Il y a des jours comme ça où votre quotidien décide brusquement de se faire la malle, s’éclipsant comme un voleur ; laissant votre vie, privée des bases sur lesquelles elle reposait, s’effondrer comme un vulgaire château de cartes.

Voilà la description exacte de ce qu’avait pu être ma journée. Fraichement échappé d’un laboratoire d’expérimentations génétiques et autres joyeusetés du même acabit, j’errai dans les ruelles sombres et à l’aspect peu engageant des bas-fonds de Novlangue.
J’ignorai totalement quelle distance j’avais réussi à mettre entre moi et le laboratoire qui s’était avéré faire partie de l’usine dans laquelle j’avais travaillé des années sans rien soupçonner. En même temps, allez soupçonner quelque chose lorsqu’un implant fiche le bordel dans votre tête, ne vous permettant que la morne perspective de l’obéissance aveugle…

Un doute s’immisça peu à peu dans le fil de mes pensées : et si en réalité je ne marchais que depuis une poignée de minutes et non d’interminables heures ? … Difficile à déterminer. J’avais la désagréable impression que les rouages du temps poursuivaient leur marche sans que je n’en comprenne plus les mécanismes.
Je ne me rendais plus compte ; ça m’effraya.

Ce n’était pourtant pas si compliqué.
J’avais traversé ces rues tant de fois. De chez moi à l’usine. Puis de l’usine à chez moi. Encore et encore. Je n’aurais pas dû me sentir si désorienté. Pourtant je ne possédais plus aucun repère, perdu sur des chemins familiers. Particulièrement frustrant.

La nuit était tombée, rendant les alentours encore plus hostiles qu’à l’accoutumé. Au vu de la situation, rentrer chez moi et m’installer tranquillement dans mon lit pour piquer un somme aurait été l'équivalant pur et simple d’un suicide. On ne pouvait pas permettre qu’un sujet d’expériences ratées se promène à sa guise, d’autant plus lorsqu’on avait accidentellement désactivé son implant. Mon appartement serait le premier endroit où iraient fouiller mes éventuels poursuivants.

Malgré cela il fallait que je trouve un moyen de rentrer chez moi sans me faire prendre, histoire de récupérer deux ou trois affaires… des vêtements entre autre.

Soudain je m’arrêtai, en plein milieu d’une rue déserte, comme frappé par la terrible évidence : j’avais beau me donner de grands airs, ou en tous cas essayer vu mon état de confusion actuel, mais en réalité je n’en menais pas large.
Complètement déboussolé je manquai de céder à la panique. Une émotion que je n’avais pas éprouvé depuis de longues années et qui n’était pas exactement le premier choix que j’aurais fait si on m’avait proposé de soudain en ressentir une intensément.

Un léger bruit retentit soudain à mes oreilles, paraissant amplifié sous l’effet de ma peur nourrie elle-même de ce décorum abusivement flippant des rues de Novlangue plongées dans le noir. Autour de moi des rangées interminables d’immenses bâtiments délabrés, à l’allure abandonnés, s’étendant beaucoup plus loin que ce que ma vision me permettait de distinguer.
Malheureusement mes yeux, malgré leur couleur à l’aspect surnaturel, ne me conféraient aucune amélioration de ma vision nocturne. Le bleu, aussi criard qu’il soit, ne brillait pas dans la nuit, ne faisait pas non plus lampe de poche, ni radar infrarouge…
Dommage, j’aurais pu en arriver à trouver utile mon passage par la case « laboratoire »… ou pas.

Une silhouette se détacha de l’ombre. Je sursautai. Quelqu’un ?!! Merde !! Il fallait que je cache…
J’eus un instant d’hésitation avant de placer rapidement ma main gauche devant une partie de mon anatomie un peu trop intime pour que j’ai envie de l’exposer à un parfait inconnu potentiellement dangereux.
La seconde d’après j’étouffai un juron, avisant les trois doigts bioniques de ma main gauche. Ça non plus il ne fallait pas que je le montre.
Réflexe, je plaçai ma main droite devant ma main gauche se trouvant elle-même devant…
Là je m’embrouillai les pinceaux : main gauche, main droite, devant, derrière… c’était pas net, vraiment pas net…
Coordination… un concept totalement abstrait pour moi en cet instant.
Avec tant de gesticulations inutiles et ridicules, la personne qui me faisait face avait largement eu le temps de se rincer l’œil…

Déjà le soir. Déjà. Après avoir rencontré la mystérieuse femme qui lui avait promis de la débarasser de la puce à son cerveau, Lovelia avait bien du mal à se lever, chaque soir, pour travailler. Commençant vers minuit, et même parfois seulement 2h, elle en profitait pour aller marcher, refaisant les mêmes trajets, toujours, dans les bas-fonds.

Habillée dans tout ce que son genre cybergoth avait d'extravagant, elle était prête à faire de l'oeil à un ou deux clients de plus qui, attrapés dans la ruelle, seraient venus enrichir le petit magot caché qu'elle entretenait. Son grand manteau noir couvrant ses habituels vêtements de faux cuir, seuls ses lunettes remontée sur sa tête et ses cheveux (des dreads naturelles et de différents types de plastiques et de latex), rouges, faisaient contrastes avec le reste. Sous son manteau, dans un petit sac, elle avait mises ses cigarettes, un peu d'argent, ainsi qu'une petite bouteille d'alcool et une arme à feu, petite, en cas de danger.

Alors qu'elle passait dans le secteur industriel, plutôt calme à cette heure, elle remarqua un homme, entièrement nu, qui semblait plutôt désorienté. Sa curiosité naturelle doublée de son ennui lui proposèrent de le filer, et elle n'avait pas du tout l'intention de refuser: même les drogués les plus défoncés pouvaient servir de client payant...

Lorsqu'elle s'arrêta, elle fit de même, glissant une main dans son sac pour s'allumer une cigarette. Le briquet fit un léger bruit que l'homme sembla remarquer. Elle continua de l'observer, fumant doucement sa cigarette. Il faisait presque pitié à voir, semblant entièrement désorienté. Un de ses bras semblait différent, elle n,aurait pas encore su dire en quoi.

Au bout d'un moment, inquiète et impatiente, elle décida de s'approcher pour être vue de l'homme. elle vit son trouble lorsqu'il tenta de cacher sa nudité, mais Lovelia en avait vu d'autre. L'élan de pudeur de cet homme qui se promenait à nu depuis un bon moment déjà dans la ruelle lui décrocha un sourire qui rapidement devant un petit rire devant ses gesticulations. Par contre, de plus près, elle ne pouvait s'empêcher d'observer l'étrange main avec curiosité.

"Vous savez, inutile de vous cacher, j'en vois plusieurs par nuit, un de plus ou un de moins ça ne me fait plus de frisson."

Elle termina sa cigarette et, du bout pointu de sa botte, l'écrasa au sol, s'approchant un peu plus.

"Par contre, votre... l'appareillage de votre main, ça, c'est plus rare. Que fais monsieur le semi-robot, entièrement nu, dans une ruelle, si tard le soir? C'est une nouvelle mode, une nouvelle expérience, un abus de substance plus ou moins légale?"

Pensant qu'il avait probablement froid, elle retira son grand manteau et lui tendit, ne frissonant même pas lorsque l'air humide et frais de la nuit vint caresser sa peau un peu trop dénudée par endroit.

"Tenez, je crois que ce ne sera pas de trop."

Les grands pans du manteau pourraient le couvrir au moins un peu.

Elle se tenait face à moi, fine silhouette habillée de ténèbres, ombre tracée sur la trame lugubre de cette éprouvante nuit.
Je remarquai les rares touches colorées qui ressortaient sur sa tenue, sans m’y attarder, focalisant malgré moi mon attention sur le long manteau noir qu’elle portait. Exactement le style de vêtement dont j’aurais eu besoin là maintenant tout de suite.

Un éclat de rire étira les lèvres de la jeune femme. Je piquai un fard, stoppant net mes brassages d’air inutiles.
D’aussi loin que je me souvienne cela ressemblait fort à la honte de ma vie. Ne parvenant pas à me rappeler situation plus gênante j’attribuai effectivement cet illustre grade à celle que j’étais en train de vivre.

"Vous savez, inutile de vous cacher, j'en vois plusieurs par nuit, un de plus ou un de moins ça ne me fait plus de frisson."

Loin de moi l’idée de me mettre à juger les mœurs des gens, mais, en ce qui me concernait, je n’avais pas pour habitude d’exhiber mes attributs masculin en pleine rue. Toutefois, si mon inconnue de la soirée n’était pas gênée par la vision de mon corps nu, tant mieux pour elle… et tant mieux pour moi aussi puisqu’elle n’irait donc pas me dénoncer pour attentat à la pudeur. C’était déjà ça de gagné… même si ma méfiance me chuchotai l’hypothèse que la jeune femme pourrait faire bien pire qu’une simple dénonciation…

L’intérêt soudain qu’elle porta à ma main gauche ornée d’épaisses cicatrices, et plus particulièrement aux trois doigts métalliques au détriment… du reste…, m’obligea à rester sur la défensive.
L’état de choc dans lequel je me trouvais me fit ravaler une réplique tranchante.

Une légère brise venue chatouiller de trop près les zones sensibles me rappela qu’il ne faisait pas chaud ici dans ce (non-)accoutrement.
Mon énigmatique rencontre me tendit alors son manteau, dernier espoir salvateur pour le peu de dignité qui me restait. Je le revêtit sans me faire prier.

« -Merci. » Murmurai-je avant de rabattre le manteau afin de dissimuler les divers "appareillages" qui devaient l’être.

Sur moi le vêtement tombait de manière beaucoup moins harmonieuse que sur les courbes plaisantes de sa propriétaires. Je m’en contenterai pour le moment, on s’intéresserait plus tard aux notions de stylisme.

« - Pour faire simple on va dire que monsieur le semi-robot a eu une journée un peu chargée. Pas eu le temps de repasser chez moi me changer… »

Je me forçai un peu pour ponctuer ma phrase d’un mince sourire. Malgré le fait que mon esprit tenait en équilibre précaire sur le fil qui m’évitai la crise de panique, échanger quelques mots me détendit. J’oubliai une fraction de seconde la sombre galère dans laquelle j’étais embarqué.

Usant du ton de la plaisanterie j’avais éludé les interrogations de la jeune femme à propos des doigts bioniques, de l’heure tardive, et tous ces détails sur lesquels je n’avais pas intérêt à débattre avec n’importe qui au vu de ma position actuelle.
En y réfléchissant elle pouvait tout aussi bien faire partie de cette bande de scientifiques détraqués qui m’avait sévèrement amoché le portrait et le cerveau. Quoique… … je n’imaginais pas ces individus se cacher sous les traits d’une jolie femme coiffée de dreads et vêtue de cuir. Ça ne correspondait pas à ma vision du savant fou prêt à vous charcuter entièrement la main en vertu de l’avancée technologique.

Déterminé, j’avançai de trois pas. Dépassai la jeune femme. Puis m’arrêtai.
Je sortis ma main gauche de la poche du manteau, la passai dans mes cheveux d’un geste approximatif, l’air absent.
Il faudrait que je perde cette habitude de me servir essentiellement de ma main gauche, du moins jusqu’à ce que j’ai déniché des gants.

Je me retournai vers l’inconnue.

« - Vous sauriez me dire où on se trouve exactement ? Le quartier ? L’heure qu’il est ? Je… »

Voilà. La (énième) connerie de la soirée : démontrer à la demoiselle à quel point j’étais à côté de mes pompes.
Pas prudent, pas prudent du tout !
On ne m’avait jamais dit de ne pas faire confiance aux inconnus ?!

L'inconnu semblait totalement perdu. Il était maintenant au moins couvert. Lovelia décida de ne pas le lâcher, par pitié envers lui, consciente qu'un homme aussi désorienté risquait sa vie dans les rues de novlangue.

"Quelque part dans les bas-fonds, pas très loin des usines. Vous voulez vous rendre où exactement?"

Elle continuait à l'observer, tout en jetant parfois un oeil dans les alentours pour s'assurer que personne de dangereux n'approchait. Sinon les rats, rien qui vive.

"J'imagine que monsieur le semi-robot serait bien chez lui... mais d'où vous sortez pour être dans cet état?"

Curieuse de savoir si son don pouvait marcher encore, elle le regardait dans les yeux, cherchant les signes qui lui aurait indiqué qu'il ait pu être un peu sous son contrôle, ramolli et prêt à parler. Elle faisait l'effort de maintenir le contact visuel...

Elle sortit son paquet de cigarette et en prit une, le tendant ensuite à l'homme:

"Vous en voulez une?"

Plus la discussion avançait, plus je me sentais étrangement en confiance… Quoique, pas réellement en confiance, ni en sécurité, ce n’étaient pas les mots exacts. Il aurait été parfaitement idiot de se croire en sécurité alors qu’on errait dans les rues de Novlangue après la tombée de la nuit.

Je gardai mon regard bleu électrique rivé au sien tandis qu’elle posait des questions, semblait s’intéresser à moi, à mon sort. Une part de moi, le côté un peu naïf et désespéré qui n’était en général pas très présent mais que ma journée de cinglé faisait à présent ressortir, cette infime facette de ma personnalité avait presque l’impression que la jeune femme resterai à mon écoute, à me rassurer, me dire que tout allait s’arranger.
Je détournai les yeux, balayai cette idée d’un mouvement de tête. Pas le moment de se laisser aller.

J’acceptai la cigarette qu’elle me proposait.

« - Soren… m’appelle Soren. Vous ? »

Marmonnai-je, lui empruntant au passage de quoi allumer la clope. J'ignorai si c'était le fait de mes émotions à peine retrouvées, mais j'avais besoin d'un peu de convivialité, ou de quelque chose qui en ferait illusion. Pour cela ôter l'aspect anonyme assez rebutant me parut un bon début.

Puis, les yeux dans le vague, observant un instant le ciel au-dessus de nos têtes, je pris une profonde inspiration, avalai un peu trop de fumée, toussai légèrement, avant de me décider à livrer de nouveaux détails concernant mes mésaventures de la journée.

« - Honnêtement je sais pas moi-même ce qui se passe. Ce que je peux vous dire c’est que ça c’était pas là ce matin. »

J’accentuai ma phrase en montrant mes trois doigts robotiques.

« - Pas loin des usines vous dites ?... » Relevai-je soudain, avec plusieurs temps de retard.

« - J’aimerai mieux pas m’attarder dan le coin… Où aller ? Certainement pas chez moi en tous cas, ça serait pas l’idée du siècle. »

Je reprenais un peu d'assurance. Point positif.

Elle ouvrit sa cigarette après lui, l'écoutant en posant ces gestes machinaux qu'elle posait souvent pour se rassurer. Elle ne savait pas vraiment qui ou même quoi elle était en train d'aider, mais elle avait envi de le faire, par curiosité et solidarité: elle ne savait pas encore ce qui pourrait lui être utile dans les prochaines semaines.

"Moi c'est Lovelia."

Elle décida de lui donner son vrai nom: elle ne pensait pas risquer quoi que ce soit avec lui, ou du moins, ne pas pouvoir s'en sortir aisément.

"Donc on vous aurait installé cette... technologie ce matin. Vous êtes un implanté?"

Elle aurait pu vérifier elle-même, voir contrôler l'implant, mais elle voulait jouer franc jeu, ne pas l'effrayer, gagner sa confiance. Elle aurait pu lui proposer de le suivre dans ses appartements, dans la demeure des valkyries, mais elle ne voulait pas prendre de risque là non plus. Ni s'empêtrer de qui que ce soit, malheureusement. Du moins, pour le moment, c'était une évidence. Elle tenterait d'abord de lui trouver un endroit, au moins.

"Vous avez un autre endroit où aller? vous connaissez quelqu'un qui pourrait vous aider? Je connais la ville plutôt bien, je peux vous guider. S'attarder ici n'est pas la meilleure des idées, en effet, mais je ne connais pas beaucoup de lieux qui seraient plus sécuritaire." sinon mon appartement pensa-t-elle à contre-coeur.

Je tirai une nouvelle bouffée sur ma cigarette.
Whaooo… me souvenais plus que ça faisait cet effet là de tirer quelques taffes.
Non pas que j’ai souvent eu l’occasion de fumer, ça m’était arrivé entre trois et quatre fois dans ma vie alors que je n’étais pas en mesure d’en ressentir le côté agréable. Là c’était différent.
Je retombais en enfance, mon comportement semblable à celui d’un véritable gamin qui s’émerveille du plus infime des plaisirs, de l’émotion la plus fugace.

L’heure n’était pourtant pas à l’exploration de ces capacités nouvelles qui s’offraient à moi ; les interrogations pragmatiques de Lovelia me l’ancrèrent de nouveau à l’esprit. Du sérieux et une pointe de réflexion, deux éléments indispensables.
J’avais tendance à me disperser, ces rappels à l’ordre n’étaient pas inutiles.

« - J’ai un gros doute pour l’implant. Endommagé c’est certain, totalement hors-service je sais pas. »
Avouai-je.

Au fond de moi j’espérais que la seconde solution était la bonne. Dans ce cas j’aurais peut-être une chance d’échapper à mes poursuivants, dans le cas contraire ils possédaient certainement un moyen de me filer grâce à l’implant. Si cette dernière hypothèse se vérifiait j’étais foutu.

« - Si je rentre chez moi maintenant j’me fais choper… Pas envie de savoir ce qui pourrait arriver dans ce cas là. J’peux pas prendre le risque d’impliquer quelqu’un… »

J’ignorais tout des forces lancées après moi. Mes tortionnaires devraient rester discrets s’ils ne voulaient pas que le gouvernement ait vent des expériences qu’ils menaient au sein même de l’usine. Si ce raisonnement s’avérait exact alors ils ne pourraient pas agir trop ouvertement.

« - Indiquez moi un endroit sûr où je pourrais passer une ou deux nuits… après j’aviserai. »

De la même façon que je n'osais pas demander l'aide de mes connaissances vivant près d'ici par crainte d'en faire des dommages collatéraux, j'aimais mieux éviter qu'une parfaite inconnue totalement étrangère à cette affaire s'y trouve mêlée et en subisse les conséquences.
La jeune femme, si par chance elle avait en tête un lieu qui m'éloignerait momentanément des menaces, n'aurait qu'à m'y conduire et repartir comme elle était venue, se fondant dans les ténèbres des rues de Novlangue.

C'est là, alors que je me perdais dans ces obscures pensées, que la partie de moi qui s'étonnait de tant de compassion de la part d'une inconnue décida de s'exprimer librement et pris carrément la parole.

« - Au fait... comment ça se fait que vous vous soyez pas déjà enfuie ? Que vous avez pas déjà tourné les talons en vous disant qu'après tout cet espèce de cinglé exhibitionniste avait qu'à se démerder ?»

La tournure maladroitement ironique n'étant là que pour tenter vainement de dissimuler la reconnaissance que j'éprouvais.

"Logiquement, oui, j'aurais dû fuir. Mais je m'ennuie. Donc quand je crois pouvoir être utile à quelque chose, je m'y essaie. Et dans le pire des cas, j'ai une arme dans mon sac. Donc je n'ai pas peur de m'approcher d'un homme, drogué ou même pire."

Elle avait un sourire malicieux en continuant à fumer, semblant réfléchir. Au bout d'un moment, elle commença à marcher, intimant silencieusement Soren à la suivre. Elle n'avait personne à lui recommander, n'ayant pas vraiment d'ami et ne connaissant pas la notion de famille.

"Je ne sais pas si vous avez moyen d'avoir de quelconques revenus, mais un hôtel peut s'avérer sécuritaire. Sinon... je peux toujours prendre le risque de vous rammener à mon appartement. Je trouverai un prétexte si l'on me pose des questions, sinon nous aurons la paix et on ne vous remarquera même pas. Pour un peu de temps au moins."

elle prenait un risque. Elle pouvait se retrouver avec un dangereux psychopathe chez elle. Ou encore un parasite de la pire espère, un dangereux criminel, ou tout autre colocataire fort peu recommandable.

"La seule condition pour que je vous héberge, c'est que vous m'expliquiez pourquoi vous tenez tant à vous cacher."

tout en marchant, elle s'assurait qu'il la suivait et réfléchissait à un autre lieu où elle aurait pu le laisser. Mais malheureusement, elle-même n'aurait pas pu se loger en dehors de cet appartement fourni par ses patrons.

L’ennui… motivation première qui parait tout de suite moins noble que la pure compassion, ce même si Lovelia ne semblait pas totalement dépourvue du désir de m’aider. Il y avait cette espèce de nonchalance dans ses paroles, l’aspect « quantité négligeable dont on peut se défaire aisément en cas de risque » dont elles m’affublaient n’était pas exactement des plus flatteur.
Ça piquait un peu au niveau de l’orgueil mais je m’en remettrai. J'avais affaire à une femme armée, certes, mais visiblement elle jouait franc-jeu. J’aurais bien le temps de soigner mon amour-propre une fois éloigné de cette galère. A ce niveau là ça irait mieux demain.


J’étudiai un instant les possibilités qui s’offraient à moi.

En premier lieu, c’était raté pour l’hôtel.
L’inconvénient quand on erre à poil dans les ruelles, hormis le froid, l’allure un peu grotesque, … enfin bref… l’inconvénient donc, résidait dans l’absence de poches pour ranger son portefeuilles. Je n’avais évidemment aucun moyen de payement à ma disposition. De plus, les justificatifs d’identité dont je disposais étaient restés à l’usine, on me les avait logiquement retirés avant de m’installer sur la table d’opération.

Me laisser héberger par la jeune femme aurait été en parfaite contradiction avec la certitude que j’avais qu’il valait mieux éviter d’impliquer qui que ce soit dans cette affaire.

Avais-je seulement le choix ?!

Tout en marchant aux côtés de Lovelia, je m’abîmais dans ce conflit intérieur, peinant à trouver une solution réellement satisfaisante. Au terme d’une réflexion infructueuse, je décidai tout de même d’exposer ma situation à la jeune femme.

Je lui racontai ce que je savais… en somme bien peu de chose.
L’histoire banale d’un mec implanté à quatorze ans, qui dans la foulée se trouve un boulot dans une usine de robotique. Rien de spécial. Puis un jour on décrète qu’il n’est plus bon à rien. Sans transition on passe par la case laboratoire. Et après, c’est un peu flou. Réveil. Fuite.

« - … donc, quoi faire ? Où aller ?… c’est pas simple… Et régler la note d’hôtel en nature ça me tente moyennement… »

Manière plus ou moins directe d’accepter la proposition. Pouvais pas dire clairement oui ; question de fierté. Comme si c’était encore le moment pour ce genre de considérations…

Elle le regarde, l'écoute, songeuse, silencieuse, aspirant et expirant la fumée toxique de sa cigarette. Elle croise les bras. Lorsqu'il finit son histoire, elle se sent déjà plus près de lui. Plus compréhensive. Un autre écorché de cette société. Elle s'y reconnaît un peu, quoiqu'elle ait pu avoir une certaine chance.

La cigarette vient mourir entre ses lèvres et elle en écrase le cadavre du bout de son soulier, au sol.

"Donc, autrement dit, je vous ramène sur le canapé de mon salon?"

Au coin de rue suivant, elle le fait dévier sur une autre route, reprenant le chemin de chez elle, consciente qu'on l'attendra bientôt pour travailler. Le temps d'installer son squatteur, de se rafraîchir un peu, puis elle aurait déjà un client à satisfaire. Sur un ton léger mais avec un brin de sérieux, elle enchaîne:

"Bon, vous avez mon manteau pour vous couvrir pour le moment, mais je vous mets en charge de vous trouver d'autres vêtements. Le plus tôt possible. Et je suis une jeune célibataire en recherche de sensation forte mais pas d'un mec à tout prix. Traduction: ce n'est pas dans mon appartement que vous trouverez quelque chose. Pas même la moindre paire de caleçon. Et un mec à poil dans mon appartement... ça ne m'enchante pas vraiment."

Elle pense aux questions qu'on pourrait poser, aux gens qui pourraient questionner, au danger de cette main robotisée...

"Vous trouverez un gant, aussi, c'est un impératif. Si jamais on vous pose une question... vous êtes un ami, vous avez... une quelconque histoire qui justifierais que je vous prête mon sofa pour la nuit"

Et peu à peu, en le faisant passer par divers raccourcis et chemins sombres, elle l'entraîne dans le quartier des valkyries, dans un coin déjà moins fréquenté où son appartement personnel et celui servant à son travail se trouvent, à quelques pas l'un de l'autre. Dans une section où il est facile de passer incognito.

Elle n'a aucune confiance en lui. Clef en main, prête à ouvrir la porte de son appartement, prenant tout de même le temps de s'assurer que personne d'autres ne les a suivi avant de montrer là où elle vit, elle réfléchit un peu plus: Elle emmène un total inconnu chez elle. Elle n'y garde rien de précieux, préfère pour cela une cachette dans son appartement de travail, mais elle a tout de même consciente qu'il pourrait lui causer du trouble. S'il est assez idiot pour ne pas faire attention.

"Je vous avertis: j'ai une arme à feu, en permanence, sur moi. Au moindre petit signe d,agressivité ou de danger, je tire. Et probablement pas là où ça vous tuera sans souffrance."

elle attend une réaction de sa part, hésitant encore à s'approcher de sa porte pour lui dévoiler le lieu où elle vit.

[hrp: trop rapide? je dois t'avouer que je reviens d'une intense semaine de party... donc je ne suis pas tant en mood de bon rp, fais moi signe si c'est trop vite ou trop nul :P]

A mesure que nous avancions, abandonnant peu à peu les ruelles glauques pour des chemins plus fréquentables quoique toujours dépourvus d’âme qui vive, je sentais une sorte de malaise s’insinuer profondément en moi. Trouble augmentant de manière inversement proportionnel à la classe du quartier.

Je prenais notes des recommandations de Lovelia, acquiesçant tantôt d’un signe de tête, tantôt d’un faible murmure. Je comprenais parfaitement les réticences qu’elle pouvait avoir à mon sujet, aussi je fis profil bas, histoire de ne pas en rajouter.
Mon grand problème de la soirée se posait encore une fois face à moi : il me fallait des vêtements. La question piège : où dégoter ça à une heure pareille lorsqu’on a ni argent sur soi, ni possibilité de se rendre à son appartement pour récupérer une tenue correcte ?

Comme en réponse à mon dilemme j’avisai un étendoir accroché à une fenêtre et sur lequel pendaient divers pantalons, tee-shirts ainsi que d’autres tenues du même acabit. Il existait encore à Novlangue certains coins où l’on pouvait sereinement étendre son linge.

Fatalement une pensée me vint à l’esprit…
Non ! Voler des fringues sur un étendoir ça craignait !

Je n’étais tout de même pas tombé si bas ?!!! Si ?
Il subsistait bien en moi un semblant de dignité ?!!! Non ?

Ne voyant pas d’autre alternative, je finis par subtiliser un jean ainsi qu’un tee-shirt à longues manches. Mort de honte.
Ces extrêmes vers lesquels les évènements me retranchaient, ça me dégoûtait. Je tentai de me convaincre que je ne faisais qu’un emprunt, que je retrouverai l’endroit, que je reposerai ça où je l’avais pris une fois mes ennuis loin derrière moi.

Tout en marchant j’enfilai le tee-shirt, manquai de m’étaler face contre terre en tentant de faire de même avec le jean, et passai le reste du trajet à éviter le regard de ma guide.

Je frôlai la syncope lorsque je parvins à identifier que nos pas nous avaient menés droit dans le quartier des Valkyries.
Et soudain, Lovelia me transmit de nouvelles mises en garde, devint menaçante.

J'avais enlevé le manteau de la jeune femme et le tenais à présent sur mon bras droit.
Mal à l’aise je rajustai le tee-shirt trop grand pour que les manches cachent entièrement mes mains. Des vêtements à la rigueur, mais il aurait été vraiment improbable de trouver en plus les gants assortis.

Je ne savais plus où me mettre. Après tout, je ne pouvais pas lui en vouloir de réagir de la sorte. Mieux que ça : cette méfiance soudain accrue me parut en quelque sorte une réaction plus logique que l’air imperturbable qu’elle avait affiché jusque là.

« - Si… si votre offre ne tient plus il est encore temps que je parte. »
Bredouillai-je.

Je n’étais pas en position de l’obliger à quoi que ce fut. Si après réflexion elle pensait avoir fait une erreur en proposant de m’héberger, autant arrêter là les frais. Je disparaitrai et ce serait comme si nous ne nous étions jamais croisé… enfin, en apparence, car je ne serais capable d’effacer de mon esprit aucun élément de cette soirée.
Si elle se rétractait maintenant je me sentirai moins coupable de l’avoir impliquée dans cette affaire.

« - Je peux pas vous demander de me faire confiance. Vous m’avez déjà aidé… sais pas si à votre place j’en aurais fait autant… Alors… ouais, je comprends. Au moindre doute pressez la détente. »

Mon regard planté dans le sien j’achevai ma phrase d’un ton posé. Mes capacités de réflexion m’avaient entre-temps laissé tomber, d’où le caractère quelque peu extrême de mes dernières déclarations.
De toute manière, foutu pour foutu…
Je sentais mon cœur s’emballer dans ma poitrine, mes émotions me rejouant le thème de l’embrouille totale, les sensations contradictoires se percutant dans la plus absurde des confusions.

Spoiler:

Elle sourit à sa réponse, un peu rassurée de sa réaction, mais surtout touchée: cet homme n'a, après tout, absolument rien sur lui, il est pris dans une fâcheuse situation et, à moins qu'il ne s'agisse d'un traquenard contre elle, elle n'estime pas devoir craindre de lui.

"Il serait un peu tard pour vous proposer de dormir dehors, non?"

Elle reprend son manteau et s'approche enfin d'un escalier, le montant rapidement sans s'essouffler. Au dernier étage, il n'y a qu'une porte: celle de son appartement personnel. Celui où elle travaille est tout en bas, mais la porte ne donne pas sur la grande rue: ses clients préfèrent la discrétion.

Elle désactive son système d'alarme pendant que l'autre la rejoint, ouvrant toute grande la porte pour le laisser entrer.

À l'intérieur c'est un peu le bordel, des vêtements traînent un peu partout, de la vaisselle sale est restée dans l'évier de la cuisine, sa lingerie fine, tout juste lavée, sèche, accrochée au lustre au dessus de la table de cuisine, de nombreuses paires de souliers et de bottes s'étalent sur un tapis, à l'entrée, le lit est défait et les coussins des divans s'éparpillent dans la pièce. Malgré tout, l'endroit est accueillant, chaleureux, dans des tons qui rappellent l'orient d'autrefois, avec des parfums d'encens et de délicates effluves.

"C'est pas énorme. Mais je peux vous faire de la place dans le salon, donnez moi un moment... ne faites pas attention au ménage... je refuse que l'on m'envoie un service de ménage, et comme je passe très peu de temps ici... enfin. Surprotéger sa vie privée a des inconvénients...."

Elle accroche son manteau sur un crochet près de la porte, prends rapidement sa lingerie ainsi que quelques vêtements qui traînent, pas vraiment gênée, lance le tout dans une chambre à coucher encore plus bordélique que le reste puis en referme la porte, se retournant vers son invité avec un sourire amical.

"J'ai pas vraiment l'habitude de recevoir des gens ici. Vous avez faim? soif? Je dois partir dans une heure, mais j'ai un peu de temps pour vous montrer les lieux"

Tout en se dirigeant vers ce qui lui fait office de cuisine, elle retire les lourdes mèches de plastiques qui s'ajoutent à ses dreads naturelles, les posant sur le comptoir pour ouvrir les armoires et jeter un oeil à ce qu'elle a. Chose sûre, elle ne manque ni de bière, ni de vin, et ses alcools forts, quoique pour la plupart bien entamés, sont présents en de nombreuses variétés.

Plus détendue, à l'abri chez elle, elle semble plus amicale, plus gamine. Mais à sa hanche, il y a encore son fusil, par mesure de précaution.

[hrp: on change de place? on ouvre un sujet dans le coin des valkyries? on attend un tout petit peu?]

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