Nej est partie. Je comprends les sentiments négatifs à son égard. Mais elle est partie, dans une mission suicide, seule contre notre ennemie commun.
Elle nous a bien traité de tous les noms avant, comme à son habitude et elle n'avait pas tort. Nous sommes des mollusques dans un tournoi de joutes.
Les leaders se sont divisés, chacun avec ses opinions et ses adeptes. Se faisant la guerre, parfois réellement. Il y a eu des morts.
Je n'ai jamais toléré ça, mais on ne peut pas dire que j'ai fait quoique ce soit non plus. Il n'y a qu'un genre d'amour transi pour elle qui me retient à ses côtés. Elle qui se sert de moi comme elle en a envie et moi qui la laisse faire.

- Avalga, Nej est en territoire ennemi. Nous pourrions faire quelque chose ! Nous rassembler, tenter le tout pour le tout. Une dernière fois. Une dernière charge.

Il n'y avait qu'elle pour unir Kalir, Erinia, Guinea et tous les autres. J'y croyais encore.

Scrounch. Je mords dans un truc. Je sais pas ce que c'est ,et je suis pas certain d'avoir envie de savoir. Objectivement, d'apparence, ça ressemble à une pomme. Une jolie pomme en plus, rouge avec un petit dégradé tirant vers l'orange... Mais au goût, ça ne m'évoque qu'un imbroglio confus de matériel génétique qui essaye de donner un sens à la façon dont on l'a entassé, peut-être même au hasard, jusqu'à obtenir une délicate saveur de joint d'étanchéité, généreusement saupoudré de sable.

Je traverse le camp, ersatz de pomme en main. Autour de moi ça s'agite, ça piaille, ça court, ça s'engueule. Le chaos a posé sa valoche à l'hôtel des illusions perdues. Là il est au bar, et c'est lui qui paye les tournées.
Moi ? Je souris. J'ai bricolé des jouets pour ces enfants révolutionnaires, à eux de définir les règles. Ouais, c'est ma vie, ici, après tout. Je devrais certainement me sentir un peu plus impliqué. Mais je les hais presque autant que je me méprise.

Je passe devant ce qui sert de QG. Un des gardes me reconnaît.

« Salut Warren. »

Mon regard s'attarde sur lui. Juste un type de plus, un automate, pas ceux avec une majuscules, ceux qui sont minuscules, qui appliquent les ordres, les anonymes. Évidemment je ne le reconnais pas.
Je jette un oeil à sa pétoire. Pistolet-mitrailleur, l'éjecteur de douilles a été changé de côté parce que le type est gaucher, et la queue de détente a été rallongée parce qu'il lui manque deux phalanges à l'index. Je reconnais mon travail.

« Salut. Alors bien le flinguot ? » Il sourit.
« Ouais, nickel ! »
Je pointe le gourbi dans son dos.
« Y s'passe quoi là-dedans ? »
Haussement d'épaules, petite gêne passagère.
« Oh, tu sais... Les chefs. La Nej est partie rendre justice, Gregory s'inquiète, il essaye de motiver Avalga, et les autres sont plutôt mitigés. Fait chier qu'en même de laisser quelqu'un sur le carreau. Nej est timbrée, mais elle a de la ressource. Par hasard... Tu pourrais pas en glisser un mot à Trevor ? »
Scrounch derechef.
« Ch'est pas chi fachile, il a des chouchis de logichtique... en che moment ch'est le merdier à *gloups* Zion. Faut lui laisser le temps de se retourner. »

Courte pause. Le brave petit soldat est tout dépité de ne pas avoir des copains pour aller jouer à la guerre. Je soupire.
« Bon, je vais jeter un oeil à l'atelier, si je peux me dérouiller un peu... »

Et voilà, il est content. Je n'entends pas sa réponse, je suis déjà loin. Un jour, peut-être, ils comprendront que je ne fais pas ça parce que je les aime, mais parce que j'aime bricoler des trucs.

L'atelier, donc. Ou plutôt le gros hangar en tôle ondulée rouillée et bâches plastique percées qui sert à abriter le bric-à-brac de récupération qui attend de retrouver une deuxième jeunesse. Ou une troisième.
J'entends que ça bricole sec, là-dedans. Les bruits d'outillages sont comme une délicate musique à mes oreilles. En passant, je m'arrête un instant pour régler la visseuse d'un gamin. Ne me remercie pas, petit, j'en ai rien à foutre que tu gagnes du temps, c'est juste que ça me fendait l'âme d'entendre couiner ce pauvre moteur parce que le mandrin était légèrement désaxé.

J'arrive au "bureau", une vieille porte en plastique de construction, ingénieusement reconvertie en plan de travail grâce à l'astucieuse disposition, à droite, d'un tréteau en bois, et à gauche, d'une pile de boîtes en métal soudées entre elles. La classe.
Alors, voyons. Quels sont les projets du jour ? Et si on commençait par un peu d'électronique ? Oui, il doit rester assez de matos pour bricoler quelques détonateurs... Si les Insurgés veulent marcher dans les traces de Nej, il va leur falloir de quoi se frayer un chemin. Sûrement à cause des ruines que la tendre enfant aura laissée derrière elle, tel un petit poucet allaité aux anabolisants.