Ce matin je souffre… Comme tous les matins. Mais aujourd’hui, rien n’est semblable. Ce n’est pas cette souffrance fade et sans tristesse qui me traverse lorsque le soleil brûle mes pupilles. Habituellement, à l’ouverture de mes paupières, le soleil transperce mes prunelles sans scrupules, sans défense de ma part. Je me laisse violer par l’astre solaire, et que mes yeux picotent un peu, je n’en ai cure. Habituellement, sauf le dimanche, je suis éveillée bien avant que le soleil ne se lève. Mais aujourd’hui nous sommes un jour tout à fait ordinaires, et à l’analyse de l’intensité de la lumière, nous sommes sans doute déjà bien avancées dans la matinée. Et c‘est une souffrance qui s’amplifie ce matin, d’abord une douleur toute nouvelle, un picotement aigu des yeux, au point où instinctivement je réagis vivement et les plisse. Plus encore, ce viol oculaire me procure néanmoins une chaleur brulante qui de mes yeux envahis mon crane, mon visage, et jusqu’à la surface de mon épiderme, où je crois sentir craqueler ma chair doucereusement calcinée de lumière.

Comment définir cette situation, qui observé d’un œil extérieur peut sembler statique. Tant de sens sont sollicités simultanément. Une effervescence des sensations. A vrai dire je me sens dépossédée de mes yeux, de ma chair, de mon corps. Je ne le reconnais plus, et pourtant, c’est aujourd’hui qu’il m’appartient pleinement.

Alors ainsi, mes yeux difficilement habitués à la lumière, un nouveau sentiment s’empare de moi. Je ne serais pas au travail à l’heure aujourd’hui. Mais comment ? Et pourquoi ?

Dieu que j’ai bien dormi !

Dieu ? Hérésie au gouvernement. Comment puis-je ne plus mesurer mes pensées. Comment ai-je osé blasphémer à l’encontre de la société. Alors qu’il n’est question que d’un mot à oublier.

Je me lève doucement, et sors des draps chauds mes longues jambes maigres. La plante de mes pieds se pose sur la moquette rase de ma chambre. Un instant, un sentiment de curiosité s’empare de moi. Je laisse mes doigts de pieds en caresser les fibres, jouer avec. Ce n’est plus curieux, … c’est agréable.

Le soleil a beau traverser ma chambre, il ne fait pas si chaud. Un frisson galope le long de ma colonne vertébrale pour se fondre dans mes bras. Aussitôt je les enserre de mes propres mains. Et c’est alors que je prends doucement conscience de ce qui se passe. Je me réveille d’un cauchemar. Je m’éveille enfin pour la première fois de ma vie.

L’auto-contact est particulier. Je me caresse les épaules et savoure chaque mouvement de mes doigts autodidactes en la matière de caresse. Du bout de mes doigts je sens chacun de mes frissons, et je lis en moi comme en braille le sortilège qui s’empare de moi.

Je ne suis pas impatiente d’aller au travail aujourd’hui à vrai dire. C’est bien la première fois. Je me dis avec une fine honte due à la rémanence de ma vie d’hier, que je pourrais bien passer ma journée dans mes propres bras à me laisser sombrer aujourd’hui à l’oisiveté. J’en ai grandement envie, avec pour amis les rayons du soleil, et ma moquette de chambre.

Je me lève alors et marche en direction de ma salle de bain. C’est à ce moment que je reprends convenablement possession de ma vue, sens pourtant qui aurait du être sollicité et armé dès mon réveil. J’observe dans le miroir mon reflet. Je me trouve une jolie mine ce matin, voilà une drôle de réflexion. A cette pensée amusante, je souris, et aussitôt, crescendo, cette mine ravie m’embellis, je souris et à me voir encore sourire, me voila perdue dans un fou rire, chue dans un cercle sans fin. Je ris.

Je n’avais jamais vu à quel point mes dents sont blanches. Aurai-je mangé de la neige ? C’est joli la neige.

Au bout de quelques minutes à faire de furtives grimaces pour m’amuser, un nouveau sentiment s’empare de moi, je suis attendrie par ce poussin fraichement éclos observé dans la glace. Je tombe amoureuse de moi. Je passe mes mains dans mes cheveux, paille douce et irrégulière. Le toucher est un sens formidable.

Il faut que je sorte. Impulsion. Non, ce n’est pas possible, mon implant m’en empêche, il est fiable, et hautement réglé. Mais alors… Juste ciel, je vais avoir des ennuis sous peu. Rien de ce qui se passe actuellement n’est légitime. Quitte à mourir demain pour insurrection, autant en profiter pour trouver une solution. Je m’habille sans me laver, enfile une petite veste, et sors de chez moi, aveuglée par la beauté de tous mes bibelots que je n’avais jamais vu sous cet angle, observé avec tant d’estime.

Je décide de faire semblant d’aller au travail, et espère croiser dans la rue un insurgé qui pourra peut-être m’aider. Je risque d’y laisser la vie, mais la vie a soudainement un autre sens, une définition qui s’est réécrite dans mon inconscient. Et ce n’est désormais plus pour mon travail et le profit de ma firm que je me meus, mais pour me laisser balloter par mes sens en ébullitions, bercer dans l’incompréhension et le mal être. Oh oui, cette douleur ce matin, me bruler les yeux dans une fusion chaleureuse. Un instant je songe à me cogner le bras dans la cage d’escalier, juste pour voir, mais encore trop sage pour le réaliser.

Je marche le pas pressée dans la rue inquiète qu’on ne me démasque, que vais-je faire si je ne croise pas un individu type que je recherche. Oserai-je aller sous la ville les y chercher ? Ou bien chercherai-je autre chose à découvrir. Une boulangerie afin de me délecter d’un pain au chocolat ? Oh oui, on peut en trouver et parait-il est-ce délicieux.

Je marche… Non, j’avance…

Je n'avais rien vu venir
J'errais nonchalante et improductive sur le chemin du boulot que j'avais voulu aujourd'hui d'avantage sinueux qu'à l'habitude.
Mais un choc m'eut bien vite ancré dans la réalité comme un princesse eut plongé ses mains dans une fosse à purin. Douloureux retour à la réalité.

Le choc avait été sourd, et une main s'était légèrement appuyé sur mon épaule comme pour s'assurer de mon ancrage dans l'endroit présent. J'avoue, j'ai été distraite, mais qui ne l'aurais pas été. N'importe qui à ma place aurait pu ignorer un éléphant jouant du trombone à cet instant. Tout autour de moi rayonnait si fort de beauté, de nouveauté, que je ne savais plus où donner de la tête.
Afin de ne pas me perdre dans des déambulations émotionnelles, le destin avait placé un obstacle sur mon chemin

Je regardais surprise puis inquiète l'inducteur à la reprise de position dans mon corps physique, ébranlé à l'instant même.


_ Ouille ouille ouille... Pardonnez-moi.

Il ne fallait pas sembler inquiète, car pleine de scrupules à ressentir, une mauvaise rencontre doublé d'un comportement inadapté, aurait vite fait de mal tourner. Et aussitôt, je sus me ressaisir. Lorsque l'on est pas formé, entrainé à l'art de paraitre, on aurait pu croire impossible de modifier son attitude. Néanmoins, comme un instinct animal, un esprit de survie, s'empara de moi.

Vous n'avez pas à vous excuser.

Je ne pouvais pas prétexter la maladresse, car elle traduit bien trop souvent un malêtre dans le ressentis, or, nous n'en sommes pas autorisés.

Je n'ai pas regardé devant moi.

Comme s'il avait été protocolaire de toujours regarder devant soi. Néanmoins, je n'avais pas dit quelque chose de complètement compromettant. L'oppression devint soudain un sentiment complexe à ignorer.

Rassurez-moi, je ne vous ai pas fait mal?

En attendant la réponse de mon interlocuteur, j'observais ravie son sourire, les traits de son visage et tentais d'anticiper ce qui se produirait ensuite. Mais rapidement, je fus distraite par l'émotion qui se dégageait de ce sourire chaleureux. Et c'est d'idée en idée qu'en l'espace de quelques secondes je sombrais dans l'extase d'un contact humain pleinement conscient. Si bien que ma dernière phrase prononcée avant dans les règles de la politesse devint une interrogation sincère et attentionnée.

Parfait ! Moi de même…

J’étais cruellement gênée par la situation. Habituellement, je croisais des dizaines, des centaines de personnes sans qu’à aucune seconde mon attention ne se soit égaré de cette manière. Il m’était arrivé une fois ou l’autre de me faire bousculer par des individus quelconques, mais à aucun moment ce ne fut un évènement qui ébranla ma conscience.
Or à ce moment, je ne comprenais pas quelle force pouvait jouer sur mon mental.
Je baissais la tête, regardais au sol un instant et relevais la tête en espérant que l'homme ne soit plus en face de moi . Mais non, il était toujours présent, et plus encore, son sourire le rendait omniprésent dans l’espace qui m’entourait. J’étais comme cernée, sans issue, mais dans un confinement chaleureux. Dans un sursaut d’entrain, je me décidais et lui tendais ma main.

Je me présente, je suis Chimène Ségora. Je travaille dans l’industrie au bout de cette avenue. J’espère profondément ne pas vous avoir retardé si vous alliez vous aussi vous rendre à votre travail.

La collision avait eu lieu dans les minutes précédentes, et je me doutais bien qu’en aucun cas je ne pouvais être coupable de l’avoir rendu en retard à son travail. Néanmoins, cette phrase avait un intérêt : lier avec la personne face à moi. Je sentais que j’en avais envie. Décidément, depuis ce matin, beaucoup de sentiments se bousculaient dans mon habituellement étroit esprit, et voilà presque que je cherchais à charmer mon interlocuteur, parce que j’en avais envie.

Il me semble vous avoir croisé une fois ou deux en le traversant. Ici même ? Ou peut-être à l’usine ? Je ne sais pas où vous situer.

Le tour de passe-passe pour établir le dialogue, bien que tout cela ne fut que mensonge –je n’avais jamais remarqué cet homme au par avant- fut efficace dans le sens où je sentais que je détenais le pouvoir de retenir mon interlocuteur encore un peu. Et ce sentiment était jouissif au plus haut point.

Oh, je suis malpolie, je ne vous laisse même pas le temps de vous présenter. Vous êtes ?

Je me présente, je suis Chimène Ségora. Je travaille dans l’industrie au bout de cette avenue. J’espère profondément ne pas vous avoir retardé si vous alliez vous aussi vous rendre à votre travail.

Chimène - puisque son prénom était désormais connue - était retombée dans ses travers... Ce petit côté trop gênée, étourdie par le trop plein de sensations nouvelles et ces phrases pompeusement polies, comme lui aimait les faire. Fatalement Éric retrouva aussi son sourire embarrassant. Il jubilait.

Le jeu reprenait.

Ce qui est sûr, malgré ce qu'elle semblait penser, c'est que son travail n'était plus du tout sa priorité, alors son retard inutile d'en parler... À ce moment il aurait jouer avec elle mais une nouvelle phrase s'échappa de sa bouche mutine.

Il me semble vous avoir croisé une fois ou deux en le traversant. Ici même ? Ou peut-être à l’usine ? Je ne sais pas où vous situer.

Spoiler:

Son sourire se rebellait tant bien que mal. Les propos de Chimène l'amusaient. Ou tout du moins ses intentions.
Elle jouait aussi, sans doute de manière un peu inconsciente, mais sous les airs de fausses banalités, c'était bel et bien une tentative d'accroche qu'elle cherchait...
Il y avait vraiment très peu de chance qu'ils se soient croisés puisque ce n'était pas son chemin habituel. À l'usine, il y a un monde fou... Il n'était même pas sûr qu'ils travaillent dans la même.
Mais peut-être est-ce aussi son orgueil qui l'aveugle... Il mémorisait toujours un visage.

Spoiler:

Elle n'en finissait plus. Cela ne trahissait qu'un peu plus le stress.

Oh, je suis malpolie, je ne vous laisse même pas le temps de vous présenter. Vous êtes ?

Il dut revenir en arrière dans son script pour coller à cette question à laquelle il aurait répondu plus avant. Cela le désarçonna un peu. Perdu dans son texte qu'il essayait toujours de penser avant de le prononcer, il ne savait plus trop comment y répondre de façon à l'interpeller.

_ Surtout que nous sommes en retard...

Éric Dalmanson.

Main droite sur le torse, il se pencha très très légèrement vers l'avant pour accompagner cette pauvre phrase. Quand les mots ne suffisent plus, il faut ajouter la gestuelle au jeu.
C'est très important la gestuelle. S'exprimer avec tout son corps...

_ Nous nous remettons en route ?


Éric la votre est de l'autre côté...

Eric Dalmanson… Ce nom me plaisait beaucoup. Il me rassurait presque autant que le visage de mon interlocuteur. Ce sentiment me faisait un bien fou. Alors que tout devait être inquiétant aujourd’hui je trouvais face à moi l’image d’une bienveillance, d’une sagesse de bon conseil. Mais l’expérience de la vie nous permet aussi de gagner en ruse. Je ne savais absolument pas pourquoi j’avais envie de faire confiance à Eric alors que plus d’une réflexion m’aurait poussé à m’en méfier. D’autant plus que ce sentiment de confiance, je ne l’avais jamais connu pour autre chose que pour l’Etat et ses représentants. Je sentais doucement l’excitation monter en moi. Le désir de sombrer dans l’interdit, d’avouer mes fautes, mais pire encore, de m’en délecter. Je trouvais cela trépidant de partager l’interdit.

_ Nous nous remettons en route ?

Alors là, c’était un signe du destin. La nouvelle croyance interdite à laquelle je souhaitais adhérer à l’instant- le destin-, car je n’avais aucune envie de me remettre en route, si la proposition exprimait en effet la volonté d’aller au travail. C’est tout naturellement que je décidais consciemment de parler de choses différentes avec Eric, quitte à en mourir les instants suivants. Mais ce sentiment de liberté d’expression sur l’interdit était si fort, que je ne savais me retenir d’avantage. Car oui, la retenue était quelque chose que nous n’avions pas appris, nous les jeunes orthodoxes, c’était une frontière qui nous avait été imposé telle une barrière qui venait de disparaitre ce matin. Alors comment exercer quelque chose que nous n’avions pas appris.

Je vous ai menti, je ne comptais pas me rendre à mon travail.

Tout n’était que contradiction dans mon esprit.

Je comptais me laisser aller à l’oisiveté aujourd’hui.

La foudre aurait pu s’abattre sur moi à cet instant, je l’aurais accepté, car je le méritais.

Ce matin je me suis éveillée les sens en émois.

Il était toujours temps d’implorer une aide à retrouver le droit chemin

Je ne vois rien comme d’habitude, je crois être dans un autre monde.

J’avance ma main et la pose sur la joue de monsieur Dalmanson, le regardant droit dans les yeux, implorant.

Mon toucher est différent.

Je marquais un temps d’arrêt comme si ma condamnation à mort venait de sonner. Mon regard s’était cerné et mes yeux humides ne demandaient qu’à verser un flot de larmes. Je déplaçais à peine ma main sur son visage, au contact dru de sa joue mal rasée. J’étais coupable. De mes sensations, de ma tentative d’attendrissement, pas si feinte que cela malgré tout. Outre mes propres ressentis, le péché nouveau fut de vouloir susciter des sentiments en face.
Emballée, mon cœur avait a présent une raison de battre la mesure d’une vie nouvelle.
J’écartais ma main de son visage, comme on arrache son regard d’un être aimé. Je le regardai encore, comme on regarde l’objet de rêves les plus puissants. Le regard appuyé, encore quelques secondes, sans mot. Puis soudainement, je ne pouvais plus retenir mes nerfs. Je sautais sur place et me laissait retomber sur mes genoux, comme vaincue par l’abondance d’envies, de sensations, peut-être même de sentiments. Le visage baissé dans un premier temps, puis je le relevais absolument gênée pour sonder le regard de mon interlocuteur.

Il s'était rapproché. Et j'étais terrifiée, par le fait seul qu'il fut physiquement proche de moi. A genoux, je me sentais comme une proie que son prédateur tarde à égorger, comme pour jouer un instant de plus, comme pour se délecter d'avance de ce qui se produirait bientôt. Je n'avais aucun moyen de me défendre, et j'attendais encore que la foudre s'abatte sur moi. Mais l'attente du verdict est une source de terreur bien pire que l'idée de se faire foudroyer. Le jugement humain me terrifiait bien plus que le divin. Parce qu'il n'était pas objectif. Oui, l'homme se trompe. Je me trompe en empruntant la voie de l'affrontement aux moeurs. Il se tromperait de ne pas me dénoncer.

Crispée comme jamais je ne l'avais été, je fermais les yeux une première fois quand Eric énonça

_ Plutôt imprudentes ces révélations, Mlle Ségora... Surtout par les temps qui courent.

Je pouvais sentir l'infime chaleur de son corps rayonner sur moi.
Je basculai dans la tétanie quand ses lèvres s'approchèrent de mon oreille. Les yeux plissés, je l'écoutait me dire

_ Vous pourriez tomber sur un tout autre type de personne...

Je décrispais mes paupières, sans bouger, ouvris les yeux et fixa au loin le néant, comme une révélation. Je souhaitais qu'il ne s'écarte pas de moi. Simplement parce que je l'avais décidé, comme une enfant capricieuse, qui repousse toujours les limites et divague dans les situations interdites. Je voulais décider de ce qui se passerait, et c'est ce qui me permis de prendre doucement mon sang froid et d'exprimer avec toute la candeur qui soit, mais néanmoins dans un murmure:

Je n'ai absolument aucune idée du type de personne que vous pourriez être.

Comme pour essayer de répondre à ma propre question, je tournais délicatement ma tête comme pour tenter de le regarder. Je fus confrontée à sa proximité physique, son cou, sa joue, puis en levant mes yeux son regard.
Mes yeux faisaient l'aller retour quelque peu nerveux entre sa joue dont la barbe me fascinait, et son regard impassible. Je ne tremblais plus, et seul l'agitation de mes prunelles trahissais la crainte. Je ne voulais pas bouger.

Peut-être pourriez-vous me dire, ce que je risque auprès de vous.

Qu'il fut bien intentionné ou pas, je m'en fichais au plus haut point. J'aurais voulu à cet instant laisser échapper un éclat de rire de bien être. Oh oui, que j'étais bien à me laisser murmurer à l'oreille que j'avais le droit à des envies, que j'avais le droit de m'exprimer. On me demandait mon avis. On s'intéressait à moi. Quel sentiment puissant que celui d'être écoutée, car cela allait de soi, sir Dalmanson attendait ma réponse, et il fallait qu'elle soit à la hauteur de ce qu'il espérait. C'était évident, je devais réagir au plus juste pour le satisfaire.
Oui je ressentais doucement qu'un petit jeu de séduction s'installait. Je me sentais rayonner d'intrigue pour lui, j'aimais ça. Au diable le sentiment de culpabilité qui existait depuis ce matin à chaque pensée, chaque ressentis. Si j'étais condamnée, il fallait que ce soit pour une bonne raison. Et cette raison serait que je serais sincère avec lui jusqu'au bout.

Alors non, je n'éclatais pas de rire, mais un sourire à demi pincé se dessina sur sur mes lèvres. Mon regard s'ancra dans celui de monsieur Dalmanson. Ce bleu si clair illuminait un visage pourtant résigné. Pourquoi?
Pourquoi... Les questions importantes se pressaient soudainement dans mon étroit esprit. Bien évidemment, ce sentiment de bienêtre ne pouvait pas durer. Il fallait maintenant que des questions viennent obscurcir le plaisir de cette rencontre surnaturelle. Chienlit!
Quelles étaient les intentions de Eric. Pourquoi perdre du temps avec une jeune femme égarée de corps et d'esprit.
Il fallait au plus vite écarter l'angoisse, la culpabilité, la méfiance... et les envies alors?...
Mes envies ciblaient pour l'instant un être visiblement intéressée par ma personne et peut-être pas à de si bonnes fins que cela. Mes envies étaient divergentes. Les premières consistaient à donner simplement les réponses que je jugeais être celles qu'espérait sir Eric afin de le voir jubiler, et acquérir un sentiment de pouvoir... Est-ce cela que l'on nommait la « manipulation » ?
Les autres étaient d'agir de manière aberrante, tout l'inverse de ce que pouvait attendre mon interlocuteur, mais afin d'étancher ma soif de pouvoir d'une manière différente. Se rendre acteur principal de la scène. Réaliser mes envies nouvelles, à mon sens toutes aussi folles les unes que les autres. Que ce soit à nouveau poser ma main sur sa joue. L'embrasser. Ou le mettre à terre pour une raison non identifiée.

Faire abstraction du monde qui nous entourait fut aisé lorsque la réponse à sa question vint tambouriner dans mes tempes, dans mon coeur, et au bord de mes lèvres qui laissèrent échapper soupirant:


Mes sens me disent … que vous pourriez m'apporter votre aide... trés précieuse... peut-être... pour les aider à s'exprimer.

Cette question n’avait pas de sens à mes yeux. Submergé par mes sens, en effervescence, je ne pouvais pas distinguer lequel souhaitait s’exprimer en premier, car tous se bousculaient dans mon être. ET je n’étais absolument pas capable de donner la parole à l’un d’eux. Non pas que je n’en avais pas envie. J’aurais aimé ordonner mes pensées, mes envies. Mais rien de cela n’était envisageable.

Eric, lui, sage, prit une position de stabilité généralisée. Assis par terres, les pieds au sol, en appuis sur ses bras, rien ne semblait pouvoir le faire choir. Mais ce qui me surprit, c’est que cette position le mettait au même niveau que moi. Pas de sentiment de supériorité. Était-ce pour me mettre en confiance ? Il se rendait par cette position, un peu plus accessible, … un peu plus en danger ? Non, car son visage ne laissait malgré tout pas entrevoir au fond de sa pensée. Il avait tout l’air d’un homme qui perdait du temps, mais qui était persuadé que ça en vaudrait la peine. Mais à quelles fins.

Aucun ne doit s’exprime. Je n’en ai pas le droit. Me laisseriez-vous sombrer dans ce vice ? Qui êtes-vous exactement. Vous m’avez tout l’air d’un bon orthodoxe, mais… Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le lieu pour discuter de mes sens.

Je me laissais m’asseoir pour être à l’aise et mieux regarder mon interlocuteur.
Ma tension quant à mes sens était elle aussi tombée. La mise en veille avait été facile, car mon attention s’était tournée vers Eric. Je venais de m’asseoir, mais me tenais prête a réagir, car si mon interlocuteur voulait effectivement discuter de ces choses, nous nous remettrions en route rapidement, et j’étais prête a partir à l’aventure.

Je le regardais droit dans les yeux, curieuse, à l’affut de la moindre mimique sur son visage. Mais je ressentais qu’Eric avait été entrainé, ou s’était entrainé à ne pas laisser transparaitre ses émotions. E malgré ce masque superficiel affiché, le ressentis l’emportait et trahissait que foule de sentiment bouillonnait en lui. Il n’était pas un orthodoxe comme je l’ai été hier encore. Il me serait d’une aide positive, je m’en persuadais. Doucement, j’appréciais la situation.

Oui, c’était exactement cela. J’étais dans l’embrasure d’une porte que je craignais de franchir. J’avais le sentiment que si je franchissais le pas de cette porte, elle se refermerait derrière moi. J’étais tangent à un point de non retour.

Eric, semblait si calme pourtant. Peut-être un tantinet impatient. Mais je commençais à comprendre. Il n’était pas comme j’avais pu être hier encore. Il avait la connaissance que je souffrais de chercher à connaitre. Et il souhaitait sans doute me voir le suivre.

Alors je prenais mon courage à deux mains, pour faire le tri dans mon esprit, pour me promettre de toujours choisir au plus juste et en connaissance de cause. « En connaissance de cause »… Expression stupide. Je ne connaissais rien de ce vers quoi je souhaitais me perdre. Néanmoins, je me promettais de développer tout mon courage pour ne pas faire marche arrière.

Si vous êtes bien du coté que je soupçonne, alors vous avez beaucoup de choses à m’apprendre. Et si vous voulez bien perdre votre temps avec moi, alors je vous suis.

Un regard à gauche, un regard à droite. Personne dans cette rue. Je me levais énergiquement. Un sursaut, un tressaillement. Un sourire nerveux qui fit trembler le coin de mes lèvres. Fière, excitée au plus haut point. Anxieuse, comme jamais je ne l’avais été. Et c’était le cas de le dire.

Debout je lançais mes bras vers Eric pour l’inviter et l’aider à se relever.

J’allais toucher ses mains s’il l’acceptait. Quelle serait cette nouvelle sensation ? Des mains fortes et rassurantes. Les sentirais-je me serrer, m’étreindre l’âme au passage ? Seraient-elles douces, ou traduiraient-elles le poids des années de durs labeurs manuelles ?
Puis que me dira-t-il, où m’emmènera-t-il?

Nous étions tous deux debout. Je trépidais d’impatience, mais je savais ne pas laisser s’exprimer d’avantages que c es tremblements joyeux, signe visible de mon effervescence généralisée.

Se mettre en route, oui ! Tout à fait ! Mais où ? A gauche non ! Je trépigne, à droite surement.

Mon regard se balançait rapidement de gauche à droite, puis sur mon interlocuteur, les yeux impatients, implorants qu’on se meuve au plus vite afin que je ressente une satisfaction de l’évolution qui s’opèrerait, ne serait-ce que par l’action d’un seul pas, peu importe la direction.
L’excitation opérait également une inhibition de la pensée. Mon interlocuteur ne me fascinait plus du tout à cet instant, et telle une enfant ingrate, je n’avais plus d’yeux que pour la nouveauté dans le domaine des sens. Oui, puisque je connaissais le visage d’Eric, que j’avais sentie ses mains…

Ses mains. Était-ce ce contact qui inconsciemment m’avait mis en branle ? Doucement je me calmais, et mon regard cessa alors de s’agiter si vite en tous horizons pour se cantonner à l’aller-retour des yeux d’Eric à ses mains. Je me rapprochais calmement, puis énonça, la voix douce, comme si j’eu craints qu’Eric ne se sauve en courant comme une bête sauvage, comme pour le rassurer :

La route n’est autre que celle que l’on se crée par sa propre volonté.
Pourquoi s’éloigner de cet endroit alors que nous y sommes deux êtres en présence pouvant aisément s’occuper des heures durant. Vous regarder sous tous les angles, voilà ce que j’aimerai. Ne pas avoir la crainte de votre jugement, que je n’ai point à craindre votre jugement lorsque je laisserai échapper une émotion quelle qu’elle soit. Que l’on ne me puni pas de ressentir.
Pourquoi aller quelque part… En réalité, nous n’allons jamais « quelque part », nous allons pour se rapprocher des gens, parce que c’est bien la population qui donne l’âme des endroits.
Pourquoi prendre la route, pourquoi marcher sur les traces des gens qui font leurs chemins personnels. Pourquoi « est-il temps » de prendre cette route. Qui nous pousse à nous déplacer maintenant, quelle entité suprême nous y oblige si ce n’est notre inconscient… l’inconscient corrompu par la règlementation de notre pays.
Non…
Pourquoi ne pas prendre le temps de nous regarder encore, et de ne surtout pas penser. Pourquoi ne pas se laisser agir dans un lâcher prise respectueux. « Communiquer » de la « route » à prendre. Pourquoi ne pas juste…

Elle espéra de tout cœur qu’Eric ne bougea pas, alors qu’elle avança sa main, paume ouverte face à la joue d’Eric. Tant qu’il ne bougerait pas, elle ferait léviter sa main lentement le long d’Eric, à quelques centimètres. Juste pour l’idée, juste pour s’imaginer sa chaleur, juste pour s’inspirer de lui, juste pour se sentir le pouvoir d’approcher l’interdit, juste pour donner envie, se donner envie, un soupçon seulement… Juste pour se perdre.

"L'araignée, l'araignée, l'araignée elle pu des pieds, et moi c'est le pied, j'ai pas pied, mais l'araignée, l'araignée, l'araignée oui ça pu des pieds... Héhé! en voilà! Mais qu'est ce que ça se raconte ces petites bêtes pleine de membres?... Mais il serait pas en train de comploter??.... Mais que siiiiiii...."

The Hand reprend son chemin, virevoltant de mur en plafond, de plafond en lustre, de lustre en.... PLAF.... fenêtre fermée...

"Va chier! N'araignée, n'araignée, n'araignée né pu des pieds..."

Et la main oculaire disparait....