Qu'est-ce que j'ai oublié ?

Je gratte, je creuse, je fouille dans ma tête ce qui y a été soigneusement enterré.
Je passe les caillasses, remonte le plus loin possible à contre courant du temps qui érode les souvenirs, tentant de ne pas m'attarder. Ne pas me heurter une seconde fois aux tortures qui ont fait de moi ce que je suis.
Je cherche par curiosité peut-être... Je cherche pour que ça me foute la paix !
Mon corps allongé sur mon lit, entre quatre murs sans fenêtres, je regarde le plafond tandis que mon esprit s'enfonce, les yeux fermés, dans un tas de ronces.

Plus loin dans le passé... qu'est-ce qu'il y avait plus loin ?
Quel diable va sortir de la boite en me riant au nez ? Vais-je me rappeler qu'un jour j'ai pleuré ?

Ma descente s'arrête. J'ai touché quelque chose. Mais pourquoi celle-ci ? Pourquoi ne pas continuer ? Et pourquoi je me souviens de son visage ?
Il était le premier. J'étais déjà bien entrainée. J'ai donc tout fait comme il fallait.
Il était jeune mais quelle importance ? Quel intérêt de s'en rappeler ? Lui ou un autre... ce n'était pas le premier à enfreindre la loi.
Il était acculé, le visage blême, la sueur au front. Il tremblait, les trait déformée par la terreur. Il n'était pas près mais la Faucheuse l'était.

C'est facile de tenir une arme, de tendre le bras et de tiré. Le geste répété cent fois. Pourtant, je crois que j'ai hésité.
Juste un instant, pas longtemps.
Ou peut-être que je contemplais ce moment précédant la première fois.

Je me souviens qu'il y avait un supérieur derrière moi. Une image dérangeante, mais je ne sais pas pourquoi. Je n'avais rien à me reprocher, toujours bonne élève, j'ai fait ce qu'il fallait. Je me suis appliquée.

Le jeune homme a ouvert la bouche, il voulait crier. Il était temps de tirer.
Une pression décidée sur la gâchette
Ça a fait tellement de bruit comparé au geste
Une simple pression d'un doigt
Il est tombé, il a gémi, s'est recroquevillé sur lui, les mains pressées sur le sang qui s'échappait, sous la lumière d'un projecteur. Comme s'il espérait encore empêcher le flux de s'écouler, retenir sa vie, accroché sur le bout du fil de sa misérable existence.

Je l'ai regarder. Ça m'a semblé si long. J'avais arrêté de respiré, l'estomac noué, la gorge comme écrasée. Mon souffle à repris quand le sien s'est enfin arrêté.
Et j'ai ris.
C'était déplacé, mais je n'avais pas pu faire autre chose.

Ils m'ont laissé rire.
Même pas un mot.
Ils ont tourné les talons. Fin du spectacle, on rentre à la maison sans attendre le générique de fin.
Ils m'ont laissé rire tandis que leur bottes ont résonné dans la nuit. J'ai suivit, il fallait bien. Mais j'avais froid. Ce n'était pas l'hiver et pourtant je crois que je n'ai jamais eu aussi froid de ma vie.
Mais pourquoi ?
J'ai tout fait comme il fallait. Alors qu'est-ce que j'ai oublié ce jour là ? Qu'est-ce que j'ai laissé derrière moi ?

De retour du flash back, je m'enroule dans les couvertures, me tourner sur le côté, les yeux rivés sur la lumière de ma lampe de chevet. Je frissonne, ça m'énerve. Je veux avoir chaud. Où est ma flamme ? La colère qui brûle les tripes ? Je suis fatiguée.

Un souvenir de déterré que je souhaite déjà oublier.
Pourquoi s'en rappeler ? A quoi ça sert ? A quoi bon y penser ?
C'est étrange, ça dérange. Pourquoi ça m'affecte ? C'est ridicule, parfaitement obsolète !
Pourquoi son visage de cadavre qui ne veut pas refroidir me reste gravé ? Absurde.
Mes paupières sont lourdent mais je n'ose les fermer tant que son souvenir guette mes songes. Va-t-en ! Tu es mord ! Acceptes ton sort de macchabée parmi les autres exécutés ! Disparait. Il n'y a que le présent et la lumière tamisée par l'abat-jour. C'est tout ce que je veux voir.

Pourtant... pourtant il y a des choses qu'on ne peux oublier
Comme une première fois.