À la table d'à côté [OUVERT, vue sur les autres tables]

Fulminant après-midi.
La terre éructe ses volutes trompeurs. Incantations d'aqueuses chimères.
Messagers funestes pour toute âme errante.
Sens émoussés.
Repères falsifiés.
Le combat était inégale. S'opposer aux éléments c'était défier une tragique destinée.
Un valet commun ; traître.
La Torpeur.
Mince filet liquide qui s'écoule inexorablement.
Pénètre l'esprit, corrompt l'espoir.
S'insinue, ruisselle le long des os.
Colmate.

Agglutine.

Paralyse.

Tel une mouche dans du miel.
On s'épuise ; toute résistance est vaine. Le mal vient de l'intérieur.

Cependant, entre deux, il existe un instant fugace durant lequel les rênes bouillantes s'abattent sur la raison.
Elle se plie aux facéties grotesques de ses folles déesses.
Le corps n'est plus qu'un pantin exécutant un spectacle des plus affligeants.

Le ciel formait un océan inatteignable, dans lequel le soleil ondulait. Cruel bourreau.

Drôle de représentation qui se jouait cet après-midi à Novlangue.
Le monde a perdu la tête.
Chorégraphie douteuse.
Partition licencieuse.
Les Hommes jouent les Fables. Annexe méconnue...
Diamétraux excès dans la ville de l'austérité.
Les gorges s'emplissent, les corps se mêlent, les sons s'additionnent. En parfait chaos.

Un des danseurs perçait la foule débridée.
Entraîné d'une façon bien étrange au vu de sa silhouette très particulière.
Notre âme errante...
Le regard voilé, en proie à un profond égarement.
Visage maculé de sueur. Les gouttes dévalant les saillies le coeur léger.
Noa... Toujours.
En ample apparat sombre.

Les bouches éructent, les muscles tressaillent, les bruits s'étirent. En extase apothéose.
La pluie jaillit.
Diamétraux excès dans le ciel de Juillet.

Pluie mêlée de sueur. Déplaisant mariage.
Mais indispensable alliance libératrice. Au diable les ardentes flammes !

Il n'en est pas moins que Noa vacillait toujours. Le pas hésitant, la démarche pesante.
La pluie dégoulinait en droite ligne. Lui, zigzaguait.
En retrait, extirpé du verger aux pêchers. Des cascades de flux brûlants.

Il avait décidé de faire halte. La main posée sur une poignée inconnue.

_ Du repos...

***

C'était un petit espace exigu, confiné. Les petites lanternes étaient bien meilleures hôtes.
Leurs lumières tamisées prenaient le relais aux lueurs trop insistantes du dehors.
Les halos venaient caresser le décorum stylisé en bois et pierre d'inspiration orientale.
Au fond, la myriade de verres offraient leur scintillement aux convives du palais.

Un bar.
Bonne pioche.

Les effluves étaient étrangement agréables.
De légères touches safranées et suaves accentuaient l'évocation des dunes sablonneuses.
Ce n'était bien évidemment pas des grouillots suants et imbibés d'odeurs viciées qu'émanaient ses douces arpèges.
Mais des délicates fleurs clairsemées dans les allées.

Les redoutables Valkyries.
Jeu dangereux.

Noa avait entamé un repli lorsqu'une d'elle chargea par la gauche. Trop tard.
Sans rien dire, d'un geste gracieux du bras, elle lui indiqua une table de libre.
Pour toute réponse, Noa mima son mouvement.
La légende attire tout sorte de curieux. Ce n'est pas les illuminés qui manquait en ce lieu.

Noa prit place, la jolie amazone ne s'était pas attardée plus longtemps sur son cas.
Une goutte glissait sur la tempe de Noa. Quelque chose l'oppressait.
Pourtant tout était ici fait pour se sentir le plus à son aise.

La serveuse revint s'occuper de son client.
Elle déposa olives et autres pickles pour accompagner le rafraîchissement qu'elle allait lui offrir.
Noa accompagna la coupelle d'un coup de bras gauche hors de la table.

Claquement léger.

La belle fit un pas en arrière instinctif ; l'assemblée se tourna un instant en direction du sursaut.
Noa lui, dissimula son visage derrière sa docile main droite.
Il n'avait pas vu venir. Geste incontrôlé pour attention insoupçonnée.
Loin d'inculper ses belles déesses, c'est Noa qui est bien piètre joueur.
Sa fébrile moitié l'a contraint à se tenir loin de toute interaction 'sociable'.
Ainsi les us et coutumes du service ne faisaient pas partie du prédictible.

_ Désolé...

Je crois qu'il me faut de quoi me remonter... S'il vous plaît.

L'hôtesse dévouée ramassa prestement les débris et produits au sol et alla chercher sa boisson.
Noa avait chaud... Enfin il n'était pas à l'aise.
Il s'écrasa un petit peu plus sur sa chaise. Attirer l'attention n'était pas non plus dans ses habitudes.
Il observa longuement cette main gauche encore au-dessus de la table.
Il fallait mieux qu'elle aussi se fasse oublier.
Elle glissa le long de son corps. Déjà la serveuse revenait.

Elle hésitait à déposer le verre. Noa agita sa main droite devant son visage, et l'approcha du verre.
Il le prit.
Le mit sur la table.
Et baissa de suite les yeux.
C'est ce qu'il avait de mieux à faire.
Ne plus y penser.

Seulement quand sa divine hôtesse, prise d'affection pour son air penaud et tiraillé, tenta de poser sa main sur la joue de Noa, celui-ci ne put à nouveau empêcher sa mutine gauche de faucher violemment ce message d'affection.
Les interactions poussées n'étaient même pas de l'ordre de l'entonnement.
Les dernières mains s'étant posées sur lui furent d'une froideur inoubliable.
Ces mains même qui entreprirent de le faire devenir ce qu'il était aujourd'hui...
Une étrangeté.
Un monstre.

_ Pardonnez-moi...

Bien sûr, la serveuse dut provisoirement saboter son beau visage pour le fusiller du regard.
Elle claqua des talons et laissa là Noa en plein désarroi.

Un mélange de confusion et de rage prit possession de ses traits.
Tête baissée, les poings serrés, collés fermement à la table, ses yeux défilaient dans le vide.
S'occuper. Il devait occuper son esprit.

La salle. Jeter un oeil sur les autres vagabonds.
Des inconnus. En immense majorité des hommes. Quelques jeunots éparses.
Des curieux, des ahuris, des débarqués, des vicelards. Beaucoup de vicelards.
De nombreux déchets à réconforter...
Comme lui.
Comme l'autre avec son chapeau. Sa douce compagnie n'avait pas encore renoncé.
Ses yeux suivaient les mouvements.
Ils se posèrent sur les deux plus jeunes qui s'éclipsaient discrètement.
Et retournèrent sur la mixture.

Étrange mixture.
Il s'empara du verre aux teintes turquoises et le porta à ses lèvres.
Il laissa s'écouler un long trait le long de sa gorge...
Le glacial breuvage l'embrasa un peu plus.
Il l'éloigna de lui.

Le froid brûlant.

Les opposés réunis.

Il souhaiterait cela.
.

À la table d'à côté [OUVERT, vue sur les autres tables]

Sujets similaires

Sujets similaires