Entretien d'embauche

Parfois, on a une idée tellement fixe dans la tête que rien, absolument rien ne peut nous faire l'oublier. Même les problèmes de mémoire n'y arrivent pas. C'est pas faute d'essayer, mais l'idée revient sans cesse, parce qu'elle est ancrée profondément. Parce que cette idée, on a besoin de la concrétiser. D'aller jusqu'au bout. Pour tout un tas de raison.
D'abord, parce que, être une femme, seule, perdue dans un milieu d'homme, c'est dur. Surtout quand on a la mémoire qui flanche.
Ensuite, des fois, on se rend compte qu'on a des besoins étranges, parfois bêtes. Et que, ces besoins, personnes d'autres qu'une femme ne peut les comprendre.
Et puis, parce que, quand on est une femme qui a la mémoire défaillante, on a besoin d'une autre femme, pour être là à ses côtés, et nous rappeler ce qu'il faut faire en tant que femme.
La cerise sur le gâteau, ce serait que cette femme que l'on recherche puisse devenir une amie. Une tendre amie chère à notre cœur. Un truc qu'on ne sait pas vraiment ce que c'est. Qu'on aimerait toucher du doigt.

Comme cette idée ne partait pas, j'en ai parlé à mon oncle. Au début, j'ai cru qu'il ne voudrait pas. Mais j'ai encore beaucoup de chose à connaître chez lui on dirait, parce qu'il a tout de suite accepté, et qu'il a même fait passer une annonce pour moi dans l'heure qui a suivit.
Nous cherchions une jeune femme, entre 20 et 35 ans, qui avait les compétences en tant que dame de compagnie, mais aussi secrétaire, aide en tout genre, et toute autre compétence que nous jugerions utiles.

Une dizaine de jeune femme étaient déjà passées nous voir, mais aucune ne nous convenait, et je commençais à désespérer de trouver la perle rare....

Le temps a passé.
J'ai été rapidement ré-implantée après on passage dans la faille temporelle. De cette ré-intrusion dans mon corps de l'End Vice il ne me reste que quelques bribes de souvenirs. Le long couloir. Les gens qui attendaient en rang d'oignon. La porte qui s'ouvre pour moi. L'installation sur la chaise. Le basculement en arrière. Et puis, plus rien.
Je suis redevenue la petite Othodoxe docile comme le souhaite le Gouvernement.

On m'a donné une nouvelle chambre dans le quartier Orthodoxe. Pas très grande. Ni trop petite. Juste le minimum vital, rien besoin de plus. Je m'y plaît. Enfin je pense que je m'y plaît.
J'ai enchaîné plusieurs missions.
La première fut de bosser à nouveau dans l'usine d'armements. Ranger des flingues dans des boîtes et les faire expédier à longueur de journée. Pas difficile, répétitif, bon boulot pour une fille comme moi.
Puis on m'a affectée à un autre poste du jour au lendemain. On m'a fait passer du côté administratif. A savoir accueillir les gens dans une clinique privée du côté du Quartier Automate. Rien de bien compliqué non plus. Sourire aux gens quand ils arrivent. Leurs faire remplir un dossier avec tous les renseignements les concernant. Puis les mener gentiment dans une salle d'attente luxueuse avec boissons, nourriture et loisirs à gogo, le tout en dandinant du popotin pour ces messiers et avec des petites attentions pour ces mesdames. C'est ce que m'avait demandé la directrice de l'agence pour laquelle je travaille. Pas bien difficile non plus.

Aujourd'hui à nouveau on m'affecte ailleurs. Je ne sais pas à quoi m'attendre.
Mlle Japlin, ma directrice si l'on puis dire, m'a demandé de me présenter à nouveau dans le Quartier des Automates mais plus à la Clinique privée. Je dois aller dans les Résidences chics du Quartier, plus précisément chez les Doyles.
Pas plus d'information. J'ai l'habitude. Je m'adapterai.

C'est d'un pas régulier que je me suis rendue jusqu'à l'adresse indiquée. De la même manière je suis entrée dans l'immeuble et me suis dirigée vers les ascenseurs.
Direction le dernier étage.

Ding.

La porte s'ouvre sur un couloir dont la luxure ferai hurler un Insurgé. Une seule porte au bout. Sur une plaque dorée je peux lire :
"Résidence des Doyles".

Je sonne et attend sagement.

Je commence à en avoir assez, et regrette même d'avoir jeté l'idée sur la table. Mon oncle lui a l'air dans son élément. Il ne laisse rien transparaitre de ce qu'il ressent, alors que je peine à dissimuler mon agacement.
Aucune ne me plait, et ça risque de durer, alors pourquoi ne pas stopper tout de suite toute cette parade ?

Alors que je m'apprête à me lever, signifiant ainsi mon envie que tout cela cesse, Brutus arrive avec, à ses côtés, une jeune femme. J'arrête net tout mouvement, mes yeux posés sur elle.
Une étrange sensation tord mon ventre. J'ai une impression... Bizarre... Une de ces choses qui m'arrivent rarement.
Au début, à mon arrivée ici, j'aurais cherché à comprendre, à chercher ce que cela pouvait bien signifier. Et n'en aurait trouvé qu'un mal de tête des plus horribles. Là, je sais que ça ne sert à rien, que ça viendra tout seul si ça doit venir.

Une seule certitude.

-Vous pouvez toutes partir. C'est elle que je veux.

Mon regard ne l'a pas quitté une seconde. Je me perds dans ses yeux. Je me sens bien, calme. Un sourire monte lentement à mes lèvres.

Un homme m’a ouvert la porte très rapidement. Mon index venait à peine de quitter le bouton de la sonnette. Il m’a sourit aimablement, c’est un Orthodoxe comme moi, ça se voie tout de suite, et il m’a fait entrer d’un large geste du bras. Je me suis avancée d’un ou deux mètres puis me suis arrêtée pour le laisser me conduire là où il devait.
C’est dans une sorte de grand bureau qu’il m’a conduite. Le style est très épuré. Pas de babioles sur les meubles et sur les murs j’ai pu relever rapidement quelques grands tableaux de maîtres. Par contre je serai bien incapable de dire qui a bien pu peindre ces jolies toiles. Je peux à peine distinguer certaines signatures en bas de chaque tableau.
Je me suis avancée sagement dans la pièce et me suis retrouvée au milieu de tous les regards.

Je me suis sentie bien petite avec toutes ces paires d’yeux sur moi. Mais j’ai pas bronché ! Je suis restée stoïque, les mains croisées devant moi. Au boit d’à peine quelques secondes, une voix s’élève parmi les personnes présentes.
Voix fine mais non sans détermination.

-Vous pouvez toutes partir. C'est elle que je veux.

A ce moment, toutes les filles présentes se sont éclipsées. Il y en avait de toutes les tailles et de tous les gabarits. De la petite brune à la grande rousse aux yeux verts. De la plus pâle, un peu comme moi d’ailleurs, à la plus basanée.
Elles se sont éclipsées avec comme seul bruit d’accompagnement le frou-frou de leurs jupes.

Il ne restait plus que moi. Et elle.
Ses yeux ne me quittaient pas une seconde. Et … elle souriait ?
A moi ?
Rapidement et le plus discrètement possible je regarde autour de moi. Parce que ça ne peux pas être à moi qu’elle sourie. Il doit forcément avoir quelqu’un derrière moi. Quelqu’un qu’elle connaît et qu’elle apprécie.
Mais en fait il n’y a personne. Enfin si, moi.
Par contre je n’avais pas vu mais elle n’était pas seule. Avec son grand sourire elle avait réussi à éclipser l’homme assis à ses côtés. Il est plus vieux qu’elle. Sûrement son géniteur. Enfin son père je veux dire.
J’attends.
Je ne sais quoi répondre à son sourire.
Et enfin pourquoi donc sourire ?
Je me demande si elle n’attend pas que je lui fasse la même chose.
Je ne sais pas sourire moi. On ne m’a pas appris. Ça ne sert à rien.
Alors je veux bien briser le silence. Pas avec un sourire. Non ça je ne sais pas faire.
Je vais me présenter. Tout simplement.

Bonjour.

Petit hochement de tête poli.

Je suis Ilana Luze.
J’ai été affectée chez vous.

Mes termes sont précis. Je parle d’affectation. C’est ce que m’avait dit Mlle Japlin. Que j’étais affectée à un nouveau poste.
Alors voilà.
Je suis là.

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