Encore une dure journée qui s'achève bientôt. J'ai hâte de trouver l'indolence du sommeil. Mais d'abord, j'avale vite fait un repas en gélule et file me décrasser.

L'eau coule dans la douche, toujours à la même température, réglée à l'avance. C'est ça le progrès, tiède, uniformisé... un quotidien aplani, réglé comme une horloge. Mais le temps me semble encore plus long en 2140. Peut-être à cause de ces espèces de drogues qu'on me file pour remplacer celle que je prenais au siècle dernier. Toujours pas au point...

Aujourd'hui, l'eau qui coule sur ma peau ne se teinte pas de rouge. Elle glisse sur d'anciennes blessures, des cicatrices.

Une petite marque sur le front que ma mèche cache plutôt bien. Un souvenir lointain. J'ai du heurter quelque chose de dur, mais à part une fourchette et une chute dans des escaliers, je ne me souviens de rien. Je ne sais pas non plus d'où me viens cette vieille marque de brûlure sur le bras.

Après les cheveux et le visage, je prend soin de mes oreilles. Ou plutôt de mon oreille et demi, la droite ayant été coupée par un psychopathe.

Je la nettoie soigneusement entre les doigts de ma main droite, celle qui a une cicatrice en forme de point. Elle est assez récente, celle-là, ma première plaie de 2140, un pinceau cassé dans la main. Ça n'a pas fait si mal que ça... mais elle... j'aurais pas dû y aller... pourtant je songe encore à retourner la voir. Pourquoi faire ? M'excuser peut-être ? Ou aller plus loin, comme elle me l'a suggéré ? Non... je ne sais pas. Mais j'ai le sentiment d'avoir laisser quelque chose là-bas... qu'est-ce que j'ai oublié ?

Les yeux baissés vers une étrange mélancolie, je trouve deux marques sur la cuisse droite.
L'une est ronde. Un impacte de balle reçue lors d'une mission. Il fallait protéger le temple lorsque les implants étaient en pane. C'était un beau merdier.
La deuxième forme un trait à côté de la première. Un couteau planté dans la cuisse, celui d'un de ces rats. Un dangereux spécimen qui m'en a fait baver. Une défaite ce jour là. On ne peut pas toujours gagner. Mais je m'en suis quand même sortie. Il m'a relâché, je n'ai pas vraiment compris pourquoi. De toute façon, il était complètement barré. Un anarchiste acharné au moins aussi buté que moi. Je me demande s'il a lui aussi passé la faille où s'il est resté au siècle dernier.


NOD, c'était un métier à risque. Mon corps en témoigne. Mais je me suis plutôt bien débrouillée. Si on fait les comptes, j'ai blessé d'avantage que je ne l'ai été.

Je me souviens du premier homme que j'ai presque castré.
Celui que j'ai mordu à sang à seulement 17 ans.
Santy que j'ai blessé. La première fois que je l'ai faite saigner. Il y en a eu une deuxième, le visage balafré. Est-ce que je lui ferais encore du mal, la prochaine fois que je la verrais ? Si je la revois un jour... pourquoi y retourner ? Il faudrait que j'arrête d'y penser. Mais sa façon de prononcer mon nom... comme si elle ne me détestait pas... pourtant elle devrait. Elle aurait dû me tuer pour ce que j'ai fais.
Il y en a un qui ne s'est pas gêné pour se venger de l'oreille que je lui est explosée. Et quand il est revenu, je lui est mis le feu à sa veste après avoir tenté de l'écorcher vif. C'est ce malade qui m'a taillé l'oreille en pointe. J'espère qu'il n'a pas survécu au couteau qu'il s'est pris dans la gorge.
Il y a de ces cinglés dans ce monde de fous... comme celui qui s'est pris une balle dans l'épaule. Celle-là, il l'avait pas volé. Un terroriste, le même qui m'a épargné, après que je lui ai entaillé la mâchoire.
Je crois qu'il y en a eu un aussi que j'ai bourré de coups de pieds. Mais je ne sais plus pourquoi. Ça ne devait pas être très important.
Et un autre rat que j'aurais bien éventré, si ça n'avait pas été aussi risqué. Qu'elle mission de merde ils m'ont refilé ce jour là !
Et le dernier, je l'ai seulement égratigné. Mais j'étais pas en forme, et je devais le ramener entier... ce que je n'ai pas réussi à faire... c'était pas très glorieux comme soirée. Ma première mission en 2140, je l'ai foiré.

J'en ai vécue des histoires.
Des marques indélébiles dont les plus dures ne sont pas celles que l'on voit.
Je suis fatiguée d'essuyer les blessures. Je me sèche et je vais me coucher.
Est-ce que j'arriverais à fermer l'œil en sachant que demain ne sera pas mieux qu'hier ?
Allez, il faut tourner la page. Un siècle d'histoire passé, un changement de métier, de médicament... ah ces putains de médicaments. Ça me fout le bourdons ces saloperies. Je ne suis plus moi-même à cause de ça, trop assommée pour m'y retrouver. Et les doutes, les questions inachevées et réponses absentes... des mots qui reviennent et qui tournent s'en arrêt...

C'est pas qu'une gamine, c'est une future NOD. Et elle sera une NOD brillante, probablement meilleure que moi.



VIVRE ! AIMER ! JOUIR !


Un petit cochon pendu au plafond, tirez lui la queue, il pondra des oeufs


Pauvre petite cul-serré du Temple. Frustrée


Le plaisir... je connais ça, moi ?
Des bêtises... rien que des bêtises... et pourtant, quand j'y pense, c'est comme si on m'étranglait.
La joue me tire, même enfouie dans l'oreiller. Douloureux sourire et rire maudit.
Mal aux côtes... fatiguée... le crâne en miettes... et demain ne sera pas mieux, je le crains.