...

Me voila dans l'ascenseur, à côté du groom qui ne tique même pas en me voyant dans cet état. Je dois avoir la tête pleine de suie, je suis crade et les habits en loque, mais lui tout ce qu'il trouve à faire c'est sourire et me demander à quel étage je vais.

Deuxième, je crois.

Il se permet de regarder ma clé et confirme d'un hochement de tête. Brave bonhomme. J'ai quand même bien envie de l'attraper par le col et lui soutirer quelques réponses, mais je saurais même pas par où commencer, et j'ai surtout besoin de repos. Je devais réfléchir, d'ailleurs... me faut pas longtemps pour faire un choix. Rien à foutre. De pourquoi je suis là, pourquoi on a changé de lieu en un battement de cils, pourquoi j'ai eu une vision d'horreur et tout le reste.

Je vais juste profiter d'être dans le gourbi le plus classe que j'aurais pu imaginer, pioncer un coup, et attendre sagement qu'on vienne me chercher pour la prochaine bizarrerie du coin. Ca fera bien sur mon CV, d'avoir côtoyé le gratin pour une nuit, à coup sûr ils m'attendront avec le tapis rouge en bas.

Ca y est, deuxième étage. Pas compliqué, la chambre est juste là, la première à droite. Clé dans la porte, et j'y suis... waow, ils ont pas fait semblant, ça me rappelle le palace des valkyries. Peut-être même mieux. Y a plus qu'à s'installer, et le lit avec draps de soie -s'il vous plait- me fait déjà de l'oeil. Je visite quand même, et aperçoit un petit coffret sur le meuble, à droite, et un mini-bar à côté. C'est la fête.

Dans le coffret, y avait des cigares, et j'en ai déjà un aux lèvres, allumé et tout. Tant qu'à jouer les pontes, autant le faire jusqu'au bout. J'ai enlevé ma chemise, aussi, parce que l'odeur de brûlé devenait vraiment insupportable. Il doit y avoir des fringues ici, et pas des serpillères en plus. Sauf que je vois pas de penderie, peut-être dans la salle de bain. Par là.

Le cigare planté entre les dents, je pousse la porte du pied... et m'arrête.

Kaÿla?

La surprise n'est bonne que le temps d'écarquiller les yeux, et comme on dit de me rincer l'oeil, à défaut de pouvoir rincer la jambe qui sort de l'eau. Pour une première, je dois avouer que c'est pas désagréable... voir même plutôt appréciable. Je savais pas que l'hôtel allait jusqu'à amener une partenaire d'aventure nue dans la baignoire avant de laisser les clés.

Mais je peux pas m'appesantir sur la question, parce qu'elle a un geste de défense assez particulier. De quoi comprendre que je suis pas forcément le bienvenu dans cette partie là de la suite, ou en tout cas pas maintenant. En ce qui concerne les réflexes je suis pas franchement au top là tout de suite, à faire une tronche de six kilomètres en voyant ce qui dépasse de la baignoire, alors le flacon je pense même pas à l'éviter et le prend droit dans le nez avant de pousser un cri. La surprise autant que la douleur, je m'attendais pas à ce qu'elle vise aussi bien.

Oh putain!!!

Il est pété, ça pourrait pas faire aussi mal sinon, j'en pleure presque en tombant en arrière, d'abord sur le fessier puis tout bonnement allongé par terre à gesticuler comme un vers. Bordel ça lance, je préférais l'incendie... je pisse le sang, j'en ai plein la bouche, moi qui voulais passer une nuit tranquille c'est réussi. Tout ça pour un bout de gambette, c'était même pas fait exprès. Quand je repense à cette image furtive, entre deux exclamations un rien vulgaires, je me dis que ça valait bien la peine. Mais ça pique...

J'arrête pas de gigoter au sol en tapant des pieds, comme si ça pouvait faire passer la douleur plus vite, on dirait un poisson qui s'est échappé de son bocal. Les mains sur le visage et j'ai laissé tomber le cigare, j'espère que j'en ai pas trop perdu. Mais qu'est-ce que je m'en fous de ce machin, ma vie est foutue à cause de cette connerie de flacon! Nan j'exagère pas, j'vous merde, j'ai le tarin en miettes je vous signale.

Je la sens bien qui s'approche, et si j'ouvrais les yeux j'suis sûr que je la verrais avec un porte savon en marbre dans la pogne, prête à m'achever dans un rire démoniaque. J'en fais peut-être un peu trop. N'empêche, aidez votre prochain qu'ils disaient, mais si c'est pour qu'il vous refasse la gueule à coups de breloque une heure après, je passe mon tour.

En fait elle veut juste voir ce que j'ai. Elle m'a parlé mais j'ai pas entendu ce qu'elle disait, trop occupé à geindre comme un porcinet à l'abattoir. Je devrais pas, ça me fait mal au dos en plus... je serais aussi bien mort, faut en finir tout de suite.

Désolée, ça m'avance bien ça... attends que je te colle un pain et on sera quittes. Je daigne enfin rouvrir les yeux, et je la vois dans son petit peignoir tout serré en train de me nettoyer le visage. C'est une grimace qu'elle fait, non? Je le savais, c'est pas beau à voir, ça a dû se replier vers l'intérieur à tous les coups et la prochaine fois que je respire c'est ma glotte qui va venir.

C'est rien... ça va.

Dans le genre hypocrite je me pose là. D'un autre côté je peux pas vraiment lui en vouloir, moi aussi ça m'aurait surpris, c'est juste que sur le coup on est forcément un peu énervé. Je fais un effort et me redresse, juste assez pour m'appuyer sur les coudes. Pas si serré que ça, le peignoir, mais je ferais mieux de pas trop m'y attarder si je veux pas prendre le deuxième service.

Ca ressemble à quoi?

Pas cassé... c'est déjà ça. J'aurais pu regretter de l'avoir aidée tout à l'heure, sinon. La douleur s'estompe légèrement, juste de quoi réfléchir un peu plus normalement, et revenir aux questions fondamentales. Qu'est-ce qu'elle fout là? Est-ce que j'ai demandé une chambre pour deux? Non, ça non, j'ai rien eu à demander, mais elle par contre c'est possible qu'elle l'ai fait. Après tout elle est montée avant moi, elle a très bien pu rajouter mon nom à sa chambre... sauf qu'elle n'aurait pas été aussi surprise de mon arrivée.

Avant que je puisse essayer d'éclaircir tout ça, je surprends un regard qui traine... surtout te gêne pas, fais comme chez toi, si tu veux tu m'assommes pour de bon histoire que je te dérange pas. D'un autre côté, je dois reconnaitre que c'est plutôt flatteur, assez pour pas faire de réflexion et même y prendre un peu goût. Mais voila, elle m'a presque explosé le nez, le bon sens voudrait que je reste assez prudent. Justement elle se relève et s'échappe vers un meuble, me laissant tout loisir de l'observer un peu plus en détail. Je l'avais pas remarqué à l'extérieur à cause de l'obscurité, mais elle est belle.

Trêve de pensées inutiles, elle me remet dans le droit chemin avec sa question. Qu'est-ce que je peux bien lui répondre... que c'est la mienne, que j'en sais foutre rien et que je pensais pas tomber sur elle dans la salle de bain? Je pourrais très bien lui demander la même chose, j'ai jamais fait que suivre les consignes du troufion de l'ascenseur.

Il semblerait que ce soit aussi la mienne... même s'il y a un peu trop d'objets dangereux à mon goût.

Je me relève à mon tour, ignorant les plaintes de mon dos meurtri, et vais jusqu'au lavabo pour attraper un gant de toilette. Pratique comme machin, c'est juste ce qu'il me faut. Je vois au passage que le meuble est rempli de fringues, et que c'est pas ce que j'ai l'habitude de porter... mais je me ferais une joie de commencer.

Direction le mini-bar maintenant, je l'ouvre et y prend une pogné de glaçons que je glisse dans le gant avant de l'appuyer sous mes yeux. Je risque d'avoir un bel oeil au beurre noir en bonus, elle a vraiment pas raté son coup. Au moins le froid soulage, avec de la chance je passerais pas une nuit trop difficile.

On peut toujours appeler le room service, mais je crois qu'on va devoir faire avec... pour être franc, c'est pas ce qui m'inquiète le plus après cette soirée.

Retour dans la salle de bains, et cette fois je m'efforce d'arborer un petit sourire.

Tu avais encore des choses à faire, ou je peux prendre une douche?

Un léger frisson, trois fois rien, quand elle passe à côté de moi pour sortir. Y avait la place pourtant, mais il a fallu qu'elle me frôle. Ca valait le coup de me défigurer pour chercher juste après. Enfin... j'ai autre chose à penser. J'attends qu'elle quitte la pièce pour refermer la porte, un peu de tranquillité me fera pas de mal. Je peux me regarder dans la glace comme ça, et voir une belle marque virer au violet sur mon nez et sous l'oeil gauche. Au moins c'est original, comme peinture de guerre. J'ai la même dans le bas du dos, je me suis pas raté...

En me déshabillant, je repense à ce qu'elle a dit un peu plus tôt. Déjà, elle a l'air de se faire plutôt facilement au grand luxe, et c'est pas la seule. C'est marrant leurs petits savons en forme d'étoile, c'est classe. Mais surtout à ce qu'elle m'a demandé. Sauf qu'elle a dû oublier qu'on en a parlé dans un immeuble miteux avec le NOD et qu'on s'est pas lâché depuis, je vois pas bien comment j'aurais pu en apprendre plus qu'elle.

J'aimerais bien savoir comment on est arrivés... tout ce que je sais c'est que j'ai failli brûler vif. Y a bien un truc que j'ai entendu au Mirail, la réalité virtuelle, c'était à la mode avant le End-Vice. Sauf que j'ai aucune idée de ce que ça donne vraiment, et là c'était vachement réel... nous faudrait un gros bonnet pour en savoir plus.

J'évite soigneusement la question des souvenirs. Les derniers que j'ai, c'est d'avoir quitté Santy et je préfère garder pour moi que j'ai côtoyé une valkyrie. On sait jamais, ça peut très bien être une activiste et elle le prendrait mal. Sans compter qu'elle est armée... qu'est-ce que j'ai foutu du calibre, d'ailleurs? Lâché dans le hall, peut-être, faudra redescendre pour vérifier.

Une bonne dizaine de minutes plus tard, je sors de la douche. Ca fait un bien fou, avec un vrai jet d'eau puissant et de l'eau chaude à volonté, je me serais bien endormi dedans. J'ai pris soin de mettre tous les bouts de verre dans un coin, sous la serviette ensanglantée et j'en attrape une propre pour me sécher. Le temps de m'habiller -c'est confort, comme fringues, faudrait pas que je m'y habitue- et je ressors de la pièce, un objet étrange dans les mains. Comme une ceinture en tissu, mais qui s'élargit, je vois pas ce que je peux en faire.

Dis, tu sais ce que c'est ça?

Je lui ai balancé ça sans voir qu'elle est en train de s'escrimer à essayer de fermer sa robe. Quand les clochards rencontrent la haute société.

Besoin d'aide?

Une cravate... certes, mais j'aurais bien aimé savoir comment ça se porte surtout, histoire d'avoir la panoplie complète pour pas faire tâche chez nos amis les bourgeois. Mais il faut croire que ça ne sert à rien, puisqu'elle la jette sur le lit. Tant pis, je me cultiverais plus tard, faut déjà que je ferme sa robe. Ils sont pas malins chez les riches, ils mettent les fermetures dans le dos, même moi je serais pas aussi stupide.

En tout cas on s'habitue vite, elle a déjà l'attitude des grandes dames avec son regard qui vous ferait lui baiser les pieds, y a le sourire qui va avec. Concentration, faut pas se laisser avoir et rester serein. C'est qu'une robe après tout, y a juste son dos tout près et peut-être bien qu'en me penchant un peu... pas le moment. Je remonte la fermeture jusqu'en haut, et me dit qu'il ne lui manque qu'un collier de perles pour compléter le tableau.

Vu où on est tombés, et si tout ça n'est pas un grand délire, il doit y avoir des automates dans le coin, ou au moins des gens qui savent... faut qu'on les chope.

Le langage, ça va être un truc à changer si je veux pas passer pour un branque. Une fois sortis de la chambre, plus question d'être familier, il faut que je retrouve les bonnes manières que ma mère s'est efforcée de m'apprendre. D'ailleurs ils font comment les couples fortunés, ils se tiennent par la main ou ils s'ignorent façon noble? La deuxième solution me parait la plus simple, et la moins risquée.

Si vous voulez bien vous donner la peine...

Ca revient vite ces choses là, un vrai balai dans l'fion. Courbette de rigueur en ouvrant la porte, et c'est parti pour la mascarade. Je me demande combien de temps ça va prendre avant que ça parte encore en sucette.

[Vers la salle de billard]