- Pardon ! Pardon ! S’cusez-moi, m’dame ! Hop ! Désolé !

C’est d’un pas pressé – en réalité je cours, mais ça sonne mieux de dire « d’un pas pressé » – que je parcours les rues de Novlangue pour arriver à l’heure au lieu de rendez-vous. Rendez-vous galant ? Eh ben non. Ca aurait été trop beau pour être vrai. Dans peu de temps on pourra me qualifier de « célibataire endurcie » si je continue comme ça.

Mais merde, il va bouger son cul, l’aut’devant ? C’est pas comme ça que je vais arriver à l’heure ! Bon, en fait je suis déjà pas à l’heure… Mais c’est pas une raison pour me retarder encore plus ! On ne laisse jamais attendre une dame… C’est pour ça que j’essaye de rattraper mes 15 minutes de retard. Y’a pas une machine à remonter le temps ? parce qu’on a bien réussi à faire un bond de cent ans…

Hop, maintenant j’en ai marre ! D’un geste délicat – qui à fait que le mec a trébuché sur le côté, a poussé la nana qui marchait avec lui, qui a donné un gros coup à un livreur qui s’est pris le mur – j’ai poussé le mec qui me barrait la route, et me revoilà en train de courir comme un dingue.

Ah ! J’y suis presque ! Plus que quelques mètres ! Allez, Lewis, tu vas-y arriver ! Et… Bang ! Boum ! Out… Je hais les poseurs de vitres… Je me redresse doucement. ‘Tain, je suis à moitié sonné ! Je porte ma main à mon front. Aouch ! Ca fait un mal de chien !

- Ca va, m’sieur ?

Qu’est-ce qu’il me veut, ce type ? Si je vais bien ? Je viens de me prendre ta putain de vitre, imbécile ! Bien sûr que je vais bien ! Bon, bouge, tu me gènes pour me relever. En deux temps trois mouvement, je suis à nouveau sur pieds – je ne suis pas très stable, mais bon… Je me remets vite en route. Si je continue à gaffer comme ça, mon retard de 15 minutes se muera en petit lapin.

1, 2, 3 et me voilà ! J’arrive tout essoufflé devant la porte du Bagdad Café. J’essaye vite fait de ressembler à nouveau à quelque chose, mais c’est pas gagné. C’est pas en deux secondes qu’on peut effacer un accident du type « vitre en pleine face ».

Je prends une grande inspiration et entre dans le bar. Immédiatement, une serveuse se présente à moi. Lorsque je me présente, elle m’indique une table où est assise une charmante jeune femme rousse. C’est bizarre, elle a pas du tout l’air de s’impatienter…

Je m’avance vers elle et affiche mon plus beau sourire.

- Bonjour, mademoiselle. Lewis Golden. Désolé si je suis en re…

J’aperçois l’horloge du café. Je regarde ma montre. Je regarde l’horloge. Je re-regarde ma montre… Je lève un sourcil.

- Ma montre avance de 20 minutes…

Lorsque j’ai fini de parler, Deidre pose sa main sur mon poignet. Aussitôt, la chaire de poule parcourt mon bras et ma respiration se bloque. Qu’est-ce qu’il se passe, là ? Je supporte plus les contactes physique ? Ou bien y’a autre chose… Et je crois que ce n’est pas en rapport avec cette Valkyrie…

Putain ! Je ne me comprends plus ! Faut que je remette les choses au point avec moi-même ! Je sais plus ce que je dois penser, je n’arrive plus à me concentrer… J’arrive plus à rien ! Je fais vraiment de la merde en ce moment. Et tout ça à cause de… Arg !

J’écoute d’une oreille distraite ce que Deidre me dit. « La confiance que vous nous portez »… Ca sonne bizarre à mon oreille… On dirait un speech préenregistré. Et le « nous » ne me plait pas vraiment… Elle est toute seule là ? On dirait, oui… Bon, alors je vais faire comme si de rien était…

Hein ? Mais qu’est-c’qu’il veut celui-là ? Comment il m’a effrayé maintenant ! Ah, c’est que le serveur. Il est bizarre, on dirait qu’il regarde dans le vide. C’est un robot ? Ben merde, on dirait trop pas ! Ca fait peur… Un jour j’vais draguer une nana et je vais découvrir au dernier moment que c’est un robot… Brrr… Ca fait froid dans le dos.

- Alors... Parlez-moi un peu de vous... Lewis, faisons connaissance.

Deidre a plongé son regard dans le mien. C’est assez… troublant. C’est à peine si j’ai compris ce qu’elle m’a dit tellement je nage dans ses yeux. Debout Lewis ! On t’a demandé quelque chose !

Je m’apprête à articuler une réponse quand d’un coup je comprends ce qu’elle essaye de faire.

- Attendez, je sais où vous voulez en venir comme ça. Vous attendez de moi que je vous dise ce que je n’ai dit à personne d’autre avant vous, c’est ça ? … D’accord… Ben dans ce cas, j’ai plein de chose à dire…

Je m’assoie plus confortablement dans mon siège et cherche par où commencer mon récit.

- Eh bien… Je suis mentaliste depuis Neuf ans – ou cent neuf ans si on compte mon bond dans le temps. Neuf ans que je fais ce foutu métier qui ne me plait pas simplement parce qu’on m’y oblige. En 2033 j’ai eu un fils qui est resté de l’autre côté de la faille et qui a été euthanasié… Vous savez, à ce rythme là, on en a pour assez longtemps. Vous avez pas plutôt des question spécifique à me poser pour centraliser un peu la conversation ?

Après ma petite tirade, je détecte tout un tas d’émotions traversant les yeux de Deidre. Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que j’ai dit d’aussi perturbant ? Je suis peut être allé trop loin… J’aurais mieux fait de garder mes petits secrets pour moi. Seulement, si ça peut me permettre d’aller mieux si je les dévoile, alors autant que je le fasse.

- Vous ne semblez pas... Tout à fait dans votre assiette. Je pense qu'il vaudrait mieux continuer cette conversation dans une des alcôves, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

Ca pour ne pas être dans mon assiette... J’ai juste un peu été kidnappé par une bande de cinglés, je vais sans doute pas être l’homme le plus heureux grâce à ça. Bon, elle veut continuer la conversation ailleurs… Ben allons ailleurs alors.

Elle se lève et je l’imite. En fait, pourquoi elle veut qu’on s’isole – en plus dans une alcôve ? Elle regarde derrière elle... On est surveillés ? Je balaye la pièce du regard. Rien de suspect en apparence… Bon, je vais quand même faire gaffe. On sait jamais... Je suis alors Deidre là où elle m'emmène.

En entrant dans l’alcôve, je ne peux m’empêcher d’articuler un « wow » silencieux suivit d’un…

- Pourquoi vous m’avez emmené ici ?

… qui m’a échappé. La curiosité est un vilain défaut mais ça existe pas des hommes sans défauts.

Deidre referme le rideau derrière moi puis s’approche très près de moi. Son parfum m’emplit les narines. Cette situation me donne des frissons partout – vraiment partout. Puis, d’une vois très séduisante, elle me dit qu’ici on est plus intimes. Pourquoi elle tient à ce qu’on soit plus intimes ? On vient à peine de se rencontrer, non ? Ouais, bon, c’est pas grave mais quand même. Zut, elle s’éloigne.

- Nous avons 5 minutes de tranquillité.

Waouh ! Cinq minutes c’est rien. Tu peux quasi rien faire en 5 minutes. C’est limite du tsac tsac boum boum.

- Vous vous rendez compte que ce que vous venez de me balancer vous vaudrait au minimum la rééducation si j'en parlais, comme je suis TENUE de le faire en théorie ? Vous êtes complètement idiot, ou c'est un putain de test ?

Merde, j’ai mal compris. Alors en vrai c’est cinq minutes pour me faire passer un savon pour ce que j’ai dis. Elle a pas l’air contente en tout cas.

- Si vous saviez à quel point j’en ai rien a foutre de ce que le Temple peut me faire pour ce que j’ai dit. Vous m’avez demandé de m’ouvir à vous et c’est ce que j’ai f… Une petite seconde… Vous avez dit que vous devez rapporter tout ce qui se passe ici…

Je me passe une main dans les cheveux et souffle un « Merde… » puis hausse la voix :

- Putain, c’est quoi ce bordel ?! Dans quel merdier je me suis encore fourré ? Je croyais que tout ce qui se dirait entre nous, resteraient entre nous ! Vous êtes quoi en vrai ? Une sorte d’espionne qui cherche les mauvais mentalistes ?

Je mets mes mains sur ma tête et commence à faire les cents pas. Je suis vraiment destiné à tomber dans toutes les embrouilles possibles et imaginables.

Deidre se met devant moi et pose une main sur mon torse. Ce geste me calme un peu, mais j’ai encore les nerfs pour cette histoire de rapport au Temple. Alors on me surveille même quand j’ai envi dans mes moments d’intimité ? On peut même pas prendre du plaisir légal sans qu’on nous observe ? Je hais cette ville…

- Mais vous vivez dans quel monde, pour faire confiance aux inconnues, comme ça ?

Je fixe mon regard dans le siens

- Je vis dans un monde où on a envie de faire confiance mais où ce n’est plus possible ! Et vous m’avez inspiré confiance et encore une fois j’ai vu que ça ne signifie plus rien…

Quelqu’un va venir ? Génial… Manquait plus que ça… Et en plus de ça, faut que je sois naturel. Bien sûr je vais accueillir cette personne avec un grand sourire et dire que tout va bien dans le meilleur des mondes. Ben voyons !

Et en plus de ça elle veut que je mente, que je mette tout sur le compte de mon traumatisme avec les insurgés. Mais c’est types n’y sont pour rien. Je pensais déjà comme ça avant. Et j’en ai marre de faire semblant. C’est fini cette époque ou ma vie est un rôle que je joue pour faire plaisir à un public !

Je prends une grande inspiration, passe à nouveau une main dans mes cheveux avant d’enfin répondre à contre cœur :

- D’accord…

Deidre me fais signe d’approcher. J’hésite un instant, puis finalement obéis. Je m’avance, pose mes mains sur la table, de part et d’autre de la valkyrie et aproche mon visage tout près du sien.

- Que puis-je encore faire pour madame ?

Petit sourire sarcastique.

Je la rends nerveuse… Tant mieux… Au moins elle comprend à quel point je suis mécontent.

L’interruption ? J’en ai rien à battre de cette interruption. Mais si pour elle ça a une importance… J’entends les pas de cette personne dont elle parlait. Elle sera là dans quelques secondes…

Deidre pose ses mains sur mon visage et les fait glisser jusqu’à ma nuque. Ses paroles… Ses murmures… Ils ont l’effet d’un calmant sur moi. Je ferme les yeux et tente de contrôler ma respiration. Je sens peu à peu ma colère s’atténuer. Ca va une peu mieux maintenant.

Seulement ça ne va pas durer. Les pas se rapprochent. Tout n’est qu’une question de centièmes de seconde maintenant… Deidre m’ébouriffe rapidement les cheveux. Je me laisse faire, je joue le jeu comme elle me l’a demandé. Puis elle se blottit tout contre moi. Bon… Euh… Jouer le jeu... Jouer le jouer… Elle m’a perturbé là !

Hésitant encore un peu, je l’entoure de mes bras. Je profite du peu de temps qu’il me reste pour lui souffler délicatement :

- Je vous en veux, Deidre…

D’un coup, j’entends le rideau s’écarter derrière moi. Faut toujours que y’ait quelque chose pour perturber les bons moments.

- Excusez-moi mais...

- .... Fichez le camp.

Un petit sourire amusé apparait sur mon visage. Je reprends vite mon sérieux et desserre un peu l’étreinte de façon à pouvoir me tourner vers l’homme qui est venu faire chier son monde.

- J’aurais pas dit mieux. Voyez-vous, on a envie d’être un peu seuls tous les deux.

Je lui envoie mon regard le plus contrarié en espérant que ça marche.

Deidre renvoie comme il se doit cet imbécile sans gène. Il referme le rideau et je l’entends s’éloigner. Nous revoilà tranquilles… Et j’espère que ça va rester comme ça. On a beaucoup de choses à se dire elle et moi, je pense.

Euh… Par contre c’est permis ça ? Ca fait partie du programme ? Parce que c’est assez embarrassant de l’avoir blottie comme ça contre moi alors qu’on se vouvoie encore… Elle est vraiment, vraiment très serrée, là.

Bon, ben… En bon gentleman, je lui rends son étreinte… J’ai le droit au moins ? Pas que je sois condamné pour avoir enlacé une jolie femme – qui m’a enlacé en premier en plus. Bon, en fait je m’en fous de ce qui va se passer après parce que, au moment présent, c’est très agréable de serrer quelqu’un dans ses bras.

- Je sais que vous êtes contrarié, mais... ça vous ennuie si je reste un peu comme ça ? Ça cache ce que je dis et... j'ai besoin d'un câlin. Bien sûr vous êtes autorisé à me parler dans le cou quand vous voulez.

Bonne nouvelle : j’ai le droit de la tenir comme ça. Mais ça reste quand même un peu embarrassant. Par contre sa question m’amuse un peu. J’ai un petit sourire qui étire mes lèvre. Finalement je l’aime bien cette femme. C’est à peine si je me souviens pourquoi j’étais en colère contre elle.

- Ce n’est pas douloureux… Ce n’est pas mortel… En fait c'est plutôt agréable... Alors ça ne m’ennuie pas que vous restiez comme ça.

Mortellement vexée ? C’était pas gentille ce que j’ai dit ? Pourtant j’ai fait un effort… Eh mais… Ca devient de plus en plus chaud, là. Comme elle s’est positionnée, on pourrait croire des choses. Et si en plus on sait que y’a des caméras, c’est vraiment, vraiment très embarrassant.

Moi ? Timide ? Elle pense que je suis timide ? Nan, pas du tout. Jamais de ma vie je n’ai été timide. Si j’ai les joue qui me brûle c’est pas du tout, mais alors pas du tout, du tout parce que je suis timide. C’est juste parce que je suis gêné, et ça c’est pas dû à la timidité. Du moins je ne pense pas que ce soit dû à ça…

Et merde, maintenant, elle m’embrasse l'oreille, la joue, le menton… Si elle continue sur sa lancé, elle va réveiller tous mes sens de mâle, et ce n’est pas bien pour un premier rendez vous. Bon, en fait, c’est pas si grave que ça, si c’est le premier rendez-vous, mais ce sont les caméras qui me bloquent un peu.

Elle veut faire en sorte que je reste entier, tout ça parce que l’air gentil. Elle se base sur ces impressions personnelles, c’est très imprudent. Et si j’étais en réalité là pour la tester ? Je suis mentaliste après tout. J’essaye peut être de la piéger. Je pourrais très bien lui faire peur avec ça, juste pour m’amuser un peu, mais j’en ai pas envie.

De toute façon elle ne me laisse pas le temps de lui répondre quelque chose. Elle se décolle légèrement de mon torse et plonge son regard dans le mien. Je comprends immédiatement qu’elle veut qu’on continue de parler de choses sérieuses. J’ai plus envie de parler de choses sérieuses, surtout si je dois modifier la réalité.

- Et donc... Vous m'expliquiez que depuis votre agression vous aviez du mal à reprendre votre place de mentaliste comme à votre habitude ?

Ouah ! Je suis devin ! Bon, plusieurs possibilités s’offre à moi maintenant : soit je joue pas le jeu mais je sais que c’est dangereux pour moi, soit je joue le jeu mais ça j’ai pas envie, soit je me barre mais bon ça le fait pas, soit je joue avec mes propres règles. La dernière option me plait bien.

J’affiche alors un sourire charmeur et réponds sur un ton aguichant :

- Vous me provoquez jusqu’à éveiller le désir en moi pour ensuit me faire parler de choses que je n’ai plus envie d’évoquer désormais. N’êtes-vous pas censé me faire oublier ce maudit choc post-traumatique ?

Je me penche alors jusqu’à avoir m’a bouche tout près de son oreille.

- Et si on allait parler ailleurs ?

Je me redresse – en l’embrassant délicatement sur la joue en passant à côté – et la regarde intensément dans les yeux, toujours avec ce sourire en coin qui m'a souvent été bénéfique. Alors, je joue bien ?

Bingo ! J’ai apparemment agi comme il fallait, ou du moins je n’ai pas agi comme il ne fallait pas. Deidre va récupérer ses affaires et ensemble nous sortons du bar. Ca fait du bien d’être de nouveau dehors. C’était trop étroit à l’intérieur.

A peine dehors, Deidre m’assaillit de questions. Si elle veut que je réponde à une, il ne faut pas qu’elle m’en pose une autre directement à la suite de la première.

Je ne peux retenir un petit sourire moqueur et tourne la tête vers elle.

- Alors… Dans l’ordre : plus pourri que prévue, eh bien… disons que je m’attendais à un moment de détente et non de stress ; vous m’avez surpris sur plusieurs points ; pourquoi je n’aimerais pas les rousse ? ; et je n’ai aucune idée de comment ça se passe avec une Valkyrie, les événement de tout à l’heure en sont la preuve. J’ai oublié quelque chose ? … Ah ben tiens, on est déjà arrivés…

Nous arrivons devant une grande tour assez étrange, et pourtant très belle. Je m’arrête quelques instants pour la contempler. Elle part vraiment très haut… Ca donne le vertige rien que de la fixer d’en bas.

Je salue le portier et suis Deidre jusqu’à l’ascenseur. J’avoue être un peu nerveux à l’idée d’être dans l’antre des mystérieuses Valkyrie sans réellement savoir ce qu’on va y faire.