Uniquement vêtue d’une courte tunique blanche comme la neige, Eva était assise par terre, genoux rabattues contre sa poitrine, dans un endroit où nul n’allait la déranger. Il s’agissait d’un vieil immeuble de bureau désaffecté, destiné à être détruit intégralement le lendemain. Les jeunes ne s’y aventuraient donc plus de peur d’y être pris au piège.

Evra avait élu domicile au treizième étage, dans ce qui avait du être une cafétéria. Il y restait encore deux tables et quelques chaises dans un piteux état. De nombreux débris en tout genre jonchaient le sol : des mégots aux cannettes en passant par les morceaux de verres, les douilles ou bien les préservatifs usagés.

La jeune femme se sentait dans son milieu dans cet endroit inhospitalier. Ici, elle était seule, au calme. Elle pouvait hurler quand cela lui chantait, elle pouvait se défouler contre les murs quand plus rien allait comme elle voulait, et elle pouvait s’y mutiler en paix…

Cela ne lui était jamais arrivé auparavant. Jamais il ne lui serait venu à l’idée d’abimer la moindre partie de son corps volontairement. Mais maintenant qu’elle avait cet implant, tout avait changé. La mutilation était sa solution pour garder les pieds sur terre et sombrer dans la dépression.

Ce jour là, elle s’était emparée du premier objet susceptible de lui faire mal. La pièce en était pleine, et, cette fois, Eva avait trouvé un vieux clou rouillé dont elle se servit pour s’écorcher les jambes.

Toujours assise recroquevillée sur elle-même, elle continuait inlassablement de se faire des petite entailles peu profondes d’où s’échappaient à chaque fois de minces filets de sang. Elle avait l’impression qu’à chaque écorchure elle pouvait respirer un peu mieux. C’était comme si les entailles laissaient fuir toute la pression accumulée dans la journée.

Eva acheva son travaille d’une main tremblante puis lança le clou au loin. Elle passa le doigt sur une goutte de sang qui coulait le long de la jambe et l’étala en spirale. Elle porta ensuite son doigt à sa bouche pour y nettoyer le sang.

Elle resta un moment encore assise sans rien faire. En fait, c’est surtout qu’elle n’avait rien à faire. Du moins pour l’instant, car derrière elle était posée une chaise. Et sur cette chaise gisait un homme inconscient, et elle n’attendait que son réveil.

Cet homme, elle l’avait enlevé afin qu’il lui retire la puce. Elle avait découvert son statu de mentaliste et pensait qu’il pouvait l’aider pour son problème. Même s’il ne pouvait pas lui enlever l’implant lui-même, sans doute connaissait-il quelqu’un susceptible de le faire.

Eva se releva enfin et se dirigea vers l’une des tables où reposaient un imposant seau d’eau, une serviette immaculée et quelques « outils ». Elle s’empara du linge, l’imbiba d’eau et lava ses plaies pour éviter une infection. La serviette prit rapidement une teinte rougeâtre.

Une fois sa toilette terminée, la jeune femme posa le linge de coté. Elle se retourna vers son hôte. Il dormait toujours. Quand allait-il bien vouloir reprendre conscience ? S’il tardait trop, Eva allait perdre patiente. Elle serra les dents de mécontentement et saisit le seau d’eau à deux mains. Elle se posta devant l’homme et lui envoya toute l’eau à la figure.

- Debout, mon grand ! T’as du boulot !

Evra essaya de paraitre en pleine forme et prête à faire ce qu’il faut si cet homme tentait de s’échapper. Seulement elle avait les jambes légèrement flageolantes et ses plaies continuaient de saigner. En clair, elle n’avait pas très bonne mine, mais peut être que l’otage ne le remarquerait-il pas.

Celui-ci se réveilla brusquement grâce à la douche et fut secoué par un violent spasme, à tel point qu’Eva eu peur qu’il lui face une belle démonstration d’une crise d’épilepsie. Mais cela s’arrêta rapidement et l’homme ne retomba pas dans l’inconscience.

Comme toute personne se réveillant attachée à une chaise, l’homme inspecta les alentours et stoppa son regard sur sa ravisseuse. Mais savait-il qu’elle était responsable de son enlèvement ? Car l’état dans lequel elle se trouvait ne laissait pas penser cela. D’ailleurs, il avait déjà repéré les marques sur ses jambes et les fixa longuement.

« T’en a pas marre de fixer mes jambes, mes entailles, mon sang ? » voulut-elle crier tout haut, mais se contenta-elle de penser car il ne lui en donna pas l’occasion.

- Que me voulez-vous ?

Eva envoya le seau en direction de son établi improvisé, tira une chaise en face de son otage et s’assit.

- Bonjour, tout de même. On ne vous apprend pas la politesse dans votre maudit temple ? Vous vous croyez trop bon, vous les mentalistes, pour ne serait-ce que saluer les vulgaires orthodoxes tels que moi ? Vous êtes vraiment de beaux salops, que ce soit les mentalistes, les NOD, les automates… Tous les mêmes. De stupides chiens du gouvernement…

Eva se contint d’exprimer son mécontentement sur le corps de ce minable, mais elle savait qu’il ne servirait à rien mort. Elle ferma les yeux et pris une grande inspiration pour se ressaisir. Puis elle dit :

- Eh bien, Lester. C’est bien ça votre nom ? J’ai fortement besoin de votre aide pour régler un petit souci technique. Êtes vous d’accord pour m’aider ?

Eva inspecta de la tête au pied cet inconnu tandis qu’il lui faisait un petit exposé philosophique sur la disparition définitive des bonnes manières. Elle n’écoutait que d’une oreille distraite. Ses yeux passèrent du visage confus de Lester à son costume trempé, puis il descendit vers ses bras, dont elle avait bien pris soin d’attacher solidement, puis ses pieds, eux aussi bien fixés.

Evra ne tenais absolument pas à ce qu’il s’échappe, c’est pour ça qu’elle avait mis tant de temps à ligoter son invité. Il devait l’aider, et elle ne le laisserait pas s’en aller avant qu’il ne fasse ce qu’il avait à faire. Elle en avait marre de cette nouvelle vis avec cet implant, et cette nouvelle perception des choses…

- … c'est pour ça que je casse la nuque des insurgés !

Ce fut cette dernière exclamation qui la ramena à elle. Elle crut y déceler une pointe de menace. Mais que croyait-il ? Qu’il réussirait à lui faire peur ainsi ? S’il savait… De plus, ses mains liées ne lui permettaient pas de faire grand-chose, et son pouvoir, Eva ne le craignait pas.

D’un coup, l’expression sur le visage de l’hôte changea. La jeune femme vit bien comment il la regarda de haut en bas avec cette lueur obscène dans les yeux. Elle le laissa faire car un regard ne pouvait pas lui faire de mal, et s’il avait besoin de cela pour enfin accepter de l’aider.

- Avant qu'on commence à jouer, tu pourrais m'expliquer les règles, parce que je crois que je les ai malencontreusement oubliées. C'est quoi les modalités du contrat ? 5000 crédit la nuit ? Non, j'ai pas pu payer aussi cher pour ça. Je veux que tu me montres le papier d'abord, je me rappelle plus avoir signé !

- Pardon ?

Eva crut un instant avoir mal entendu ou mal compris, mais lorsqu’elle sut pourquoi il disait ça, la colère lui enflamma les joues. Cet homme la traitait tout bonnement de prostitué. Elle serra les poings si fortement que ses ongles percèrent sa chair. Elle tenta de se calmer en prenant une grande inspiration mais cela ne marcha pas. Alors elle se leva et fit quelques pas autour de Lester.

Elle s’arrêta lorsqu’elle arriva derrière lui. Elle appuya ses mains sur ses épaules et approcha la bouche de l’oreille de son hôte.

- Oh, ça oui, on va jouer, chuchota-t-elle. On va jouer avec mes règles. Et tu verras, je ne te demande pas grand-chose en échange. Juste un tout petit service. Je ne te laisserai pas sortir d’ici avant que notre jeu soit fini. Et il sera fini que lorsque tu auras exaucé mon vœu. Est-ce bien clair ?

Eva se redressa brusquement et se dirigea vers la table garnie. Elle passa sa main au dessus de chaque outil puis se retourna vers son otage.

- Alors ? Je te repose la question une seconde fois : acceptes-tu de m’aider ?

Encore une fois, l’homme ne répondit pas à la question d’Evra. Il préféra plutôt faire une crise parce qu’il ne voulait pas qu’on lui prenne ses organes. Quel intérêt de faire du trafic d’organe ? Sauver des vies ? Quelle idée. Eva en prenait pratiquement tous les jours, elle n’allait sans doute pas contribuer à en sauver.

La colère d’Eva se mua en lassitude lorsque Lesterl commença à la menacer. Ce type était attaché et la drogue qu’Eva lui avait injectée pour pouvoir le kidnapper faisait sans doute encore un peu effet, et il pensait pouvoir faire face à Evra. C’était ridicule.

- Au fait, c’est quoi ce que vous voulez ?

Eva poussa soupira. Cet homme était désespérant. Après avoir soupçonner sa ravisseuse d’être une prostituer puis une trafiquante, il posait enfin la question qu’il aurait du poser depuis le début. Il n’était même pas foutu d’être un bon otage. Eva s’empara d’un scalpel et s’avança vers lui d’un pas rapide.

- Tu me fais vraiment chier, toi. Tu sais quoi ? Je devrais te tuer tout de suite parce que si tu continue à parler comme un imbécile, tu vas pas me servir à grand-chose…

Elle se rassit en face de Lester et plongea son regard dans le sien.

- Je m’appelle Eva Ramirez. Je sais pas, peut être que mon nom te dit quelque chose, mais là on s’en fout. Si tu veux sortir vivant d’ici, tu as juste une seule chose à faire. Bon, après, ça dit pas que je ne vais pas avoir la soudaine envie de te tuer au moment de ta libération, mais bon… Si je t’ai enlevé et emmené dans cette endroit condamné, c’est pour que tu m’enlèves la merde qu’on m’a foutue dans le crâne. J’ai essayé de l’enlever par moi-même, mais vu là où ils me l’ont foutue, je n’y arrive pas et j’ai faillis me tuer… J’en ai marre de tout ça, alors enlève-moi l’implant et t’es libre… Enfin, c’est pas sûr. Si tu refuse, je te montrerais mes… atouts.

Les menaces d’Eva ne semblèrent pas effrayer l’otage. La jeune femme crut même voir que cela lui faisait plaisir. Ces mentalistes, étaient-ils tous sadomasochistes ? N’y en avait-il pas un de raisonnable ? Il devait bien en exister un d’à peu près commun qui accepterai sous la menace de lui enlever ce maudit implant.

Lester mit un certain temps à répondre au petit discours d’Eva, et bien sûr, ce ne fut pas de la bonne manière.

- Vous allez me faire mal ? J'aimerais bien qu'on me fasse mal.

Evra tapa sa main contre son front, par désespoir. Cet homme était vraiment stupide. Il ne se doutait pas jusqu’où Eva pouvait aller pour avoir ce qu’elle voulait. Ses méthodes de tortures étaient très diversifiées et elle aimait toutes les utiliser. En fonction de son humeur, la victime pouvait gouter aux manipulations gentilles et rapides, ou bien aux lentes et bien douloureuses – les préférés d’Evra.

Et cette homme voulait jouer, alors elle prendrait le temps de s’amuser avec lui, bien qu’elle ne pouvait ressentir le plaisir de le faire comme dans le passé. Mais elle pouvait toujours sentir sa perpétuelle colère décroitre lorsqu’elle avait l’occasion de faire souffrir quelqu’un d’autre.

Eva afficha un sourire évocateur et se leva. Elle s’approcha gracieusement de son hôte, faisant balancer ses hanches de gauche à droite, lui laissant le temps d’admirer toutes ses formes, vu que visiblement c’est cela qu’il voulait. Elle s’assit sur les genoux de Lester, ses jambes de part et d’autre des siennes, de façon à être face à lui. Elle se pencha en avant, approcha sa bouche si près de son oreille que leurs joue se touchèrent, et chuchota :

- Souffrir, c’est ça que vous voulez ?

Elle posa ses mains sur l’épaule de son otage puis les fit descendre délicatement le long de ses bras, jusqu’à ses mains.

- Eh bien… – Elle saisit ses deux majeurs, puis s’exclama : Soit !

Sur ce dernier mot, elle courba violemment les deux doigts de Lester en arrière. Puis elle se releva et retourna à sa chaise.

- Retirez-moi la puce et je saurais me montrer reconnaissante.

Eva fut bien déçue de n’entendre aucun son sortir de la bouche du mentaliste alors qu’elle venait de lui casser deux doigts. Pas un cri. Pas une larme. Rien. Elle devina de suite qu’il lui serait difficile d’obtenir quelque chose de ce type.

Et le silence tomba. Une minute passa. Puis une autre. Et une autre. Un instant, Evra craignit qu’il fût tombé dans les vapes. Mais elle remarqua qu’il avait les yeux ouvert. Il essayé de se ressaisir, c’était tout. Alors elle continua d’attendre patiemment.

Lorsqu’il daigna enfin parler, ce ne fut que pour agrandir encore un peu plus la déception de la jeune femme. Il ne pouvait pas l’aider… Il persistait à croire cela, mais Eva savait qu’il pouvait faire quelque chose pour elle. Du moins elle l’espérait fortement.

- Mais, soit dit en passant, vous avez choisi un très mauvais mentaliste, parmi le pire d'ailleurs.

Lester ponctua cette dernière remarque d’un sourire qu’Eva n’apprécia pas du tout. Et se releva si brusquement qu’elle en fit tomber sa chaise. En quelques enjambés, elle se retrouva face à sa victime. Elle plongea son regard dans le siens et le fixa intensément. Puis son regard descendit un étage plus bas. Elle grimaça de dégout fasse à ce spectacle. Ce type trouvait encore le moyen de bander dans sa situation.

Eva sentit la colère lui monter à la tête, lui embrouiller l’esprit. Elle serra les dents et les poings, tenta de contrôler sa respiration pour se calmer mais rien, mais c’en était trop. Elle ne pouvait plus se contenir. Alors une main se leva et vint s’abattre violemment sur la joue de Lester, lui balançant la tête sur le côté.

- Ne me souriez plus jamais comme cela ! Vous êtes réveillé depuis à peine quelques minutes et je ne vous supporte déjà plus ! Contrôler ce que vous dites ou je vous tue ! Et puis ça… – elle désigna l’entre-jambe de Lester – Ca c’est tout simplement inacceptable…

Eva se dirigea d’un pas rapide vers son établi. Elle y prit un dossier et le montra à son otage.

- Savez-vous ce que c’est ? C’est votre dossier. Tout y est écrit. Et si on y jetait un coup d’œil ensemble ? Alors… Lester… C’est bien ton nom, n’est-ce pas ? Enfin peu importe. Bla bla bla… Ah ! Voilà la partie qui nous intéresse : mentaliste ; pouvoir mental : brouilleur d’esprit. Ouah, c’est joliment dit.

Eva reposa le dossier puis s’empara d’une longue aiguille à tricoter et d’un couteau fraichement aiguisé. Elle retourna vers son hôte, ramassa sa chaise et la posta tout près de lui. Elle s’assit tranquillement. Elle posa sa main droite avec l’aiguille sur un genou de Lester, et la gauche avec le couteau sur l’autre genou. Elle se pencha en avant jusqu’à avoir son nez à quelque centimètre de celui du mentaliste.

- Je suis sûre, mon petit que si tu es capable de brouiller un esprit, tu peux aussi brouiller une simple et toute, toute petite puce de rien du tout. Tu es peut être le pire des mentalistes, mais contrairement au meilleur, tu peux accepter de me rendre ce petit service. N’est ce pas, Lester ?

Elle se redressa et souleva le couteau à hauteur d’œil.

- Alors mon gars, si tu tiens à tes couilles… FAIS-LE !

D’un geste brusque elle planta le couteau dans la chaise, juste à quelques millimètres du jouet de Lester.