0. 22/07/2040 22:03

Vingt-deux heures dans la ville-monstre et la chaleur qui tombait comme une chape de plomb, elle étouffait. Dehors le bruit, la vie grouillante et la lumière qui filtrait par la fenêtre brisée, qui s’accrochait aux éclats de verre ; dehors le monde et les passants qui criaient, les sirènes au loin déjà.

Elle regardait droit devant elle, sans trop comprendre, avec des yeux fous qui semblaient sur le point de sortir de leurs orbites et de s’écraser sur le sol comme deux œufs mollets, floc, floc.
Dans l’ensemble tout allait bien ; elle reconnaissait le bras blanc, long et fin, tendu devant elle ; en fermant les yeux elle aurait pu dire par cœur la pliure du coude, les quatre grains de beauté et l’angle bizarre, vaguement squelettique que le poignet faisait avec la main. Elle aurait pu le dire, puisqu’elle avait identifié ce bras, ce coude, ce poignet, cette main comme étant les siens chaque matin depuis vingt-six ans et demi. Elle se souvenait même d’avoir verni ses ongles en noir vinyle la veille, et aussi de l’endroit où elle avait ripé. Elle voyait distinctement la minuscule coulure, sur son index ; et dans le même moment elle refusait de croire ce qu’elle voyait. Ce n’était pas possible, et pourtant c’était là ; c’était là et c’était impossible. Comme devant une gravure d’Escher elle cherchait la faille sans parvenir à la saisir.

Puis d’un coup elle lâcha le revolver et écarta d’une main fébrile les mèches sombres qui barraient son visage. La bile qu’elle se mit à vomir lui laissait de l’amertume dans la bouche, dans le nez, lui brûlait les yeux. Mais au moins ça nettoyait l’odeur de la poudre.

Dans sa poitrine résonnait encore l’écho de la détonation, et c’était un peu comme le bruit de quelqu’un qui s’enfuyait, boum boum, boum boum, boum boum… Quelque part il y avait le hurlement d’une sirène et la lumière glauque de la ville, la nuit qui tombait sur elle et le revolver, sur elle et cet écho, atroce, qui tombait sur elle et ne la quittait plus.

Charlie ferma les yeux, glissa au sol sans bruit, desserra les doigts pour laisser filer la raison une seconde ou deux.

Citation :

Sujet : Charlie « Chat » Halloway
Sexe : F
Née le : 12 janvier 2014

CV :
Doctorat à l’Université de Biologie Humaine du [INFORMATION MANQUANTE], mention biotechnologies.
Actuellement en poste aux laboratoires Hobson&Hodges, en tant que : Cheffe de projet recherche et développement.

Parenté :
Naissance naturelle. Mère recensée mentaliste. Père inconnu.

Extrait de casier judiciaire :
Conduite en état d’ivresse (2)

Données supplémentaires :
Pas de pouvoirs mentaux avérés.
Pas d’implant.
Permis d’arme B-117, raison : sécurité personnelle.

CONCLUSION DU RAPPORT :
Surveillance effective des activités professionnelles – Pas de surveillance privée (raison : le sujet ne présente aucun signe de dangerosité pour son entourage et n’a aucun contact avec les foyers insurgés).
Un agent est détaché à temps partiel pour l’observation et le report de l’avancement de la recherche sur les implants.

Vingt-deux heures trente dans la ville-monstre, elle rentrait chez elle, dans son appartement grand luxe, et le sol faisait des triples loopings en forme de bouches de canons.

Spoiler: