Suivant à la lettre les conseils de mon frère, je reste sous la surface, dans le vaste réseau d'égout de la ville ; c'est trop dangereux là-haut, encore plus qu'avant. Il n'y a pas que les NOD ou les mentalistes qu'il me faut craindre à présent, mais tous les autres, ces orthodoxes, qui ont retrouvé leur liberté. Je peux tout à fait comprendre qu'ils cherchent à en profiter, mais leur façon d'en jouir me faire peur.
L'un d'entre eux m'a sauté dessus alors que je cherchais à rejoindre la porte verte. Je marchais tranquillement, ravie de pouvoir enfin profiter des rues sans avoir peur qu'un NOD ne contrôle ma puce. Il se faisait tard, le ciel s'assombrissait. Il faisait bon. Et puis, soudain, ils sont apparut. Quatre hommes, bouteilles à la main, parlant fort, trop fort. Des hommes comme Guilhem n'aime pas que je côtoie. En même temps, il n'aime pas que je parle à aucun homme... Mais ceux là sont les pires selon lui.
Pourquoi ? Parce qu'ils perdent toute humanité m'a-t-il dit.
Ils riaient trop fort, ça m'a alerté. J'ai fait demi tour et ai marché un peu plus rapidement, serrant la veste de Haakon un peu plus fort autours de moi. Leur pas et leurs rires gras ont résonné dans la ruelle, se sont petit à petit rapprochés tandis que leurs propos salaces parvenaient à mes oreilles... Alors, j'ai couru, couru... La peur au ventre.
La boisson les a rendu pataud, en plus de les rendre idiots. Cela m'a sûrement bien aidé...

C'est pour ça, maintenant, je reste ici. En bas. Dans les sous sols. Où les hommes aussi boivent. Mais je ne suis pas seule. Il y a les petites mains de Guilhem. Toujours ravies de sauver la soeurette, histoire de prendre du galon. Combien en a-t-il qui me connaissent, qui savent qui je suis pour lui ? Je ne sais pas, avant, j'aurais dit personne. Et pourtant...
Guillaume grouille, se répand toujours plus. Un poison doux, qui fait mourir lentement. J'aimerais qu'il m'explique à quoi toutes ses petites magouilles – et les autres, celles dont je ne connais pas l'existence, mais que je devine... - peuvent bien lui servir. Un jour, elles le tueront. C'est tout ce qu'il aura gagné.

J'ai toujours la veste de Haakon sur les épaules, mais pas son shuriken. J'ai pas encore osé aller le chercher là-bas... Un jour, mais pas tout de suite.
J'observe les gens, dans un coin sombre, où on me remarque au dernier moment. Effet de surprise garanti. Une jeune femme passe devant moi ; je tends la main, lui attrape le bras, et la tire vers moi avant de mettre mon autre main sur sa bouche.

Silence... Je la regarde dans les yeux, va-t-elle comprendre mon ordre muet ? Mon regard quitte le sien, passe derrière son épaule, un gars, bien charpenté. Je l'ai déjà vu. Je sais que Gui ne l'aime pas. Un revendeur de coke de seconde main, pas intéressant, mais qui fait croire le contraire.
Qu'est-ce qu'il veut à la fille ? Pourquoi la suivait-il ? Ou alors je me suis trompée, ce n'était peut-être pas elle, mais j'en doute, sinon, pourquoi cet air fâché ?
Et oui mon coco, la foule, ça peut faire disparaître des gens.

D'un petit geste du menton, je désigne le gars à la petite femme sous ma main, elle comprendra peut-être mieux qu'il faut éviter qu'on nous remarque.

Mais...
Pourquoi je l'aide ?

J’ai rien vu venir. J’me suis retrouvée collée contre un mur en deux secondes de temps.
Et en plus de ça j’peux même pas parler parce que j’ai une main plaquée contre ma bouche ! Me reste plus qu’à parler avec mes yeux que j’écarquille illico sous la stupeur.

Oh c’est une fille ! La vache la force qu’elle a quand même ! Elle m’a chopée par le bras comme une catcheuse. Rien que d’y penser ça me fait sourire. Enfin sourire c’est un grand mot parce que essayez de sourire vous avec une main qui fait pression sur votre bouche. Pas facile. Mais l’idée est là.
Bref !
Maintenant elle me décoche un regard style : ne bouge pas et ne bronche pas.
Oui m’zelle !
Bien m’zelle !
Elle a pas une tête à ce qu’on l’appelle m’dame. D’ailleurs elle est bien jolie. Tout l’inverse de moi.
Les yeux foncés et les cheveux sombre, des vêtements pas trop colorés. Ca doit être comme ça quand on vit là dessous. D’ailleurs est-ce qu’elle vit ici ou, comme moi, elle est en balade ? Quand elle me lâchera je lui demanderai.

En attendant elle me fait flipper à regarder par-dessus mon épaule. C’est quoi le plan là ?
Elle à l’air de bien savoir ce qu’elle fait. Alors je ne bronche pas et ne sourie plus surtout. Je plante juste mes yeux dans les siens et attend patiemment d’y lire un quelconque signal.
Rien …
Rien …
Bon ! Il se passe quoi là ? En plus ça devient limite inconfortable. Pas que la présence de la jeune fille me dérange, au contraire, coller aux gens ça devient un peu un passe temps ces derniers jours pour moi. Depuis que je me suis réveillée avec la notion de sensation et d’émotion et bien j’en recherche toujours plus.

Alors j’attends encore. Et soupire.
Dans sa main ?
Ouais dans sa main.
J’ai pas fait exprès.
Bon c’est pas comme si j’avais éternué ou craché hein.
Juste un petit soupire impatient.

Elle ne comprend pas mon petit geste du menton et se contente de me regarder. C'est... Je ne sais pas trop comment dire, ça me dérange un petit peu qu'elle me fixe comme ça. Et son soupir, là, au creux de ma main. C'est tout chaud, et ça chatouille un peu.
J'aime bien, ça me fait monter un sourire au visage et, pendant un instant, j'en oublie pourquoi elle est là, sous ma main, et je me contente de la fixer aussi.

Avant de me remuer. Si l'autre nous tombe dessus, on est mal. Enfin je crois, je l'ai jamais laissé m'approcher. Et je vais continuer à faire comme ça, on sait jamais hein. Je suis pas folle, ya des gens, vaut mieux s'en tenir loin, au cas où.
Ça m'a presque toujours réussi pour le moment de faire comme ça, de suivre mon instinct. Espérons que ça dure.

Je lui souris, un grand sourire qui, si elle me connaissait, lui annoncerait qu'on va s'amuser. Mais elle ne le sait pas, alors j'espère qu'elle me suivra sans rechigner, et sans crier surtout. Faudrait pas qu'on se fasse remarquer plus que ça non plus hein ma p'tite demoiselle.

Allez !
Je lâche ma main sur sa bouche et prend sa main à elle, et hop, je l'entraine, je la tire, et nous courrons. Moi, je rigole, un rire qui résonne tout partout, qui courre le long de ma colonne vertébrale. C'est fou comme ça fait du bien. Elle devrait essayer ma p'tite demoiselle. Oh oui, elle devrait essayer.

J’ai encore une fois rien vu venir. On était en train d’échanger un regard super profond, on a bloqué l’une sur l’autre et puis …
ZIOUP !
Elle a volé ma main et m’entraîne déjà entre les gens. Elle est devant, me tire en avant, me dirige et moi je la suit. Elle coure vite en plus ! Très vite !
‘Tention !!!
Elle zigzague entre les gens, saute par-dessus des sacs poubelle et elle rit. Elle rit comme jamais j’ai entendu rire. C’est rigolo quand elle rit. Ça me plaît même vachement !
Mais elle ne va jamais s’arrêter ? De courir mais aussi de rire !
A cette allure on va tomber toutes les deux.
Je me concentre pour ne pas nous entraîner dans une chute quasiment certaine. Je sautille, zigue et zague avec elle, après elle, je l’imite, chaque mouvement qu’elle fait je le reproduis du mieux que je peux.

J’essaie aussi de regarder autour de moi. Mais c’est qu’il y en a du monde sous le bitume !!! J’en reviens pas. C’est une ville sous la ville.
Ça grouille de gens, hommes, femmes, enfants. Et même des animaux !!! J’viens d’apercevoir un chat fouiller une poubelle là-bas.
Whaaaaaaa.
Magique !

Notre course effrénée nous mène à un gigantesque escalator. Elle m’emmène toujours à la vitesse du vent. Quand elle coure comme ça elle me fait penser à une petite plume qui vole au gré du vent. Ca à l’air si simple pour elle.
Au pied de l’escalier mécanique, elle monte sur la première marche et nous laisse faire une halte.
Alors je la regarde, essoufflée comme pas possible. Je me penche légèrement en avant pour pouvoir regonfler mes poumons d’air et aussi faire redescendre mon rythme cardiaque et je pose mes mains sur mes genoux.
PFIOUF !
La vache !
Tu coure vite quand même !

Et là, je sais pas, mais, j’ai eu une soudaine envie de rire. Comme elle. Je plante mes yeux dans les siens et me met à pouffer. En saccadé d’abord puis très vite en fou rire incontrôlable.