Lieu de perdition. Catalyseur de rencontre et d'échange. Ce qui pénètre le gosier n'est qu'un prétexte aux pensées qui en rejailliront... Le poison qu'ils ingèrent, se nourrira de la putréfaction interne, se propageant à chaque souffle, à chaque mot.

On lui avait appris à tout haïr. Tout ce qui leur amènerait un peu plus de plaisir. Comment voir dans ces lieux pittoresques, aux bois pourrissant, aux vieilles hardes et luminaires aussi bariolés qu'hésitant; l'endroit où l'on pourrait méditer, quelques instants ?

L'épaisse brume opaque de ses fétides haleines mêlées aux tabacs de qualité et effluves diverses... Tout se mêlait, jusqu'au fond de musique quasi antique, d'un vieux gramophone.

Comme un retour trop en arrière...

La mâchoire se crispe de manière imperceptible. George ferme l'œil. C'est un lieu qu'on ne peut ignorer, celui où sous couvert d'un masque populaire, se mêleront les véritables voix libertaires. Celles que l'infiltré(e) se doit de repérer.

Parcourir, lascif, goûter aux épices, aux céréales fermentés, oreilles et regards attentif. Prêt à recevoir les mots de ceux qui voudront de son 'amitié'. Laisser agir le charme, celui-là même qui lui valu d'être ainsi formé.

Alors George y traîne de temps en temps, à dire vrai, bien trop souvent... ses misérables guêtres. Patientant que s'y révèlent les êtres...
Qui écourteront enfin sa mission. Son calvaire.

On y voit bien des différences, bien des massacrés de l'indigence à satiété. Les clients d'ici ne craignent pas d'afficher leurs stigmates, d'en raconter les quelques anecdotes dont ils se souviennent encore.

Celles qui rejoindront la mémoire infaillible de celui qui; choisira en silence, leur condamnation.


On pourrait trouver étrange d'être immiscé au sein de la foule, pour avoir un moment de tranquillité. Lire au milieu du brouhaha pourrait être pris comme insanité.

Allez dire ça à cet être, ainsi, toujours entouré, qui n'était que jamais qu'isolé par ses mensonges ? George connaissait trop bien ce sentiment. Il s'en nourrissait. Ne craignant jamais d'y trouver le moindre plaisir... Ce, même si cette tête; à l'opulente chevelure ardente, se trompait.

Peut-être que trouver ici; celui qui, affichait ostensiblement ses besoins solitaires au milieu de la foule, lui donna envie de s'en mêler. De déranger ?

Non. Déranger, aurait été, être pris comme une offense. Quelqu'un à éviter.
Qu'il était difficile de devoir plaire à tout le monde, sans presque afficher le moindre avis...
Il y avait ceux, jugés sans importance, contre lesquels on se fichait bien d'être détesté, mais dans la masse d'inconnu, celle où se cachaient les véritables penseurs ?
Il fallait jongler avec la subtilité d'opinions affichées mais facilement abstraites pour ne pas froisser, pouvoir s'adapter à celles de l'interlocuteur à séduire. Paraître suffisamment intéressant, qu'on ait envie de poursuivre la confrontation, les confessions... Et confier ainsi, plus de noms, de responsabilités. Qui ferait grandir son renom, en cette fétide société.

George n'avait pas le droit de paraître terne, inintéressant. George devait intriguer sans alimenter une trop grande défiance. George se devait de jouer la différence sans sur-jouer ce qui lui couterait son existence. 'Il' devait susciter un besoin à l'instruire, alimenté une impression d'inachevé que seuls ceux qui se penseront les maîtres.... pourront enfin construire.

... Non, l'androgyne, jamais, ne se délecterait de ce jeu.


- Cela te vaudrait une très longue rééducation.


'Il' choisit de déranger tout de même. 'Il' sait quelques rumeurs, a déjà entendu certaines clameurs et échanges d'idées dangereuses. 'Il' sait que l'Atom est écouté, et s'intéresse encore plus à ceux qui s'y mêleraient. Transformant l'actuel lecteur en l'appât étranglé d'un fil roux, qu'un gouvernement ne manquerait pas de tirer d'un geste mortel.
... Mais George ne doit pas être, ni irrespectueux, ni indélicat. On considère cet homme, comme éminence. Il devient peu à peu une référence. 'Le' roux ne pourra continuer qu'aux marques d'une déférence qui le lui accorderont.

Pour l'instant, George se contente de s'asseoir non loin, saisi d'un verre mousseux à finir. Se présentant comme le client poli, emprunt d'une même philosophie; la recherche d'accalmie au sein des tempêtes animées.

Alors qu'il terminait une page sur la tendance à l'oligarchie de toutes structures sociétales, y compris en démocratie, quelque chose d'inhabituel arriva. Il venait toujours ici en s'isolant au fond de la pièce, prenait toujours la même liqueur, recrachant la fumée aigre du tabac consumé. Et personne ne le dérangeait jamais, personne ne venait l'interrompre car tous savaient qu'il était là pour être seul. Paradoxalement le bourdonnement populaire l'apaisait plus qu'un silence consternant. Le calme à Novlangue résultait d'un ordre trop arbitraire. On y faisait taire les penseurs, on y étouffait les perturbateurs. Le silence, il avait fini par le haïr. Ainsi il savourait l'ambiance conviviale d'un lieu chaleureux, il se délectait du bruit des verres s'entrechoquant, des rires gras et usés, des breves de comptoir et des mains calleuses qu'il serrait avant de s'installer.

Il savait qui s'était adressé à lui. George était déjà venu ici mais on ne pouvait pas le compter parmi les habitués. Il continua de parcourir l'ouvrage, tout en analysant l'intervention verbale qui venait le couper dans sa lecture. Il eut envie de sourire car il était d'humeur à parler et cette remarque n'était pas innocente. Le roux était ici depuis suffisamment longtemps pour savoir qu'Atom était réactif aux sollicitations controversées. Atom Heart Mother savait que la discussion ne serait pas purement amicale et qu'il ne venait pas écouter la bonne parole.

- Bonjour George dit-il sans même lever la tête pour confirmer d'un bref regard l'identité de celui qui s'était assis près de lui.

Il laissa ainsi un très long silence, laissant croire à son potentiel interlocuteur qu'il ne répondrait pas. Puis d'un geste vif il ferma son livre, se redressa sur sa chaise, inspira longuement une bouffée de tabac et le regarda. Il fut un instant troublé par son look atypique puis s'en contenta pleinement, satisfait d'avoir en face de lui, quelqu'un de foncièrement contradictoire et donc intéressant.

- L'éducation ? Un si grand mot qui ne recouvre que les aspirations normatives des élites bien pensantes. L'éducation est une résultante du contrôle sociale qui vise à reproduire un schéma structurel déjà en place. Je m'éduque à ma façon, je laisse l'enseignement canonique aux mass médias et aux ploutacrates de là-haut. Mais je vois que tu emplois le mot "rééduqué" et non "éduqué", je pense donc que tu avais déjà bien compris cela.

Encore une fois il voulu se frapper pour avoir trop parlé, il n'aimait pas se montrer condescendant ou détenteur d'un savoir absolu. Non il n'y croyait pas, il savait que tout était relatif et s'il répondait toujours ainsi c'était parce-que on le forçait à réagir comme un résistant. Il luttait en permanence contre les oppresseurs, le naïfs et contre lui-même. Tant pis, le débat était lancé et il était curieux de savoir comment l'autre lui répondrait.

- Oh comme je suis impoli, une cigarette ?

Eh là - combien parfois, cette ombre d'existence aimerait briller. Et ne puise, que par l'absence, de son propre reflet.
Elle n'existe pas. Elle n'est qu'une image qui se reflètera au fond de cette pupille noire, légèrement dilatée.

Le silence volontaire qu'il se doit de respecter, laisse trop souvent les pensées insidieuses se glisser. Celles à combattre, à contredire.
C'est tout un programme qu'on leur inculqua depuis la naissance... aux premiers cobayes.


L'éducation... Quel débat oui. Une éducation faîte de coups, d'exigences, de tests qui n'en finissent pas pour -soit disant- mesurer l'intelligence. Une éducation à renier, à haïr, à mépriser à en vomir tout ce qui se rapporterait à la beauté, à l'inutile symptôme béat d'une contemplation outrancière.


- As-tu déjà eu peur ? - sa voix un peu rocailleuse est légèrement agressive. George s'adoucit, cette phrase est partie comme un coup de fusil, spontanée et impulsive.

Il serait dommage de constater des dégâts collatéraux.
Une balle, on accepte qu'elle soit perdue, que si c'est pour l'autre camp.

C'était idiot tout de même. Couper un tel élan, briser au vent d'une flamboyante détonation qui consumerait la cigarette proposée d'une seule inspiration.
Atom n'était pas le seul à s'en vouloir. George sourit poliment, réponse à l'offrande, son œil unique brille d'une drôle d'intensité ce soir:

- Avec plaisir.


Intriguer, il l'avait toujours fait. Capturer ? Voilà qui demanderait plus de temps. Mais détenir toute une attention qui se focalisait sur ses maigres épaules... était vivifiant.
Et ce peu importe si la sagacité de qui l'observera aujourd'hui, était issue d'un éléphant man tout blanc.

O'Brien avait cassé la rythmique, brisant un procédé dialectique. Dans une valse, sa main assurée prendrait les devants. Oh non, ne craignez pas que le débat fut soufflé... Ce n'est que pour mieux se propager que George prend son élan.