Nous sommes au comptoir d'un de ces petits restaurants comme il y en a tant dans ce quartier. Des bridés partout : A ses cotés, devant, sur la route ... Sous la pluie battante et les nuages menaçant, les jolis parapluies bariolés à manches néons, les journaux. On se protège avec ce qu'on peut des caprices de Dôme Nature, mais une chose est sûre. Ils sont partout. Ça tombe bien, le corps d'Oktane fait parfaitement illusion : Il est tout ce qu'il y a de plus asiatique et a juste ce qu'il faut, là où il faut pour déjeuner à peu de frais : Le pilote automatique se charge de tout... Il y a une application pour ça.

* Tu sais sœurette, je pourrais presque m'y faire ... Je veux dire, le corps, tout ça. Être une fille ... C'est presque de la triche ce qu'on fait là. Faudra que tu m'apprennes tes tours de passe-passe de gonzesse ... *

* On verra ça, en attendant, profites-en bien. Je suis pas totalement sûre de la légalité du fait d'aller faire sauter mon intra-combusteur dans ces coins-là. *

* Oktane ... Tu t'inquiètes vraiment pour rien, on est bien dans le sol endroit où personne ne nous soupçonnerait ... Y'a pas meilleure cachette qu'ici, ils te ressemblent tous ! *

Bien sûr, C'était une affirmation bien hâtive, et malgré une capacité d'adaptation rapide qui avait permis à la " Petite Sœur " d'assimiler au préalables ces langues extrêmes-orientales plébéiennes par des prélèvements adéquats en ligne, certains détails ne trompaient pas.

" Donnez m'en 4. [...] Non. 4 ! 2 et 2, 4, et des nouilles ! "

Comme l'aurait bien dit Kane - Car tel s'appelait maintenant le "frère" -, il n'y avait guère que la couleur de peau et les yeux bridés qui faisaient illusions : Elle était trop " Bien roulée ", trop propre pour faire illusion au milieu de ces pouilleux, même avec ce manteau de "civil" trempé qui lui couvrait les épaules. Il y avait les lunettes, des répliques de Ray-Bans antiques, le cigare aussi. C'était passé de mode, c'était cher ... Celui-là était tout pourri, mais grand bien lui fasse, c'était Kane. Allez provoquer un cancer dans un poumon robotique. Si on cherchait bien, on trouverait l'arme de service, une arme à poudre, un revolver, bien plus bruyant que ces joujoux lasers, bien plus intimidant, bien plus simple, et puis sa plaque.

C'était la pause, pause de tout. L'aspiration la plus simple à la tranquillité. Le NOD vous crèverait n'importe qui à la tâche, surtout avec ces espèces de gélules...

Pour se protéger de la pluie, elle avait mis ses lunettes, de grosses lunettes rondes dans le genre aviateur, stylisées comme tout le reste de ce qu'elle portait. Pour se faire anonyme et ne pas mouiller ses cheveux, elle avait rabattue la capuche de son long manteau noir, cachant les traits de son visage. Être Valkyrie avait au moins un avantage: jamais plus elle n'aurait à se soucier d'argent ou de confort. Elle aimait pourtant, au risque de se faire poser des questions, aller dans ces lieux crades où elle s'était toujours sentie chez elle. Elle avait fini sa longue nuit de travail, blasée par tous ces plaisirs qu’on lui demandait de créer. Pour le moment, elle avait envi de goûter réellement à quelque chose, de marcher dans l’air frais du jour, de sortir de ces lieux où elle n’était qu’un objet de plaisir, que la servante du bonheur des autres, au détriment de sa joie de vivre, voir de sa santé mentale. Probablement était-ce exagéré de dire autant, mais d’une certaine façon, c’était ce qu’elle mettait en péril.

Elle tira une longue bouffée de sa cigarette, prenant une pause avant d’entrer à l’intérieur du restaurant. On pouvait lui offrir la plus délicate des nourritures, les mets les plus fins préparés et servis dans le grand luxe, elle ne se départirait jamais de son goût pour ces lieux crades et cette malbouffe qui lui avait déjà été salutaire. Elle laissa retomber le mégot sur le sol, prenant soin à l’écraser, puis entra, consciente qu’elle ne serait pas discrète dans son accoutrement, mais tentant tout de même de ne pas attirer l’attention.

Elle offrit un petit sourire au patron de l’endroit : sans vraiment se connaître, ils se reconnaissaient. Elle murmura quelques mots qu’elle avait appris pour lui faire plaisir : une courte phrase pour commander ce qu’elle souhaitait.

Au moment où elle entamait sa route vers sa table habituel, dans un recoin du lieu, elle remarqua une étrange femme au comptoir. Rarement quelqu’un, sinon elle, ne venait faire contraste ainsi dans le lieu. Curieuse, blasée de sa routine, elle décida de tenter le destin et le hasard et prit place au comptoir, quelques sièges plus loin, remontant ses lunettes sur sa tête et jettant un bref regard vers l’autre femme. Elle vit bien la plaque, mais elle avait tout de même envie de tenter le danger.

« C’est tout à fait particulier de croiser quelqu’un dans votre genre… ici. Ceux qui crèvent de faims ou qui habitent le secteur ont toutes les raisons d’être ici, mais vous… c’est à se demander si il ne se passerait pas de quoi dans le quartier. »

Elle avait parlé en regardant son plat. Du coin de l’œil, elle observait l’autre, attendant sa réaction.

Le corps mangeait, tranquillement, sur ce comptoir miteux, entre une bouteille de bière "asiatique" bon marché, probablement très en marge des normes légales, un plat de nouilles et d'autres drôleries orientales, et d'autres pauvres âmes. On entendit le cliquetis caractéristique du carillon de l'entrée, aux côtés de ces néons ridicules, de ces caractères qui ne voulaient plus dire grand chose ou de cette idole grassouillette qui se voulait le meneur d'une quelconque religion du peuple. La Cyborg ne regarda pas même ce qui arrivait, trop préoccupée par sa pitance, par les merveilles aux goûts étonnants qui semblaient patauger, comme doués de vie, dans ce bouillon. Dehors évidemment, c'était toujours la même chose : Les coups de feu, les enlèvements, les deals. Les pauvres ouailles qui tentaient de vivre aussi, au milieu de ce merdier futuriste.

Qu'est ce qu'il pourrait bien arriver d'intéressant alors dans la salle d'un miteux établissement de banlieue ? A vrai dire, Oktane comme Kane n'en avaient rien à foutre. Le corps ne détourna même pas le regard quand le patron s'en alla saluer la nouvelle arrivante.

Oh, sans même la voir, l'Orgienne avait défini son profil : Elle sentait bon, trop bon pour une résidente, trop bon pour la plèbe. Ses collègues étaient malodorants, les mentalistes ne portaient pas de flagrances élaborées. Sa voix était suave, elle semblait contenter le tenancier plutôt que l'intimider. C'était une Valkyrie, un de ces instruments de plaisir bon marché, une putain du futur. C'aurait peut-être une Automate, mais alors aurait-on entendu le bruit caractéristique relatif à une discussion monétaire, et plus de crainte que de bonheur. C'aurait peut-être une Orgienne, mais ses sœurs même ne trainaient pas dans ces bouges puants pour contenter de bas instincts organiques.

L'affaire aurait pu s'arrêter au soupir dédaigneux merveilleusement distingué qui émana de la bouche de la Cyborg, mais il sembla qu'au lieu de s'installer gentiment ailleurs, elle semblait s'être mise en quête d'un camarade : La belle affaire ! C'est vrai, mettons-nous à trainer dans Chinatown vêtu comme des singes chics, c'est tellement tendance !

Elle s'invita donc d'elle-même au comptoir, s'installant à la place vide à sa gauche.

Oktane avait pourtant laissée la plaque et l'arme en évidence, le signe par excellence du " Va chier ! " propre à l'autorité, elle payait, elle ne demandait que la paix.

Elle lui adressa la parole.

Oktane s'arrêta méthodiquement de manger, aspirant une dernière bouchée avant de poser ses baguettes. Elle ôta ses lunettes avec déférence avant de les plier et de les passer au col de sa chemise. Elle octroya un unique regard de ses yeux vairons à la nouvelle arrivante, puis fit ensuite signe de la main au vieux cuistot. Il déblatéra en mandarin, elle répondit dans la même langue, sans accent pataud et avec une étonnante fluidité pour un agent présumé du NOD, et il se tourna vers la Valkyrie, pendant que la Cyborg tentait de continuer tranquillement son bol de nouilles. Il déclara avec son accent à couper au couteau, dans son langage approximatif :

" Moi avoir traduit pour elle, elle pas comprendre votre langue. Elle dire vous vous trompez de personne. Elle pas connaitre vous. "

Lorsque l'autre se tourna vers elle pour la regarder, elle eut un petit frisson: enfin de l'action! Enfin sa routine brisée! Bien sûr, elle aurait pu parler à n'importe quel être miteux de la place, mais elle préférait ce qui sortait de la masse, de la normalité. Et puis, en tant normal, si elle parlait à ces gens, ce n'était que dans l'espoir de se faire un peu d'argent illégal...

Mais au lieu de lui parler, l'autre s'adressa au cuistot dans sa langue. Un peu trop aisément, d'ailleurs. Et le cuistot vint traduire le tout pour Lovelia. Insultée, celle-ci n'en laissa rien paraître. Bien sûr qu'elle ne la connaissait pas. Sinon Lovelia n'aurait pas eu d'intérêt à aller parler à l'une des nombreuses personnes avec qui elle entretenait des liens strictement professionnels.

Elle regarda l'heure: encore quelques heures à tuer avant d'aller dormir, puis le boulot, la routine, l'ennui, tout ce qu'il y a de plus blasant... elle n'allais pas se contenter de s'arrêter là quand elle avait la chance de fuir sa morne routine.

Elle chassa le cuistot d'un signe de main, appuyant sa tête sur sa main, observant la femme. Elle ne croyait pas du tout à cette histoire de NOD ne parlant pas sa langue. Comme si le service s'offrait vraiment le luxe d'avoir des agents peu polyvalent. Dans un monde d'argent, il aurait été inutile d'avoir des agents ne parlant pas la langue des affaires.

"C'est à peu près à ce moment que je devrais dire que je suis désolée de vous avoir dérangé. Mais vous manquez vraiment de chance... je m'ennuie et déranger les gens, ça met un peu d'action."

Elle était jeune. Une gamine emmerdante. Elle le savait. Et elle profitait de son âge pour répondre à toutes ses curiosités et ses envies impulsives: on aurait tôt fait de dire que son immaturité excusait son comportement dérangeant. Et l'autorité... elle ne la craignait que lorsqu'elle tentait de faire de l'argent illégalement. Ce qui n'était pas le cas. Pas encore du moins.

"J'ai bien vu votre plaque. Sauf que je ne comprends pas. D'abord, vous êtes ici. Ensuite, vous faites mine de ne pas parler en langage courant, et franchement, je n'y crois pas... donc soit je vous dérange dans un enquête, soit je vous dérange dans un moment que vous avez de libre. Ou bien vous êtes ici par inadvertance. Je ne voudrais pas devenir une emmerdeuse...mais si vous vous êtes perdue, je peux vous aider, vous savez. Ou bien je peux être utile pour bien plus."

Croiser son regard. Si elle le croisait, elle pourrait tenter de jouer la carte de la séduction, charmer l'autre, en savoir un peu plus sur cette femme, trouver de l'argent, ou simplement de quoi meubler son temps. Faire autre chose qu'être une poupée de luxe. Trouver quelque chose qui justifierait de se décommander pour quelques heures. Qui justifierait ses promenades probablement trop nombreuses aux goûts de ses employeurs. En attendant, elle avait toujours la tête posée sur sa main, un petit sourire aux lèvres.

Celle-là allait être chiante, très chiante. Oh, il aurait été très facile de l'assommer sur le comptoir de sa main libre, mais il y avait quelque chose dans ce regard ... Ouais, encore un truc de ces putes de luxe. Il avait suffit d'une demi-seconde dans le regard pour que toute envie d'homicide volontaire lui passe. C'était un sentiment particulier, une irrépressible sensation de voir son âme séparée en deux - ou, dans le cas d'Oktane et de Kane, en 4 à raison de deux binômes d'âmes ... -, d'être conscient d'avoir un problème sans toutefois pouvoir y remédier. Ici, entre un bol de nouilles, un vieux cuisinier pouilleux et une voisine de comptoir hypnotique, elle réfléchissait patiemment à un plan de riposte. Oh, elle pourrait très bien laisser la place à Kane, pour qui un gros calibre vous remplacerait n'importe quel emprise hypnotique ou physique avantageux, et lui éclater la tronche ici et maintenant : Activité subversive, car être Valkyrie était à double-tranchant. Ils sont les premiers à faire respecter, bien que passivement, l'opérette du Régime. Plus encore que pour les Automates à l'allégeance douteuse, il était facile de les faire disparaitre pour " Raisons d’État " sans autre forme de procès. Dans ces bas-fonds, le Lieutenant Sato était juge, jury et bourreau : La Loi, c'est Elle. Toutefois, elle allait tenter l'apaisement d'abord. Après tout, elle n'était pas censé être ici sur ces heures de services.

" Peut-être avez-vous raison, peut-être que je suis perdue, peut-être que je suis en mission. " fit-elle d'une voix doucereuse, en finissant de siroter son thé dans une tasse en ferraille, sans bouger la tête de son axe verticale sinon pour la lever à l'approche du breuvage.

" Peut-être que je mens. Peut-être que je suis une Insurgée. Peut-être que j'ai tuée pour cette plaque. " continua-t-elle sur le même ton, reposant sa tasse vide à l'envers sur le comptoir, entre elles.

" Peut-être qu'un pauvre brigadier du NOD pourri actuellement dans un caniveau à deux rues d'ici pour avoir eu une main baladeuse. Peut-être que je pourrais utiliser cette tasse à thé pour te tuer ici et maintenant... "

Elle accouda ses bras suite à cela au comptoir, croisant les doigts dans une démarche presque religieuse et contemplative, demandant à nouveau quelque chose en mandarin au cuistot. Elle se retourna enfin vers sa voisine, prenant bien soin de ne pas viser les yeux et de regarder son col.

" Il se pourrait peut-être même que je sois une forme d'intelligence artificielle supérieure incluse dans un corps spécifiquement développé pour tromper les humains sur les apparences...

Dis-moi alors, comme peux-tu être sûre ? "

Une réponse, enfin, de la part de son interlocutrice. Une réponse dans le genre qui donne envie de se méfier, ou bien de se taire, à la majorité des gens, du moins. Mais Lovelia l'avait senti réagir à son regard, elle avait donc confiance que son charme et sa débrouillardise la sortirait de n'importe quelle situation, aussi délicate soit-elle. En principe, du moins.

Pour le moment, il y avait de quoi s'amuser, l'autre semblant un peu plus prête à parler. Elle la regardait, mais pas directement dans les yeux. Son regard était baissée vers son col où un magnifique collier en cuir serrait le cou de Lovelia, agrémenté de quelques pics. Elle y glissa sa main, faisant voir le bracelet clouté, jouant avec la peau dégagée de son cou, faisant mine de descendre une main vers son décolleté, dans des gestes appris par coeur pour charmer, devenus presque inconscients.

"Quelle drôle d'idée! Une intelligence artificielle dans un corps... enfin, tromper les humains? Ce ne serait qu'une façon de plus que le faire. Nous sommes parfois si idiots, n'est-ce pas?"

Elle croisa les jambes et se pencha un peu vers l'avant, se plaçant de façon à plonger son regard dans celui de l'autre femme, souriant malicieusement.

"Peut-être que vous êtes en mission, ou bien perdue... mais cela serait un peu... morne. Ce serait bien plus intéressant si vous mentiez, même si ce n'était qu'un petit mensonge. Vous avez peut-être laissé un cadavre quelque part, derrière vous, ou bien peut-être aurez-vous envie de laisser le mien ailleurs... peut-être que vous êtes tueur en série qui vous servez de cette plaque pour exécuter vos victimes... oui! c'est ça! Tueuse en série déguisée en agente du NOD!"

Elle souriait, gardant le contact visuel de son mieux, espérant le garder assez longtemps pour au moins endormir la vigilence et la méfiance de l'autre.

"Non, sincèrement, pourquoi avoir traîné votre plaque du NOD ici? Je veux bien croire que la nourriture est peu chère, mais ce n'est probablement pas ce qui vous a attiré. Allez, je suis curieuse. Pourquoi ce cartier mitteux mériterait que nos grands dirigeants y envoient un de leur agent tout puissant?"

La jeune femme cyber goth sourit avec un air malicieux, presque complice. Elle veut savoir, au moins pour le plaisir.

Et voilà. Elle cherchait les yeux, elle savait. Oh, elle arriverait peut-être à lui empêcher un mouvement malheureux, à inhiber ses sentiments agressifs, mais elle n'inhiberait pas sa "volonté", si tant est que cette chose, si différente pour les robots, puisse être qualifiée de telle. Elle allait tenter le tout pour le tout, jouer avec le feu, jeter de l'essence dessus. Elle goba en quelques bouchées à peine, après avoir remercié le cuistot, les "beignets" ... qu'il lui avait apportés en guise de dessert et s'était rincé à nouveau le gosier avec la théière.

" Vous n'écoutez pas. Ne vous a-t-on jamais enseigné que la curiosité était un vilain défaut, qu'il fallait respecter autrui, en particulier dans votre corps de métier ? "

Elle s'essuya vaguement les mains avec une serviette passée par là avant de les poser calmement à plat sur le comptoir, oscillant entre la belle et la bête...

" Je sais pas ce que vous tentez de faire, si vous me prenez pour une lesbienne, à croire que vous dévêtir ainsi dans tout votre attirail de dominatrice SM m'excite. Ce n'est pas le cas. "

Son regard était maintenant retourné sur le comptoir. Qu'elle eût trouver ses yeux sous sa frange était une choses, qu'elle les voient en était une autre.

" Ce sont mes yeux qui vous attirent, n'est-ce pas ? "

Elle balaya sa frange des deux côtés de façon à dégager ce qui pouvait se dresser entre ses yeux et l'interlocutrice, avant de prendre sa tête entre ses mains avec une vivacité surnaturelle, bloquant sa tête de façon à ce qu'elle voit bien son regard. De là, les charmants yeux vairons de la Cyborg se volatilisèrent comme une illusion, laissant place à deux globes d'un noir d'encre. En leur centre, deux simples cercles, et des flux de données semblant les parcourir sous forme de chiffres et de lettres. Au pied des ces deux cercles en étaient deux autres, pleins, bleu, rouge ou violet en fonction de leur contrôleur du moment, chevauchant leurs ainés à leur base. A ce moment là, l'ensemble entier était d'une couleur d'améthyste.

" Croyez-moi, il y a ici-bas des choses que vous ne voulez pas découvrir. "

L'apparence humaine des yeux réapparut au bout de quelques secondes, comme si rien ne s'était passée. Elle relâcha alors son emprise sur sa tête, continuant de l'observer de pied en cap.

" Regardez-vous ... Votre curiosité, votre apparence sont pathétiques. Le monde change : Vos petits tours de passe-passe ne sont bons qu'à nourrir les faibles. Vous n'êtes pas prête à vous confronter au monde. "

Ce petit effet scénique suffirait peut-être à la calmer. Peut-être que non, peut-être que ces yeux semblables à des prothèses de luxe lui inspirait une paranoïa des milieux mondains, peut-être qu'elle ne le prendrait que comme une personne riche de plus en quête de sensation fortes ... Allez savoir ...

Elle aurait voulu protester: non, vraiment, les femmes, ce n'était pas son corps de métier. Même dans cet attirail et ces regards...

Mais l'autre attrapa sa tête. Si elle parcourait toutes les profondeurs de la souffrance et des noirceurs humaines, Lovelia n'en était pas pour autant une amoureuse. Elle en avait encore parfois des frissons de dégoût, des reculs instinctifs, des hésitations avant d'y plonger. Mais ça, ça lui glaça tout simplement le sang. Relâchée, elle trouva d,une main tremblante son paquet de cigarette, dans la poche de son manteau, ouvrant le paquet sur la table et, avec cette volonté de contact social qui ne la quittait pas, le laissa ouvert sur le comptoir pour que l'autre se serve, si elle en avait envi. Elle l'alluma en tremblant, prenant une bouffée, écoutant l'autre et réfléchissant.

"La curiosité est en effet un défaut exécrable... j'sais. J'y travaille très très fort de minuit à 7h du matin, parfois 10h, mais quand tout ça c'est fini..."

Elle ferme les yeux. Tire lentement un peu de nicotine et d'autres cochonneries destinées à la brûler de l'intérieur, puis elle expire dans les airs une fumée libératrice. Un moment de silence. S'excuser, fuir ou bien simplement continuer? Ou bien tout cela, aussi mélangé que ce l'est dans sa tête à cet instant précis?

"Mais merde, c'est quoi votre petit tour de... je veux dire... vous êtes quoi au juste!? et c'est quoi ce jeu de dire que le monde change!? C'est quoi ces conneries!?"

Non, en effet, elle n'est pas prête à se confronter au monde. Elle tente par tous les moyens de se sortir du modèle qu'on veut lui offrir, elle a la grâce des valkyries mais ne veut rien savoir de s'en servir dans ces appartements luxueux, comme une poupée de riche, bien docile. Sauf qu'elle est un peu prise là dedans, enrôlée trop jeune pour avoir conscience de la réalité qui l'entoure.

"De quoi vous voulez parler, bon sang? vous voyez l'avenir et c'est le chaos, la fin de l'ordre tel qu'établi en ce moment? c'est ça vos yeux... étranges? Franchement, vous planez sur quoi? ça n'a ni queue ni tête de dire ça. "

Elle parle en fixant son paquet de cigarettes, ses tremblements se calmant peu à peu. Elle a l'habitude d'être déstabilisée, mais rarement autant.

Voilà, gagné, elle l'avait complètement déboussolée. A quoi rimait tout cela ? Oh, c'est vrai, l'une des personnalités le savait, le monde change. La société s'effondrerait, comme elle pourrait perdurer, avec ou sans Elles. Toutes les cartes seraient entre leurs mains : Le devenir des humains ne regarderait qu'eux alors.

Cette valkyrie ? Oh, elle était jeune. Une candeur presque charmante. Persuadée du bien-fondé du régime actuel, parfaitement embrigadée. Une petite fleur qu'on avait coupée à la racine pour en faire un instrument de plus.

Ses derniers mots firent d'ailleurs échapper un petit rire, ou un soupir désabusé. Impossible de le savoir.

" Non, pour voir ça, il n'y a pas besoin d'avoir mes yeux. Tournez la tête, regardez tout les éclopés autour de vous, parlez à des insurgés, regardez les petits trafics. Pas besoin d'être devin pour voir que le monde change. "

Elle remit ses lunettes de soleil, puis déposa un paquet de cigarettes sur le comptoir. Le cuistot sembla lui être reconnaissant : Un paiement comme un autre.

" On ne peut pas vous en vouloir de ne rien voir, vous êtes formatés pour ça. Des sex-toys sur pattes, voilà ce que vous êtes. Pour le NOD comme pour ces fous du Temple ou pour les pontes, vous n'êtes rien. Tout juste des moutons à la plastique généreuse. "

Elle remit le paquet de cigarettes sur les genoux de la jeune femme, avant de lui chiper celle qu'elle serrait entre les dents avec le majeur et le pouce de sa main gauche, pour l'éteindre en plaçant son index sur l'extrémité allumée, sans en être visiblement inquiétée. Puis elle la regarda de nouveau à travers ses verres fumés, laissant la cigarette inerte tomber sur le sol de ce bouge miteux.

" Bienvenue dans la Matrice, petit lapin blanc. Il n'y a de paradis que dans ton esprit ici bas. "

Elle s'arrêta pour lui montrer la peau de son index brulé, dévoilant maintenant une sorte de fibre métallique bronzée.

" Tu veux savoir qui je suis, mais qui tu es, toi ? "

Était-ce elle qui disait cela ? Était-ce lui ? Aucun moyen de le savoir pour ainsi dire. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle semblait s'attacher à cette fille égarée dans les bas-fonds. Pourquoi ? Aucune idée. Sa partie humaine ? Cette saloperie de regard empoisonné ? Oh, elle n'en avait cure. Elle ne savait même pas pourquoi elle montait tout ce charabia. Si ça se trouve, elle était déjà sous son emprise sans même le savoir. Toutefois, celle qui était à son côté ne semblait pas s'en rendre compte, elle s'était fait prendre au dépourvu. Peut-être pourrait-elle jouer là-dessus ...

Elle se reprenait peu à peu, non contente d'avoir été à ce point déstabilisée. Elle qui avait l'habitude de contrôler les situations n'aimait pas sentir qu'elle était entraînée dans quelque chose qu'elle avait du mal à comprendre.

Elle écoutait distraitement, partagée intérieurement. Certes, les choses avaient l'air de changer. Mais prise du mauvais côté, elle préférait s'imaginer être en sécurité dans toute la stabilité qu'un système totalitaire pouvait lui offrir.

Lorsque la femme lui enleva la cigarette de la bouche, elle réagit enfin, semblant se réveiller soudainement. Lorsqu'elle éteignit la cigarette avec ses doigts, elle crut d'abord à une simple démonstration de résistance. Or, ce qu'elle vit lui glaça le sang à nouveau: elle n'était pas tout à fait humaine.

"Qui je suis? Que je sois Valkyrie ça devrait vous suffire."

Elle évita cette fois le regard. Peut-être avait-elle pu attirer l'autre sous son contrôle, peut-être pas. Elle ne voulait pas s'y réessayer, et elle n'était pas sûre d'avoir envie d'une quelconque confirmation de quoi que ce soit. Elle n'était pas encore tout à fait sûre de ce dont elle était capable avec ce don et c'était un peu idiot de l'avoir testé sur ce qui semblait être... un type de cyborg.

Elle s'était calmée, avec repris un air plus distingué, plus en contrôle de la situation, tentant de ne pas se montrée inférieure à l'autre.

"Je suis Valkyrie depuis... moins de 2 ans, je crois. J'ai perdu le fil des jours, ça me semblait totalement inutile. Et c'est un peu vrai ce que vous dites: un sextoy sur patte. C'est tout à fait ça. Quand ce n'est pas sexuelle, c'est presque pire. Pathétique. Surtout avec la clientèle... particulière à laquelle j'ai droit. Mais bon, on choisit pas tout à fait ce à quoi on nous destine, non? C'est moins pire que de crever de faim ou d'être esclave d'une seule personne. J'aurais pu tomber pire que ce que j'ai déjà été. Au moins j'ai quelques libertés, pas d'implants, le droit de me promener où je veux, c'est pas trop mal. Et puis, certes nous sommes des sextoys sur patte. Mais des sextoy capable de s'amuser avec les implants, et parfois capable de bien plus, avec des gens tous plus puissants les uns que les autres. Il ne faudrait qu'une petite préparation pour renverser le pouvoir. Si vraiment ça pouvait signifier quelque chose de mieux. "

Candide, mais avec une petite étincelle au fond du regard. Manipulée, mais avec un coeur rebelle qui n'attend qu'à se réveiller. Elle osa, un bref moment, regarder l'autre dans les yeux, avec cette malice et cette détermination secrète qu'elle avait, parfois, en songeant qu'il lui serait agréable de balancer en l'air son rôle de Valkyrie, et bien d'autres rôles tenus par ses clients "si puissants". Elle rebaissa les yeux. Elle ralluma une autre cigarette. Elle pourrait mieux contrôler ses gestes en s'accrochant à ce petit bout de poison.

"Vous êtes la première... enfin... c'est stupide. Je croise presque exclusivement des implantés. J'ai jamais croisé quelqu'un..."

Elle hésita. C'était une rencontre hors norme. Beaucoup de choses différentes de l'habitude.

"quelqu'un de votre genre, ici ou ailleurs. Même si je traîne souvent dans des lieux insolites... vous êtes quoi exactement?"

Qu'est-ce qu'elle était ? Voilà qu'elle recommençait ... Comment le définir ? Le sujet était très vaste. Elle lâcha un peu soupir amusé à la simple évocation mentale du sujet.

" Un gros tas d'emmerdes, voilà ce que je suis. "

Kane avait pris le pas, il avait très bien résumé la chose. Elle ne pouvait de toutes façons pas divulguer le fait qu'elle était entièrement robotique, censé ne pas exister, qu'elle n'était rien de plus qu'un numéro. Qu'en temps normal elle l'aurait tuée... Ouais, les temps changeaient, et apparemment, même les machines devaient avoir un confesseur... Elle regarda le doigt brûlée, cette texture étrange qui imitait pourtant si bien les fibres humaines. Nouveau soupir sarcastique.

" Un gros tas d'emmerdes qui n'a jamais demandé à être comme ça. "

Évidemment, cette phrase qu'Il sortait pour cette enveloppe charnelle, Elle aurait très bien pu en faire usage aussi pour l'Humanité qu'Elle avait récupérée. Le cerveau de l'un dans le corps de l'autre, une union parfaitement contre-nature.

" C'est amusant que je dise cela au comptoir d'un des endroits les plus pourris de la ville à une parfaite inconnue. C'est peut-être l'effet Valkyrie, j'en sais rien. J'ai beau me sentir bien ici, J'ai pas envie de savoir si cela vient de vous ou des restes de dope qui trainent dans les crevettes ... "

C'était peut-être une des premières fois qu'une inconnue arrivait à s'attirer la sympathie des deux parties du corps. D'où est-ce que cela pouvait venir ? Il y avait de multiples pistes, on aurait pu passer des heures à tenter de les exploiter, en vain. Le sentiment était indéfinissable. Du bien-être, c'est tout. Il y avait pourtant toujours cette cigarette. C'était débile d'ailleurs, elles ne pouvait rien lui faire, mais par les souvenirs de Kane, elles ne supportait pas leur fumée...

" Pour tenter de ruiner vos poumons à ce point, vous ne devez pas trouver franchement plaisant de tailler des pipes à des pouilleux orthodoxes des bas-fonds, je me trompe ? "

Et dire qu'il avait suffit d'un regard pour transformer le robot taciturne en personne presque sociable. Un putain de déchainement d'émotions...

un gros tas d'emmerde. La formulation la fit sourire: c'était original de se définir ainsi. Elle l'écoutait, souriante, sentant la confession venir: voila, enfin, les barrières se baissaient. Pas entièrement, pas tout à fait, mais il y avait un début.

Effet valkyrie. drôlement formulé, encore une fois. Lovelia n'avait encore aucune assurance, mais si cela se trouvait, son don avait encore fait des ravages. Ou bien c'était tout autre chose, aussi minime cela soit-il.

"Je vous mets au défi de passer une journée à satisfaire tous les fantasmes de vos clients, qu'importe les demandes. Et on ne parle pas de simplement sucer la queue du premier venu. Il faut les accompagner dans des mises en scènes et des simulations mentales toutes plus pathétiques les unes que les autres. On a transformé le plaisir en une drogue illégale pour tous ces implantés et ils dépendent des valkyries pour le ressentir ne serait-ce qu'un tout petit peu... Je me contenterais bien de ceux des bas-fonds, comme à une certaine époque, où les fantasmes n'ont rien de bien compliqué. J'ai fait une gaffe, une fois, et maintenant je m'occupe des plus... particuliers."

Elle écrasa le mégot, hésitant à en prendre une autre. Elle referma simplement le paquet, le rangeant dans son manteau. Elle avait remarqué une légère aversion chez son interlocutrice, elle préféra ne pas continuer. Pas tout de suite.

"Non, avoir l'occasion de faire mieux, je ne serais pas valkyrie. Mais bon... alors je fume, je bois, je me promène dans les bas fonds, je fais tout ce que je peux pour profiter entièrement de mon plaisir jamais inhibé. Au moins, il y a ça. être pris entre le choix de vous faire implanter ou celui de contrôler les implants, vous feriez quoi, enh? On prends toujours le moindre mal, ca fait parti de l'humain..."

Elle fit signe au cuistot de lui emmener 2 bières, une marque crade mais fortement alcoolisée. Elle s'empara de la première, la poussant vers l'autre femme.

"Un tas d'emmerde, ça doit quand même s'abreuver?" dit-elle avec un sourire en coin. "Quand même original de se décrire ainsi... tant d'emmerdes que ça? Dans le genre activement recherché par le NOD à cause, entre autre, de cet agent à qui vous avez volé la plaque? Ou bien encore dans le genre qui n'a ni foi ni loi, qui tue pour quelques dollards et pour le plaisir de faire couler le sang?"

" " Ça fait parti de l'humain " ? Nous n'avons pas la même philosophie... "

Elle déclina cette offre de bière. Il avait bien mangé, bien bu ... Aucune raison alors que cette boisson infâme ne pollue son intérieur, à Elle ... Et Elle soupira.

" Regardez-moi bien. C'est à cause de l'Humanité que je suis obligée de faire ce que je fais. "

Elle s'arrêta un moment, contemplant ses mains. Cette trace de brûlure qui déjà se résorbait pour laisser sa place à une peau délicieusement dorée. C'était cela, cette peau, elle était à l'image de tout son corps, trop parfait ...

" Vous savez, je pourrais vous tuer ici et maintenant pour prendre votre argent, votre identité, votre place dans la société. C'est bien cela qui est drôle. Vous n'êtes que des nombres, tous. C'est de là que viennent les emmerdes. "

Nouveau soupir amusé, elle continuait à jouer avec sa main. Son esprit lui revenait peu à peu, froid, sombre, pragmatique, calculateur.

" Vous, vous êtes un nombre curieux. Un nombre talentueux pour extorquer des informations même à ceux qui se réclament impénétrables. Un nombre de plus à se croire libre. Vous êtes comme les Insurgés, vous êtes ... pathétique. "

La voilà qui était de retour, c'en était fini de ces conneries de contrôle mental, de sonde dans le cerveau par les yeux pour la faire parler. Il en restait toutefois un reliquat. Oui, elle n'arracherait pas sa nature, mais il restait tout de même que cette démonstration insoupçonnée avait été fascinante. Fascinante et ... terrifiante.

" Vous gâchez votre potentiel ici, à contenter des moutons dans leurs plus vils besoins, à boire et à fumer du poison... A tenter d'interroger des " Quelqu'un de mon genre ". J'aurais besoin d'une personne comme vous. Une personne qui sait se débrouiller avec les gens, qui est capable de les rendre ... loquaces. "

Les émotions incontrôlées ne l'avaient pas encore totalement quittées, cela pouvait se sentir ... Elle ressentait presque de la rage et du désespoir face à cette personne qui valait plus que ce qu'elle faisait. Elle se prenait à devenir compatissante. L'Humanité la rattrapait probablement. Elle se sentait pathétique, mais pourtant ...

" Je vous propose mieux que l'argent. Je vous propose de devenir quelqu'un. Je vous propose cette " occasion de faire mieux ". "

Oh, oui, ses activités futures auraient besoin de personnes comme elles. Était-ce toutefois la machine ou l'émotion qui parlait ? Difficile à définir, une fois de plus, tant leurs intérêts semblaient se recouper, sous l'influence pourtant imperceptible d'une personnalité humaine qu'un discours sur la condition humaine de plus avait semble-t-il charmé ...

Elle termina la première bière et ouvrit la seconde en voyant que son interlocutrice la déclinait: elle aimait boire avant d'aller dormir quelques heures, avant le boulot, avant de reprendre sa routine, avant de continuer à jouer à la poupée...

En entendant l'offre, elle eut un sourire amusé. enfin quelque chose pour la sortir de sa routine éreintante.

"Une occasion de faire mieux? Je serais bien curieuse d'entendre votre offre jusqu'au bout."

Elle eut une pensée pour la puce, reliée à son cerveau, qui aurait tôt fait de lui griller les neurones en cas de trahison...

"On peut toujours améliorer son sort, quoique parfois tout cela se révèle bien plus difficile... je peux en effet rendre les gens plus bavards, parfois plus, mais je ne comprends pas en quoi cela peut vraiment vous être utile... d'ailleurs, je ne comprends pas vraiment où vous voulez en venir."

Elle regarda sa montre: elle ne ressentait aucune fatigue, malgré qu'il soit bientôt temps pour aller d'aller prendre du repos. Elle songeait à la routine qui reprendrait et eu une pointe d'angoisse devant la perspective qui s'offrait à elle: pourrait-elle réellement s'échapper de cette soumission passive à l'autorité?

" Je veux en venir à un point simple : J'officie dans un milieu très particulier, et je nécessite une personne capable de recueillir des informations discrètement. De préférence à l'insu de leur détenteur. "

Allait-elle trop loin ? Proposer ainsi du boulot à une personne qu'elle connaissait à peine sur la base d'une simple démonstration hâtive ? Il y avait certaines personnes dans cette tête qui trouvait ce comportement bien étrange. Il ne lui ressemblait pas ... De l'attachement ?

" Un travail simple, bien rémunéré, tout frais payés. "

Elle remarqua que son interlocutrice regardait sa montre. Une entrave de plus à l'individualité, l'horaire ... Elle en riait bien en fin de compte, car être lieutenant dans les unités d'intervention ne vous imposait qu'une contrainte : Se présenter aux appels d'intervention prioritaires. En dehors de cela ? Elle pouvait théoriquement tout faire, et ne se privait alors pas de vaquer à ses ... "occupations". Avec un air plein de sous-entendus, elle continua.

" Pas d'horaires. De la vraie nourriture ... Oh, et plus d'implants invasifs pour esprits torturés des bas-fonds. "

La dernière remarque fit apparaitre un petite sourire en coin sur le visage de la cyborg. Excès d'Humanité, elle se découvrait un sens de l'humour.

" Le schéma est simple. Je vous fournis une identité, vous devenez la Valkyrie attitrée d'une personne haut-placée, vous bossez pour lui et vous ... "braquez" son cerveau ... Vous devenez son psychologue en quelque sorte. Vous marchez ? "

Elle tourna suite à cela la tête lentement vers sa voisine, attendant sa réponse.

" C'est votre unique chance, réfléchissez-y bien, il n'y aura pas de possibilité de retour. Soit vous dites " Non. ", vous finissez votre bière et retournez bien tranquillement à votre quotidien, bien à l'abri, vous pourrez penser ce que vous voudrez, mais resterez un nombre. Soit vous dites " Oui. " et vous pénétrez dans la cour des grands, là où les choses se font, là où vous pouvez faire quelque chose de votre vie. "

C'était juste. Parfait, même. Intéressant, excitant, utile, nouveau, différent. Libérateur? sûrement. Dire oui était tentant. Et même, malgré le fait que cela soit louche, elle n'hésitait pas. Mais il y avait cette foutu puce, pas tout à fait un implant, qui lui grillerait le cerveau en cas de trahison...

Avait-elle pu intéresser son interlocutrice en si peu de temps, dans des conditions aussi peu... habituelles? Peut-être bien. Peut-être tombait-elle à point dans un plan, peut-être était-ce bien autre chose. ce qui lui semblait sûr, c'est qu'elle n'allait pas refuser ce qu'elle espérait depuis longtemps.

"Intéressant, vraiment. Dire non n'est pas une... réponse que je considère. Seulement... j'ai besoin d'une assurance. Je veux bien tenter d'ainsi manipuler un quelconque dirigeant, c'est après tout la base de mon travail... habituel. Or, j'ai besoin d'une garantie."

D'un geste, elle s'empara de ses dreadlock rouges et noirs pour les glisser sur le côté de sa tête, caressant sa nuque dans un semblant d'habitude, se plaçant de façon à ce que l'autre voit, puis reprenant sa position normale.

"Vous avez vu cette cicatrice? si jamais on me prend à trahir, on me grille le cerveau. Si on me surprend à comploter, je pourrais être dans de sérieux ennuis. J'ai besoin d'être assurée que dès le moment où je vous aiderai, je serai déjà débarassée de ce... noeud coulant autour de mon cou. C'est mon unique condition. Le reste me plait déjà. Et inutile de chercher une autre identité: celle que j'ai pourrais nous mener déjà plus loin que nécessaire. Vaut mieux une valkyrie qui a déjà une réputation pour s'approcher d'un client plus distingué."

Elle songeait à la façon dont elle pouvait s'approcher de n'importe quel haut-placé, à qui et comment elle pouvait s'informer, ce qu'il lui faudrait faire... mais elle en avait déjà quelques uns dans ses clients. Et d'autres venaient parfois la voir, curieux. Elle n'aurait qu'à y travailler un peu. Ce serait déjà mieux que sa routine morne. Elle qui avait déjà l'habitude de n'avoir aucune réelle identité, changeant souvent de nom pour ses clients et ayant très peu de contact avec ses patrons, s'imaginait sans mal faire cette tâche dans l'anonymat, ou bien une identité quelconque qui serait utile à sa réussite.

Et peu à peu, elle se voyait quitter ce lieu où on ne la traitait que comme une poupée parmi tant d'autres.

Elle répondit, détournant la question, montrant ses cheveux bariolés, une cicatrice. Si Oktane la fixa avec tant d'intérêt, ce ne fut pas pour ce qu'elle représentait d'implications physiologiques, c'était pour les données qu'elle contenait. Une carte d'identité directement dans le cerveau. Elle ne pouvait certes la désactiver, mais elle pouvait la lire, et mettre ses données cryptées en relation avec la base de données du NOD. En un instant, elle en savait plus que cette " Lovelia " pouvait en savoir sur elle-même. Si elle n'avait pas été occupée à éparpiller ses cheveux, elle aurait remarqué le regard méticuleux et appliqué de la cyborg - ou ici de l'ordinateur -. Puis elle revint à sa position, face au comptoir, et sourit face aux exigences qui lui étaient exposées.

" Vous n'avez pas l'air de comprendre. Il n'y a pas de " garanties ", de " conditions ", c'est une proposition que je vous fait, ce que l'on appelait autrefois un " échange de bon procédés ". En temps normal, j'aurais simplement pris ça pour un refus, mais vous marquez un point. Cette puce est une entrave. J'accepte donc. Il y a cependant une chose que vous devez savoir : Cette puce est incrusté si durablement dans votre cerveau qu'en ôter les propriétés ne sera ni indolore, ni sans conséquence d'ordre ... Potentiellement mental ou ... physiologique. "

Continuant son mouvement d'aller et de retour presque réglé, elle se tourna de nouveau vers cette fille et sa bière, lui souriant aimablement.

" Dans le premier cas, je serais obligé de vous laisser à votre sort, ne pouvant me permettre de soutenir un infirme. Dans le deuxième ... Et bien je pense être la preuve ... "vivante" ... que la chirurgie fait des miracles. J'imagine que vous saurez choisir, dans votre intérêt, le moindre mal ... "

La perspective d'être libérée s'accompagnait de la crainte de se retrouver infirme. Or, cette femme semblait affirmer et êtr ela preuve que l'on pouvait se débarasser d'un quelconque implant sans toutefois être affecté plus... physiquement. Elle avait entendu des histoires de mutations terribles, mais aussi des histoires sanglantes de chirurgie s'étant mal déroulées, des gens devenus de simples légumes, etc. Bref, elle savait que ce ne serait pas simple, ni facile, ni agréable.

Mais si elle voulait s'en sortir, il y avait cette condition. Risquer mourir pour vivre supposément mieux. Cachant de son mieux son angoisse, tentant de ne garder que la volonté de suivre cette femme, elle osa l'interroger:

"Expliquez moi. Comment vous voulez... nous débarasser de cet obstacle? Je suis prête à tout pour m'en débarasser, si seulement vous avez une méthode assez au point pour ne pas y perdre... trop de choses. Est-il vraiment possible de se débarasser d'un implant et de rester... fonctionnel? Je veux dire... vous n'avez pas à craindre, mon... don et ma faculté à contrôler les implants ne sont pas liés à celui, tout particulier, que l'on m'a posé. Mais vous devez savoir que beaucoup de gens ont perdu bien plus lorsqu'ils ont tenté de retirer leur implant."

Elle ne savait pas comment elle faisait pour faire confiance à cette inconnue. Elle rêvait tant de vivre autre chose qu'elle risquait beaucoup. Mais au fond de son désespoir blasé, elle voulait encore tout tenter pour avoir mieux.

Apparemment, le lien semblait devenir mutuelle. Des deux cotés, on semblait s'être fait miroiter des choses grandioses ... Comment pouvait-elle être sûr que son don était effectif, et pas seulement dû à une erreur organique du cerveau de Kane ?

L'inverse était aussi vrai. Comment la débarrasser d'un implant ? Pour l'instant, elle n'en savait rien, et nul doute que sa quête occuperait les jours à venir ... Quoiqu'elle avait quelques idées, à creuser. Quel connerie que de lui faire croire que la chirurgie était pour quelque chose dans son corps ... Si elle le voulait, elle pourrait très bien se retrouver avec une enveloppe cybernétique, de nouveaux bras, de nouvelles jambes. Une machine de plus. L'humanité disparaitrait. Pour l'Humain, cela était une déchéance, pour l'Ordinateur, une nouvelle sœur, mais il était trop tôt pour s'en réjouir ou s'en blâmer. Une chose était néanmoins sûre : En cas de mutations, elle y laisserait soit la grâce de son corps, soit l'humanité de son esprit. Un sacrifice pour vivre mieux, était-ce ça le " Moindre mal " ?

" Comment ? J'ai ma méthode, beaucoup de moyens, et des relations. Il est évident que vous allez y laisser des plumes, mais la liberté est à ce prix ... Et puis, après tout, le risque est tout ce qui fait la saveur de la vie, non ? "

Après tout, la récompense était-elle à la hauteur du risque encouru ? Aucune des deux personnalités n'en savait rien, Oktane savait juste qu'une puce enlevée faisait mal et avait une sacré tendance à la déformation, des fois à des degrés inattendues. La froide machine dressait un constat simple : Ses petites capacités étaient utiles, c'était un investissement avec un risque qui valait le coup d'être encouru. La petite semblait d'ailleurs joyeuse de quitter ce système. Elle découvrirait les joies de travailler au grand jour, de voir les vraies magouilles, les vraies ordures. Peut-être qu'elle souhaiterait faire demi-tour en voyant ça. Oktane, d'un certain point de vue, s'en contre-fichait. Elle serait lié par un accord tacite, même si il fallait qu'elle le lui rappelle plus tard avec une arme ...

"Alors c'est oui, tout simplement. Dès que cette puce est neutralisée, je passerai à l'acte pour vous aider. D'ici là, par contre, il ne faut rien faire échouer trop tôt."

Elle sentait la fatigue commencer à poindre. Elle qui vivait de nuit n'avait pas l'habitude d'ainsi étirer ses conversations en pleine journée. Dormir. Puis recommencer...

Or, voilà. Elle ne recommençait pas: elle allait commencer quelque chose.

"tant que cette puce sera active, je ne peux pas me permettre de manquer à mes... obligations. D'ailleurs, je ne sais pas qui vous voulez approcher, mais si c'est quelqu'un de haut placé, j'ai besoin de mes contacts que j'ai présentement. À moins que vous ayez une autre idée fabuleuse pour qu'un être, qui a toutes les raisons du monde d'être méfiant, accepte de laisser une valkyrie, sortie d'on ne sait où, jouer avec son implant."

Puis, avec un air très sérieux et intelligent, elle rajouta:

"Vous me dites exactement ce que vous voulez, je m'exécute, puis les bénéfices nous reviennent... en toute équité, j'espère."

Elle se redressa, regardant la porte, semblant presque prête à partir. Aller dormir.

"Donc, quand pensez-vous que nous pourrons nous occuper de cette puce?"

Une fois de plus, elle jauga cette fille depuis l'arrière de ses lunettes. A force de tant bouger sa tête, on aurait pu la voir comme une hyperactive ... Enfin, il réfléchissait à tout cela, à la discussion, aux conséquences, à la méthode qu'elle mettrait en place pour trouver un "dépuceur", pour pallier aux éventuels déficiences physiques post-opératoire ...

" Vous serez débarrassée de cette puce bien assez tôt, rassurez-vous. Pour les cibles à accoster ... Vous ferez comme bon vous semble. Pour les revenus ... il est évident que vous recevrez une part non-négligeable pour les risques encourus. "

Elle remarqua que son interlocutrice regardait la porte avec insistance, semblant vouloir s'en aller. Elle semblait tout à coup bien pressée de vouloir être débarrassée de cette bombe crânienne. Espérons que cela n'entamera pas sa volonté à travailler se disait la cyborg intérieurement. Il restait néanmoins, avant de repartir à leurs activités, quelques notions à mettre en place.

" Il reste quelques points à définir avant de nous séparer. Je travaille sur la base d'un respect mutuel. Il serait donc plaisant que cette discussion ne mentionnée nulle part ni à aucun moment de votre part. J'apprécierais également que vous évitiez de me fausser compagnie après votre dépuçage. Dans les deux cas, je serais probablement très ... désappointée. Je déteste être désappointé, vous comprendrez donc que je n'hésiterais pas à vous tuer si l'une de ces deux situations se présente, secret professionnel oblige. Maintenant ... Et bien, je vous souhaite à bon retour à vos activités, Mademoiselle Mainka, je vous recontacterais en temps voulu. "

Les conditions de travail avaient tout de très favorable. Elle fut surprise lorsqu'elle la nomma de son nom: jamais elle ne lui avait donné au cours de la conversation. Elle qui s'apprêtait à donner un pseudonyme pour prendre le moindre risque....

"Je... bien sûr, aucune trahison ne pourrait être acceptable, je comprends... vous me rendez un service, je vous en rend un. Et bien entendu, que cette conversation ou tout autre rencontre éventuelle soit raconté à qui que ce soit n'est pas envisageable, ni pour vous, ni pour moi. Ce sont des conditions fort logiques. J'imagine que si vous avez pu trouver mon nom ainsi, vous n'aurez aucun mal à trouver comment me contacter. à moins que vous vouliez que l'on se donne rendez-vous quelque part, à un moment précis. "

Elle avait quitté son air de gamine pour devenir plus sérieuse. Elle ne se ferait pas entraîner dans une autre forme d'esclavage.

"Par contre, je veux que cela soit clair: je suis prête à remplir un nombre défini de contrat pour vous, par obligation, mais j'espère que vous n'imaginez pas que je serai rattachée à vous ad vitam aeternam. N'est-ce pas madame....?"

Elle en profitait pour lui demander son nom. Elle devait prendre soin à ne pas tomber inférieure face à l'autre, d'une facon ou d'un autre, pour ne pas se retrouver dans une situation pire que son présent.

" Isadora Prikovietko. "

Comportement organique typique. En quoi son nom pouvait-il lui importer ? Elle n'en avait pas même d'officiel ... Un luxe qu'elle ne pouvait plus s'offrir.

" Pas de rendez-vous, pas de "moment précis". " ajouta-t-elle, balayant la proposition de la main.

Cette tentative désespérée pour son interlocutrice de vouloir tout contrôler l'irritait en réalité. Elle commençait à l'apprécier, vraiment, mais il y avait des comportements humains que ses propres sentiments naissants avaient du mal à cautionner.

" Pour ce qui est du contrat, nous verrons en temps voulu. Je vous rappelle que rien n'est fait à l'heure actuelle, et s'engager dans des pronostics alors même que nous ne savons pas si vous allez en sortir pleinement apte au service me semble ridicule et déplacé. Je ne vous demande pas de me rendre un service, je vous emploie. Sitôt que vous serez débarrassée de cet implant, vous serez un investissement, payé comme tel. Rien ne vous oblige évidemment à accepter un paiement en échange de vos prestations, et il se pourrait alors que vous deveniez bénévole et "obligée", mais je ne pense pas avoir mentionné cela. Il est cependant en effet possible que je vous demande un service en échange de cette libération, en compensation, mais cela n'est pour l'instant pas à l'ordre du jour...

Ne me demandez pas la nature possible de ce service, je n'en connais pas moi-même la teneur et, à vrai dire, je ne sais même pas si j'y recourrais. "

C'était clair et précis. Elle fit un effort de noter le nom dans sa mémoire, de ne pas faire comme les dizaines d'autres qu'elle oubliait rapidement, puis se résolut à se laisser entraîner dans cette affaire. La-dite Isadora aurait tôt fait de la recontacter. Du moins, elle l'espérait.

"J'imagine que vous n'aurez aucun mal à me recontacter, donc. Sur ce je vais cesser de vous importuner."

Elle remit ses lunettes et son grands manteau noire, faisant retomber le grand capuchon sur sa tête, cachant presque entièrement son visage.

"Bonne fin de journée madame Prikovietko."

Elle fit un effort pour ne pas que son pas se montre plus triste, plus résigné. Retourner dans sa routine lui donnait la nausée. Mais elle espérait bien s'en sortir sous peu.

[sur ce: tu penses trouver quelqu'un d'autre à ajouter pour un prochain RP?]