Déménagement

J'ai quitté la caserne tôt dans la matinée.
On m'a affectée un appartement dans les quartiers NOD, j'ai tout juste le code, je n'y ai même pas encore fait un tour. Un peu plus tard j'ai rendez-vous avec le directeur, ça me laisse tout juste quelques heures pour aller récupérer mes affaires... Là où j'ai grandit...
Ça fait combien de temps que je n'y suis pas allée ? Trop longtemps c'est sûr. Pas depuis que j'ai commencé ma formation.

Je devrais en profiter pour aller prier. Oui, c'est une bonne idée.

Maintenant je suis là dans les étages des appartements mentalistes, attendant devant la porte que le système de sécurité signale ma présence.

La porte s'ouvre, mais elle n'entend personne. Elle fronce les sourcils se demandant si le système la reconnait encore, puis elle comprend. Son frère n'a jamais été un lève-tôt, il est encore probablement dans son lit.

" Bonjour Jaden "


Il aurait pu se lever pour venir la voir... Mais quelque part ça aurait été suspect.
L'appartement n'a absolument pas changé, chaque chose est à sa place, rien de nouveau. Elle a appris que le changement était quelque chose de suspect. Mais parfois les habitudes trop bien ancrées aussi. Ceci dit ici, rien de quoi se méfier.

Sans rien ajouter de plus elle se dirige vers la salle de bain, elle est venue en tram et elle se sent sale.

Se laver les doigts un à un, puis entre chaque, doucement. Faire mousser. Frotter les ongles, dessus, dessous et autour, bien gratter, retirer la crasse et la maladie. Et puis rincer. Trois fois.

Elle se retourne et sourit un peu. Quoi ? C'est son frère quand même.

" Merci, jolie balafre. Tu t'es fait ça où ?"

Elle sèche ses mains dans l'appareil, le regarde un instant, toujours avec ce sourire indéfinissable, dont on ne peut deviner si elle a saisit l'ironie ou si elle se laisse berner par la feinte sincérité de son frère, probablement qu'elle même ne sait pas, elle hésite, la jeune fille veut y croire mais la NOD se méfie.
Finalement elle lui répond.

" Je trouvais que j'avais l'air trop gentille. Et puis en fait, j'aime bien.

Tu ne prends pas ta petite sœur dans tes bras ?"

Il la détaille lorsqu'elle se retourne. Envolées les dernières traces de gamine sur ses traits, c'est une femme désormais. Et plutôt canon qui plus est, si on enlève la ferraille qu'elle semble affectionner et son crâne à demi rasé. Ca, ça fait clairement mauvais genre. Mais bon, c'est peut être lui qui est trop vieux jeu.

Son sourire s'éteint sur ses derniers mots, et il n'esquisse pas un geste en sa direction. Sa main s'anime seule, parcourant d'un doigt pensif sa cicatrice, sans qu'il y pense vraiment. Il répond seulement :

Oh, une longue histoire, pas très palpitante du reste. L'aventure, tout ça, tu sais ce que c'est j'imagine...

Puis, sans crier gare, il l'attire contre lui. Un peu plus grand, il l'enferme dans une étreinte qui pourrait presque passer pour chaleureuse. Son visage se penche vers sa gorge, et il inspire profondément son odeur, la maintenant dans la force de ses bras.

Ca fait longtemps, Soeurette. Tu devrais passer plus souvent saluer ton vieux grand frère, il languit de toi...

L'affection... Elle s'est toujours demandée à quoi ça pouvait bien ressembler. Possiblement ce qui l'a poussé à lui demander ça... Mais maintenant elle regrette.
C'est étrange, presque désagréable et elle en est complètement mal à l'aise. Mais quand elle essaye d'y mettre un terme, elle réalise qu'il la tient fermement. Est-ce une façon de montrer sa plus grande force ? D'asseoir sa domination ? Elle s'en fout, elle ne cherche pas à à prouver quoi que ce soit, s'il veut croire ça, cela ne sera que plus facile le jour où il dérapera. parce qu'il dérapera, elle en est sûre.

" Je n'ai pas eu le droit pendant ma formation, mais maintenant je passerais régulièrement, je te le promets. "

Te surveiller.

" Est-ce que tu pourrais me laisser passer s'il-te-plait ? J'ai plein d'affaires à prendre et pas tant de temps."

" Merci "

J'aimerais bien qu'on soit comme de vrais frères et sœurs, pouvoir compter l'un sur l'autre. Mais ça, je ne vais pas le dire, c'est trop tard. Surtout quand je vois comment tu me regardes.

Mes affaires ? Ma chambre ? Quoi ? Mais... Père t'a laissé faire ça ?
Tu pensais peut-être ne jamais me revoir, que je mourrais pendant ma formation parce que je n'ai pas ce qu'il faut ?
Mes mains tremblent, je serre les poings.

" Réemployée ? A quoi ?
Oui, je veux bien que tu me montres où c'est, et comment tu as rangé."

C'est un ordre.
Mais je vais lui montrer ce que je vaux.

" Oh je ne t'ai pas encore dit mais j'ai terminé dans les meilleurs de ma promotion. J'aurais été la meilleure si j'étais plus grande, plus forte..."

Je souris, fière.

" Étonnant. "

Ressaisis-toi. Ce n'est qu'un pion. Un pion mal huilé, mal conditionné, il pourrit le système mais plus pour longtemps.

J'ouvre mon sac et commence à fouiller dans les cartons, récupérant des vêtements et autres choses utiles, et seulement ça. Mais je ne dois pas oublier le plus important

" Tu pourrais me donner des produits nettoyants s'il-te-plait ?"

Ça coûte cher, et c'est indispensable. Je ne sais pas dans quoi je vais vivre, mais hors de question de m'encombrer de saleté, de virus et autres champignons que les gens immondes aiment à cultiver. Pendant qu'il me cherche ça, parce que je ne doute pas que c'est ce qu'il fait, j'en profite pour entretenir la conversation tout en finalisant mes recherches dans les cartons.

"Tu fais quoi avec tous ces écrans ?"

Des responsabilités. Ça c'est amusant.
Au fond, j'apprécie quand même mon frère, s'il ne passait pas son temps à me provoquer. Mais je dois bien être honnête et reconnaitre, sans bonnes ni mauvaises pas pensées, qu'être responsable n'est pas sa qualité première.

" Des responsabilités en quoi ? "


En ayant finit avec les cartons, je me dirige dans la salle de bain à nouveau tout en continuant de parler.

"Oui, je m'installe dans les quartiers NOD. Je préfèrerais revenir ici, mais je n'ai pas le choix."

Il hausse les épaules.

Renseignements notamment. L'on ne m'a pas considéré assez subtil pour la prêche, alors je fais partie des strates cachées des Mentalistes. Ce qui me convient très bien, tu t'en doutes.

Un sourire intérieur. Ne pas avoir à professer ce galimatia lui convient très bien. C'est son pouvoir avant tout qui a fait de lui un Mentaliste, pas ses convictions, et nul doute que sa Soeurette en est tout aussi consciente que lui. Maintenant qu'ils sont ennemis, elle risque de vouloir sa peau, un jour. Peut être même recevra-t-elle ordre de l'arrêter. Bah, qu'elle vienne. Elle est comme les autres, elle sera soumise à son pouvoir si elle lève la main sur lui.

Il emporte avec lui les produits nettoyants qu'il a trouvé, la suivant vers la salle de bain.

Je compte sur toi pour passer. Je doute faire de vieux os si je viens te voir dans ton quartier.

Pas assez subtil. Non ça non plus.

Je le regarde un instant. On est exactement comme quelques minutes plus tôt, lors de nos retrouvailles, juste avant ce câlin que je préfèrerais oublier. Les produits en plus. Je lui prends des mains, un à un, regarde l'étiquette, mets quelques uns dans mon sac et lui rend les autres. Puis je ramasse quelques autres produits dans la salle de bain.

ZIP.
Je ferme mon sac.

"Ne dis pas de bêtises, tu peux venir quand tu veux. Je te raccompagnerai si tu as peur."

Un large sourire se dessine sur mon faciès, non désiré mais franc, un peu moqueur.

Il récupère tout ce dont elle ne veut pas. Il faudra qu'il fasse remplacer tout ça, ou les droides de nettoyage auront des soucis.

Puis elle lui sourit, la garce, elle se moque de lui. Peur ? Ahahahahaha. Ces NOD ne sont pas une bien grande menace, fort heureusement. Il y en a bien deux ou trois qui savent se battre, et un peu moins encore qui ont un cerveau en état de marche, le reste ne sont que des moutons stupides tout juste bons à suivre les ordres. Dans quelle catégorie es-tu Soeurette ? Un feu brille encore dans ton regard, mais cela suffit-il ?

Il se contente de lui offrir un sourire un peu plat, tandis qu'en réalité, un énorme carnassier cherche à s'échapper, et lui répond d'une voix difficilement contenue :

J'ai peur de faire du mal à tes petits copains surtout. Par les temps qui courent, il ne fait pas bon agacer un Mentaliste...

Il pourrait réduire n'importe lequel à l'état d'impuissance d'un seul regard, et il le sait. Et elle doit le savoir aussi, il n'a jamais été très discret sur son pouvoir. Même s'il l'utilise trop peu souvent à son propre goût.

Il dépose les produits en trop sur une table, se dirigeant vers la cuisine. De là, il hausse la voix pour se faire entendre.

Tu veux boire quelque chose avant de partir ? J'ai quelques remontants intéressants.

Et pourquoi tu voudrais faire du mal à un NOD grand frère ? Là est la question.
Mais moi je n'ai pas peur de toi et de ton pouvoir, je te connais bien assez. Et même si j'ai un souvenir amer de ton pouvoir, non, je n'en ai plus peur.
Pourquoi crois-tu que je suis partie chez les NOD hein ?

Le sac fermé, je le pose dans l'entrée et m'assoie sur le canapé luxueux du salon. Matière avant-gardiste, confort incomparable...Un petit verre ? Et bien allons-y, ça non plus, ça ne me fait pas peur.

" Avec plaisir grand frère, mais juste un et puis je file. J'ai à faire. "

Touché, coulé.

La langue brûle puis fond sous la liqueur, un délicieux gout piquant et sucré. Et le froid qui envahit les gencives, creuse les joues puis inonde l'esprit d'une douce chaleur. Pas que le miens visiblement.

Étonnant, tendre et sincère. Je ne m'y attendais pas.
Je pourrais en profiter pour lui sauter à la gorge, me moquer, lui renvoyer toutes ses âneries à la figure.
Mais je n'en fais rien. La liqueur sans doute.

Comme lui, ça vient tout seul, sincère. Parce qu'il est touchant et que c'est ce dont j'ai toujours voulu.
Je souris.

" Je viendrais régulièrement manger avec toi, et Père. Dis lui que s'il est là de temps en temps, c'est bien aussi. "

Je me lève et me dirige vers la sortie, sans oublier mes affaires. Sourire effacé.

" A bientôt alors. "

S'il savait comme il se plante. S'il savait comme elle est angoissée par son première jour de fonction. Et si tout allait mal se passer ? Et si elle était affectée dans un coin trop dangereux ?

Son père lui avait dit qu'elle pourrait être affectée chez les Automates. Issue d'une famille aisée et influente, engagée volontaire, il ne la laisserait pas croupir dans les bas-fonds. Elle défendrait les grands du gouvernements contre ces pernicieux rebelles.
Mais bien sûr, ce qu'il pensait vraiment c'est combien il serait avantageux d'avoir une NOD d'une famille mentaliste chez les Automates... Comment elle pourrait les espionner et rapporter leurs faits et gestes. Et lui, lui faire croire qu'un tel ou tel est un traitre... Comme ça serait pratique.

Mais au fond d'elle, il y a encore une petite fille, qui a peur de décevoir son père et qui a besoin de son grand-frère. Alors parce que cet instant touchant ne lui a pas suffit, promptement, elle dépose un baiser sur sa joue, une façon de lui dire : s'il-te-plait, n'oublie pas. Et puis elle fuit, file, il a toujours eu des réactions tellement étrange. Et aussitôt, elle n'a plus hâte de le revoir, peut-être ne tiendra-t-elle pas sa promesse, tout compte fait.