J'étais revenu d'un rendez-vous d'affaire, un nouveau contrat à négocier pour augmenter notre efficacité en matière de formation et recrutement des NOD.
Un rendez-vous somme toute assez banal. ces temps-ci était calmes, peut-être un peu trop...
Il n'y avait plus eu d'incidents majeurs depuis quelques mois, plus d'attentats, à croire que les rebelles s'étaient terrés ou avaient fuis Novlangue. Plus d'assassinats étrange, plus d'épidémie...
Juste le calme plat. Le calme avant la tempête peut-être.

Je n'avais plus eu de nouvelles de mes deux protégées. K-Cendre semblait s'être volatilisée, et cela m'avait rendu contrarié. Keseena quant à elle avait eu besoin de temps pour se remettre de sa blessure. Aux dernières nouvelles, elle devait bientôt reprendre le service.
Je soupirais en me servant un verre de cognac, un bon cru comme je les aimais. Je manquais clairement de distraction ces temps-ci. Je m'étais donc résigné à allumer mon écran pour suivre d'un air distrait les dernières nouvelles. J'aurais certes pu aller au Club select ou au Bagdad Café me changer les idées, mais j'étais d'humeur assez morose aujourd'hui.
Et un étrange sentiment se faisait ressentir, que je n'arrivais pas à interpréter. une forme d'inquiétude vague, mais qui me dissuadait de bouger de mon appartement.

Hest... Fermez donc les volets et les rideaux! Vous ferez aussi ceux de la chambre et vous pourrez rejoindre votre poste après.

J'avais 3 hommes affectés à ma sécurité en permanence. Ils patrouillaient le long de l'appartement et notamment devant chaque issue possible. Les murs résistaient à l'épreuve des balles et de la plupart des armes classiques. Non pas que je craignais particulièrement de faire l'objet d'une attaque, mais je préférais rester prudent. Certains confrères avaient été assassinés dans des circonstances étrange, parfois même chez eux, mais cela s'était aussi calmé ces derniers mois.

Hest étant sortis pour aller dans la chambre, je me retrouvais seul dans mon salon, portant mon verre à mes lèvres pour déguster le breuvage corsé.

L'on dit toujours, méfiez-vous de l'eau qui dort.

Avec Nyriss, il y avait de quoi s'inquiéter.
Elle était douée, très douée dans de nombreux domaines, plus qu'elle ne l'imaginait elle-même. Plus forte qu'un être humain, plus rapide, plus agile et plus intelligent. Dotée en plus de ça d'une intelligence artificielle formidable et très proche de la conscience, très proche mais pas encore parfaite. Il y avait bien des choses qu'elle ignorait encore, notamment à cause de leur fâcheuse tendance à se montrer imprévisible.

Alors quand une créature aussi puissante disparait soudain pour s'occuper dans les sous-sols de la ville, loin de l'indiscrétion d'autrui, il y a de quoi se méfier. Le nombre de morts par balles à longue distance avait fortement diminué ces derniers temps, tout comme les actions terroristes qui n'étaient d'ailleurs pas de son fait. Un certain calme régnait dans la ville, un calme pesant.

Nyriss avait réfléchit, longuement, elle ne dormait pas, se mettait en veille rarement.
Elle avait retravaillé son modèle et ses capacités, aidé par une autre orgienne. De temps en temps elle sortait des sous-sols pour enlever une puce dans sa clinique, sinon on ne la voyait guère. Elle ne fréquentait plus le Burger Bitch ni le Murphy's. Elle n'était que rarement retourné dans son appartement, et n'y avait jamais croisé personne.

C'était donc au sommet de la technologie et parfaitement décidée quand à ce qu'elle allait faire qu'elle sortie enfin, léguant sa clinique à B-62.
Elle aurait pu tuer encore, mais sa conscience peu à peu la hantait. Elle n'arrivait plus à choisir des cibles, ni pourquoi et quand l'un mourrait, dix prenaient sa place, encore pire, encore plus abjectes et répugnants. Elle aurait pu aller plus loin, viser plus grand.
Elle y avait penser maintes fois : pirater les systèmes de sécurité, pirater le fonctionnement du dôme. Tout désactiver, plonger la ville dans le chaos.
Mais du chaos, elle avait peur. Et si c'était pire après ?
Et si ça devenait un massacre ? Un génocide ?

Elle aurait aimé donner aux humains les moyens de remodeler le monde, mais ça aussi c'était compliqué. Elle n'arrivait plus à penser à leur place, à réfléchir comme la masse, à s'imaginer ce qu'ils pouvaient faire. Ça n'avait jamais été son rôle. Elle n'était pas humaine et ça n'était pas son combat, même si elle avait apprécié ce qu'elle avait vécu et expérimenté.

Ce qu'elle avait toujours voulu, c'était de se détacher complètement de son égoïsme, faire don de soi à l'humanité. Aider une personne en particulier et contre qui elle s'était toujours battue.

Il lui avait fallut une bonne semaine de préparation une fois sa décision prise. Choisir la bonne personne, ou plutôt la moins pire. Quelqu'un qui a au moins des principes, qui travaille plus qu'il ne se prend du bon temps et surtout qui n'est pas du NOD ou des mentalistes. L'Orgienne avait bien compris ce qui se tramait entre les classes dirigeantes, et le pouvoir en place était souvent mieux qu'un quelconque renversement.
Étudier ensuite son dispositif de sécurité, ses mouvements, ses habitudes.

Ce fut ensuite assez aisée pour la belle androïde. Elle repéra la faille et s'y glissa avec souplesse. Endormir un garde avec un remède d'éléphant et le cacher dans un placard, mettre en veille les caméras de sécurité. Tout ça, elle l'avait fait tant de fois. Cette fois là qui plus est, elle ne cherchait pas spécialement à être discrète. Puisqu'elle n'avait pas l'intention de tuer qui que ce soit. Elle n'était d'ailleurs pas armée et pour le montrer, elle était venue dans son plus simple appareil.

Elle s'avança d'un pas léger dans le salon, marchant à vitesse normal. S'installant dans un fauteuil, en face de celui qu'elle cherchait, jambes croisées.

- Bonsoir Erek Torkef, fit-elle d'une voix neutre et assurée, et qui ne laissait entendre aucune animosité.

Savoir reconnaître et accepter la mort quand elle vient à soi, est sans doute la plus noble des manières de partir. C'est cette étrange pensée qui me vint à l'esprit quand je levais les yeux sur la drôle de créature qui émergea soudain de la noirceur de mon salon.
Seul le bruit de ses pas sur la douce moquette avait trahis sa présence et ses mouvements amples et sensuels avaient attirés mon regard.

Je ne criais pas, ni même ne fit un appel pour attirer l'attention de Hest. Peut-être l'avait-elle déjà tué d'ailleurs. Je m'étais figé, immobile, prêt déjà à accepter l'inéluctable. Quelques gouttes de sueur froide perlait sur mon front et dans ma nuque, j'avais blêmit, mais néanmoins je me tenais droit et fier pour affronter ma destinée.
Car nul doute dans mon esprit que je subirais le même sort que mes collègues quelques mois plus tôt. Et même si le mode opératoire différait, peut-être avait-elle décidé que son visage serait le dernier que je verrais avant de contempler la mort.

Je contemplais l'Orgienne qui s'était avancée sans aucun artifice, nue, sa peau pâle se mêlant à quelques circuits apparents ça et là. En bon joueur, je savais accepter la défaite et c'est pourquoi je ne souhaitais pas vainement me débattre pour une survie qui ne me serais pas octroyée.
Je la regardais s'asseoir dans le fauteuil, et croiser ses jambes avant qu'elle ne me salue d'un ton neutre. Elle était belle dans son genre, une créature irréelle.

Je...

Je fut pris de court par cette attitude calme, alors que je remarquais qu'elle n'avait pas d'arme. Mais je me doutais bien de sa capacité à tuer à mans nues. Il fallait que je me ressaisisse.

Bonsoir Orgienne. C'est donc vous, un ange, qui doit me mener aux porte de l'enfer? Quelle ironie. Mais je ne vais pas m'en plaindre.

Je portais à nouveau mon verre de cognac à ma bouche pour en vider le contenu, avant de reposer l'objet sur la table.

Je suis prêt, vous pouvez accomplir votre funeste mission.

Il était calme, serein, une personne non dénuée de sagesse. Elle n'en attendait pas moins de lui. Même si elle hésitait toujours quant à comment elle pouvait le qualifier. Les automates restaient des êtres abjectes et comme il le disait si bien lui-même, elle vendait un peu son âme au diable.
Si elle avait eu quelqu'un d'autre en face d'elle, elle aurait sourit. Au lieu de ça, elle resta impassible, ce qui lui demandait malgré tout un certain effort. La colère ourdait toujours au fond d'elle, même si elle s'était résolue. Ce qu'elle ressentait, pensait était assez difficile à décrire. Il y avait certainement une forme d'abandon face aux injustices et aux préjugés de ce monde absurde que les humains avaient construit. Plus de cinq mille ans d'histoire pour ça. Ils touchaient presque le fond. Mais ça n'était pas un abandon complet.

- Quelque part c'est amusant. Ce n'est pas la première fois que l'on me prend pour un ange. Le suis-je vraiment ? Je tue de sang-froid après tout et je n'ai pas vraiment de remords. Et ça n'a rien à voir avec mon état de robot.

Elle parlait doucement, toujours aussi calme. Ils avaient la nuit devant eux et bien le temps d'en venir au fait. Elle avait envie de montrer une dernière fois qu'elle était une belle création, que les humains pouvaient aussi faire de belles choses.

- Quant à l'enfer... Nous y sommes déjà, non ? Enfin, peut-être pas vous, ni même moi. Mais là dehors... Ça ne vous touche jamais ? Tout ces pauvres gens, cette misère, et par dessus tout, ces espèces de corps animés qui travaillent pour vous ? Pure curiosité, je ne viens pas là pour faire votre procès.

Est-ce que vous connaissez mon nom ?

Elle imaginait bien que oui, elle devait forcément être recherchée, le contraire l'aurait presque peiné. Elle imaginait même qu'il connaissait tout d'elle, son modèle, son fabricant, à qui elle avait appartenu, l'année, la mise à la casse, ses faits et gestes avec les insurgés, à peu près tout sauf l'étendue de ses capacités.

Elle se leva alors et s'approcha du petit meuble à alcool, comme si elle était chez elle. Elle leur servit deux verres d'une prestigieuse liqueur, revenant ensuite vers le fauteuil tout en lui tendant un verre. Elle sirota une gorgée avant de reprendre.

- Je ne suis pas là pour vous tuer.
Je viens faire affaire. Je veux quelque chose et je suis prête à y mettre le prix.

Telle qu'elle se devait d'être en toute circonstance, l'Orgienne restait impassible, immobile. Nulle émotion ne filtrait, ni de son regard, ni de ses expressions. Comme si elle n'était qu'un robot. Et pourtant quel robot! Les Orgiennes étaient les miracles de la technologie. Et celle-là surpassait bon nombre d'autres. En effet, elle  provenait d'un corps décédé que son "patron" avait voulu ressusciter... Une démonstration de pouvoir absolue! Mais comme souvent, la création finit par échapper à son créateur.

Je la regardais avec calme moi aussi. Elle ne semblait pas pressée de m'abattre. Jouait-elle avec moi? Voulait-elle me pousser dans mes extrémités pour que le la supplie de me laisser en vie? Elle n'aurait pourtant pas ce plaisir.

Je l'écoute prendre son temps et rétorquer son avis sur sa position d'"ange". Je souris vaguement, mais d'un air un peu tendu, je m'attend toujours à voir finir ma vie dans quelques instants.

Un ange de la mort alors, un ange rédempteur...

Elle enchaîne sur l'enfer et le fait que ce monde ici-bas l'est déjà. Elle parle du bas-peuple, et des Orthodoxes. Mon sourire se fait cynique, désabusé.

Si ça me touche? Parfois oui, mais pas forcément de la manière dont vous parlez. Ce sont plutôt des personnes, des âmes qui me touchent... mais pas vraiment les implantés.
Eux ne sont pas malheureux, ils ne sont juste pas conscients de ce qu'ils sont vraiment... "Heureux les simples d'esprits" dit le proverbe!
Non, au fond, je crois que la vie est presque plus dure pour nous qui devons vivre avec notre conscience et décider de l'avenir du monde...

Mon sourire s'élargit lorsqu'elle me demande si je sais qui elle est.

J'en ai une vague idée oui. Dois-je vous appeler Nej ou Nyriss WA-7? La création de M. Daïre... S'il avait su, à l'époque... quelle magnifique création vous êtes, quand bien même dangereuse, voire mortelle...

Je la regarde se lever et chercher des verres ainsi qu'une bonne liqueur. Elle connait déjà tout de mon lieu de vie. Incroyable!
Veut-elle m'offrir le verre du condamné?
Je prend le verre alors qu'elle reprend la parole, elle m'annonce qu'elle n'est pas venu me tuer. Un de mes sourcils se hausse. Que veut-elle alors? En moi s'est fait un léger soulagement, même si je ne laisse rien paraître.
Un contrat? Voilà qui est intéressant.

Je vous écoute. Si vous venez me voir moi, c'est que vous estimez que je puis vous offrir ce que vous désirez. Avant de parler de prix, dites-moi ce que vous voulez.

- Nyriss, tout simplement. Une création mortelle dans le cas de Mr Daïre, et magnifique à ce qu'il parait, on me l'a dit plusieurs fois. Mais ce n'est pas de son fait. Il a employé le bon, ou le mauvais selon le point de vue, ingénieur. Melton.

Il connaissait Nej, ce que Daïre avait fait. C'était étonnant. Si peu savait toute l'histoire de sa fabrication.
Nej était curieuse, elle la sentait, tout au fond de son esprit. Mais elle était aussi inquiète.
Elle n'avait pas la moindre idée ce que planifiait Nyriss... Pourtant, elle était la première concernée.

Nyriss aurait pu lancer un débat sur les orthodoxes et leur bonheur de simples d'esprit, elle avait vu leur visage quand ils retrouvaient la vie que la puce leur avait enlevé et elle savait donc qu'il se voilait la face. Mais peu importait, elle était loin de tout ça désormais. Elle avait jeté l'éponge, d'une certaine façon.

Alors elle alla droit au but après avoir bu une gorgée de liqueur.

- Je veux une orgienne.

Elle le regarda droit dans les yeux, attendant sa réaction. Ce n'était peut-être pas sa spécialité, mais il avait des moyens, assez de moyen pour remettre en marche un atelier et faire venir le meilleur ingénieur de la ville. Il devait bien en rester quelques uns avec assez de connaissances pour assister Nyriss dans sa création.

Bien sûr, il n'avait pas vraiment le choix, elle pouvait toujours le tuer s'il refusait. Mais non, elle était honnête, elle paierait, n'importe quel prix. Elle avait sa propre proposition en tête, en espérant qu'il trouve cela suffisant.

Elle ne rétorque rien lorsque je parle de ma vision de Novlangue, de ces Orthodoxes qui travaillent pour nous sans rien savoir des difficultés de ce monde. Cependant, je me doute bien qu'elle n'en pense pas moins, mais cela n'est visiblement pas réellement la question et elle ne semble pas être ici pour me faire changer de position.

Nous embrayons sur son identité et elle me répond que je peux l'appeler tout simplement Nyriss. Cela me va. J'aime bien appeler les gens par un nom simple, sans m'encombrer de titre pompeux ni de monsieur ou madame. J'esquisse un léger sourire lorsqu'elle évoque Melton, l'ingénieur fou.
Mais même moi ne connaissais pas tout de l'histoire, et finalement cela ne m'intéressait pas plus que ça. L'Orgienne était devenue ce qu'elle était, et remuer le passé ne changerait rien.

Nyriss... Quel drôle de créature, mais voilà qu'elle m'intrigue vraiment avec sa proposition. Elle lâcha le morceau en allant droit au but, et je ne put cacher une réelle réaction de surprise.
Elle me fixait d'un air mi-déterminé, mi-moqueur. Je fronçais légèrement les sourcils, pourquoi demander cela, n'y en avait-il pas déjà qu'elle avait rallier à sa cause? Voulais-elle créer une nouvelle génération de femmes-robots encore plus dangereuse?

Admettons que je puisse vous donner ce qu'il vous faut. Que voulez-vous faire de cette Orgienne? Quels sont vos projets? La doterez-vous de capacités encore plus extra-ordinaires que les vôtres?

Elle avait raison, j'étais capable de lui donner ce qu'elle voulais. Même si je n'y connaissais pas grand chose moi-même, je connaissais suffisamment de personnes compétentes qui pourraient l'assister dans son entreprise.
Mais avant de donner un quelconque accord et de discuter de prix, je devais comprendre ce qui la motivait, ce qu'elle espérait faire avec cette Orgienne.

Nyriss n'en montra rien mais elle se sentait déjà bien soulagée par sa première réaction. Ce n'était pas un oui, mais c'était loin d'être un non. Elle souriait même intérieurement, comme soudainement apaisée de savoir que ce qu'elle projetait se réaliserait. Car elle n'en doutait plus, il accepterait.

Seulement il fallait qu'elle le fasse accepter sans trop lui en dire, pour le bien être de cette future orgienne. Ses capacités ne devraient pas être sus afin de la maintenir en vie un minimum. Sinon à quoi bon ? Son existence même ne devrait être qu'une rumeur, tout au plus. Personne ne fabrique plus d'orgienne et Mr Torkef n'aura aucun intérêt à s'en vanter. Il serait la risée de ses collègues et de ceux qui assurent la sécurité du gouvernement.

Elle le regardait dans les yeux, toujours aussi détendue, sirotant sa liqueur entre deux phrases comme s'ils parlaient de la pluie et du beau temps.

- Mes raisons sont des plus personnelles. Je veux qu'elle soit libre, ni plus, ni moins. Elle ne devrait pas être tellement plus forte que moi, ni même plus intelligente. Je ne lui ajouterais aucun module particulier. Je ne cherche pas à fabriquer une arme contre vous ou contre le gouvernement. Elle sera à peu près comme moi... en plus humaine.

Cette orgienne sera en vrai nettement plus conne, et ça elle n'allait pas le dire pour des raisons évidentes de survie, mais elle aura bien quelque chose en plus : l'autonomie. C'est la prouesse technique que Nyriss souhaite réaliser grâce à ce que Melton lui a laissé. Un bijoux de technologie précieusement gardé dans un lieu secret.
Quant à avoir plus d'humanité... La définition de ce mot avait une consonance plutôt péjorative pour Nyriss désormais. Car clairement, elle ne serait pas plus douce, ni plus réfléchi, ou encore plus honnête ou solidaire. Elle voyait les humains comme des êtres auto-destructeur, incapables d'être heureux, soumis à la jalousie, la cruauté et tout un tas de choses qu'il serait bien trop long de décrire, même si elle reconnaissait qu'ils étaient capables de merveilles de temps à autre. Sans pour autant tomber dans le portrait pessimiste, sinon elle aurait simplement tout fait péter. (Ce qui aurait fait plaisir à un certain prototype) Et bien qu'elle aurait vraiment voulu en aider plus, quelque chose s'était brisé en elle. Elle ne voulait plus de sa part consciente.

Elle était un robot et ne voyait plus aucune raison de se faire passer pour ce qu'elle n'était pas.
Elle avait vécu ce qui méritait d'être vécu et pouvait donc sereinement renoncer à sa vie pour l'offrir à une autre.

- Et bien sûr je sais que rien n'est gratuit. Vous avez vous même parlé de prix. Une orgienne contre une orgienne. Elle contre moi.

J'étais réellement curieux, voilà une demande bien surprenante qu'elle avait là. Qui voulais encore fabriquer une Orgienne de nos jours? Ces créatures n'avaient plus d'intérêt pour Novlangue, elles étaient trop douées, elles ont plus que surpassées les souhaits de leurs créateurs, mes prédécesseurs.

Je l'écoute me répondre, elle est calme, mais je sais qu'elle choisis soigneusement ses mots, qu'elle étudie chaque possibilités pour me dire exactement ce qu'elle veut. Elle a cette capacité de ne rien dévoiler qu'elle ne veut pas.

Je soupire imperceptiblement, je vais devoir me contenter de cela et tenter de lire entre les lignes. Une Orgienne libre... qu'entendait-elle par là? elle n'aurait rien de plus performant que Nyriss, mais serait plus humaine... voilà une drôle de contradiction, une Orgienne humaine...

Voilà une drôle d'Orgienne que vous voulez...plus humaine hein? Voudriez-vous donc lui donner la possibilité de ressembler plus à cette masse grouillante d'êtres dominés par leurs désirs que nous sommes?

J'étais très ironique mais je crois commencer à comprendre, pour que cette "race" survive, elle devait mieux s'intégrer à la population et plus lui ressembler, en somme elle essayait de donner un meilleur avenir aux orgiennes grâce à une nouvelle réalisation.
Fondamentalement, rien ne me faisait refuser catégoriquement cette possibilité.

Elle enchaîne en évoquant le prix et là, je ne peux réprimer ma complète surprise, manquant avaler ma gorgée d'alcool de travers, toussant un peu avant de répondre.

Vous?! Une Orgienne à mon service?

Je prend le temps d'y songer sérieusement, avec elle, je pourrais à coup sûr liquider tous mes adversaires pour prendre le pouvoir... Un léger rictus se forme sur mes lèvres à cette idée.
Mais... je ne suis pas comme ça. Je suis un peu différent de mes collègues, et je trouve que je ne m'en sors pas trop mal dans ce monde de cinglé. Cela me suffit.

C'est tentant, je dois bien l'avouer, mais non.
Vous êtes décidément pleine de surprises miss Nyriss... Est-ce que vous en avez assez de votre conscience pour vouloir vous retirer du monde?

Je ne voulais pas de son offre, que ferais-je d'elle? Non, j'avais déjà beaucoup et à vrai dire, je ne savais quoi lui proposer comme prix.

Je vous donnerais votre Orgienne, et vous mettrais en contact avec les meilleurs ingénieurs encore de ce monde. D'ici là je trouverais sans doute un prix que vous serez en mesure de me donner sans pour autant vous sacrifier...

Il ne comprenait pas, mais elle ne lui en voulait pas. Ce n'était qu'un automate, un riche business man qui n'avait pas la moindre idée de ce qu'était la vie en dehors des beaux quartiers. A l'écouter, on pourrait presque croire qu'il enviait les orthodoxes. Nyriss avait été l'un des ces moutons, un vulgaire robot esclave, elle se souvenait parfaitement de chaque détail alors qu'elle n'avait été consciente que tardivement de sa situation. Pour rien au monde elle n'aurait échangé sa liberté, quand bien même sa vie était chaotique et ne ressemblait à rien.

Jusqu'à aujourd'hui.
Elle se vendait, purement et simplement, elle savait que c'était abjecte et contre tout ce en quoi elle croyait. Plutôt que vente, elle aurait utilisé le terme sacrifice. Mais ça n'en était pas moins dégueulasse. Elle espérait secrètement que sa nouvelle orgienne finisse le travail qu'elle avait commencé, détruise ce gouvernement profondément injuste. Mais en même temps, elle ne pouvait attendre grand chose d'elle, elle serait libre de ses choix.

- S'intégrer, n'est ce pas le meilleur moyen de survivre ?

Elle lui mentait habilement pour lui faire croire qu'elle avait un but autre, un but honorable d'espèce qui lutte pour sa survie sans pour autant détruire les autres. Il fallait qu'il y croit afin d'accéder à sa demande.

Mais soudainement, elle resta scotchée par la surprise. Il refusait son prix. Elle fronça les sourcils et ne cacha nullement un air perturbé par sa réponse. Pourquoi ne voulait-il pas d'elle ? C'était incompréhensible et inattendu. Ça ne faisait pas partie de son plan.
Peut-être un peu lâchement, elle voulait que sa mémoire soit effacée dans le processus, qu'elle ne soit plus Nyriss, qu'elle ne soit plus consciente. Juste un vulgaire robot. Accepter cet état de fait et vivre comme tel. Oui, elle en avait assez de sa conscience.
Maintenant, elle allait certes avoir ce qu'elle voulait mais à quel prix... Un prix qu'elle devrait assumer.

Elle déglutit.
C'est pour toi que je fais ça, t'as pas intérêt à déconner.

Elle soupira et lui tendit sa main, sans quitter ses yeux.
Que pourrait-il bien demander en retour ?
Pour une fois, elle avait peur.

- Nous avons un accord.

Nyriss reste mystérieuse, lorsque je demande quelques précisions sur les raisons qui la poussent à demander la création d'une nouvelle Orgienne.
Je sais, je sens, qu'elle ne me dit pas tout. Elle garde certaines choses pour elles, ses motivations profondes.
Ment-elle sciemment? Cherche-t-elle a créer une arme contre nous? Non je ne crois pas, si vraiment c'était son but, elle serait venue armée ce soir, et je serais déjà mort.

Je dois me prononcer. C'est un peu un pari à prendre, un risque à encourir si je me trompe complètement sur sa proposition. Mais qu'est-ce que je risque à accepter? elle aura son Orgienne et en fera ce qu'elle voudra, en soi cela ne me concerne pas beaucoup plus.
Mais c'est sans compter sur ma curiosité débordante, un terrible défaut professionnel qui m'a pourtant été bien utile jusque là.

J'ai vu sa surprise, et autre chose encore. Cette lueur dans son regard, cette lueur que j'aime parfois déceler. La peur. Elle n'avait pas prévu que je refuse son offre et cela me plait d'autant plus. Je suis un homme qui aime surprendre.
Mais que pourrais-je lui demander en retour... et puis j'ai mes questions restées en suspens... Et si?
Hmm, voilà qui pourrait être intéressant, mais je préfère laisser encore un peu mon interlocutrice dans l'expectative, alors que déjà se dessine un sourire sur mes lèvres. J'ai exactement l'idée de ce que je lui demanderais en retour..

Oui, nous avons un accord, ma chère Nyriss.
Je contacterais dès demain les artisans de votre future création. Dîtes-moi où ils devront se présenter, et je vous ferais affréter une bonne cargaison de matériel de base. Vous pourrez aussi me faire une liste de ce dont vous avez besoin de plus spécifique..

J'aime que tout soit clair. Je tiens à connaître les modalités pratiques dès maintenant, afin de m'organiser au plus vite. Je suis également très pragmatique.

Tout ce passait presque comme elle l'avait prévu. Mais c'était bien ce presque qui posait problème. Se vendre était déjà un problème d'éthique qu'elle avait résolu par le fait qu'on lui effacerait sa mémoire et cette sale conscience qui vous rappelle à votre culpabilités et à vos erreurs.

Mais s'il lui demandait quelque chose qu'elle était incapable de faire ? Jusqu'où irait-elle ? A quel moment préfèrerait-elle le trahir ? Et s'il choisissait de garder l'orgienne tant qu'elle n'avait pas payé ?

Ce presque c'était la porte ouverte à toutes les incertitudes, à tous les problèmes et pourtant elle avait décidé de ne pas faire marche arrière. Il le fallait, à n'importe quel prix.

Nej, je compte sur toi pour réparer tout ce que je pourrais faire...

Maintenant il était temps de commencer, son sort était scellé. Elle se leva et s'approcha d'une fenêtre qu'elle ouvrit, ouvrant ensuite le volet protecteur.

- Sur les docks, il y a un ancien labo que j'ai remis en ordre. Entrepôt 14230. Je retrouverais vos ingénieurs sur place. J'y ai laissé une clef avec tout ce dont nous aurons besoin.

Et puis elle glissa de l'autre côté, dans la noirceur de la nuit. Ombre parmi les ombres. Là sur les toits de la ville, elle était libre. Et bientôt elle serait deux.

Même si elle restait globalement impassible, je sentais le trouble que j'avais provoqué chez elle en refusant son paiement. Elle n'aurait jamais pu imaginer que je refuserais.

Je l'écoute en hochant la tête et griffonne sur un morceau de papier le numéro de l’entrepôt qu'elle me donne. Dès demain, mes ingénieurs se rendront là-bas et entameront le travail. Je sais déjà à qui m'adresser. Il ne saura me refuser cela, il me doit un petit service...

Je la regarde s'éloigner et sortir par la fenêtre. Elle semble bien connaître mon appartement. Elle disparut de ma vision, silhouette fantomatique qui disparut rapidement, alors que je songeais avec un sourire en coin à ce que j'allais lui demander en retour de ce service.

J'envisage très sérieusement quelque chose qui ne devrait pas plaire à l'Orgienne, et pourtant cela ne contrariera en rien ses plans. Mais cela aura le don de satisfaire à ma curiosité.
Lorsqu'elle aura finie sa création, lorsque sa nouvelle soeur sera en état de fonctionner, de réfléchir et de ressentir comme une humaine ou presque... je désirerais simplement la rencontrer et avoir un petit entretien avec elle, pour me rendre compte de ce qu'elle sera...

[suite]