Réunion au sommet [ouvert]

Lorsque Charlie descendait de voiture au pied de la tour Heavensis et parcourait à vive allure les quelques pas qui la séparait des immenses portes vitrées, elle avait toujours la sensation que le demi-kilomètre de verre et d’acier qui la toisait allait s’effondrer sur elle, et l’écraser sur le sol pavé. Alors elle trottait vite, en faisant résonner les stilettos, sans un regard pour la main gantée qui ouvrait la portière, et la casquette galonnée d’or qui s’inclinait légèrement. Ça, c’était quand elle était seule.

- Halloway, prenez ça.

Elle reçut sans broncher dans les mains la mallette en inox brossé qui devait bien peser un tiers de son poids, et laissa son vis-à-vis en costume s’extirper le premier de la limo. Tripp Hodges enfonça les mains dans les poches de son complet, un tweed couteux à petites rayures qui lui donnait des allures de mafieux des années trente ; il resta un instant à prendre le soleil sans bouger, la mine sombre avant de se diriger vers la porte avec de grandes enjambées à mille dollars chacune, Charlie sur ses talons. La jeune femme jeta un œil à sa montre, tira sur sa jupe pour la défroisser en essayant de ne pas se laisser distancer. Dix heures passées de quelques minutes. Se coltiner le grand patron avait au moins ça de bon qu’on ne vous disait rien pour le retard aux réunions.
Direct dans l’ascenseur, direction le toit sans passer par la case départ. Hodges se cala dans un coin. Un tic nerveux agitait sa joue rasée de frais. La vue de sa jeune subalterne en train de remettre en place les cheveux rendus flous par le vent, rajuster le chemisier qui plongeait un peu trop, lui arracha quand même un sourire vaguement salace.

- Laissez, vous êtes sublime. Avec un peu de chance ils n’entendront rien de ce que vous avez à dire.

Même si les portes ne s’étaient pas ouvertes à cet instant précis Charlie n’aurait rien répliqué. Pas intérêt. Les grosses huiles de soixante berges ont depuis longtemps acquis le droit d’être misogynes.