Dans mon pyjama gris d'Ortho, je m'offre une dernière journée à l'usine. Les yeux baissés, les épaules voûtées et le pas traînant, je me fonds dans la masse. La sirène du début de journée retentit, on est déjà tous devant nos postes de travail, mains suspendues dans l'attente du démarrage de la chaîne. Bonnes petites fourmis. Non Kim, ne souris pas. C'est pas le moment de te faire repérer.

Au moment prévu, je fais le signe indiquant que je prends ma pause toilettes quotidienne autorisée. Le contremaître hoche la tête en réponse ; j'ai deux minutes.

Une fois enfermée dans une des cabines WC (elles ne ferment pas à clé, mais au moins elles ont une porte), je me penche en avant au maximum pour masquer ce que je fais à la caméra supposée me regarder pisser.

La petite bombe que j'ai construite de mes brunes mains va se coller comme il faut sous la cuvette. Pour les mateurs, je sors un autre objet de mon sac, en l’occurrence un tampon hygiénique, et me l'introduis en montrant le moins possible de peau. Mes deux minutes sont écoulées, je retourne à mon poste. Non Kim, ne souris pas.

Quinze heures après la première sirène, la deuxième retentit, celle de la, huhuhu, liberté.

Je n'ai pas besoin de feindre la fatigue, je suis complètement claquée. Ombre grise parmi les pyjamas gris, je quitte l'usine. Je ne sais pas comment j'ai réussi à faire ça si longtemps, tous les jours. Sans doute qu'avec le End Vice, travailler ou regarder la télé, c'était du pareil au même, aussi fade, aussi dénué d'intérêt.

Je rejoins une bouche d'égout dans une ruelle déserte, rentre chez moi, quitte avec soulagement l'uniforme d'esclave et m'octroie une heure de sommeil. C'est que la journée ne fait que commencer...