La pourriture du monde a fini par s'étendre à tous ses aspects et à le submerger.
Et moi je suis née dedans, les deux pieds dans la merde, embourbée jusqu'au cou, pas plus pourrie que d'autres, pas moins pour autant. Tous dans la même merde. Et certains qui nagent au dessus avec une absolue condescendance. Ils finiront bien par tomber dedans eux aussi, un jour ou l'autre, c'est pas la première fois et c'est pas la dernière, mais c'est dans celle là que je vis, et je compte bien passer inaperçue.
Parce qu'on ne choisit pas sa naissance, et que parmi les possibilités, il n'y en a pas beaucoup qui sorte du lot, si tant est qu'il y en ait... Et la mienne a l'agréable avantage de ne pas trop m'exposer à la souffrance physique, je n'ai qu'à vivre ma vie sans me poser de question, aller travailler, rentrer, manger, dormir, je n'intéresse personne et rien ne m'intéresse, je suis insignifiante.
Et je suis née après 2015.
Je n'ai pas connu mon père, mort, vivant, ça m'est égale. Et ma mère a tout fait pour tenter de m'inculquer de beaux concepts comme "démocratie" "plaisir" "bonheur" "liberté" mais je crois qu'elle m'a aussi transmis sa peur, et que je n'ai pas réussi à comprendre ce qu'elle voulait dire. Mais elle m'a tout de même laissé un peu de sa culture et de ses livres, précieux car soumis à la censure soit-disant. Surtout des lignes d'encre sans le moindre sens à mon humble avis...
Une petite voix intérieur me pousse à aller tester ces concepts... un jour peut-être. Au moins l'un des quatre, le plus accessible. Mais une grosse voix l'étouffe, des pensées noires comme on dit, qui font que quand je regarde le ciel, je ne le trouve pas beau, parce que j'en rien ai foutre, mais plutôt que je sauterais bien dedans... si j'habitais assez haut. Il y a bien un point sur lequel j'émets un avis autre que neutre, c'est que vivre ainsi ce n'est pas vivre, mais je ne connais rien d'autre.

Je ne suis ni belle, ni moche.
Ni grande, ni petite.
Ni fille, ni femme.
Ni simple, ni compliquée.
Ni intéressée, ni intéressante.

Je suis grise.

[Orthodoxe]