J'évite le coup de poing qui arrivait sur mon visage en me rejetant en arrière. Une chance que mon adversaire ait plusieurs litres d'alcool dans le sang (enfin un peu de sang dans de l'alcool, enfin vous me comprenez). Une malchance qu'il ait pratiqué la boxe longtemps et en ait gardé de bons restes. Mais qu'ai-je fait pour me retrouver dans cette situation... Non en fait, pas la peine de me demander, je me souviens très bien. Ce type ivre qui a voulu me faire du gringue en me voyant débarquer dans le bar, moi qui ait, je l'avoue, plutôt mal réagit (mais il m'appelait "mademoiselle" putain!) et décidé de lui prouver ma masculinité en lui fracassant sa chope de bière sur le haut du crane... A ceci près qu'il a le crane dur et que c'est moi qui me suis fait mal au poignet. A ceci près qu'il a donc voulu répliquer. A ceci près que je n'ai entendu qu'à ce moment là les autres mecs présents parler de sa pratique de la boxe.

Et voilà.

J'esquive un autre coup de poing en faisant un pas sur le coté, et me précipite lui mettre mon propre poing sur le nez. J'entends un craquement, mais je ne sais pas si c'est son nez ou mes phalanges. L'adrénaline a remplacé toute sensation, je réfléchis à toute allure. Ce n'est plus du sang mais du feu qui coule dans mes veines. Il y a du sang sur ma main, du sang sur son nez, d'où vient il? Il se saisit le nez, hurle, se jette sur moi. Je me laisse tomber, et les fesses au sol j'envoie mon poing ensanglanté dans ses parties génitales. Le mec hurle encore une fois. Je me redresse aussitôt, très proche de lui à présent. Tandis qu'il est plié en deux, je chope sa tête, remonte mon genou dans son ventre, puis une deuxième fois dans son nez. Le craquement est plus fort cette fois.

Je le laisse tomber au sol, le souffle court. De l'air, j'ai besoin d'air. Vite. Je ne peux pas respirer ici, il y a trop de gens, tous me regardent. Mes membres commencent à trembler, contrecoup de l'adrénaline de l'instant précédent. Je tourne les talons, me fraye un passage entre les spectateurs vers la sortie. Vite.

J'entends les amis du type se mettre à crier, ils veulent surement me faire la peau maintenant, mais je suis déjà loin. Filant dans une ruelle, je m'appuie contre le mur de brique derrière moi, me laisse tomber au sol. Je ferme les yeux, je dois apaiser les tremblements de mon corps, reprendre le contrôle, calmer toute cette salve d'émotion et de frissons que même mon foutu implant ne peut supprimer. Ne pas repenser aux craquements du nez de ce type, ça me file la nausée. Je ne suis pas pas un maitre kung-fu très sage, ni un assassin froid et calculateur, juste un type qui essaye de survivre.

Des pas. Une fille. Qui fume. Qui me nargue. J'aime pas la fumée. Et puis c'est pas le moment là, merde, je veux être seul. Seul. Au calme. Pas envie d'être galant ni même poli.
Je lève mes yeux vers elle.

Qu'est-ce que tu me veux toi?

Elle est proche de moi. J'aime pas ça.

Elle s'assoit à coté de moi. Elle se moque de moi ma parole... Je laisse échapper un grognement et détourne la tête. Après tout elle a le droit de s'assoir à coté de moi si elle le veut, j'ai pas acheté le carré de pavés autour de moi. Mais si elle croit que je vais me mettre à engager la conversation, voir ne serait-ce que la regarder tout ça car elle est pas mal...
Malgré moi, je lui lance un regard discret. Pas mal ouais.
Euh, mais qu'est-ce que je fiche là?
Je détourne de nouveau le regard et reste fixer le coin opposé de la ruelle.

Mon corps tremble encore un peu, mais il commence à s'apaiser. Du calme. Enfin. Une sensation de chaleur, réconfortante, habite mon corps à présent. Je me sens mieux, reposé. Une vague d'apaisement m'envahis, je...

Je la regarde encore. C'est elle qui a fait ça?
Comment?
J'hésite entre la méfiance et l'abandon. Une voix me souffle que la méfiance est ce qui m'a gardé en vie jusqu'à présent.

Je me dégage brusquement, décale d'une fesse sur le coté pour m'éloigner d'elle.

Comment tu as fait ça?

Amie ou ennemie?

Mademoiselle n'aime pas les réponses.
Ce carnet... Elle écrit car elle ne peut pas parler? Toujours est-il que c'était pas une réponse ça...
Je soupire.

April.

Puisque Mademoiselle ne semble pas aimer les réponses, je vais cesser de lui poser des questions, peut être que ça l'encouragera à m'en dire plus.
Kleuska, pardon. Kleuska. J'aime bien ce nom, sa sonorité.

Elle me touche la main, et de nouveau je me sens bien. Encore ces douces sensations qui défilent, ce sentiment de calme et de quiétude... Comment fait-elle? C'est à croire qu'elle se joue de mon implant...

Arrêt de respiration. Les mots résonnent en moi, comme un écho.
"Comme si elle se joue de mon implant."

Je retire doucement ma main. Plus de sensation. L'explication se fraye lentement un passage jusqu'à moi, mais je la refuse encore. Qui d'autre serait capable de déjouer un implant?

Difficilement, je prononce le mot tabou.

Valkyrie?

Étrangement, je n'ai pas peur. Est-ce encore son action ou moi qui suis stupide? Je n'ai jamais rien eu contre elles, elles sont certes des instruments de l'État, mais ce n'est pas elles qui courent après les renégats armes à la main.

Surprenant, sa façon de communiquer. Je me demande si je m'y habituerai un jour. Une ex-valkyrie? Je comprend qu'elle veuille savoir se défendre, mais enfin, je suis loin d'être un maitre d'arme... Non, ma remarque est stupide. Les seuls maitres d'armes ici sont au centre de conditionnement des NOD. Bref, passons.
Question vitale : j'y gagne quoi moi? La réponse me semble d'un coup évidente. Elle est une valkyrie, même ex. Elle manipule mon implant. Aussi longtemps que je ne l'aurai pas fait sauté, avoir comme contact une valkyrie devrait me permettre de pouvoir encore avoir accès à mon humanité de façon périodique, même si elle ne pourra pas le faire griller définitivement.

Que moi, je t'explique ça? Euh, j'ai appris sur le tas tu sais? Enfin je peux au moins te filer les bases je pense...

Je réfléchis encore quelques instants pour organiser mes pensées, puis commence :

Les points à frapper en premier lors d'un combat : c'est ceux qui font un mal de chien, vont le déconcentrer et te permettre d'enchainer pour le mettre KO. En général, le nez, l'entrejambe pour les hommes, la rotule du genou aussi, tu peux la déplacer d'un coup de pied et le mec en face de toi va se mettre à ramper. Après en général t'enchaine sur un coup de genou au ventre pour lui couper le souffle, ça fait bien mal aussi, et ça te permettra de le calmer un peu, voir de pouvoir t'enfuir s'il est seul.

Ca c'est quand toi tu as l'initiative. Sinon, quand il est plus rapide que toi, tu devras éviter ses coups. Pour ça, une seule chose : ne ferme pas les yeux. Jamais. On fera quelques tests après si tu veux. Garde les yeux ouverts, et tu pourras faire un pas sur le coté ou juste bouger ta tête pour éviter. Sinon tu peux aussi te laisser tomber à terre, comme je l'ai fait, et dans la foulée lui envoyer un coup de pied dans la cheville pour le faire tomber, mais c'est déjà un peu plus risquer. Compris? On commence tout de suite.

Je me lève et cherche des yeux ce qui pourrait me servir dans la ruelle. Ah, là, une capsule de bière, très bien. Je la prend dans ma main, me met face à elle.

Le but du jeu, c'est que je t'envoie ce truc vers le visage, et tu dois garder les yeux ouverts pour l'attraper. C'est rapide mais si tu ne ferme pas les yeux tu y arriveras vite. Allez, lève toi. Prête?

Elle a l'air sure d'elle. Je hausse les épaules. On va vite voir ça de toute façon.
Hop, je lance la pièce vers elle, sans y mettre vraiment de force non plus, le but n'est pas de l'éborgner.

J'hallucine. Une arme. J'avais pas vraiment pensé à ça, non. La facilité de tuerie de ces bestioles là m'effraye un peu en fait. Ce qui ne veut pas dire que je ne sais pas m'en servir...
Pour moi, ce ne serait pas un problème, mais en attendant, elle fait peine à voir avec son flingue qu'elle tient à bout de bras, comme s'il était trop lourds pour ses membres frêles. J'imagine même pas ce que ça donnerait si elle devait tirer avec, avec le recul et tout. Et puis il est quand même vachement balèze son machin...
C'est sur, c'est pas ici qu'on va pouvoir apprendre à s'en servir déjà...
Je soupire.

Pour ça va falloir aller dans un endroit plus désert tu sais... Allez, on y va.

La soirée va être longue je sens...

Direction : la décharge.