Deal!

Sujet: Deal! Mar 22 Mar 2011 - 21:25

L'air chaud est saturé d'odeurs. Ça sent le poisson cru, l'huile de friture, la crevette. Ça sent le gingembre, la pousse de maïs et même le caramel.
La porte s'ouvre, le commis en tablier gris me fait un signe de tête et balance ce qu'il reste du service du soir dans la poubelle. Les sacs plastiques qui s'entassent à côté ont été méthodiquement éventrés par les chats qui pullulent ici. Chinatown est le royaume du matou, aussi bien dans l'assiette que dans les arrière-cours. Les restaurants en font leurs choux gras, c'est même devenu la spécialité du Dragon d'Or, l'un des troquets les plus côtés du coin. Les automates en mal de sensation forte viennent ici tenter l'aventure dans l'assiette.

J'ai troqué l'imperméable et les mèches rebelles, contre un pull blanc et une coupe garçonne qui me donnent des allures fantomatiques, la nuit, dans les rues de Novlangue. Mais tout est une question d'adaptation. Les temps ont changé. Les gens ont changé. La vie a changé. Novlangue a changé.
Alors j'ai moi aussi changé les apparences. J'ai gagné en consistance, de courant d'air je suis passée à fantôme, mais j'ai gardé les mêmes occupations, les mêmes passions. Et j'aime toujours les odeurs, quelle qu'elles soient. Elles m'enveloppent d'un nuage parfumé qui masque l'absence. L'absence de mon odeur, parmi toutes les autres.

Je jette un coup d'oeil machinal à mon poignet. Il est en retard. Il devrait être là depuis plus de trois minutes. C'est long trois minutes quand on y pense. Suffisant en tout cas pour qu'un coeur arrête de battre, que les rouages d'un cerveau cessent de fonctionner. Suffisant aussi pour qu'un mourant pousse son dernier souffle, qu'un vivant décide de vendre une partie de soi. Trois minutes c'est suffisant pour passer de vie à trépas, de la pauvreté à la richesse, et ce sans même avoir tous les bons numéros! Trois minutes, ça fait beaucoup d'argent. Surtout pour moi.
Alors quand je vois qu'il a trois minutes de retard, je commence à me poser des questions. Cent ans l'auraient-il ramolli? Cent ans aurait-il transformé le bonhomme qu'on m'avait dépeint autrefois? Le type dur en affaire avec qui j'avais du batailler quelque fois pour rabaisser les prix? Cent ans auraient-ils déteint sur la ponctualité et la "rigueur" du Docteur?
Peut-être. Un tel bond dans le temps ça en chamboule plus d'un. Mais lui... Tout de même, je croyais qu'il était à toute épreuve...
Bah qu'importe. S'il a perdu sa superbe, j'en trouverais un autre. Un qui soit moins tordu, moins pointilleux sur la marchandise. Mais un comme lui... Y en a pas deux.

Sujet: Re: Deal! Mar 22 Mar 2011 - 23:09

En rtard, en rtard,
J'ai rendez-vous quelqupart
Je n'ai pas ltemps de dire au rvoir
Je suis en rtard, en rtard.

Quand je pense à ce satané taxidermiste qui refusa de me laisser monter dans son taxi... Le prétexte ? Ma valise, qu'il jugea trop encombrante et fragile pour qu'il puisse en prendre la responsabilité dans son véhicule. Ma valise, trop précieuse pour son taxi.... MON CUL C'EST DU POULET ?

Je suis en retard... Pour la première fois de ma carrière... A cause de ce fumiste, de cet espèce de... D'amibe préhistorique ! De protozoaire indépendant !

Ce qui me met encore davantage à l'envers, c'est que mon pourcentage d'alcool va bientôt redescendre en dessous de celui de mon sang, qui monte dangereusement en l'absence de boissons. J'en ai une ou deux qui traine, mais boire avant de parler affaire est strictement interdit dans le code d'honneur. Le code d'honneur de qui ? Le miens. Boire avant de commercer, c'est franchir la ligne rouge qui me sépare des vulgaires amateurs.

Et aujourd'hui, je passe pour un amateur. Malgré ma sobriété. Malgré mes précautions quant à la viande que je transporte. Malgré mon professionnalisme... Et tout ca à cause d'un taxi ! D'un vulgaire taxi qui traine les valkyries et les dépravés dans la crasse et la déchéance mais refuse l'argent d'un médecin honnête et respectueux !
Ne pas être ponctuel à la seconde prés me chagrine profondément.... J'ai le cœur en berne et le cervelet en coucou-suisse.

J'ai marché en trainant la valise derrière moi. Elle ne crains rien, elle est renforcées par de nombreuses tiges en métal qui forment un habitacle entièrement conçu pour réfrigérer son contenu tout en en assurant la sécurité et le confort. Quand je vois de petites merveilles de technologie comme cette valise, j'aime cette ville et j'aime le futur.
En fait, je ne crains pas pour mon colis. Je crains plus pour mon dos et mes articulations. Je traine ma carcasse jusqu'au point de rendez-vous comme un vieillard, ce n'est pas bon pour mon image de marque; Mais ai-je déjà eu une image de marque ?

Pour être franc, je n'avais aucune idée de ce que pouvait diable être l'objet de la transaction. L'ai je oublié ? Alors, dans le doute, j'ai pris TOUT ce que j'avais en stock et je l'ai mis dans mon coffre au trésors avant de glisser la clé dans ma poche.
Tout, vous-dis je !
Mais le coffre pèse lourd et racle les pavés. Et j'ai déjà deux minutes de perdues. Deux minutes que je ne pourrait jamais retrouver. Fondues.

Blanche neige sera-elle elle aussi fondue au soleil quand le lapin et sa montre à gousset arriveront à bon port ?
Non, je la connais, Blanche neige. Elle ne partirais pas sans sa pomme. Et sa pomme, c'est moi qui l'ai !
Justement, je l'aperçois. C'est marrant de savoir qu'elle aussi est tombée dans le trou, le trou temporel menant dans un Novlangue plein de merveilles technologiques !
Mais si Blanche neige a changée, le lapin n'est pas sujet au temps : Uniquement à sa vieillesse et à ses rhumatismes. Je n'ai pas bougé d'un poil.

Quatre minute. Quatre minute de retard.

« Ce n'est pas mon meilleur temps, mais mes semelles absorbent moins bien le béton qu'avant et il semblerait que les chauffeurs de taxis ne soient pas devenu plus aimable en cent ans... Comment allez vous ? Comme avant, je suppose ? »

Sujet: Re: Deal! Mer 23 Mar 2011 - 22:33

J'allais presque m'impatienter, quand enfin! Il tourne l'angle de la ruelle. Le temps qu'il franchisse les quelques mètres restants, j'ai le temps de l'observer. Dans la pénombre, c'est à peine si je saurais dire que c'est lui. Sa silhouette est un peu plus voûtée. Mais pour le peu de fois que nous nous sommes rencontrés, en chair et en os, je ne pourrais en être sûre et certaine.
Pourtant, dès les premiers mots, je reconnais bien là le personnage. Même façon de parler, même condescendance à peine voilée, même humour noir. Finalement, il n'a pas changé d'un iota et c'est bien comme ça! Je ne connais pas de plus grand spécialiste de la chirurgie que lui. A vrai dire je n'en connait pas d'autre, alors je fais avec ce que j'ai sous la main. Jusqu'à présent, je n'ai jamais été déçue.

Un sourire froid et distant se dessine sur mon visage à l'écoute de sa question. Il n'a pas oublié les bonnes manières non plus ce bon docteur. Il a toujours été d'un professionnalisme sans pareil, mais jamais au détriment de certaines valeurs. Des valeurs que je partage avec lui, et que j'apprécie même si je ne lui ai jamais dit. Des valeurs qui font de lui un partenaire économique parfait.

" Comme avant, comme demain, comme toujours, Docteur. Et vous? On me dit que vous avez fait place neuve, que les affaires reprennent. Mais avez-vous garder ce même sang-froid que l'on vous enviait auparavant? "

Sang-froid, c'est une façon de parler. Certaines rumeurs disent que le bon docteur est porté sur la bouteille. Mais ces préoccupations sont bonnes pour les discussions de comptoir, elles n'ont pas cours dans le milieu des affaires. Il pourrait même être camé jusqu'à la moelle que je m'en ficherai. Ce qui m'importe c'est le travail fourni. Irréprochable jusqu'à présent. Même s'il charcute ses "patients" avec 2g dans le sang, les incisions sont toujours nettes et précises, le boulot est fait, et bien fait. Le reste, ça le regarde lui, et uniquement lui. C'est pas mon pote, c'est pas mon père, c'est un fournisseur, un acheteur parfois, et depuis quand on fait du sentiment dans les affaires?
On en fait pas, c'est comme ça, c'est la règle.

D'ailleurs en parlant d'affaire, je jette un coup d'oeil derrière lui. La valise non plus n'a pas changé: on ne change pas une équipe qui gagne comme dirait l'autre. La technologie ça a du bon, mais les rudiments du métier restent les rudiments du métier: indémodables!
Je fais de la place et m'écarte de la table des négociations: un vulgaire bidon. Il fait nuit, mais les lueurs de quelques enseignes lointaines suffiront à éclairer la marchandise. Quoiqu'il en soit, un simple coup d'oeil de connaisseur suffit à savoir si elle est de qualité ou pas. Et connaisseuse, ça je le suis...

Sujet: Re: Deal! Jeu 24 Mar 2011 - 22:35

La réponse sonne comme une énigme, mais pourtant n'aurait pas pu être plus logique. Si sa physionomie n'est pas particulière, ses mots le sont et me rassurent. C'est bien elle, aucun doute possible là dessus.

« Les affaires n'ont jamais étés aussi flamboyantes. Bon, bon, bon... Alors, voyons voir ce que nous avons là... »

Dans la ruelle, nous sommes seul. Un bidon comme table, le sol comme chaise et la ruelle comme témoins.

Clac. Clac.
Les deux verrous de mon épaisse valises s'ouvrent, et à mesure que je soulève son couvercle l'azote s'évapore au contact de la température ambiante et forme une légère fumée blanche.
Les greffons sont maintenus à l'abri dans des petits caissons. Le dernier caisson n'en contient pas, mais renferme deux canettes d'un alcool bon marché, facile à dégoter dans n'importe quel supérette, bien au frais grâce à la science moderne. J'ai plus de frigidaire au cabinet, je me débrouille comme je peux.

Je vérifie l'étanchéité des deux tubes d'azotes, pour être sûr de ne pas avoir brisé la chaine du froid pour ces morceaux de viandes : Le système de réfrigération est totalement opérationnel, et les scellés de la valise sont intacts.
Pas trop froid, pas trop chaud. PAR-FAIT !

Je vais la bluffer, j'en suis sûr. Elle n'aura jamais vu de colis aussi... Aussi parfaitement conservés. Mes petites expériences sur la régénération cellulaire par une interprétation personnelle du processus de Bell et du cycle de Krebs, mes formules personnelles de conservation pour remplacer le sang durant le transport, la patience et la minutie durant l'extraction... Le greffon est plongé dans un bain d'éléments nutritifs, et grâce au processus complexe et à la formule injectée par seringue, les éléments nutritifs sont absorbés et se changent lentement en cellule. Le greffon se régénère et devient une véritable œuvre d'art, pendant que mes liquides assurent le remplacement du sang. Rien n'aurait été possible sans la technologie de 2140 et mes petites magouilles personnelles.

Le Mona Lisa du morceau de viande ! Tout est en parfait état, prêt à l'emploi.

J'ai pris une des deux bières dans le dernier caisson, refermé la valise, et je l'ai tourné vers elle. Les deux verrous sont encore ouverts, elle n'a qu'à soulever le couvercle pour voir les bébés.

« Ouvrez, et, admirez. »

Je ne me vante jamais sans bonne raison.
Regardez, Blanche, et faites l'opération mentale de la facture que je vous sortirais bientôt... Moi, pendant ce temps, je vais boire ceci. Psssh, fit la bière en se vidant sous l'action de la capsule.
Dieu, que j'aime cette époque !!

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