Cela fait maintenant une poignée d’heures que je sillonne entre les arbres suivant ainsi un chemin tortueux, je ne sais pas où cela va me mener, mais je continue d’avancer sans même m’arrêter. Le dernier petit service que j’ai rendu à fait de moi, une tête mise à prix.

Les branches d’arbres les plus bas s’amusent à m’égratigner le visage. Je continue malgré tout, pressant le pas, ne tenant pas compte des quelques gouttes de sang dansant sur ma joue.

Je ressasse.

J’aurais dû me méfier lorsque je l’ai rencontré. Je n’ai pas pensé à chercher plus loin dans son âme pour le percer, j’ai préféré ignorer la mise en garde qui m’est parvenue par le chant d’un hibou. C’est ainsi lorsque leur vie me rattrape. Il a juste été état de fait, qu’il fallait que je remette à cet homme un philtre puissant capable d’infiltrer dans l’esprit une peur panique d’une vielle phobie pratiquement oubliée. Quelque chose de puissant, à ne pas mettre entre toute les mains. En fait, c’est l’un des miens qui a fait requête auprès d’un de ces autres. J’ai été trahie par celui en qui j’avais confiance.

Maintenant… maintenant, je dois m’exiler ailleurs pour ne pas gouter au feu du bûcher. Ironique, quand je pense que cette pratique est censée être adoptée par les fameux chasseurs de sorcières. Nous sommes pourtant alchimistes, sorciers, et occultistes.

De temps à autre, je regarde par-dessus mon épaule, pour m’assurer que personnes ne soit sur mes talons.

La nuit continue d’étendre son voile, opaque, humide, l’obscurité s’épaissit, et bientôt il fera trop sombre pour que je puisse m’apercevoir d’un éventuel assaillant. Je me dois de trouver un abri, parce qu’aux feux de leurs torches, il sera facile de me débusquer. Ils ont un avantage, ils sont parés, quant à moi, ma fuite à été imminente. Je n’ai rien pu sauver de ma demeure. Quand les représailles auront écoulée leur fiel, alors, je retournerai dans mon domaine, pour reprendre ce qui m’est dû.

Viendra le moment où ils finiront par me retrouver. Il faut que je me prépare à toute éventualité. Mais en attendant, la priorité, et de me trouver une bonne cache. Et demain, dès l’aube, je poursuivrai mon chemin. C’est à ce moment-là que j’aurai un avantage. Ils préfèrent se déplacer lorsque les étoiles en sont à leur zénith.

Un peu plus loin, une ombre plus foncée tache l’horizon. Bien des chances que ce soit une grotte. J’entends le bruit du lac sur ma gauche. Je gagne une sorte de passerelle, puis m’enfonce sur celle-ci d’un pas léger.

D’après moi, je suis toute proche d’une cavité. Encore quelques mètres et …

Je m’arrête brusquement au beau milieu du ponton.

Je tends l’oreille. Les bois sont silencieux, anormalement silencieux. Un danger potentiel se dissimule entre deux hautes souches d’arbre.

Pas le temps de réfléchir, que je me déporte sur la droite, le problème, c’est que sur cette plate-forme ….

Comment faire pour me dérober à la vue de ce qui s’avance ?

Une créature rode dans cette forêt. Ces yeux verts luisent entre les branches à la nuit tombée.
La nature se tait à l'approche de ce prédateur cuirassé d'écailles.
Ses griffes sombres tiennent un arc bandé et la flèche prête filer droit sur sa proie.

Elle est bien humaine, pour une proie.
Que fait-elle loin des villages, isolée de ses semblables ?
Il serait peut-être judicieux de lui poser la question avant de l'embrocher.

Liza abaisse son arc et range sa flèche. Elle vérifie que son poignard est bien là où elle l'a mis, accroché à sa ceinture.
Un signe rituel de main à la lune perchée entre les cimes et elle sort de sa cachette pour s'avancer nonchalamment vers l'inconnue.

-bonsssoir.

Sa voix, bien que sifflante, est suave, aimable et sereine, un peu trainante.

-Seriez-vous égarée pour vous trouver sssi loin des vôtres à cette heure ci ? Auriez-vous besoin d'aide ?

Voilà une étrange bienveillance, quand on sait qu'il y a une minute, elle s'apprêtait à la chasser comme du gibier.
La bête a faim, mais ça ne l'empêche pas d'avoir un comportement civilisé. A moins que ce soit pour mieux charmer sa proie.

La Chasseresse se dévoile, mes sourcils se froncent à la vue de la chose qui s’approche. Mes sens ne m’ont donc pas trompé. Il y avait bien quelqu’un dissimulé dans cette vaste forêt. Je la regarde s’approcher. Ses yeux percent l’obscurité, et j’arrive sans aucun mal à voir ce mystérieux croisement.

Il est étrange parce que les mots sortants de sa bouche entonnent une mélodie enchanteresse. Certainement dû à la proximité de sa race avec les reptiles. Je les connais si bien.

Une fois mon analyse terminée, j’y réponds dans un ton amical, un brin méfiant.

« Bonsoir, Je ne sais si je peux employer le terme perdu, j’ai quitté les miens pour entamer mon rite de passage. »

J’esquisse un sourire malicieux, un sourire qui se veut sincère. Ce n’est pas le moment de se faire repérer. Il est évident que mon épreuve de passage je l’ai déjà effectuée, il y a de cela bien longtemps.
Je reste prudente, parce que sait-on jamais.
Je ne peux pas me révéler.
Je ne sais pas qui elle est et encore moins quels sont ses motivations, ainsi à m’aborder en pleine nuit, de plus, elle m’a l’air bien armée.

Je décide ensuite de la sonder en reprenant mon discours.

« M’aider, et bien, finalement c’est probable. Je recherche un homme, qui se prénomme Erviel, je sais que parfois il traîne dans le coin. Il m’a parlé une fois, d’un peuple presque comme le nôtre qui vivait par –delà ce ponton. Le connaissez-vous ?
Je dois absolument retrouver Erviel ! »

Pour donner l'impression que c'est presque une question de vie ou de mort, je fais une moue véritablement inquiète.

Cependant, il est possible que mon explication soit quelque peu brumeuse, mais après-tout, c’est une partie de la vérité…
Et si ça tourne mal, j’ai ce qu’il faut pour renverser la situation.

-Erviel... hummm... non, ça ne me dit rien.
De quelle village êtes-vous ?
Puis-je voir vos mains ?

A ces mots, elle lui tend la main, paume vers le ciel, pour qu'elle y dépose la sienne. C'est une main griffue avec des symboles fraichement gravés à même sa peau écailleuse.
Une coutume chez eux. Est-ce qu'elle lui en ferait profiter ? Est-ce qu'elle décrocherait le poignard à sa ceinture pour entailler la peau fine et rosée de cette personne ? Avec tous les bons sentiments du monde, bien sûr.

Cette femme ait-elle au courant de l'effroyable malédiction suprême connu des Nimatards et qui consiste à couper la main de la victime pour l'empêcher d’accéder à l'Eternité ?
Liza ferait-elle une chose pareille ? Mais non voyons ! Regarder son sourire aimable. C'est une dent pointue qui dépasse là ? Elle est peut-être venimeuse.

Il vaut peut-être mieux qu'elle ne le sache pas.

Il semblerait que l’inconnue n’ait jamais vu Erviel, pourtant, j’en suis certaine, il doit être passé par ici.

A sa phrase, lorsqu’elle me demande de lui montrer ma main, je comprends que j’ai face à moi, une adepte du Nimatisme. Je ne sais pas vraiment comment je dois réagir. Ni si c’est réellement comme cela qu’on les appelle.

Nous sommes certes presque semblables, et pourtant …

« Je viens d’Ersqweck , le village qui se trouve proche de la Rivière Pourpre. … »

Mes mains … Je les regarde une poignée de seconde avant de les lui donner. L’œil du hibou suis avec attention les moindres de mes mouvement, il ausculte, et regarde à présent avec intensité du côté de la créature qui me fait face.

Je n’ai pas peur de ce qu’il pourrait arriver, parce que dans mon peuple, l’éternité se décrit d’une autre manière que celle du peuple Nimat. Tout est autre, et nous sommes presque du même monde. Ce que je risque ? Juste une main en moins, et après ? Après tout ceci s'en deviendra autre.

Nous autres, parlons avec les morts, nous avons d’autres croyances que celles que mon interlocutrice doit avoir. Nous écoutons ce que la nature nous soumet, de même que les oiseaux nocturnes, sans oublier la vipère, et le cobra. C’est juste une parcelle de ce que mon peuple prône.

Ne pas oublier mon objectif …

Peut-être qu’elle pourra m’aider…

Je me lance.

« Si vous ne l'avez pas croisé, c'est qu'alors, il a déjà atteint la porte ... Quelle est la bonne direction pour que j'en fasse de même ?»

La porte, le trou, le passage, moi, je dis la porte, elle va probablement comprendre.

Les mains griffus de Liza sont froides, mais sa façon d'accueillir celles de cette femme est délicate et chaleureuse. Elle ne veut pas l'effrayer.
Son regard perçant la nuit scrute les phalanges, la paume, les lignes, ainsi que la moindre petite égratignure. Elle approche ces mains de son visage pour les sentir.
Un réflexe de reptile : sa langue fourchue siffle entre ses dents pour venir effleurer la peau au creux de la main. Simple instinct animal ou geste volontaire pour mieux savoir ce que ces mains là ont touché ? Est-ce qu'elle analyse l'humeur, les intentions, l'âme à la saveur de la sueur ? Ou est-ce qu'elle s'assure tout bêtement que la viande est à son gout ? Peut-être un peu tout ça, ou rien du tout. Allez savoir.

La mutante fronce les écailles de ses sourcils. Aurait-elle découvert quelque chose de fâcheux ?

-la porte ?
... vous voulez parler du passage vers l'intérieur de la ville ?
Une seconde.

Liza se tourne vers la lune. Elle lève la main, paume vers le ciel, ferme les yeux et respire profondément.
Son petit doigt fléchis légèrement, puis son index et son majeur. Elle referme le poing, sort son couteau d'un geste vif et s'entaille le dos de la main, gravant un petit symbole sur ses écailles.
Puis elle se retourne et reprend la conversation comme si elle ne l'avait jamais interrompu.

-c'est à quelques kilomètres d'ici, vers le nord-est.
Permettez que je vous accompagne.
Je connais bien le chemin.

En lui parlant, elle lui attrape la main de façon bienveillante. Une prise froide mais douce, juste un peu ferme.
Mais... elle vient de lui griffer le poignet avec l'ongle de l'index ? Quel maladresse. Elle pourrait s'excuser mais choisi de faire comme si elle n'avait rien fait.
Venant d'une Nimatarde, ce n'est surement pas anodin. Ces gens là ne blesse pas un poignet par erreur, ils ne sont pas si négligeant de leur gestes quand il s'agit des mains. Allez savoir quel sort elle vient de lui jeter.