savoir. Alors j'enchaine, vite, tel un éclair dans la nuit, tel un petit futé qui évite les drones. Parce que bon, si on se fait choper par un drone, c'est encore pire que par un homme. J'le sais, parce que Mamy Féli me l'a dit et répété.

S'il te repère, le drone va s'approcher de ta figure, à quelques centimètres. Il va fixer sa caméra dans tes jolies prunelles, et il ne te lachera plus. En plus de ça, il va se mettre à vibrer, et à crier des bibibip stridents qui font fendre les tympans de tes belles paraboles. Alors toi plus que les autres, mon Choufi, tu dois apprendre à courir, à te planquer, à faire des roulades s'il le faut, sauter, ramper, rouler, tout ce qu'il faut pour ne pas te faire locker par un drone.

J'ai jamais capter ce que ça voulait dire, "locker". Mais tout le reste, je l'ai assimilé. D'ailleurs, je sens monter en moi l'énergie du mini-ninja Choufi.

Ouououououwaaaaa!!!

C'est parti. J'ai lancé mon cri de guerre. Position jambes pliées et bras qui s'agitent, je suis dans mon personnage. Par contre, avec cette montée d'adrénaline, je ne me suis pas rendue compte du laché de décibel que je viens de faire. Et quand je vois tout ce monde qui se tourne vers moi et qui me fixe, j'hésite. Ils veulent faire un concours de regard noir? Parce que je suis balèze à ce jeu. Mais je crois que...

Suzy... On dégaaaaage!!! Go go go!!!

Et ben voilà, je donne tout je lui sort une putain de tirade qu'il ne peut soupçonner autre chose que deux gentils garnements de bonne famille implantée, avec les couverts en argent et tout, et Choufi faut qu'il me fasse un sketch, je crois que le décès de Féli l'a plus secoué que je pensais, va falloir que je le surveille...
Ok tout le monde se retourne pour savoir d'où sortent ces cris hystériques, dans le genre discrets on n'est pas loin du top là.
Ni une ni deux j'attrape Marty par le col et je le tire avec moi dans une course dératée. Faut qu'on sorte de ce putain de fourbi...

Putain Choufi active !! La sortie, là !!

Hop pif paf pouf, j'en profite pour coller un putain de coup d'épaule à un calotin qui passe par là, c'est qu'il me bloquait le passage, il allait me foutre la trajectoire en l'air, me casser la moyenne, pop pop pop nous voilà dehors, mais c'est pas fini on va courir courir et puis courir encore tiens... Et on est toujours aussi paumés...

HRP
>> La suite (j'édite avec un lien vers la suite de nos vagabondages..)

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