Avant

Au coin de la rue elle avait déposé le sac a terre, lâché la main de Jude et s'était appuyée au mur pour retirer ses chaussures qu'elle avait fourrées dans le sac d'ou elle avait sortit une paire de bottines confortable et un long manteau informe, a la couleur indéfinissable qui lui descendait jusqu'aux pieds.
Puis elle avait balancé le sac sur son épaule et remit sa main qui refroidissait dans celle de son compagnon pour l'entrainer dans les rues obscures sans vraiment lui demander son avis. Après tout c'est lui qui avait commencé.

Ils marchaient, main dans la main sous le ciel bas, pas d'étoiles ce soir, il n'y avait pas eu de vent et la couche de pollution qui recouvrait la ville réfléchissait la lumière blanche des quelques candélabres qu'on laissait brûler toute la nuit.

Elle n'avait pas envie de parler, mais elle se demandait si il voyait les même choses qu'elle, cet alignement insolites d'immeuble disparates, devant le quel ils s'arrêtèrent une seconde, cette ruelle déserte au fond de la quelle on entendait une goutte d'eau tomber sur quelque chose de métallique avec une petite note claire qu'elle écouta un moment.

-Vous entendez? Demanda-t-elle a voix basse.

Finalement, a force de mettre un pied devant l'autre ils finirent par arriver aux grilles du parc, fermé pour la nuit le parc, ce qui ne démonta pas Sacha qui sortit un passe partout de la poche de son manteau et se dirigea vers une porte latérale. Tant qu'a avoir des privilèges, autant s'en servir.

-Aprés vous.

Elle ne savait pas son prénom, elle n'était pas vraiment sure de vouloir savoir, comme ça elle pourrait mieux l'oublier ensuite, c'était toujours ainsi qu'elle faisait, un homme pour une nuit ou deux, pas de nom, pas de promesses, les choses qui ne sont pas nommées n'existent pas vraiment n'est ce pas?

Elle l'avait fait entrer et était restée en arrière pour refermer la grille, quand elle se tourna a nouveau vers lui elle intercepta un salut militaire avant qu'il ne se mette a faire des allers-retours sur la pelouse impeccable du parc.
Elle le regarda faire quelques secondes, les yeux ronds, se demandant quelle pouvait être la signification de ce manège.
Elle fit quelques pas vers lui, enfin plutôt vers l'endroit qui devait se trouver a peu prés au milieu des deux extrémités de son parcours, elle le regarda passer devant elle avec son sourire colgate une première fois, puis une seconde, puis elle avança d'un pas pour se mettre sur sa trajectoire.
-Que faites vous? Demanda-t-elle en souriant quand ils se retrouvèrent face a face.

Si c'était un jeu de son invention elle voulait y participer, si c'était une excentricité elle voulait comprendre.

J’imite le monde, ça ne se voit pas ?
Et un peu vous, mais je ne vous le dirai pas. Je l’ai dit ? C’est pas fait exprès.

Où sommes-nous ?

Je vous ai vexé ?
Vous aussi.
Je ne suis pas un chien. Je croyais que c’était évident.
J’aime vos nouvelles chaussures, le manteau aussi.

Je n’ai que ma veste. Un peu légère pour la saison, c’est pas ma faute, je ne suis pas maitre du temps.

Je… Vous venez ?
Vous avez des réponses en retards, dépêchez-vous, je veux les connaître avant de les avoir oubliées.

Allons ! Pressons, pressons !

Jude la contourne en parlant, en posant ses questions empilées sans fin. Il fait le tour de Sacha et s’interrompt avant qu’elle n’ait le temps d’entrouvrir les lèvres. Ou les yeux, il ne sait plus, il n’a pas fait attention à ses yeux, pas encore, plus tard sans doute qu’il les verra et qu’il viendra y chercher quelque chose. Mais, pas maintenant. Maintenant, il y pose son doigt, sur ses lèvres, perpendiculairement. C’est un chut ?

Je… Chut !

S’en est un.
Il la regarde…

Dévisager c’est mal poli.
Je n’ai pas dit que je l’étais.
Et je n’aime pas cet endroit. C’est… mort. Il n’y a personne, rien à aimer. Sauf… Vous.

Il détache son doigt doucement, et le remplace par un baisé volé à la sauvette. Un effleurement plus qu’un baisé.
Il recule et sourit.

On y va ?
Gouter une pastèque !
Vous avez oublié ?

Il s'était arrêté, il lui avait parlé, vite, elle avait voulu répondre, mais n'étaient sortis de sa bouche que des bribes de mots, des débuts de phrases qu'elle ne pouvait pas finir, il parlait trop vite. Elle resta plantée là, les yeux grands ouverts, presque étonnés, lèvres entrouvertes, a attendre de pouvoir en placer une.
Il tourne, il parle, elle essaie de le suivre mais il parle et elle ne peut pas suivre a la fois ses déplacements et ses paroles, il y'a trop de l'un et l'autre, elle choisit les mots plutôt que les mouvements mais la progression de ses idées n'est pas évidente a suivre.

Peut être a-t-elle l'esprit trop … ou pas assez … enfin …

Son doigt sur ses lèvres, ses lèvres, rapides, effleurées, c'est tout? Zut.
Pas d'impatience, se sermonne-t-elle.

Il fini par s'arrêter, ouf, il lui faut quelque secondes pour faire défiler toutes ses paroles et arriver enfin a cette histoire de pastèque, qu'elle n'a pas oubliée d'ailleurs, ils n'ont simplement pas pris le plus court chemin pour y arriver.

-Ouaf

Ça lui a échappé, c'est pour demander pardon.

Elle lève un doigt pour lui demander d'attendre une seconde et fouine dans son sac pour en sortir une longue écharpe en laine qu'elle lui tend a deux mains comme un précieux présent. Parce qu'elle l'a retenu ça, il a dit que sa veste était trop légère, ça voulait dire qu'il a froid pas vrai?
Un sourire.
T'es encore vexé? Demande ce sourire, vu la vitesse a la quelle il change d'idée elle n'est pas très sure de savoir.

« -Ouaf »

Elle aboie ? Elle n’a rien d’un animal, ni du chien. Je l’observe sans discrétion, fallait pas aboyer, c’est malin. Qui est-elle ?

Elle lève le doigt, je suis pas contrariant.
Je me tais. Avec sourire.

C’est pour moi ?
Non, je l’ai pas dit. C’est les idiots qui posent la question. Mais je suis touché. Elle doit le voir, je rougie quand je suis ému.

Elle est rouge n’est-ce pas ?

Je préfère poser la question cette fois, parce qu’il fait nuit et j’ai les yeux émus.
En tout cas, je la prends et l’enroule autour de mon cou.
Elle est confortable et parfumée. C’est agréable comme elle à regarder.

J’ai plus froid, on va manger de la pastèque ?

Mais… je suis grossier. Je n’ai pas dit qui j’étais, et pas demandé qui vous êtes.

Jude, juste Jude, avec un tiret et un Z.

J’ai pris sa main pour la saluer d’un baisé. Mais je ne lui ai pas rendu. Je l’ai gardé pour moi égoïstement. Elle est si douce, pourquoi s'en priver ? Ses ongles son manucurés, je le sais, je l’ai vu faire dans une vitrine tout à l’heure. Il y avait même des hommes qui attendaient pour se faire faire la même chose. Je devrais essayer, c’est soigneux. Chez elle, c’est mieux que ça.
Maintenant, on se connaît, elle a fait « ouaf » j’ai souri, on va se marier. La vie est simple.
Je ferai ma demande tout à l’heure. Maintenant, j’ai faim.
Mais je ne sais pas où trouver des pastèques. Je suis embarrassé. Ça aussi ça doit se voir, parce que je me gratte le front et je tire sur le lobe de mon oreille droite, jamais la gauche.
Pour un futur marié c’est embêtant. J’ose lui dire ? Et ça fera de moi un futur mauvais mari ? Je ne voudrais pas la décevoir, pas tout de suite, on a tout le temps pour se décevoir, alors autant profiter d’avant.
Mentir, c'est encore plus laid.

Je… conduisez-moi ! Je… pardon… un futur mari ne devrait pas se conduire de cette façon. Mais… je ne connais rien. Je connais le temple, ses environs, les arbres et les fleurs, les langues qu’on parlait autrefois, les musiques grandes ou petites, les gastronomies d’Asie ou d’ailleurs, les poètes qu’on a maudits, ceux qu’on vénérait et ceux qu’on a ignorés, je connais les Arts picturaux de Van Gogh à Dali, de Cézanne à Magritte, les autres Arts aussi, je sais manier les équations et traduire en chiffres une galaxie, je sais construire une pile à combustible et faire flotter des navires en alliage, mais… j’ignore où trouver des pastèques. Je ne connais ni leur gout, ni leur texture. Je ne sais pas quelle sensation on éprouve quand on en tient dans la main. Est-ce doux ? Est-ce rugueux ? Est-ce coriace ? Comment est-ce à l’intérieur ?!? Est-ce bon… Je ne connais rien, et j’ignore votre nom.
C’est embêtant pour des futurs mariés.

Cette tristesse d’être ignorant, elle a du la voir sur mon visage. J’ai honte soudain de ne pas savoir l’essentiel.

Jude avec un tiret et un Z dit-il, bon ben voilà, il l'a dit, maintenant elle est obligée d'admettre qu'il existe.
Il existait avant et il existera encore après, avec ou sans elle, sans, ce serait peut être mieux … mieux pour qui?

Mais qu'est ce que c'est ce tiret Z dont il parle? Il faudra qu'elle lui pose la question.

-Enchantée.

Il prend sa main, pose dessus un baiser et ne la lâche plus, il a un sourire d'enfant, elle aime bien son sourire on dirait qu'il est tout neuf, comme celui d'un enfant.
Il le perd vite d'ailleurs, son sourire, triture son oreille, l'air embêté par quelque chose. Au moment ou elle ouvre la bouche pour lui demander ce qui ne va pas il se lance dans un long monologue.
Il parle du temple, serait-il l'un de ces mentalistes? Il n'en a pas l'air, il n'a pas vraiment l'air de pouvoir faire partie de quoi que ce soit dans cette ville, dans ce monde non plus, le peu qu'elle en aie vu lui dit qu'il n'est pas a sa place ici, trop de bruit et de fureur, lui il passe d'une idée a l'autre et dit tout et n'importe quoi sans vraiment réfléchir, l'air parfois étonné par les paroles qui sortent de sa bouche.
Serait-ce un jeu? Une mascarade? Il ne serait pas le premier a essayer, mais si vraiment il jouait, jamais il ne laisserait échapper qu'il appartient au temple.
Zut, revoilà les questions qu'elle n'a pas envie de se poser, pas maintenant, pas quand il fait nuit, la nuit tous les chats sont gris et les humains ont le droit de ne plus être ce qu'ils sont.
De toute manière il reparle de pastèque, et cette histoire lui convient beaucoup mieux.

-Mon nom? Il doit y avoir un accent de surprise dans sa voix, oui certes, elle a un nom, un joli même, mais elle n'est pas vraiment habituée a le dire aux inconnus rencontrés la nuit … oui mais lui il a dit le sien et puis, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne ressemble en rien aux individus qu'elle rencontre d'ordinaire. Il a posé un baiser sur sa main lui.
-Sacha … Jones … comme dans la chanson. Mince, les mauvaises habitudes. Lui il a un tiret et un Z elle, elle a un « Jones, comme dans la chanson » ça se trouve il ne la connait même pas cette chanson.
-Vous connaissez? « have you met miss Jones » chantonne-t-elle. Je vous ferais écouter pendant les pastèques, rajoute-t-elle sans vraiment attendre la réponse.

Futurs mariés? Tiens, elle est bien bonne celle la, a quoi joue-t-il exactement? Ben aux futurs mariés visiblement. Heu bon, la elle sait vraiment pas quoi dire, mais il a l'air tellement tristoune tout d'un coup qu'elle décide de ne pas entendre et fait un pas en avant, vers le centre du parc, qu'elle a l'intention de traverser.

-Venez, on va commencer par les pastèques, on verra le reste ensuite. Elle tire doucement sur son bras pour l'entrainer sur la pelouse moelleuse. Il faut en profiter, la journée il y a toujours quelqu'un qui empêche les gens de marcher sur la pelouse … a quoi servent les pelouses si on ne peut pas marcher dessus?

Elle parle beaucoup dit-il?

Mince alors, se rend-t-il compte, lui, de la quantité de paroles qu'il est capable de débiter en une courte minute?

Mais il est trop mignon, oui c'est ça, elle le trouve mignon, comme un chaton ou un petit chiot un peu fou, il a cet air perpétuellement étonné des nouveaux nés qui découvrent le monde. Elle a envie de lui caresser les cheveux mais il va sans doute dire qu'il n'est pas un animal de compagnie ou un jouet, et il aurait raison, même si elle a un peu de mal a s'y habituer.

Alors elle lui sourit, sans rien dire, par ce que finalement il donne l'impression de prêter plus d'attention aux gestes qu'aux paroles.

Et de gestes il n'est pas avare.

Quand il l'arrête, qu'il s'agenouille devant elle, que ses mains ouvrent son manteau et glissent sur ses jambes, qu'il lui retire ses bottines, ses yeux brillants dans lesquels elle plonge sans retenue, il n'a plus du tout l'air d'un enfant, envolés le chaton mignon et le chiot fou. Il y'a même ce délicieux frisson qui grimpe le long de sa colonne vertébrale. Peut être que ses orteils nus qui gigotent dans l'herbe fraiche y sont pour quelque chose, mais elle en doute.

Et quand il se relève une brise, froide tout d'un coup, s'engouffre dans son manteau et elle frémit, mais elle lui sourit, ouvre le sac qu'elle porte pour qu'il y range les bottines, il ne lui semble pas très correct qu'il porte ses chaussures, le parc est grand tout de même.

Elle reprend sa main.

-Et vous, ne désirez-vous pas gouter l'herbe aussi?

Elle n'ose plus faire les choses sans lui demander son avis, il lui a bien fait comprendre que cela lui déplaisait.

Et la brise fait chanter les arbres, bruisser leurs feuilles, fait danser les fleurs et les hautes herbes prisonnières de leurs parterres si bien arrangés et tristement symétriques. Elle tourne la tête, tend l'oreille.

-Vous entendez? Demande-t-elle encore en écoutant le chant des arbres.

Spoiler:

Ce n'est pas une promenade, c'est une danse, ils tournent, virent et voltent l'un autour de l'autre sans se lâcher la main.
Le vent les accompagne, elle aime le vent, ses caresses, sa force et sa douceur.
Et elle aime les yeux de Jude qui brillent dans le noir en la regardant, elle aime sa main, chaude, qui tient la sienne, l'enveloppe, la protège, elle est si grande cette main!
Si n'y avait pas ce sac elle l'entrainerait dans une vraie danse, elle le ferait courir, rire et chanter a tue tête.

Le monde a singulièrement réduit depuis qu'il a repris sa main, maintenant le monde entier c'est eux deux qui marchent sur l'herbe du parc désert, le vent et le ciel enfin étoilé. Le monde entier c'est Jude qui lui raconte l'histoire de la galaxie, qui lui raconte l'histoire du monde, de la vie, des rêves, sans en avoir l'air il raconte l'histoire de Jude a mots couverts, il lui montre dans les étoiles l'endroit ou a grandi son esprit qui ne comprend pas vraiment comment ça marche ici, elle écoute silencieuse, parfois elle sourit, parfois elle rit, souvent elle le regarde, son sourire, ses yeux brillants, il a l'air heureux …

Tout cela est interdit, oui, répond-elle sans rien dire. Elle a presque sursauté quand il s'est interrompu, mais il a reprit aussitôt, laissant la, sur le bois du pont, la question et la réponse.

Interdit oui, et a part la génération de leurs parents personne ne comprend vraiment pourquoi. Une absurdité parmi tant d'autres qui, comme toujours favorise les plus favorisés, elle le sait, elle en est, d'un claquement de doigt elle obtiendrait tout, tout et peut être même plus. Voilà, sa tête a nouveau se perd dans un maelström d'idées noires, et Jude continue l'histoire du monde, alors elle lève les yeux, s'attarde sur son profil, suis la ligne de son bras et le regarde transformer le monde d'un geste.

Il est beau ce rêveur que le hasard a posé devant elle.

Il s'arrête encore.

Pourquoi avez-vous tué les rêves demande-t-il, elle le regarde, il ne sourit plus, il a l'air triste, son visage, ses bras, ses mots, ses rêves retombent. Leurs mains se séparent, et il y'a un monde entre eux maintenant, ils ont l'air fins a regarder leurs pieds tout les deux perdus dans leurs pensées.

Et puis comme si elles en avaient décidées ainsi leurs mains se rejoignent. Il sourit, elle non, elle le regarde, grave.

-Ils ne sont pas morts, les rêves, ils sont là, dit-elle en posant un doigt léger sur la tempe de Jude. Vous êtes tous les rêves, ou alors un seul rêve que personne n'a fait mais qui vit quand même. Son doigt quitte la tempe, caresse la joue, la mâchoire, le menton, remonte sur les lèvres, a son tour de lui dire doucement de se taire. Ou alors peut être vous ai-je rêvé, peut être êtes-vous le rêve que tout le monde fait mais auquel personne ne croit.

Son doigt quitte son visage, échoue sur son épaule avec ses quatre compagnons, et la paume suit, s'accroche, glisse dans son dos. Elle s'approche, sur la pointe des pieds elle pose son front sur l'épaule de Jude, les yeux fermés.

Elle murmure :

-Je ne veux plus jamais me réveiller.

L'instant est long s'éternise, dure une année au moins, peut être plus, elle soupire, ouvre les yeux, immobile, blottie, au chaud.

-Il faut que nous allions chercher des pastèques.

Elle relève la tête, souris, se détache, frissonne, et lui montre du doigt la direction de la sortie qui n'est plus très loin. Les rêves c'est beau et tout ce qu'on voudra, mais si on ne nourrit pas les rêveurs …

Elle le regarde pendant qu'ils marchent côte a côte, trop loin l'un de l'autre d'ailleurs, ça fait des courants d'air et elle n'aime pas trop ça.

Mais elle le regarde et il a l'air tout bizarre, comme si il s'était transformé en marionnette et qu'un fil partant du sommet de son crâne le tenait debout, plutôt qu'une colonne vertébrale. Ses pieds et ses jambes aussi se comportent bizarrement, cela dit il a une gestuelle bizarre, elle se rappelle avoir noté ça plus tôt.

Elle se dit qu'elle a du faire quelque chose de mal, peut être n'aurait-elle pas du le serrer contre elle de façon aussi cavalière, peut être que ce sont ces rêves brisés auxquels il a pensé tout a l'heure qui le mettent dans cet état.

Zut.

Elle marche doucement et elle le regarde, il ne dit rien, il sourit avec sa bouche, mais il a pas l'air heureux pour autant.

Mais elle a un problème avec cette tête toute tristoune, par ce qu'elle vient de se souvenir de quelque chose qui pourrait lui plaire.

« Hey Jude » Elle dit et elle s'arrête de marcher sans prévenir et sans lâcher sa main qu'elle serre un peu plus fort pour le retenir par ce qu'elle ne sait pas trop si il va arriver a s'arrêter ou si ses jambes vont continuer de marcher toutes seules.
« don't make it bad. » Dit-elle ensuite en chantonnant.
« Take a sad song and make it better.
Remember to let her into your heart,
Then you can start to make it better. »

Elle lui sourit, et prend son autre main, et elle chante doucement en fixant ses yeux et en se balançant lentement au rythme de la chanson.

« Hey Jude, don't be afraid.
You were made to go out and get her.
The minute you let her under your skin,
Then you begin to make it better. »

Bon d'accord, c'est bête, mais c'était a cause de « Jones, comme la chanson » alors elle voulait que lui aussi il aie un « jude, comme la chanson »

« And anytime you feel the pain, hey Jude, refrain,
Don't carry the world upon your shoulders.
For well you know that it's a fool who plays it cool
By making his world a little colder. »

En plus c'est interdit, rien que pour ça, ça vaut le coup non? Il a toujours son regard bizarre ou pas? Elle est pas très sure.

« Hey Jude, don't let me down.
You have found her, now go and get her.
Remember to let her into your heart,
Then you can start to make it better. »

Au fur et a mesure qu'elle la chante et que les paroles lui reviennent en mémoire elle se rend compte que cette chansons est remplies de sous entendus, terrible, mais bon, au point ou elle en est c'est plus vraiment la peine de s'arrêter pour ça.

« So let it out and let it in, hey Jude, begin,
You're waiting for someone to perform with.
And don't you know that it's just you, hey Jude, you'll do,
The movement you need is on your shoulder. »

Avec un peu de chance ça va lui enlever cet air tout bizarre qu'il a depuis quelque instants.

« Hey Jude, don't make it bad.
Take a sad song and make it better.
Remember to let her under your skin,
Then you'll begin to make it
Better … . »

Elle laisse le silence planer un peu, en regardant Jude un peu par en dessous, l'air un peu gênée.
-Elle vous plait? C'est une chanson du 20em siècle, interdite, comme tout le reste, mais elle s'appelle comme vous.
Elle serre ses mains, juste pour lui dire … lui dire quoi? Elle en sait rien en fait, mais elle serre un peu ses mains dans les siennes.

J’étais un peu triste dans cette chanson, mais elle me plait.

Elle vient du temps où nous étions libres. Libre, la liberté de ne pas subir, faire ce qu’on veut et choisir, choisir d’être libre ou pas. C’est pharaonique, inestimable. Je suis un idiot pour être libre. Je vais à contre-courant par esprit de revanche, et par méprise je suis la route de mes pères.

Un jour, je serai démasqué et je retournerai dans un labo, on fera des trous dans ma cervelle pour voir ce qui cloche et quand ils auront terminés, qu’ils auront fait de ma cervelle une bouillie inutilisable, ils me jetteront dans le fond d’une chambre capitonnée. En attendant, je vis dans le champ de bataille de ce monde à l’envers.

Et ce soir, je vous épouse Miss Jones.

J & J encore !? Ça me rappelle quelque chose…

Je lâche ses mains, ses yeux, sa peau qui attire la mienne et l’effleure de frissons incompréhensibles. Je recule et cherche du regard… Des fleurs. Pour un mariage, il en faut.
C’est un peu déchirant de m’éloigner d’elle. Pas très agréable, en même temps doux à l’intérieur. Je baisse les bras, cette fois ils ne tombent pas comme des chiffons morts.
Je souris idiot, et je marche, droit devant après l’avoir contourné, effleuré comme ces étranges frissons. En l’effleurant, j’ai senti sa chaleur, si douce que je me suis servi sans lui dire. Tout à l’heure, je lui dirai. Je ne suis pas un voleur. J’aime, tout. Elle. Son parfum, lui aussi, je lui ai emprunté en passant, sans qu’elle s’en aperçoive. Sans qu’elle le sente. J’en ai pris si peu. Une lampée en humant par-dessus son épaule. En échange, j’y ai apposé un baisé, un joli troc. Si elle aime, comme moi.

J’ai suivi le chemin le plus direct, droit devant. Ça paraissait logique. Je n’entendais que mon pas nu, feutré sur l’herbe et puis les schlik. Plein de schlik.

L’un après l’autre, schlik, schlik…
Je ne suis pas Jésus. Je ne marche pas sur l’eau, et de l’eau, il y en a plein tout autour d’un bosquet finalement petit. C’est un peu froid, et profond. Elle en vaut la peine de se mouiller les pieds, le bas du pantalon jusqu’aux genoux.
Les fleurs sont belles malgré la nuit et la lune discrète. Je les imagine bleues. Pour elle, elles seront bleues.

J’ai pris les fleurs sans les blesser. S’aurait été dommage. Un joli bouquet bleu. Et j’ai tourné le dos au bosquet pour la regarder, elle, de l’autre coté de l’eau sur le sec. Je crois qu’elle sourit. Peut-être même que je l’ai entendu rire. Je me demande pourquoi.

Je refais le chemin à l’envers, moi et mes schlik. De grands schlik à grandes enjambées cette fois. Décidé et éclaboussant bruyamment la nuit pour la rejoindre, pressé de lui offrir mon bouquet.

Je devais avoir un drôle d’air devant elle, mouillé jusqu’aux genoux, mon bouquet fermement serré dans la main et l’ensemble accroché au torse, un sourire heureux pour lui décrocher le sien.
Je tends le bras, un peu brusquement, pressé de le voir, ce sourire.

Pour vous Jones !

Elle a rit, oui, elle n'avait pas s'en empêcher, trempé jusqu'aux genoux une écharpe en guise de cape et armé de son bouquet couleur de lune, le prince charmant avait une drôle d'allure. Mais de toute façon elle n'en aurait pas voulu d'un prince charmant certifié conforme, la conformité c'est monotone, triste et lassant.
Le monde se perd dans la norme et les certificats.
Tous les princes charmant se ressemblent, lui il est unique.
C'est une erreur humaine, un formidable ratage en forme d'homme vrai.
Pas un robot, pas un mouton.
Il ne le dit pas, il le montre, la différence, ce que tout le monde fuit, c'est ce qu'elle cherche, et le hasard l'a mise sur son chemin.
C'est la différence qui sortira le monde de la conformité, elle le sait, elle le chérirait rien que pour ça. Mais il lui a cueillit des fleurs et veux l'épouser sans lui demander son avis.
Il fait nuit, le monde est loin, et elle est d'accord.

Ne pas penser a demain.

Elle se sent l'âme d'une amoureuse de roman.

Alors elle sourit, oui, comment faire autrement? Elle tend le bras, la main, puis l'autre, pour attraper le bouquet, mais ses mains rencontrent celle de Jude, humide, froide.

-Vous allez attraper froid.

Hors de question qu'il soit malade, non mais, elle n'a même pas encore eu le temps de … ils n'ont eu le temps de rien, il ne doit pas être malade.

Zut elle a faillit oublier, elle pose un baiser sur sa joue.

-Merci. Il est magnifique.

C'est creux, zut, c'est ce qu'il faut dire, les habitudes, l'éducation qui reprennent le dessus quand elle ne fait pas attention. Elle aimerait pouvoir se débarrasser plus complètement de son costume d'automate trop bien réglé, mais la mécanique est forte encore, plus forte qu'elle en tout cas.

C'est du travail la différence quand on a été coulé dans un moule, créée dans un but précis.

-Alors marions-nous.

C'est mieux comme ça, au moins tout le monde est d'accord. La pâle lune pour officier, les étoiles pour témoins, le parc pour cathédrale, et le vent qui joue de l'orgue dans les branches. Rien ne pourrait être plus parfait … sauf peut être les pieds secs …

A part ça il n'y a rien a dire, enfin elle ne pense pas, ou alors elle ne sait pas, elle veut juste tenir les mains de Jude dans les siennes, regarder briller ses yeux et son sourire. L'épouser, oui. Et le garder plus d'une nuit.

Et on verra plus tard pour les noms de famille.

Je suis mouillé plouf, et flac-flac quand je marche. J’aurais pu me noyer. Dans ses yeux. L’eau, elle, n’a fait que mouiller le bas de mon pantalon. Elle est fraiche elle aussi, comme l’eau. C’est son baisé qui me le raconte.
L’eau n’a aucune saveur, je me demande si mouillée elle aussi, l’eau aurait le gout d’elle. S’il faisait moins froid, je lui demanderais de venir dans l’eau pour la gouter sur elle. Elle me prendrait pour un fou, surement. Ce n’est pas si important, il fait froid, et j’ai froid aux pieds. Mais plus aux mains. Non, c’est chaud, transperçant jusqu’au cœur. Je souris, idiot ? Comme toujours, on ne se refait pas.

J’aime ses mains comme ses yeux comme ses cheveux, les trois c’est une évidence. On va se marier. Mais pas ici, c’est un parc, on ne se marie pas dans les parcs, on s’y promène, on se prend la main, et au détour d’un chemin, on s’embrasse. Les gens normaux font ça ? Avant aujourd’hui, c’est sur. Mais aujourd’hui, c’est interdit. Je ne m’étais jamais posée la question avant elle.

Vous ne me connaissez pas.

C’est vrai, comment peut-elle dire ça sans me connaître ? Moi, je le peux, mais… je suis Jude. Elle, non. Automates, ce sont des gens étranges. On dit qu’ils ne vivent que pour eux. Je devrais me méfier alors, et la regarder de travers. D’ailleurs…
…
Difficile à dire. Ses yeux disent beaucoup de choses, ils papillonnent quand je les regarde et que j’y aperçois mon reflet. C’est amusant. Mais, ça ne répond pas à ma question.

Jones ?

Ses mains m’embarrassent. Leur douceur et la chaleur qu’elles dégagent ? C’est pas comme un radiateur. Ça ne brule pas comme le feu. C’est un peu doux, un peu ferme si je veux me gratter le nez. Elle me retient prisonnier. Mon nez me chatouille. J’en reste sans main. C’est ballot. Je tortille le bout de mon nez comme si une mouche s’était posée sur lui.
Vivre sans main, ça doit être compliqué. Je n’ai pas envie d’essayer, je préfère vivre dans les siennes, c’est doux, c’est chaud, pas comme un radiateur, ça ne brule pas. Mais ça ne fait pas peur aux mouches.
J’ai moins froid aux pieds. Pourtant, ils sont toujours mouillés. Et ce sont mes mains qu’elle tient dans les siennes.

Je suis troublé. Encore ces émotions neuves comme tout à l’heure.
Je n’arrive pas à reprendre mes mains. Je reste figé devant elle, Sacha, les pieds nus et gelés qui mouillent l’herbe. Je vais prendre racine... Devenir une plante verte. Les enfants me confondront avec ces grands arbres centenaires et essayeront de me grimper sur les branches. Je ne voudrais pas en voir un tomber, il pourrait se faire mal et je ne pourrais pas le soigner. Et les chiens… je ne préfère pas imaginer. Je ferme les yeux en serrant très forts pour chasser cette image.

J’ai cessé de foncer les sourcils et je n’ai plus la tête de biais ; je n’ai plus envie de la regarder de travers. Ses yeux sont trompeurs. Quand je les regarde en face, ils sourient. Et si je les quitte, ils ont l’air d’avoir perdus quelque chose.

Vous oubliez les pastèques.

Je la suis, bras mélangés. Mais j’ai un peu peur. Ces choses neuves chamboulent tout à l’intérieur, et je vais plus m’y retrouver, je suis déjà si mal ordonné. J’ai la cervelle qui joue au culbuto, c’est normal ? C’est ça l’amour ? C’est une bien curieuse chose alors, on a la tête qui confond ses pieds et ses mains. C’est un coup à se rompre le cou. Heureusement qu’elle est là, mon tuteur ; je me fais penser à un arbre, l’un sans l’autre, ils penchent chacun dans leur coin.
Encore quelque chose de surprenant, j’ai les mains moites ! Pourtant, il fait froid. Sans rien lui dire, je lève un sourcil interrogateur, plein de questions dans tous les sens, sans aucune réponse pour les satisfaire.
J’en perdrais mon Latin si les cours m’avaient intéressé.
Mon cœur… Il bat fort et sans aucune certitude et à contre courant, dans tous les sens, en vrac, sans logique. Je n’ai pas couru pourtant, je ne suis pas essoufflé non plus. Encore quelque chose de nouveau. Je fronce d’autant plus mon sourcil. Je dois avoir l’air crampé.

Je soupire, sans voix, sans raison et je décide ! Que mes mains n’ont pas attrapé le rhume, que mon cœur n’a seulement quelques ratés parce qu’il n’est pas une machine parfaite, et que mes jambes ne sont pas des limaces… je l’avais pas dit ? J’ai les jambes molles. Mais ça va. Ça va aller, parce que je le décide. C’est comme pour…

J’ai faim, je veux vous connaître mieux que dans vos mains et vos yeux, Jones.
C’est interdit ça aussi, n’est-ce pas ?
Et respirer votre peau, c’est interdit ?

J’ai du stopper notre course vers la pastèque, parce que je me suis retrouvé devant elle à nouveau, face à face et les deux mains entourant son visage, ses joues, comme un lit douillé bordé.

Vos joues… elles sont roses, pourtant elle ne l’était pas tout à l’heure dans ce club. C’est ça l’amour ou c’est un peu ça ?
J’ai envie que ça y ressemble, le rose vous va bien.
Vous êtes jolie vous savez ?
Ce sont vos yeux sans doute, je ne m’en lasse pas. C’est ennuyeux quand on marche ou alors… comment peut-on marcher les yeux dans les yeux ? C’est périlleux, nous ne pourrions éviter les obstacles. La nature est mal faite ou alors elle n’a pas prévu les gens qui s’aiment. Ça pourrait donner un sens à notre système…
J’ai un peu froid…
C’est soudain,
Insupportablement réel.

J’ai froid à l’idée que notre système ait raison.
Déjà que ma raison est défaillante, que mes jambes ne me supportent plus, que mon cœur veut quitter mon corps et que mes mon mains ont attrapé la grippe…
Jones…
Vous croyez que je suis mourant ?
Je n’ai pas envie de vous perdre.

Jones…
Notre système a-t-il un sens ?

Conduisez-moi ailleurs, ce parc… ailleurs, là où il fait sec, là où les gens ont des droits. Et si ça n’existait pas, Jones… ?

Il se love contre elle, comme un enfant le ferait, lui, et ses émotions d’homme, contre cette femme. Il s’enroule dans ses bras et s’enserre d’elle pour ne plus être seul, tout contre elle, serré, enroulé, au chaud, au doux. Tous les deux, on dirait un tapis d’orient dans un champ verdoyant. C’est ce qu’il imagine à cet instant.

-Un système qui empêche les gens d'aimer n'a pas de sens.

Que dire d'autre?

Pourtant il y avait une raison a tout cela au début. L'argent, le pouvoir. Ce qui fait tourner le monde selon certains. N'était-ce pas la meilleure solution pour s'assurer d'une population docile et consentante a tout ce que les dirigeants pourraient bien inventer? Pour finir l'argent et le pouvoir finissent dans ses mains, ses mains parfaites de poupée manufacturée. Peut être qu'elle aussi n'est qu'une erreur finalement. Son tuteur, quand il a voulu une héritière n'a surement pas demandé qu'on lui crée une rêveuse presque schizophrène. Femme d'affaire dure et glaciale le jour, elle se transforme en idéaliste romantique dès qu'elle sort de son bureau …

C'est génétiquement programmable ce que les gens pensent?

Elle referme ses bras autour de Jude, elle le serre contre elle.

Elle aussi a froid, elle tremble, n'aime pas penser a tout cela, ce qui l'entoure, ce qu'elle est. La nuit doit être dépourvue de pensées aussi froides, normalement la nuit elle a le droit de laisser derrière elle toutes les horreurs du monde tel qu'il est, d'oublier.

L'amour. La croirait-il si elle disait qu'elle ne sait pas?

Parce qu'elle ne sait pas.

Oui, son cœur bat trop vite et ses joues sont en feu, elle a envie de le toucher de l'embrasser de le garder tout contre elle pour toujours. Est ce que c'était comme ça les autres fois aussi?

Non, elle est presque sure que non, elle ne s'en souviens pas vraiment de ces « autres fois » elle n'a pas vraiment fait d'efforts pour s'en rappeler d'ailleurs, mais elle est presque sur ce que ce n'était pas comme ça.

-Je ne sais pas Jude. Je ne connais pas l'amour, pas celui dont vous parlez.

Elle embrasse sa tempe, caresse ses cheveux.

L'amour elle ne sait pas.

Comment ça se donne, comment ça se reçoit, elle ne sait pas.

Elle sait les gestes qui parlent d'amour, de tendres baisers en douces caresses, ça elle sait.

-Et je ne connait pas non plus d'endroit ou l'on puisse être libre Jude. J'aimerais bien, mais je ne sais pas. Je n'ai a vous proposer qu'un endroit ou personne ne viendra nous trouver.

Elle replonge dans son regard avec toujours cette envie de l'embrasser qui commence a lui faire des nœuds dans le ventre.

-Et gouter vos lèvres, je pourrais faire ça?

C'était peut être un peu osé, mais il fallait qu'elle le dise.

-Les mariés s'embrassent a la fin, vous savez? Ajoute-t-elle avec un petit sourire.

Et puisqu'il le veut elle l'emmène ailleurs, un refuge qu'elle s'est construit, caché a la vue de tous, en plein cœur de la ville, la ou personne ne cherchait un endroit comme celui la alors que tout les jours des centaines de personnes passent devant.

Ils marchent main dans la main, épaule contre épaule, avec leur yeux qui se rejoignaient dés qu'ils le peuvent.

Tant qu'avoir plus de fric qu'elle ne peut en dépenser, autant en profiter pour se faire quelque cadeaux.
C'est a quelque rues du parc qu'ils entrent dans un immeuble particulièrement quelconque et s'engouffrent dans l'ascenseur.