C’était peut-être idiot à dire, mais j’avais eu de la chance. J’aurais pu tomber sur n’importe qui au hasard de mon errance, et ç’avait été Lovelia.

Elle emprunta un escalier, je la suivis. Tandis qu’elle gravissait les marches d’un pas rapide, je m’attardais un peu, observant avec attention le décor, le nez en l’air, curieux mais également impressionné. Ce bâtiment n’était en rien comparable à l’immeuble miteux dans lequel j’habitais.
Aussi, lorsque je parvins au dernier étage, la jeune femme ouvrait en grand la seule porte qui s’y trouvait.
J’entrai.

J’eus à peine le temps de poser un regard sur la pièce dans laquelle je venais d’arriver que déjà la jeune femme s’excusait pour désordre du lieu.
Je lui répondis simplement qu’il était inutile de s’en justifier. Ce n’était pas mon genre de faire cas du moindre objet abandonné par terre ou de l’état de rangement approximatif d’un salon.
Je fus surpris, je m’attendais à un environnement plus impersonnel, où chaque chose aurait eu une place précise, où pas un livre n’aurait dépassé de l’étagère sur laquelle ils auraient été posés parfaitement alignés.
Au contraire, l’appartement s’avérait très chaleureux, donnait une impression de vie. Ça me détendit un peu.

Nous passâmes ensuite à la cuisine. Je restai debout dans l’encadrement de la porte, regardant Lovelia la tête plongée dans ses placards. Malgré tout je n’étais pas à l’aise au point de me comporter comme chez moi.

« - Je voudrais bien un verre. Quelque chose d’un peu fort si vous avez. »

Puisqu’elle me le proposait ce n’était pas de refus, et tant pis si, compte tenu de mon état, le moindre verre risquait de relancer mon mal de crâne qui s’était pourtant atténué depuis tout à l’heure. Par contre, je n’avais pas faim. La perspective d’avaler quoi que ce fut de solide me nouait la gorge et l’estomac. Demain matin ça irait mieux.

« Au fait… » Pensai-je tout haut
« Me rends compte que je vous ai même pas remercié. Alors… euh… ben… merci, vraiment. »

Phrases bredouillée maladroitement mais sincères et agrémentées d’un léger sourire adressé à Lovelia.

« - Faites ce que vous avez à faire si vous devez partir tout à l’heure allez-y, vous occupez pas de moi, je resterai là. Jusqu’à demain. »

Je tentai de montrer que je ne souhaitais pas lui créer davantage de soucis. En son absence je me tiendrai tranquille. De plus, je ne jouerai pas au squatteur longtemps, dès le lendemain je m’en irai.

Je demeurai un moment silencieux, mon regard se posant au hasard sur divers éléments du décors, mes pensées apaisées.
J’avais du mal à croire que je me trouvais réellement dans le quartier des Valkyries. Quelque part l’idée me fascina. Cela semblait tellement inaccessible.
Après tout je m’étais peut-être trompé. J’avais cru reconnaitre le quartier, cependant mes connaissances à ce sujet étaient bien maigres, j’avais sûrement fait une erreur. Non ?

« - Je peux vous poser une question ? Nous sommes bien dans le quartier des Valkyries, c’est ça ? Est-ce que… vous êtes… ? »

Non seulement ça faisait deux questions et demi, mais questions idiotes par-dessus le marché.

Il la remercia; elle lui sourit chaleureusement:

"Pas de quoi. Vous étiez très mal pris, je passais par là, vous mettez un peu de piquant dans mes habitudes, et je vous trouve un toit. C'est pas trop mal, quand même. Si vous êtes discret, vous pouvez rester ici sans mal, c'est calme et sécuritaire. Morne, mais bon."

Elle ouvrit son armoire à alcool, s'emparant d'une bouteille de Jaggermeister, mettant des glaçon dans un verre avant d'en verser.

"J'sais pas si vous apprécierez, moi je trouve que ça remet bien les idées en place... sinon, ne vous gênez pas si vous voulez prendre une cuite ou seulement un autre verre: mon armoire est fournie et j'ai les moyens de ne jamais la laisser se vider... trop longtemps."

Elle l'invita à s'asseoir à la table de la cuisine, lui emmenant son verre. Elle pris une gorgée du sien, profitant de l'alcool fort et très goûteux. Puis elle se releva, réfléchissant à la question de l'homme, continuant à se préparer, ramassant, sur le bout de la table, quelques accessoires pour modifier ce qu'elle portait.

"Nous sommes en périphérie du quartier des valkyries. On y entre à peine, à vrai dire. C'était... ma condition, disons. J'aime pas vraiment le grand luxe du quartier. J'fais pas dans la pute de luxe, en fait. Pas dans le sens traditionnel, à vrai dire. J'attends que..."

Que la mystérieuse femme de la dernière fois revienne lui retirer la puce lui servant de laisse? sûrement. Mais en parler était risqué...

"J'attends mieux. Ils feront pas une vieille valkyrie de moi."

Elle retire ses bracelets, accroche un fouet à sa taille, s'approche d'un miroir pour refaire la ligne noire de ses yeux. Elle retire le collier à son cou et repasse un peu de rouge sur ses lèvres. elle se retourne enfin vers Soren et revient s'asseoir, reprenant son verre.

"vous, je suppose que vous n'aviez que votre travaille dans votre vie, non? Que comptez-vous faire maintenant?"

Il fallut attendre que l’on m’invite à m’asseoir pour que j’ose enfin me poser sur l’une des chaises de la cuisine.
Je n’avais absolument aucune idée de ce que pouvait contenir le verre que Lovelia posa devant moi. Cela ne m’empêcha pas de m’en envoyer une bonne gorgée pour goûter. J’avais demandé quelque chose de fort, elle m’avait servi quelque chose de fort. Effectivement c’était l’idéal pour se réveiller un peu… de là à me prendre une cuite… je n’étais pas convaincu que ce soit la solution.

De plus, je ne connaissais pas mon seuil de tolérance à l’alcool. Un seul autre verre aurait peut-être été suffisant pour me mettre minable. Autant ne pas tester l’hypothèse tout de suite, ça aurait fait mauvais genre.

Absorbé par les paroles de la jeune femme, je finis mon verre sans m’en rendre compte.
Je n’avais jamais réfléchi à la condition des Valkyries. Ceci dit, je n’avais jamais vraiment réfléchi à grand-chose en fait. Dans ma tête se bousculaient des images préconçues mêlées au fantasme collectif qu’évoquait cette classe si particulière de la population de Novlangue.
En somme, rien de très personnel.

Voilà ce qui me faisait défaut : mes propres idées, mes propres opinions.
De ce point de vue là tout me restait à construire.
N’ayant pas encore eu beaucoup l’occasion d’agir dans ma nouvelle existence d’homme libre, je ne connaissais quasiment rien de la vie. La vraie vie, celle que vous gérez par vous-même, celle qui vous confronte à vos propres choix.

Lovelia mit le doigt précisément sur cette lacune.
Ce que je comptais faire maintenant ?
Je demeurai silencieux, une légère expression de surprise se peignant sur mon visage laissant croire que je n’avais même pas compris la question.

Le doute d’un côté, j’étais un peu désemparé. D’autre part je sentis monter en moi une bouffée de détermination.
Ce que j’allais faire ?! Ce que je pouvais faire ? Ce que j’avais envie de faire !!!?!
Mes émotions se heurtèrent un bon coup. Le tout retomba lamentablement à plat.

« - Je… Je ne sais pas. »

Bredouillai-je, l’air morne.

Puis, après une poignée de secondes, je repris, m’emballant inexplicablement.

« - J’ai pas envie de rester là, d’attendre que tout se passe ! Je veux pas me laisser trainer d’un évènement à l’autre sans agir ! J'ai fais que ça jusqu'à maintenant. J’aimerai faire autre chose… »

Au milieu de la phrase mon enthousiasme s’essouffla.

« - … mais quoi ?! C’est ça le problème. Qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce que je veux faire ? J’en ai aucune idée. Le seul truc que je peux vous dire, à la limite, c’est que là je prendrai bien une douche… Pas terrible comme conviction profonde. C’est un peu pathétique ; vous trouvez pas ? »

Je terminai sur un petit sourire résigné.

Elle l'écoutait avec un sourire en coin:elle se reconnaissait un peu en lui, à l'époque où elle était passée d'esclave à valkyrie. Elle l'écoutait, lui qui n'était pas tout à fait sûr de ce qui l'attendait, et s'Attachait un peu plus à lui.

"Une douche? c'est un bon début, ça replace souvent les idées... je vais vous préparer le tout..."

Elle prit quelques minutes dans la salle de bain pour lui sortir le nécessaire et ranger quelques unes de ses choses, le laissant ensuite y aller. Pendant ce temps elle dégagea le divan du salon pour sortir le lit rangé à l'intérieur. Elle placa des draps et des oreillers, continuant ensuite à se préparer. Elle replaça ses rallonges de plastiques et de latex dans ses cheveux, regardant l'heure: elle était pressée de quitter, mais elle devait encore expliquer certaines choses à Soren.

Elle s'accouda près de la porte et, l'entrouvant légèrement, se mit à lui expliquer:

"Je vous laisse ma carte de crédit de travail sur la table, si jamais vous avez besoin de quoi que ce soit. On croira que vous êtes mon client qui commande quelque chose, je le fais souvent. LE lit est ouvert, si jamais vous voulez dormir. Ne laissez entrer personne, je ne le fais jamais, pas plus que je ne réponds au téléphone, simple mesure de... précaution face à mon intimité. Il y a à manger dans le frigo mais... bon, je commande, normalement. Je devrais revenir tôt, demain matin. J'étire rarement mes nuits de travail ces temps ci. Attendez un peu avant de partir, je verrai si je pense à quelque chose pour vous aider. Faites attention..."

Avant de partir, elle se regarda une dernière fois dans le miroir et décida de se changer. Elle passa à sa chambre, fermant à demi la porte, optant pour une robe de faux-cuir noire, plutôt minimaliste. S'en suivit une course dans sa chambre pour se parfumer, remplir son petit sac, se remaquiller et choisir d'autres accessoires.

Elle fila ensuite mettre une paire de botte ainsi que son manteau, allant au coeur du quartier des valkyries, là où sa soirée commençait.

La porte de la salle de bain refermée derrière moi je défis la braguette de ce jean trop grand que je portais et le laissai glisser sur mes jambes.
Esquissant un mouvement pour enlever le tee-shirt je me retournai, m’assurant que la porte était correctement fermée. Un accès de pudeur parfaitement ridicule compte tenu du fait que Lovelia avait déjà vu tout ce qu’il y avait à voir…

Je posai un pied dans la baignoire, puis l’autre…
Soudain, un doute…
Je bloquai quelques secondes, fixant ma main gauche d’un air perplexe, et plus particulièrement mes trois doigts bioniques. Est-ce que ce genre de technologie était conçue pour résister à l’eau ? Je le supposais, sinon elle aurait eu assez peu d’intérêt. Cependant, le travail réalisé sur ma main s’apparentant davantage à un jeu de massacre, je n’étais pas convaincu que les prothèses soient complètement fiables.

Cet aspect trop incertain planant fortement au dessus de ma tête, je préférai ne pas prendre de risque.
J’entrepris donc de me laver en me servant exclusivement de ma main droite, veillant à maintenir mon bras gauche en dehors de l’espace de la baignoire… ou comment avoir l’air con simplement en prenant une douche…

Mais je préférais avoir l’air con que me retrouver avec des doigts rouillés !!! ...
Tout de même... heureusement que personne n'assistait à la scène...

Après une dizaine de minutes passées à jouer au contorsionniste, je jugeai que j’étais assez propre.

J’attrapai une serviette, me séchai, enfilai mon jean.
La porte s’entrouvrit alors, laissant apparaitre Lovelia qui me livra les derniers détails importants avant de partir. J’acquiesçai à ses recommandations, la remerciai encore une fois de se donner tant de mal. Je lui était vraiment reconnaissant.

Je me retrouvai seul dans l’appartement.
J’examinai la carte de crédit posée sur la table, la tournant et retournant inlassablement pendant quelques secondes… ou de longues minutes.
Je m’assis sur le lit que m’avait préparé la jeune femme. Me relevai brusquement, fis les cent pas, m’arrêtai pour admirer la vue depuis l’une des fenêtres, m’assis de nouveau.

Puis, gagné par la fatigue accumulée durant cette journée infernale, je m’allongeai et ne tardai pas à m’endormir.

Sommeil agité.
Plusieurs fois je me réveillai en sursaut, en hurlant, trempé d’une sueur froide, la peur m’étreignant sans toutefois que j’arrive à me rappeler la nature de mes cauchemars. J’imaginai assez bien de quoi il pouvait être question mais préférai que les bribes de ces rêves que je savais trop réels demeurent floues.
Je ne trouvai le repos que suite à d’interminables heures passées à me tourner et retourner dans le lit.

Un sommeil léger auquel se mêlaient des éléments de la réalité. Perdu dans mes songes je crus distinguer la sonnerie d’un téléphone, bruit lointain me semblant sans consistance. Plus tard… au même moment… avant cela… enfin… quelque part dans un quelconque laps de temps que je ne pouvais déterminer, le léger grincement d’une porte qui s’ouvre.

J’ouvris un œil, puis l’autre.
J'étais allongé en travers du lit, sur le dos, dans la position exacte où je m'étais finalement endormi, la main gauche posée sur mon ventre et flirtant de près avec la démarcation de mon jean, les pieds emmêlés dans les couvertures.
Je redressai la tête, un peu hébété, la première partie de la nuit que j'avais passé à me battre avec mes angoisses ne s'étant pas encore rappelée à mon bon souvenir.

Lovelia travailla "tard" cette nuit là: elle ne finit qu'à 10h, épuisée d'avoir satisfait de nombreux clients de divers moyens. Elle se fit le plus silencieuse possible pour entrer dans son appartement, craignant de réveiller son invité.

Elle retira ses bottes bruyantes et son manteau, puis passa à sa chambre pour retirer ses mèches de plastiques, accrochant celles-ci ainsi que ses autres accessoires sur un support au fond de sa chambre. Puis elle retira sa robe et enfila un peignoir dans le type kimono.

Dans son petit sac, l'argent qui lui revenait personnellement dormait. Elle le rangea dans une petite boîte, cachée, fermée à clef, où les billets s'accumulaient plus qu'ils ne se dépensaient. Elle jeta aussi les quelques papiers de numéro de téléphone que ses clients lui avaient laissé, un peu dégoûtée.

Elle ressortit de sa chambre, remarquant que Soren avait levé là tête.

"Oh... je suis désolée, je ne voulais pas vous réveiller... vous avez bien dormi?"

Elle, elle n'attendait que d'avoir pris une douche et mangé un morceau avant d'aller dormir: elle n'irait pas se promener ce matin là.

Je me redressai, m’étirai, puis me tournai vers Lovelia.

« - A va. ien dormi. »

Répondis-je, tout en baillant.

Malgré une première moitié de nuit difficile, j’avais réussi à récupérer un peu des évènements de la veille. Je me sentais serein, les cauchemars paraissant maintenant loin derrière moi, ombres imprécises dont le souvenir s’estompait et dont je douterai bientôt de la réalité… Jusqu’à ce que la nuit tombe à nouveau…

Voulant me lever du lit je fus confronté au problème de mes pieds entortillés dans la couverture. Pas encore suffisamment réveillé, j’eus du mal à me dépêtrer de ce piège. J’y parvins finalement après une (pas tout à fait) glorieuse bataille contre l’agresseur (une couverture… quel terrible agresseur effectivement… …).

« - Et vous ? Comment… »
… s’est passée votre nuit ? … Idiot. Je n’achevai heureusement pas ma phrase. Après le tableau amer que la jeune femme m’avait tracé de sa fonction, son envie de passer à autre chose qu’elle avait clairement évoquée, lui demander comment s’était passé sa nuit était totalement déplacé.

Un silence. Je détournai le regard.

Je me dirigeai vers la salle de bain, me passai de l’eau sur le visage, émergeai lentement de ma torpeur, revins progressivement à des préoccupations très terre-à-terre.
Je récupérai le tee-shirt que j’avais abandonné là lorsque j’avais pris ma douche, l’enfilai.

Dans le même temps une idée s’imposait dans mon esprit.
J’avais beau commencer à beaucoup apprécier Lovelia, me sentir en sécurité entre les quatre murs de son appartement, l’heure de mon départ approchait inexorablement. Plus je retardais l’échéance plus je craignais de la mettre en danger. Elle m’avait assuré qu’il y avait peu de risque, pourtant je ne pouvais m’empêcher d’éprouver une certaine appréhension.

Je fixai un instant mon reflet dans le miroir de la salle de bain. La lumière du jour aidant, le bleu électrique de mes yeux ressortait de manière encore plus flagrante.

« - Je pense que je vais pas trop m’attarder. J’vais passer vite fait par chez moi récupérer quelques affaires, ça devrait être moins risqué maintenant si je m'éternise pas trop sur place. »

Déclarai-je une fois que j’eus rejoint Lovelia dans le salon.

Je n’avais pas vraiment envie de partir.
Pourquoi fallait-il que les rencontres plaisantes se fassent toujours dans les situations critiques ?
Une partie de moi essaya sérieusement de répondre à la rhétorique, tandis que l’autre s’axait sur une question plus légitime.

« - J’ai aucune idée de la façon dont je pourrais vous remercier pour ce que vous avez fait. »

Murmurai-je, maladroit, un peu gêné de n’avoir aucun moyen de me faire pardonner pour le dérangement occasionné.

Elle ne releva tout simplement pas la question posée à propos de sa nuit: elle ne parlait jamais de cela. Ce n'était jamais ni de bonnes ou de mauvaises nuits, ce n'étaient que de longues nuits passées à travailler pour quelque chose de moins pire que le reste du monde

Elle le regarda aller vers la salle de bain, allant vers sa cuisine. Elle s'empara de ce qu'elle avait de plus décent pour le petit déjeuner et le mit sur la table de la cuisine, soit quelques boîtes de céréales, du pain et des confitures. Elle, elle opta plutôt pour un restant de pâtes, en étant plutôt rendue à ce genre de repas.

Puis elle retourna dans le salon, jetant un oeil au répondeur de son téléphone: toujours rien. La déclaration de Soren lui arracha un triste sourire:

"Vous n'êtes pas... enfin, sachez que si jamais il y a quelque chose, je ne suis pas si difficile à trouver. Et puis, vous savez où est mon appartement. Je ne sais pas dans quelle galère vous êtes, mais si jamais vous avez besoin d'un endroit où rester en sécurité, ici, c'est pas trop mal. J'ai, disons, beaucoup plus de liberté que vous."

Elle replaça nerveusement quelques coussins, déçue que l'homme parte: elle aurait apprécié avoir un peu de compagnie, un peu d'action. L'aider, c'était commencer à se trouver quelques portes de sortie pour elle aussi. D'une certaine façon, elle serait éventuellement cette fugitive. Peut-être moins en danger, peut-être plus, mais au moins, elle saurait déjà à quoi s'attendre.

"Inutile de chercher à me remercier. Restez en vie, prouvez moi que c'est possible de se libérer de leur contrôle, ça me sera suffisant. Le reste... eh bien c'est rien. C'est pas comme si mon appartement c'était le grand luxe, enh?"

Elle lui sourit amicalement, l'invitant ensuite à passer à la cuisine.

"Vous n'allez tout de même pas partir sans manger. Vous devez être affamé. Je vous commande quelque chose? Vous avez un goût en particulier?"

Elle prit place sur le comptoir, son plat ayant réchauffé, s'y attaquant avec un appétit certain: c'était toujours après ses nuits de travail qu'elle avait le plus faim.

"Vous croyez qu'ils surveillent votre appartement? Je veux dire... vous ne craignez pas d'y retourner? Peut-être avez-vous une importance à leurs yeux que vous ne soupçonnez pas..."

Lovelia me tendit une perche que je m’empressai de saisir.
Non, je n’allais pas partir sans manger. Surtout si ça me permettait de prolonger le temps passé en sa compagnie. Puis j’avais un petit creux… même si j’avoue que dans l’ordre de mes priorités cette raison là était totalement accessoire. Inutile donc de se donner la peine de commander quoi que ce fut. Je signifiai à la jeune femme que les tartines de confiture feraient parfaitement l’affaire. Je n’avais envie de rien en particulier.

En l'écoutant je remarquai une certaine mélancolie qui émanait des paroles de Lovelia, j’y trouvais des accents dramatiques qui vinrent remuer le bric-à-brac flambant neuf de mes émotions.

Quelques jours plus tôt cela m’aurait laissé complètement indifférent, quelques mois plus tard cela ne m’aurait plus fait ni chaud ni froid.
Sous influence. Puis la force de l’habitude.

Mais, au risque d’énumérer bêtement des évidences, nous n’étions ni hier ni demain, je ne pouvais pas plus prédire ce qui adviendrait que changer ce qui avait déjà eu lieu ; nous étions aujourd’hui, maintenant, j’étais là, le cœur en bandoulière, les sentiments à fleur de peau, incapable de prendre du recul.
… … Whoooo … STOP !
Je tentai de refouler cette vague de sensations. Ne pas me laisser submerger.

« - J’ai pensé qu’ils seraient sûrement venu fouiller mon appart’… Mais, le surveiller ?! Me réduire au silence serait si important ? … Ça m’avait même pas effleuré l’esprit. »

Répondis-je confusément, m’obstinant à étaler de la confiture sur une tartine de pain.

La perspective que j’ai pu sous-estimer la gravité de la situation m’effrayait.
Merde ! Ça me paraissait suffisamment inquiétant comme je me l’étais figuré, inutile d’en rajouter !

Et j’étalais toujours cette confiture sur ce pain, machinalement, comme si ça pouvait me permettre de canaliser mes émotions.

Soudain je lâchai tout. Dans un mouvement brusque je me penchai vers Lovelia et saisit ses mains, mon coude atterrissant droit sur ma tartine.
Je plantai mon regard droit dans le sien.

« - Venez avec moi ! Echapper au contrôle, on doit pouvoir faire ça ! Ça vaudrait pas le coup d’essayer vous croyez ?!!?? »

Je réalisai l’énorme connerie que je venais de cracher presque malgré moi. La liberté… si c’était tellement simple ça se saurait.

Puis, dans le genre flippant… mes espèces de sautes d’humeur passant du type qui plane tranquillement quelque part à côté de la réalité à l’illuminé aux penchants chevaleresques n’étaient pas mal du tout.
En tous cas moi je me faisais franchement peur.
Schizophrène ?!!! Non, juste un grand con à l’implant grillé.
Misère…

Mon regard se fit fuyant. Je baissai les yeux.

Me rendant compte que je ne l’avais pas fait plus tôt, je relâchai la prise que j’avais sur les mains de Lovelia.
J’espérai au moins ne pas avoir serré trop fort (je songeai plus particulièrement à ces trois doigts métalliques que je contrôlais à peine pour le moment.)

« - Désolé. Vous savez, je me fais un peu peur depuis hier. »

Murmurai-je, faisant un effort pour adresser à la jeune femme un léger sourire que je voulais un peu rassurant.

La tartine de confiture restée collée à ma manche se détacha pour aller s’écraser lamentablement par terre.

Lovelia le regardait manger, attendrie par sa candeur: dans un monde où l'argent et la performance sont des leitmotivs suffisant à exterminer, on pouvait difficilement se ballader avec une expérience au bout des doigts en s'imaginant avoir la paix.

Elle le regardait manger, ayant, elle, déjà repoussé la nourriture: elle se laissait peut-être inconsciement dépérir à force d'agir ainsi, mais la nourriture lui était de plus en plus difficile à avaler après ses nuits de travail, et même avant.

Soudain, il s'empara de son bras. Surprise, elle se figea, croisant son regard. Mais au lieu de la peur, il n'y avait que la froideur, ce dégoût masqué pour tout contact humain, pour une main resserant son emprise sur elle, pour la moindre parcelle d'infériorité par rapport à l'autre...

Et la poigne était solide, désagréable, froide. Pire encore que celle de ses clients s'accrochant à elle parfois, osant poser leurs pattes d'implantés sur sa chair blanche...

Il parlait de liberté, mais elle savait bien que c'était de la folie: la femme lui avait dit qu'elle reviendrait, elles s'aideraient, elle la débarasserait de cette bombe au cerveau qui l'empêchait de prendre entièrement le contrôle de sa vie...

Il la lâcha, se sentant soudain mal à l'aise. Elle aurait pu se lever et hurler, se débattre, lui crier de sortir, avoir une simple et stupide réaction de peur. Elle opta plutôt pour le calme, se relevant sèchement pour s'éloigner vers un autre côté de la pièce, observant son salon, et plus loin, la fenêtre, l'extérieur.

Son sourire, elle s'efforça de le prendre pour se rappeler pourquoi elle devait être pleine de compassion. Elle garda le silence un moment, respirant profondément, les yeux ouverts mais le regard plongé en elle. Il avait remué des choses qu'elle n'aimait pas remuer.

Enfin, elle le regarda à nouveau.

"Ne refaites plus jamais cela, dit-elle sèchement avant de reprendre contenance et d'oser un faible sourire de compassion. Votre situation est un peu moins complexe que la mienne, en ce moment, sur certains aspects du moins. Personne ne va vous griller le cerveau. Moi, si. Au cas où vous ne le saviez pas, toute valkyrie a, à reliée à son cerveau, une petite puce. Prête à me griller les neurones en cas de trahison. Foutre le camp, c'est déjà une trahison suffisante, sans même avoir posé un geste."

Elle avait croisé les bras, gardé une attitude tendue. Mais elle se calmait peu à peu.

"Il y a une femme qui m'a dit qu'elle trouverait moyen de me l'enlever. Il y a des risques, mais je prends soin à les calculer. Si jamais, comme vous, je me retrouve lancée dans tout cela, alors ce sera une autre histoire. Mais la meilleur facon d'agir, c'est de réfléchir d'abord."

Elle se dirigea vers sa cuisine, qui n'était séparée de la salle à manger que par un comptoir, où elle mit de l'eau à bouillir et prépara du thé. Elle le rammena sur la table, emportant deux tasses.

"Je vous accompagnerais bien, mais pour le moment, vous devrez partir seul, quand vous vous en sentirez prêt. Et maintenant vous me connaissez, vous savez où me trouver, vous savez que... qu'un jour moi aussi je serai libre. Vous avez une avance sur moi, mais je vais vous rattraper."

Elle servit 2 tasses de thé, en prenant une, s'assoyant en lotus sur sa chaise, un peu plus repliée sur elle-même.

"Et ici, ce sera toujours un endroit où vous pourrez venir. Ca continuera à animer un peu ma vie en attendant que j'ai moi aussi mon entière liberté."

L'incident semblait entièrement oublié, voir tabou. Elle avait à nouveau son sourire de gamine, même s'il manquait une petite lueur dans son regard.

[hrp:j'ai été loooongue à répondre, désolée... horaire de fou -.-]

« -Ne refaites plus jamais cela »

Quelques mots résonnant comme une grande claque dans ma gueule.

Leçon de vie. C’était rarement agréable.

Je me baissai, l’air penaud, pour ramasser la tartine qui avait malencontreusement fini sa course par terre. Je trouvai dans la cuisine de quoi essuyer la tâche de confiture. Je m’exécutai sans oser lancer un regard de l’autre côté de la pièce, là où se trouvait Lovelia.
Cette fois je ne savais vraiment plus où me mettre. Malaise.

J’avais salement plombé l’ambiance avec mes conneries.
La jeune femme avait raison. Réfléchir avant d’agir. Un conseil que j’avais tout intérêt à retenir.
De plus, sa situation s’avérait autrement plus complexe que la mienne.
Etaler mes idées fantasques, mon optimisme déraisonné, c’était remuer le couteau dans sa plaie, lui faire miroiter une liberté qu’elle savait pour le moment illusoire.

Après un lourd silence l’atmosphère sembla se décrisper très légèrement. Je vins m’asseoir en face de Lovelia avec en main la tasse de thé qu’elle avait préparé pour moi. Je la laissai parler.

Comprenant que mon "incident diplomatique" était devenu le sujet à éviter, je renonçai à présenter mes excuses. Il n’était pas judicieux de remettre ça sur le tapis.

Malgré cela elle me répéta que je pouvais considérer sa demeure comme un refuge, revenir quand je le voudrais. L’attention me toucha.
Ne sachant que répondre je me cachai timidement derrière ma tasse de thé, bus quelques gorgées.

Finalement je sortis de mon silence, tentant cette fois-ci d’atténuer mes élans romanesques.

« - Merci pour le thé. »
Sous-entendu, merci encore une fois pour tout le reste.

« - Je vais pas vous embêter plus longtemps. Suis déjà resté plus que ce que j’aurais du. »

La matinée était bien avancée ; plus que ce que j’avais prévu. …
Pour être parfaitement honnête, je n’avais pas prévu grand-chose… Mais, quoi qu’il en soit, je ne pouvais pas rester indéfiniment caché chez Lovelia.
D’une part, cela risquait à long terme de lui causer des problèmes ; d’autre part, il fallait que je me décide à prendre ma vie en main. Je ne pourrai pas le faire si je commençais à m’installer dans le confort de l’abri qu’elle m’offrait.

Je me levai, posai ma tasse vide dans l’évier,

« - Je reviendrai vous voir, comptez là-dessus. Et j’espère que cette fois là ce sera avec des idées plus claires, un vrai but et pas seulement une vague envie de prendre une douche. »

Je lui souris, plein de conviction.

« - Ce que je peux vous souhaiter maintenant c’est effectivement de rattraper cette avance que j’ai, et d’être la première à venir me rejoindre. »

Là sans doute que je voulus faire un pas vers elle, un geste. Mais je me ravisai.
Je me dirigeai vers la porte d’entrée, en proie à des émotions contradictoire.
Le pincement au cœur qui me prenait à la simple pensée de franchir le seuil opposé au désir de faire mes preuves qui m’animait à présent.

Spoiler: